Un été sans banquise d’ici 2050

Le passage maritime de l’océan Atlantique à l’océan Pacifique par le nord a longtemps été un rêve. Puis les grands brise-glace ont frayé des passages à travers la banquise. Demain, il pourrait devenir une promenade estivale : d’ici 2050 nous connaîtrons au moins un été sans banquise au pôle Nord.

Rappelons que contrairement à l’antarctique (sud), il n’existe pas de continent arctique. La glace qui recouvre le pôle Nord est une banquise c’est-à-dire de la glace de mer dont l’épaisseur et la superficie varient fortement en fonction du lieu et de la saison : environ 15 millions de km2 (500 fois la Belgique) et 4 à 5 m d’épaisseur en moyenne l’hiver pour une étendue et une épaisseur moitié moindre en été. Mais la fonte estivale s’accélère : à la fin de l’été dernier, en septembre 2019, elle a atteint une étendue de seulement 4,3 millions de km2, troisième valeur la plus basse depuis les premières observations satellites de 1979. « La banquise a un rythme saisonnier », explique François Massonnet, chercheur qualifié FNRS au Earth and Life Institute de l’UCLouvain. « Elle fond l’été, se reforme pendant l’hiver et ainsi de suite. Mais année après année, nous constatons qu’elle récupère de moins en moins de glace en hiver et en perd de plus en plus en été. » Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène. La banquise se forme en effet par congélation de l’eau de mer. Or les températures hivernales augmentent ce qui entraîne une moindre épaisseur de glace hivernale. En été, il est de plus en plus fréquent que la fonte s’intensifie sous l’action de masses d’air chaud remontant du sud. « Nous avons donc connu ces dernières années un concours de circonstances assez malheureux », résume François Massonnet. « Car si la moitié de la diminution des glaces arctiques peut être attribuable aux activités humaines (réchauffement climatique dû aux émissions de gaz à effet de serre), l’autre moitié est due à la variabilité naturelle du climat, notamment ces vents chauds méridionaux.».

Des modèles à la rescousse !

Membre de la collaboration SIMIP (Sea-Ice Model Intercomparison Project) qui regroupe 21 institutions de recherche à travers le monde, François Massonnet est un homme de modèles : « Notre tâche au sein du SIMIP est de comparer les modèles climatiques . Cela a débuté dans les années 1990 et les résultats que nous publions aujourd’hui sont ceux de la plus récente phase de comparaison qui a porté sur une quarantaine de modèles différents. » Il faut savoir en effet que les modèles climatiques ont des erreurs systématiques qui mettent en cause la fiabilité des prévisions. En outre, il existe divers types de modèles, certains régionaux, d’autres focalisés sur des environnements précis, d’autres globaux. Les comparer, comparer les données dont on les abreuve est donc important. La preuve : une surprise est née de ce sixième round de comparaison et elle concerne la banquise arctique.

Un océan libre de glace

Que dit la comparaison des 40 modèles climatiques à propos de la banquise ? Les résultats publiés dans les Geophysical Research Letters ont créé un émoi au sein de la communauté scientifique. « Quand j’ai commencé mes recherches sur le sujet, il y a dix ans », se souvient François Massonnet, « il y avait toujours un espoir que la banquise estivale au pôle Nord ne disparaisse pas, pour autant que les réductions d’émissions de gaz à effet de serre soient suffisantes. Notre dernière comparaison des modèles a balayé cet espoir. » Autrement dit, même si le réchauffement climatique moyen ne dépasse pas 2°C -et ce n’est pas gagné !- , il y aura des étés sans glace au pôle Nord : le vieux rêve des explorateurs est devenu réalité. A quelle fréquence ? « Si l’augmentation de la température moyenne ne dépasse pas 2°C, il n’y aura pas de banquise un été sur dix. Si on parvient à rester sous 1,5°C d’augmentation, ce ne sera qu’un été sur cent. Mais ce que les modèles nous disent aussi c’est que même si nous restons sous les 2°C, nous connaîtrons au moins un été sans glace polaire d’ici à 2050. » Des nouvelles tendances qui ont pu être dégagées d’une part parce que les moyens de calcul ont fortement progressé en dix ans mais aussi parce que les modèles climatiques ont évolué grâce à une meilleure compréhension des variabilités naturelles du climat.

Confinement à perpétuité (ou presque !) pour un effet sur le climat

L’évolution de la banquise dépend donc pour une part importante du réchauffement climatique, donc de la quantité de gaz à effet de serre que nous rejetons dans l’atmosphère. Le confinement sanitaire décrété par la plupart des pays suite à l’épidémie du Covid-19 n’est-il pas une ‘heureuse’ nouvelle à cet égard ? L’Agence Internationale de l’Energie (AIE) a publié son dernier rapport ce 30 avril. Un vrai festival de records ! Selon ce rapport, la demande en énergie a baissé de 3,8% au premier trimestre de cette année par rapport au premier trimestre 2019. Sur l’ensemble de l’année, la baisse est estimée à 6%. C’est comme si le troisième plus gros consommateur mondial d’énergie, l’Inde, avait cessé toute consommation d’énergie pendant un an ! Et cela n’est qu’une moyenne : la chute devrait être de 9% aux USA et 11% dans l’UE. L’AIE a aussi traduit cela en rejet de gaz à effet de serre : pour 2020, cela représentera sans doute une baisse de 8% au niveau mondial, soit 2,6 gigatonnes de CO2.

Face à cette déferlante, François Massonnet reste très prudent. « Il faut considérer trois éléments », dit-il, « les émissions de gaz, leur concentration dans l’atmosphère et la température moyenne. Il y aura peut-être une baisse des émissions, mais il faut attendre le déconfinement et voir quelle sera l’ampleur de la reprise économique. Mais peu importe car ce qui compte pour l’équilibre énergétique de la Terre, c’est la concentration, c’est-à-dire le stock de gaz à effet de serre présent dans l’atmosphère. Une diminution des émissions sur un laps de temps aussi court n’aura aucun effet significatif sur cette concentration. Quant à la température moyenne, qui dépend en partie de ce stock, sa courbe ne va pas non plus s’infléchir significativement. Pour détecter un signal sur la température moyenne, il faudrait une crise du coronavirus continue pendant au moins 10 à 15 ans. A titre de comparaison, pour atteindre l’objectif de 1.5°C de l’accord de Paris, il faut une réduction de 7 à 8% des émissions chaque année. »

Vidéo portrait François Massonnet :

Coup d’œil sur la bio de François Massonnet

 

Publié le 14 mai 2020