Quand l’alexithymie bride la régulation des émotions
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Peu connue, l’alexithymie est un trouble de la régulation des émotions qui affecte la santé mentale et physique. Cette incapacité à identifier ses propres émotions et celles des autres touche plus de 10% de la population ! Des chercheurs UCLouvain mettent en lumière comment cerner quand ce trouble entraîne des difficultés et comment accompagner au mieux les personnes qui en souffrent.
Joie, colère, tristesse, plaisir, peur, frustration…Les émotions peuvent nous faire passer par des états intérieurs plus ou moins intenses en fonction de notre capacité à les gérer. On aimerait parfois pouvoir les ignorer mais serait-ce vraiment plus confortable ? C’est ce que vivent les personnes alexithymiques. À l’instar de l’hypersensibilité, l’alexithymie entraîne des oscillations entre manque d’émotions et excès d’émotions. Mais, contrairement aux personnes hypersensibles, « les personnes alexithymiques ont des difficultés marquées à identifier leurs émotions, ainsi que celles des autres, et à les communiquer aux autres. Elles ont aussi un mode de pensée concret, dépourvu de connotation affective », explique Olivier Luminet, Professeur à l’Institut de recherche en sciences psychologiques. Cela peut se traduire par un manque d’empathie, un sentiment de vide intérieur, des réactions vives et/ou agressives sans signes annonciateurs, peu ou pas de plaisir, de tristesse, ou de joie dans des situations où il faudrait typiquement ressentir ces émotions. Des traits de caractère qui conduisent souvent à un isolement social.
Mais comment savoir si une personne est alexithymique ? Dans quels contextes et à quels moments cela se manifeste-t-il ? Quelles thérapies permettent d’aider efficacement à gérer cela ? Autant d’aspects sur lesquels Olivier Luminet et sa consoeur Kristy Nielson (Marquette University) font le point dans un article publié dans le prestigieux journal Annual Review of Psychology. Les chercheurs y mettent en lumière les nouvelles méthodes expérimentales qui permettent de mieux comprendre à quels moments et dans quels contextes se manifestent les difficultés principales pour les personnes alexithymiques. Cette compréhension plus fine permet également de mettre en évidence des situations précises dans lesquelles ces personnes réalisent de meilleures performances émotionnelles
Jusqu’à n'éprouver aucun sentiment
Il existe une série de questionnaires qui permettent de mesurer le niveau de ce trouble qui touche 10 à 15% de la population. L’origine d’un niveau élevé d’alexithymie s’explique par certains modes d’interactions dans l’enfance et l’adolescence durant lesquels l’entourage familial décourage l’exploration des émotions et sa verbalisation. Mais elle peut aussi se développer à la suite d’un traumatisme physique ou psychique.
« On voit trop souvent l’alexithymie sous la forme d’un manque d’émotions. Mais dans certaines circonstances, ces personnes vont réagir plus fortement. On observe par exemple plus de réactions comportementales impulsives en termes d’agression physique notamment, ou des pleurs très intenses. Mais à chaque fois, ces personnes ne comprennent pas la source de ces réponses comportementales vives. On observe donc un décalage important entre des réponses subjectives atténuées et des réponses comportementales accentuées », explique Olivier Luminet. Comme par exemple, Monsieur A. qui a fait une attaque de panique dans la salle d’attente d’un médecin alors qu’il a déclaré n’avoir ressenti aucune peur associée à ce rendez-vous, ni aucun facteur déclenchant. Ou comme Chris, divorcé et père de deux enfants, qui n'éprouve jamais d'émotions agréables autres qu'un léger plaisir lorsqu'il rencontre ses enfants chaque semaine. Il déclare n'avoir éprouvé aucun sentiment notable lors de son divorce quatre ans plus tôt ou après le suicide de son frère l'année suivante.
Comment accompagner les personnes souffrant de ce trouble ? C’est l’objet de la deuxième partie de l’article qui développe une série d’interventions thérapeutiques efficaces. Dans un premier temps des techniques non-verbales comme l'hypnose, la relaxation, et des approches psycho-corporelles comme le yoga sont recommandées. Une fois que les patients arrivent à mieux faire le lien entre sensations corporelles et émotions, on peut entamer des interventions plus classiques centrées sur une régulation plus adaptée de leurs émotions. Ce type d’intervention est essentiel pour limiter les effets néfastes de l’alexithymie sur la santé mentale, comme un risque plus élevé de dépression par exemple, mais aussi sur la santé physique, puisque ce trouble entraîne notamment des risques cardio-vasculaires plus importants, chez les personnes concernées.
La version finale peut être téléchargé via ce lien : https://osf.io/954wb/
Références :
Luminet, O., & Nielson, K. (2024). Alexithymia: Towards an experimental, processual
affective science with effective interventions. Annual Review of Psychology. DOI: 10.1146/annurev-psych-021424-030718