Un métal léger, résistant et capable de se déformer sans rompre. Tel est le candidat idéal pour des applications dans le domaine de l’aviation, mais aussi du sport ou encore du biomédical. Le titane offre des propriétés intéressantes mais qui doivent être améliorées en créant des alliages. Laurine Choisez, aspirante FNRS à l’UCLouvain, étudie le mécanisme de rupture d’un alliage de titane et de molybdène. Ses découvertes surprenantes viennent d’être publiées dans Nature Communications. Elle vient également de les présenter de manière vulgarisée à une version revisitée à distance du concours “Ma thèse en 180 secondes” ce mardi 9 juin.
Le titane, un matériau très résistant
En cette période de confinement forcé, Laurine Choisez, doctorante à l’Institut de mécanique, matériaux et génie civil (iMMC) de l’UCLouvain, rédige les derniers résultats de sa thèse. Depuis 4 ans, cette aspirante FNRS étudie la science d’un matériau : le titane. Plus précisément, Laurine Choisez a porté son dévolu sur un nouvel alliage constitué de titane et de molybdène. “Le titane a de très bonnes propriétés : il est très résistant et assez léger. Les industriels dans l’aviation, le sport ou le biomédical sont donc très intéressés par ce matériau”, explique Laurine Choisez. Mais il y a un “mais” : les alliages de titane ont aussi un désavantage. Ils ont un très mauvais écrouissage, c’est-à-dire que dès que l’on commence à les déformer de manière permanente, il suffit d’un très petit incrément de force pour continuer à les déformer jusqu’à la rupture.
Zoom sur un nouvel alliage
Lors d’une thèse précédente menée à l’UCLouvain, Matthieu Marteleur a découvert un nouvel alliage à base de titane et de molybdène qui possède un excellent écrouissage, ce qui lui permet de se déformer beaucoup plus que les autres alliages de titane avant de se rompre. “Ce qui a beaucoup été étudié ces dernières années, ce sont les mécanismes qui lui permettent d’obtenir un si grand écrouissage. Par contre, on ne connaissait pas les mécanismes de rupture”, ajoute la chercheuse, “Or, si on veut l’utiliser à échelle industrielle, il faut pouvoir montrer qu’il possède également une grande résistance à la rupture. Aujourd’hui, cet alliage n’est absolument pas utilisé par les industriels, alors qu’il y a un énorme potentiel.” Pour faire avancer la recherche, Laurine Choisez a donc étudié la résistance à la rupture de cet alliage.
Deux manières de rompre
“Il existe plusieurs façons de rompre un matériau”, explique la doctorante, “J’ai étudié deux grandes classes de rupture : l’endommagement et la ténacité.” L’endommagement consiste à prendre un matériau avec très peu de défauts, puis le déformer très lentement jusqu’à sa rupture. La ténacité est la résistance d’un matériau à la propagation d’une fissure. Pour cela, la chercheuse a formé des préfissures dans des échantillons, et a analysé la variation de l’énergie de rupture en fonction des longueurs de propagation de la fissure.
Que se passe-t-il en cas de rupture ?
“Lors d’une rupture par endommagement, des cavités se forment pendant la déformation de la matière, puis croissent jusqu’à former une fissure qui mènera à la rupture”, détaille Laurine Choisez. “Or, dans le cas de l’alliage étudié, aucune cavité ne se forme avant la rupture finale, ce qui montre une résistance à la formation de cavités proche de celle des matériaux purs.” En d’autres mots, la source qui permet la grande résistance et le grand écrouissage de cet alliage (des barrières que l’alliage forment pendant sa déformation) ne conduit pas à la formation de cavités et donc à la rupture de cet alliage, contrairement aux autres alliages métalliques à haute résistance. “C’est un résultat tout à fait étonnant : normalement, plus un matériau est résistant à la déformation, moins il est résistant à la rupture”, commente l’aspirante FNRS. Au lieu de former des cavités, la déformation se localise dans une très fine bande avant de se rompre. Autre découverte : lors de l’endommagement, il y a une hausse de la température qui mène à une fusion locale de l’alliage et à la recristallisation dynamique (formation d’une nouvelle microstructure sans défaut). C’est aussi très original car normalement, quand on déforme très lentement ce matériau à température ambiante, il ne devrait pas y avoir une telle augmentation de température. Du côté de l’étude de la ténacité, Laurine Choisez a démontré que l’alliage était bien plus tenace que celui d’alliages classiques de titane.
Quelles perspectives pour notre société ?
Que faire désormais avec un tel alliage aux propriétés prometteuses ? La thèse de Laurine Choisez s’inscrit dans une recherche fondamentale de développement de nouveaux matériaux plus performants. “Je me suis concentrée sur l’étude des mécanismes de rupture, pas sur une application spécifique.” Il n’empêche que la grande résistance de cet alliage devrait intéresser l’industrie de l’aviation pour développer des avions plus légers - et donc moins polluant - mais tout aussi résistant. Mais aussi le biomédicale pour créer des dispositifs médicaux comme des prothèses et implants plus appropriés. Ou l’industrie sportive, toujours en quête d’équipements plus performants.
Et demain, si la doctorante avait le temps, elle étudierait d’autres alliages de cette famille avec d’autres compositions, afin de savoir s’ils montrent les mêmes modes de rupture voire même une combinaison encore plus prometteuse de propriétés. Autre piste de recherche : étudier les autres modes de rupture que l’endommagement et la ténacité : la fatigue par exemple. “Pour tester la fatigue d’un matériau, il faut charger un matériau de manière cyclique, en exerçant une contrainte répétée mais pas trop élevée. On tire, on lâche et ainsi de suite. C’est ce qui arrive lors des atterrissages répétés d’un avion ou lorsque quelqu’un marche avec une prothèse de hanche en titane.” Ce mécanisme de rupture très original pourrait donc se produire dans d’autres alliages, en particulier dans cette nouvelle famille d’alliages de titane, et permettre le développement de matériaux présentant à la fois une grande résistance à la déformation et une grande résistance à la rupture.
Découvrez la présentation de Laurine Choisez lors de l'édition spéciale à distance du concours MT180:
3 questions à Laurine Choisez avant MT180
Ce 9 juin 2020, le concours “Ma thèse en 180 secondes” (MT180) a pris une allure tout à fait unique, dans le contexte de crise sanitaire actuelle. Sa version virtuelle 2.0 réunissait 9 participants, 5 de l’UMons et 4 de l’UCLouvain. Tous présentaient leur thèse en 3 minutes par vidéoconférence. Dont Laurine Choisez, qui nous livré ses impressions avant cette expérience.
Pourquoi avoir décidé de vous lancer dans l’aventure MT180 ?
Ce qui m’a attiré, c’est l’idée de développer de nouvelles compétences. J’hésitais beaucoup, puis je suis allée à un séminaire donné par l’UCLouvain présentant les différents métiers possibles après une thèse. Un ancien doctorant y racontait son parcours, en disant avoir participé au concours MT180. Selon lui, cette expérience avait été décisive lors de son entretien d’embauche. L’employeur a souligné l’importance de la capacité de vulgarisation. Je me suis donc lancée dans l’aventure, en pensant à un futur plus éloigné que l’écriture de ma thèse.
Comment vous êtes-vous préparée à ce concours ?
Cette année, l’UCLouvain a engagé une coach-psychologue qui nous a donné deux journées de formation. La première journée portait sur la vulgarisation, la seconde sur la présentation orale et la résistance au stress. Ces journées de coaching offertes par l’UCLouvain sont vraiment bien ficelées et très enrichissantes.
3 semaines avant le concours, comment vous sentiez-vous ?
Nous avons eu deux séances de coaching en distanciel pour préparer l’aspect virtuel, et, le vendredi qui précédait, il y a eu une répétition générale. Je n’ai pas été stressée par le concours en soi car j’étais bien préparée. J’étais plus inquiète par l’aspect technique de cette expérience virtuelle mais la répétition générale a permis de pallier à cette crainte.
Lauranne Garitte
Coup d’œil sur la bio de Laurine Choisez
Laurine Choisez effectue sa thèse de doctorat à l’Institut de mécanique, matériaux et génie civil (iMMC) de l’UCLouvain sous la supervision du Prof. Pascal Jacques, grâce à un mandat d’aspirant FNRS. Elle acquiert une première expérience de recherche lors d’un stage de recherche au Massachusetts Institute of Technologie auprès du Prof. Christopher A. Schuh en 2016 grâce à une bourse Chair Lhoist Berghmans, portant sur l’étude d’une céramique à mémoire de forme. Elle est titulaire d’un Master d’Ingénieur Civil en chimie et sciences des matériaux, avec une spécialisation en matériaux inorganiques et mécanique des matériaux, obtenu en 2016 à l’UCLouvain.