Un nouvel anticorps monoclonal en développement clinique

Des recherches de longue haleine aboutissent à un nouveau candidat biomédicament à l’UCLouvain : un anticorps monoclonal anti-GARP. Peut-être bientôt testé cliniquement, il promet de nouvelles possibilités de traitement pour les patients atteints d’un cancer.

Voilà quatorze ans qu’elle y travaille. Professeure à l’UCLouvain, à la tête d’un groupe de recherche de l’Institut de Duve, Sophie Lucas s’est penchée dès sa thèse sur les réponses immunitaires anti-tumorales chez les patients atteints de cancer. Aujourd’hui, le résultat de ses recherches menées avec le concours d’une équipe de chercheurs de plus en plus large aboutit à un candidat médicament qui sera peut-être bientôt testé en clinique. L’immunothérapie contre le cancer est un domaine de recherche en plein essor. Un chercheur américain, James Allison, et un chercheur japonais, Tasuku Honjo, viennent d’ailleurs de se voir décerner le Prix Nobel de Médecine 2018 pour leurs travaux en immunothérapie!

Enseignante en faculté de médecine, la professeure Lucas poursuit en parallèle ses recherches à l’Institut de Duve, un centre pluridisciplinaire composé de plus de 250 chercheurs. Parmi les multiples domaines d’études que l’institut regroupe, celui dans lequel travaille la professeure Lucas : l’immunologie. « Nous sommes dans un secteur très proche des applications médicales et donc des patients, observe-t-elle. Mes recherches sont des recherches fondamentales, mais je pose des questions très concrètes : comment le système immunitaire réagit-il contre les cellules tumorales et pourquoi ne fonctionne-t-il pas suffisamment lorsqu’un cancer progresse ? »

De premiers vaccins dans les années nonante

« Cela fait un petit temps que j’y travaille, finalement, sourit la professeure Lucas. Peu avant que je commence ma thèse avec le professeur Thierry Boon, lui et ses collaborateurs découvraient les antigènes des tumeurs. Ces petits déterminants moléculaires qui se trouvent à la surface des cellules tumorales sont susceptibles d’être reconnus par les soldats de notre système immunitaire : les lymphocytes T. Cette découverte, qui remonte au début des années 90, a permis de démontrer que le système immunitaire est capable de reconnaître et détruire les cellules tumorales sans s’attaquer aux cellules saines. Une découverte majeure ! Qui inspirera profondément mon futur travail. »

Après sa thèse, Sophie Lucas part poursuivre son parcours à l’étranger. Lorsqu’elle revient à l’UCLouvain, les choses avaient un peu évolué… « A la fin des années nonante, les premiers vaccins à base d’antigènes de tumeurs avaient été testés chez des patients atteints de cancer, pour voir si l’on parvenait à stimuler leur immunité anti-tumorale, rappelle-t-elle. Ces vaccins étaient parfois très efficaces, mais malheureusement pas chez la grande majorité des patients. Il fallait comprendre pourquoi les réponses immunitaires anti-tumorales étaient inefficaces chez ces patients. C’est là que j’ai décidé de me concentrer sur un mécanisme précis de dysfonctionnement du système immunitaire face au cancer. » Un type très particulier de lymphocytes T, les « Treg », sont pointés du doigt par la chercheuse. Ils protègent notre corps des maladies auto-immunitaires, en bloquant l’activité des autres lymphocytes T qui peuvent être des soldats trop zélés. « Quand on connait leur fonction naturelle, on peut très facilement imaginer que les Treg fonctionnent trop fort chez les patients atteints de cancer et empêchent les autres lymphocytes d’agir contre la tumeur », observe la professeure Lucas.

Plus de quatorze ans de recherches

C’est là, en 2004, qu’elle concentre ses recherches sur le fonctionnement des « Treg ». « Au début, je travaillais toute seule. Puis, petit à petit, nous sommes devenus plus nombreux dans mon laboratoire à l’Institut de Duve… jusqu’à être une douzaine aujourd’hui. » Deux premières publications du groupe en 2009 lèvent le voile sur un mécanisme de fonctionnement des Treg : la protéine « GARP » permet aux Tregs d’émettre un messager inhibiteur, le TGF-beta, qui agit sur les autres lymphocytes T. Suivent, en 2015, de nouveaux résultats montrant que des anticorps monoclonaux peuvent bloquer la fonction immunosuppressive des « Treg », en agissant sur la fameuse protéine GARP et en l’empêchant d’émettre le messager inhibiteur.

La société de biotechnologie argenx, spécialisée dans le développement d’anticorps à usage thérapeutique, s’intéresse et participe activement à ces recherches depuis 2013. Plus récemment, une société pharmaceutique se penche sur le projet : AbbVie. Le développement d’un anticorps « anti-GARP » pour le traitement du cancer est en marche : la société pharmaceutique annonce la prise d’une licence sur cet anticorps en août 2018, afin de poursuivre le développement du biomédicament pour pouvoir le tester en clinique. Cette prise de licence fait suite aux résultats récemment obtenus par l’équipe de Sophie Lucas et la société argenx et publiés fin octobre 2018 dans la prestigieuse revue Science.

« Le biomédicament que nous avons imaginé appartient à la famille des anticorps monoclonaux, explique la professeure Lucas. Ces anticorps sont produits en laboratoires, mais ils ont les mêmes caractéristiques structurelles et biochimiques que les anticorps que notre corps produit naturellement pour se défendre contre les infections. Une petite trentaine d’anticorps monoclonaux sont déjà utilisés comme agents biothérapeutiques en Belgique. Chaque anticorps monoclonal est dirigé contre une cible bien précise, et certains sont utilisés pour le traitement du cancer. La nouveauté de nos anticorps ? Ils ciblent GARP et les Treg, une approche qui n’a encore jamais été testée à ce jour.» Le travail de la professeure Lucas est-il pour autant terminé ? « Pas du tout !, s’exclame-t-elle. On se demande toujours comment et quand GARP fonctionne sur les cellules, et pas uniquement sur les Treg, mais aussi sur les lymphocytes B ou les plaquettes où nous savons aussi qu’il peut être présent … Nous continuons nos recherches dans ce domaine. Se poser des questions et chercher des réponses pour comprendre comment ça marche, c’est le travail du chercheur, il ne s’arrête jamais … »

 

 

Coup d'oeil sur la bio de Sophie Lucas

1994: Doctorat en médecine (UCLouvain)
1994-2002: Chercheuse au Ludwig Institute for Cancer Research (Bruxelles)
2000: Thèse de doctorat (UCLouvain)
2002-2004: Chercheuse chez Genentech, San Francisco (USA)
Depuis 2004: Chercheuse à l’Institut de Duve (UCLouvain)

 

 

Publié le 13 novembre 2018