Entre Synodalité et Démocratie participative
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La Chaire de droit des religions accueille organise, le 5 mars de 14h à 17h un séminaire interdisciplinaire "Synodalité ecclésiale et démocratie participative" réunissant des experts de premier rang à UCLouvain en théologie, droit canon, droit, philosophie politique, sciences politiques et histoire : les prof. Alphonse Borras, Arnaud-Join-Lambert (online), Hervé Pourtois, Min Reuchamps, Pierre-Etienne Vandamme, ainsi que Alexis Fontbonne (UNamur). Séminaire sur invitation par simple contact avec LL.CHRISTIANS@UCLOUVAIN.BE
Argument d'une première séance prospective (5 mars de 14h à 17h)
« Au même moment », ecclésiologie catholique et philosophie politique manifestent des évolutions dont la similarité ne semble pas interrogée, ni les enjeux communs mesurés. Deux littératures riches et complexes s’ignorent mutuellement (sauf rares exceptions) ; deux registres d’expériences se bornent à échanger de loin quelques disqualifications stéréotypées.
Entre structures politiques et ecclésiales, les points de gravité décisionnels sont certes radicalement opposés : d’une part, aux mains d’un gouvernement lié par une démocratie parlementaire représentative et d’autre part, aux mains d’une monarchie sacramentelle liée à la succession apostolique, unissant primauté et infaillibilité depuis le Concile Vatican I.
En revanche, les critiques de ces structures décisionnelles semblent attester de certaines convergences qui pourraient et devraient être interrogées. Le constat est apparemment simple : de part et d’autre, se voit remobilisé un idéal de participation universelle — des citoyens comme des fidèles. Ces registres partagent aussi une même prudence. Dans le champ de la pensée politique, comme dans celui de l’ecclésiologie, il ne s’agit pas de mettre en cause la répartition des compétences décisionnelles, représentative ou apostolique. Emergent en revanche des modalités de réflexivité, périphériques à ces autorités. Loin de se substituer à leurs capacités décisionnelles, ces modalités nouvelles viennent exercer sur elles une forme de contrainte intellectuelle dont la légitimité est qualitative plutôt que quantitative. Cette contrainte n’est plus celle d’un dikat concédé au bénéfice de quelques-uns au titre d’une « expertise » toujours controversable et souvent instrumentalisée, qu’il s’agisse d’ingénérie ou de théologie. Ces nouvelles modalités d’interpellation se fondent sur l’universalisation de l’intelligence de tous, intelligence commune à l’égard de laquelle devraient désormais prendre position les instances décisionnelles. Loin de pouvoir encore ignorer ces formes d’intelligence collective, les autorités ont l’obligation d’en discuter la pertinence, tant en termes de savoir que de pouvoir, et de s’expliquer de tout écart, bref d’entrer dans un nouvel univers de motivation de la Décision. En philosophie et en science politique, on évoque cette mutation en cours sous les termes de « démocratie participative ». En ecclésiologie, on évoque une mise en « synodalité » de l’Eglise.
Ce ne sont toutefois pas ces intuitions partiellement communes qui sont mises en évidence aujourd’hui. Dans l’expérience récente de synodalité de l’Eglise universelle, qui a mis en action potentiellement plus d’un milliard de fidèles à travers le monde depuis 2021, le discours ecclésial de base disqualifie toute allusion à la « démocratie » et en condamne les « dérives » polarisantes et les « inadéquations » à la dimension eschatologique de l’Eglise. Cette invisibilisation en Eglise de l’auto-critique de la démocratie par elle-même (représentative v. participative) semble constituer une lacune majeure à combler par une tentative de comparaison plus attentive. Et ce d’autant que c’est un enthousiasme pour un lexique managérial (celui du « leadership », ou du « charisme ») qui semble prédominer en Eglise, de façon tout aussi peu interrogée, comme moteur et vecteur nécessaire d’un « discernement » sur le commun.
Au miroir de l’utopie habermassienne d’une raison commune, fondée sur une éthique communicationnelle, se joue la référence théologique profonde au souffle de l’Esprit qui parle à travers tous : « Sensus Fidei fidelium ». Ce sens de la foi des fidèles, Esprit de Vérité, appelle un discernement entre savoir et pouvoir, qui rejoue la question du statut des laïcs en Eglise.
La construction des modalités pratiques de ce discernement devient alors essentielle et avec elle le basculement d’une approche épistémologique vers une approche procédurale. Comment construire les dispositifs qui permettent d’entendre tantôt une Raison commune de type habermassien, tantôt la Vérité de l’Esprit qui aura soufflé à travers toute une communauté ?
Aux débats théoriques sur les dimensions cognitives de la démocratie politique ou de la synodalité, succèdent ainsi l’utilité d’une comparaison des dispositifs concrets : gestion des grands nombres, consultations multiniveaux, modalités qualitatives de votes, rôle redélimité des experts, techniques de dépolarisation, modalités de discernement, « conversation dans l’Esprit », modalités de synthèse, techniques anti-déceptives, évaluation de l’impact sur l’autorité décisionnelle, réception et efficience des décisions prises selon ces nouvelles procédures. A la philosophie politique et à l’ecclésiologie, succèdent la science politique et la théologie pratique. Une telle comparaison bottom-up est riche d’apports originaux.
Si les mouvements en cours sont décrits dans leurs aspects contemporains, leurs enracinement historiques sont évidemment essentiels, tant en termes symboliques que pratiques. La quête de légitimation relancée par tout Décideur est un processus aussi vieux que l’histoire. Mais réduire les transformations en cours à de simples stratégies semblerait insuffisant. Conjoindre les analyses de philosophie et sciences politiques à celle de la théologie, peut apporter bien davantage : la réflexivité d’une intelligence de sortie et d’un savoir ouvert.