Une villa toscane de l’Antiquité tardive sortie de Terre

Vue générale du site d’Aiano-Torraccia di Chiusi

Durant 13 étés, Marco Cavalieri, professeur d’archéologie romaine à l’UCLouvain, et son équipe ont réalisé des fouilles près de la ville de San Gimignano en Toscane. Ils ont révélé petit à petit l’existence d’une immense villa datant de l’Antiquité tardive. D’ici 2021, un parc archéologique et un musée mettront en lumière ce long travail de fouilles.

Nous sommes à San Gimignano, en Toscane, à 80 km de la mer tyrrhénienne, à 60 km au sud de Florence et à 30 km au nord de Sienne. C’est ici que depuis 2005, presque chaque année, en plein cœur de l’été, Marco Cavalieri, professeur d’archéologie romaine et chercheur à l'Institut des civilisations, arts et lettres (INCAL) de l’UCLouvain, et son équipe, réalisent des fouilles archéologiques. Leur objet d’étude ? La gigantesque villa d’Aiano-Torraccia di Chiusi de 10.000 m². Le plongeon temporel rendu possible grâce à ces fouilles ? Des premières phases de la romanisation (Ier siècle av. J.-C.) à l’Antiquité tardive (IVème et Vème siècles ap. J.-C.), jusqu’au Haut Moyen-Age (VIème et VIIème siècles ap. J.-C.).

Comment vivait-on à l’Antiquité tardive ?

Ce grand projet, dirigé par l’UCLouvain et initié en 2005, avait un objectif : mieux comprendre le peuplement et les modes de vie sur le territoire rural du Val d’Elsa, et en particulier dans le périmètre de ce qui est aujourd’hui le territoire de la commune de San Gimignano. En effet, historiquement, ce lieu a énormément de choses à nous raconter : “Grâce aux fouilles, nous voulions mieux comprendre le monde de l’Antiquité tardive et le passage entre le paganisme et le christianisme”, explique Marco Cavalieri. Le but poursuivi est donc de définir de manière plus précise la présence romaine sur un territoire pauvre en témoignages monumentaux. Comment ? En fouillant certaines parties de cette immense villa qui s’étend sur 10.000 m², et en étudiant le mobilier retrouvé. Pour cela, le directeur du projet Marco Cavalieri n’était pas seul. Il a pu compter, chaque année, sur de nombreuses personnes venant d’horizons différents. Il y a d’abord tous ceux qui participent à la fouille (chercheurs, étudiants, bénévoles), mais aussi ceux qui analysent les données ou qui gèrent plutôt les aspects pratiques. La plupart sont belges et italiens. Après un travail en amont à la pelle mécanique, toute l’équipe réalise une fouille stratigraphique minutieuse.

Une villa engloutie

Aujourd’hui, après 13 étés de fouilles, l’équipe a fouillé 3500 m². Pourquoi une fouille si longue ? L’explication réside dans la situation géographique complexe de la villa. A l’Antiquité, elle se trouvait au pied d’une colline, sur une grosse terrasse qui domine une autre vallée dans laquelle passe encore aujourd’hui le torrent Fosci. Au fil des siècles jusqu’aux VIII et IX èmes siècles, des glissements de terrain l’ont recouverte, la conservant, mais induisant un travail de titan pour les archéologues qui doivent creuser 2 mètres pour atteindre la villa.

Un quartier productif découvert

La dernière trouvaille date des fouilles de l’été dernier (2019). “Cette année”, annonce fièrement Marco Cavalieri, “nous avons retrouvé le quartier productif de la villa, composé, pour l’instant, de 4 pièces. Nous y avons découvert des ‘dolia’, c’est-à-dire de très grandes jarres de 2 ou 3 mètres de profondeur. Elles étaient utilisées pour stocker de l’huile ou du vin.” Cette dernière trouvaille relance la curiosité de notre professeur, qui voyait l’été 2019 comme le dernier pour les fouilles de ce projet. L’étude de la typologie des produits et l’analyse archéométriques permettent de dater ces jarres entre la fin du 4ème et le début du 5ème siècle ap. J.-C.

Photo aérienne de la villa d’Aiano-Torraccia di Chiusi avec l’indication de différentes pièces  
Une vie luxueuse, en période de décadence

A chaque année de fouille, de nouvelles découvertes de parties de villa et d’objets. C’est le cas de la décoration des pièces utilisant des sectilia, plaquettes en pâte de verre et représentant des poissons, des crustacés et des méduses. Après analyse, l’équipe a découvert que ces objets étaient produits à Alexandrie d’Egypte, loin de l’Italie donc. “Pour l’époque, c’étaient des objets de luxe”, explique Marco Cavalieri. “Or, l’époque de l’Antiquité tardive est considérée comme celle de la décadence. Cette villa montre que ce n’était pas le cas partout”, conclut l’archéologue. Cette découverte ne fut pas sans embûches, puisque durant le 5ème siècle, peu avant l’effondrement de l’empire romain, les Ostrogoths s’installent en Italie. Certains prennent possession de la villa et détruisent ou recyclent de nombreux objets. Au Haut Moyen-Âge, ils réutilisent par exemple la pâte de verre pour la fondre et faire des bijoux. L’archéométrie a confirmé cette hypothèse.

Reconstruction d’un poisson en verre polychrome découvert dans la villa romaine

Du squelette aux éléments décoratifs

Avant cela, de nombreuses autres découvertes ont été réalisées. Au début, l’équipe a repéré les éléments du complexe immobilier : un pavillon (composé d’une salle à plan hexagonal), avec 3 côtés délimités par des exèdres, dont l’entrée est précédée d’un vestibule via lequel on accède à la salle centrale ainsi qu’à une “ambulatio” (couloir de promenade) à 5 lobes. Ce complexe salle-ambulatio est connecté aux structures de la villa par des corridors et/ou des passages menant à différentes pièces rectangulaires. A partir de cette compréhension de l’agencement des pièces, les fouilles sont devenues plus précises : découverte de la mosaïque sur le pavement de la grande pièce de la villa. “La mosaïque laisse entrevoir non plus uniquement le ‘squelette’ (les murs) de la villa, mais également son système décoratif”, commente Marco Cavalieri. Des mosaïques qui dateraient de la deuxième phase de vie du site, entre la fin du IVème siècle et la première moitié du Vème siècle ap. J.-C. Lors des autres fouilles, l’équipe a également retrouvé des lampes, amphores et de la vaisselle en céramique, des décorations en marbres, des briques et revêtements muraux en terre cuite, des verres en verre, des monnaies et même un atelier de forgeron.

Photo aérienne de la pièce tri-absidiale  
Ce que l’on apprend de l’époque

Toutes ces trouvailles offrent un terrain de jeux passionnant pour Marco Cavalieri qui a pu tirer certaines conclusions sur l’époque étudiée. La villa d’Aiano-Torraccia di Chiusi est un témoignage immobilier rare de la rencontre entre le monde romain et médiéval. “Nous en avons également appris davantage sur l’évolution de l’environnement toscan : il était complètement différent à l’époque. Il n’y avait pas de cyprès ni de vignes comme aujourd’hui. Le paysage a complètement changé au fil du temps”, ajoute l’archéologue. Enfin, le grand apprentissage des fouilles concerne sans nul doute la phase dite de décadence de la fin de l’Antiquité. “Au vu de l’immensité des lieux et des objets de grande valeur retrouvés, la villa est une exception à cette phase de tristesse et de contraction économique. Cela indique d’ailleurs qu’il s’agit plutôt d’un lieu de pouvoir que d’une maison de loisir”, conclut Marco Cavalieri.

Et maintenant ?

Les dernières trouvailles de cet été 2019 ont relancé Marco Cavalieri pour 2 années supplémentaires de fouilles, alors que ce devait être la dernière année. Et l’archéologue ne s’arrête pas là : “Dans les mois et années à venir, nous allons mettre en valeur le site, et en faire un parc archéologique en plein air, afin que les citoyens et les touristes puissent visiter l’espace. Nous allons également rénover le musée archéologique de San Gimignano, en reproduisant la villa en 3D. C’est un important travail de vulgarisation et d’éducation qui me semble primordial pour un chercheur. Notre rôle a également une dimension sociétale : nous devons faire le pont entre ce que nous sommes et ce que nous étions”, termine Marco Cavalieri.

Lauranne Garitte

Coup d’œil sur la bio de Marco Cavalieri

Italien, Marco Cavalieri est archéologue et historien de l’art de l’Antiquité classique (Grèce, Etrurie et Rome). Il s’est d’abord formé aux Universités de Parme et Bologne (1996). Après une thèse de spécialisation à l’Université de Florence (1999) et une dissertation doctorale à l’Université de Pérouse (2003), il a séjourné à Paris comme visiting researcher de l’École pratique des hautes études et de l’École normale supérieure de Paris.

Engagé à l’UCLouvain en septembre 2003, il enseigne l’archéologie et l’histoire de l’art de Rome, des provinces romaines ainsi que l’étruscologie à la Faculté de philosophie, arts et lettres (FIAL).

Ses recherches, qui couvrent un champ très large, comme l’atteste sa bibliographie, portent notamment sur l’étude de la « romanisation ». Ce processus d'acculturation résulte de l’adoption de la culture romaine dans l'immense aire d'influence de l’Empire romain, par des populations très différentes.

Depuis septembre 2018, il est président de l'Institut des civilisations, arts et lettres (INCAL).

Chaque été, Marco Cavalieri retrouve « son » champ de fouilles en Toscane (près de la ville de San Gimignano, dans la province de Sienne) où, avec un groupe d’étudiants passionnés et de chercheurs il met au jour les vestiges d'une villa romaine du quatrième siècle. On pourrait donc dire qu'il a non seulement les pieds sur terre mais dans la terre et plus précisément, un pied dans le quatrième siècle et l'autre dans le vingt et unième. C'est là tout le défi des humanistes de nos jours, quelle que soit leur discipline ! Depuis l’été passé, il dirige également un deuxième projet de recherche archéologique à Ostie, le port de Rome : la fouille de la Maison à l’atrium de tuf, en collaboration avec l’Université de Namur.

Publié le 05 novembre 2019