Françoise Tulkens

Professeure émérite de l’UCL à la Faculté de droit et de criminologie, ancien juge à la Cour européenne des droits de l’homme. Co-auteur du Florilège Chemins d’Utopie. Thomas More à Louvain, 1516 - 2016.

Que représentent pour vous les utopies du temps présent ?

C’est le droit de penser l’avenir. C’est le droit de pouvoir imaginer et penser des choses qui nous paraissent profondément justes mais qui restent inaudibles. Tout au long de ma vie professionnelle, les utopies m’ont toujours guidée. Certaines se sont même réalisées alors que ces idées ou positions étaient totalement inacceptables il y a 20 ou 30 ans. Pour moi, l’utopie, c’est le moteur de l’action. Les droits fondamentaux, les droits de l’homme, la convention européenne des droits de l’homme, c’était une utopie. Mais 60 ans plus tard, les droit fondamentaux sont progressivement respectés. Il y a progrès…

Est-ce le rôle d’une université de ranimer ce besoin d’utopies ?

L’université, c’est la liberté académique, la liberté de penser en dehors des cadres dominants. Ce n’est pas une liberté fantaisiste - bien que la fantaisie soit aussi importante-, mais une liberté responsable. C’est primordial pour l’université d’imaginer le futur et de proposer des utopies réfléchies et responsables. Et s’il y a bien un lieu où l’on doit pouvoir les cultiver, c’est à l’université. Je suis ravie que l’université s’empare de ce thème et qu’elle permette aux chercheurs, aux enseignants et aux étudiant(e)s de les créer. C’est eux qui préparent les réponses aux questions que l’on se posera demain.

En quoi ce thème concerne-t-il les étudiants ?

Les étudiants sont bien entendu impliqués car on doit leur donner le sens du futur. Nous ne pouvons pas les engager dans cette sorte de sinistrose que peut-être nous leur avons léguée… Donnons-leur cette capacité d’enthousiasme, d’indignation, de réflexion qui est essentielle pour la société. Tous les jours, les jeunes remettent « ce qui est » en question. Prenons-les au sérieux, les jeunes nous montrent le chemin.

Quelle est votre utopie pour le temps présent ?

La question des migrations me taraude. Voir des jeunes qui meurent chaque jour à nos frontières est absurde. Je pense qu’un jour, ce sera « frontière ouverte ».Tout est globalisé à l’heure actuelle, excepté les sans papiers … Sur le plan pénal, la notion de peine et de prison était une évidence auparavant. Depuis, la prison - qui reste une invention récente -, est remise en question de manière très profonde. Une de mes petites utopies à l’époque - devenue aujourd’hui une utopie pour le temps présent par excellence-, est l’abolition des prisons. Pouvons nous encore vivre aujourd’hui avec une partie de l’humanité, souvent la plus vulnérable et la plus pauvre, enfermée ? En cage ? Dans des conditions de détention inhumaines et dégradantes, comme la cour européenne des droits de l’homme le répète … Une des utopies serait un droit pénal à contenu minimal ainsi que la proposition d’autres pistes que la prison. Il serait naïf de les supprimer sans crier gare mais introduisons ce changement par petites touches afin de diminuer son emprise…

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