Une faille dans la muraille d’E.coli

L’enveloppe de la bactérie E.coli est difficile à pénétrer et donne du fil à retordre à ceux qui tentent de trouver de nouveaux antibiotiques contre cette bactérie. Deux des trois couches de cette enveloppe sont solidement arrimées par une lipoprotéine, la Lpp. En manipulant celle-ci, des chercheurs de l’UCLouvain ont réussi à fragiliser E. coli.

Naturellement présente dans nos intestins, Escherichia coli (prononcer échérichia coli) est une grande alliée de notre organisme et nous aide même à combattre certaines infections. Pourquoi chercher à développer des antibiotiques contre une telle alliée? Parce que certaines souches de cette bactérie sont pathogènes et peuvent provoquer des crampes abdominales et diarrhées, avec parfois des complications graves. Pour en venir à bout, il faut mettre au point des antibiotiques capables de détruire l’enveloppe bactérienne. Chose qui n’est pas aisée lorsqu’on est face à une bactérie dotée d’une muraille à trois couches.

Il existe plusieurs types de bactéries. Escherichia coli (E. coli) fait partie des bactéries dites « Gram négatif ». Elle possède ainsi trois couches qui la protègent:

  • La couche n° 1 est la membrane interne qui enveloppe le cytoplasme de la bactérie.
  • La couche n° 2 est la barrière la plus solide et la plus « dure » de la bactérie. Elle est composée d’un mélange de sucres et d’acides aminés.
  • La couche n° 3 est la membrane externe de la bactérie. C’est sa première défense. Comme la couche n° 1, elle est composée de lipides (graisses). Cette couche est particulièrement difficile à pénétrer.Une symbiose métabolique
Des « piliers » entre deux couches

Pour pouvoir détruire une bactérie pathogène, un médicament doit donc traverser ces couches. « Beaucoup d’antibiotiques cherchent à perturber l’assemblage de la couche intermédiaire n° 2 », explique le Pr Jean-François Collet, chercheur à l’Institut de Duve de l’UCLouvain et spécialiste des bactéries. « Encore faut-il y arriver ! Car la couche externe n° 3 peut aussi être très « solide », notamment si elle est bien ancrée à la couche n° 2. C’est ce qu’on appelle la rigidité bactérienne. »

Chez E. coli, ces deux couches sont reliées entre elles par de nombreuses copies de la lipoprotéine Lpp. Lpp agit comme un pilier entre le deuxième rempart (couche n° 2) et l’enceinte extérieure (couche n° 3).

Une bactérie qui ne se défend plus

Le Pr Collet et son équipe s’intéressent à Lpp depuis plusieurs années. Et pour cause : « C’est la longueur de Lpp qui détermine l’épaisseur entre les couches », explique le Pr Collet. « Si on allonge les “piliers” Lpp, on augmente de facto la “hauteur de plafond” et, donc, la taille de la bactérie. Or, modifier Lpp perturbe la surveillance de la couche externe n° 3. »

Pour bien comprendre, on peut se figurer la bactérie comme une forteresse. Elle est peuplée de protéines qui font fonction de soldats, de maçons ou de messagers. Si le mur d’enceinte extérieur (couche n° 3) est attaqué, un messager est censé prévenir les autres protéines. Elles interviennent alors pour défendre ou réparer les dégâts infligés à la bactérie. Mais si la distance entre le mur d’enceinte et le deuxième rempart (couche intermédiaire n° 2) a été augmentée, le message peut se perdre en route… La forteresse bactérie devient alors aveugle et sourde à ce qui l’agresse.

Utiliser les nanotechnologies

« Nous savions déjà que manipuler Lpp diminue la rigidité bactérienne et, par conséquent, fragilise les défenses d’E. coli », explique le Pr Collet. « Mais nous voulions savoir dans quelle mesure exactement. » Pour ce faire, les chercheur.se.s ont commencé par modifier génétiquement E. coli, soit en allongeant Lpp, soit en l’empêchant de s’arrimer à la couche n° 2. Ensuite, l’équipe du Pr Collet s’est associée avec celle du Pr Yves Dufrêne, directeur de recherches FNRS au Louvain Institute of Biomolecular Science and Technology (LIBST). « Le Pr Dufrêne, qui travaille aussi sur les bactéries, a une grande expertise du microscope à force atomique (AFM) », explique son confrère. « Son équipe a “promené” la pointe nanométrique de l’AFM à la surface des bactéries E. coli naturelles et mutantes, en y appliquant une force jusqu’à ce qu’elles se brisent. » Ces expériences ont permis de confirmer que, oui, manipuler Lpp diminue bel et bien la rigidité bactérienne. Et ce, quelle que soit la modification (allongement ou désarrimage) apportée à Lpp. « Surtout, et pour la première fois, l’AFM nous a permis de quantifier et de mesurer précisément l’importance de Lpp pour la rigidité de l’enveloppe bactérienne. »

À la recherche de « saboteurs » de Lpp !

Cette étude[1] a fait l’objet d’une publication dans la revue Nature Communications. « Maintenant que nous disposons de ces données chiffrées, nous aimerions trouver des molécules capables de produire les mêmes effets sur la rigidité bactérienne que nos manipulations génétiques », explique le Pr Collet. « C’est-à-dire des molécules qui pourraient perturber la maturation, la production et/ou l’action de Lpp. Ce qui diminuerait la rigidité bactérienne et permettrait aux antibiotiques de pénétrer plus facilement les défenses d’E. coli. » Pour, le cas échéant, la détruire ? C’est l’espoir et la piste explorée par les chercheurs de l’UCLouvain.

Financements des recherches sur Lpp

L’étude dont il est question ici a été principalement financée par l’institut de recherche interuniversitaire WELBIO, le programme « Excellence of Science » (EOS) du FNRS une partie des bourses de l’European Research Council (ERC) obtenues par les Prs Collet et Dufrêne.

Candice Leblanc

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Coup d’œil sur la bio de Jean-François Collet

Jean-François Collet est professeur à l’UCLouvain depuis 2005. Ce spécialiste des bactéries est aussi investigateur pour l’Institut WELBIO. Le Pr Collet est titulaire d’un diplôme d’ingénieur en sciences agronomiques et d’un doctorat, obtenus respectivement en 1995 et 2000 à l’UCLouvain. Après un postdoctorat à l’Université de Michigan (USA), il devient chercheur associé du FNRS à l’Institut de Duve en 2005.

 

 

 

Coup d’œil sur la bio d’Yves Dufrêne

Yves Dufrêne est directeur de recherche FNRS à l’Institut des Sciences de la Vie (ELI) et professeur à l’UCLouvain depuis 2000. Ce spécialiste des nanotechnologies est aussi investigateur pour l’Institut WELBIO. Le Pr Dufrêne est titulaire d’un diplôme de bioingénieur et d’un doctorat, obtenus respectivement en 1991 et 1996.

 

 

 

 

[1] M. Mathelié-Guinlet, A.T. Asmar, J.-F. Collet et Y. Dufrêne, « Lipoprotein Lpp regulates the mechanical properties of the E. coli cell envelope » in Nature Communications, 14 avril 2020.

Publié le 19 mai 2020