Les tabous dans la traduction
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20 Feb
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Accessible
Colloque Langues et Cultures
Toutes les sociétés ont des tabous, des concepts et des mots qu’il est difficile d’évoquer dans certaines circonstances.
Ces tabous varient d’une société à l’autre, ainsi qu’au sein de différents groupes sociaux et même d’un individu à l’autre, selon de nombreux facteurs tels que la culture, la religion, l’idéologie, l’âge ou le genre, entre autres. Si le sexe, l’inceste, la mort ou la maladie sont des tabous assez stables et universels, d’autres sont plus variables, voire éphémères, n’existant que dans une conversation précise. Ainsi, un sujet particulier peut devenir tabou à un moment donné.
Le fait que certains concepts soient problématiques ne présuppose pas qu’il faille les taire, mais leur expression implique toujours un choix. Ainsi, le tabou nous oblige à prendre une position face à ses connotations négatives, que ce soit de manière plus directe (dysphémique) ou plus indirecte (euphémique). Ce problème se pose également dans le cadre de la traduction. Ce qui peut être dit dans la langue source peut ne pas être approprié dans la langue cible et vice-versa. Dès lors, la traduction des mots et, plus généralement, des sujets tabous est un véritable défi pour traducteurs, traductrices, et interprètes.
Ce colloque abordera ce problème sous ses multiples facettes en présentant plusieurs cas particuliers de tabous dans des traductions audiovisuelles, littéraires ou en contexte sanitaire. Les présentations seront en français et en anglais, et les langues analysées seront l’anglais, le français, l’italien, le russe et l’espagnol, nous permettant de contraster des contextes culturels et historiques très variés.
Programme de la matinée :
9:00 - 9:10: Accueil et présentation de l'événement
9:10 – 10:00: Conférence plénière
• José Javier Ávila Cabrera (UNED):
"Subtitling religious references and sexual language: Censored or faithful renderings"
Among the various taboo topics that are commonly portrayed in TV series and films, two are typically treated differently in subtitling into Spanish (in Spain): offensive religious references and sexual language. Profanity and blasphemy present challenges for audiovisual translators because of the potential impact that phrases such as “My [fucking] God” or “Jesus [fucking] Christ” (Rodríguez-Arancón & Ávila-Cabrera, 2024) can have on religious audiences. Consequently, professional subtitlers often substitute these expressions with other offensive formulas (Ávila-Cabrera, 2023), a practice referred to as ideological manipulation by Díaz Cintas (2012).
In contrast, sexual language is generally transferred faithfully into the target text. This talk will explore the concept of taboos, the treatment of religious and sexual ones in professional subtitling into Spanish, and will analyse several case studies, including examples from Tarantino’s films and the TV series Succession (Jesse Armstrong, 2018-2023).
10:05-11 :00
• Laurent Béghin (UCLouvain):
"Entre tabous linguistiques et œuvres interdites: la censure italienne à l'époque fasciste"
D’essence totalitaire, le fascisme mussolinien (1922-1945) a tenté, avec des succès divers, d’intervenir dans les lectures des Italiens en censurant la communication dans la presse de certaines nouvelles (suicides, assassinats, etc.) susceptibles de ternir l’image de la société italienne ou en contrôlant, par l’établissement de listes d’ouvrages interdits, la circulation des textes et des savoirs. Le régime essaya même de modifier la pratique linguistique des Italiens en rendant tabous certains usages pourtant enracinés depuis longtemps (comme celui du Lei, forme de politesse traditionnellement utilisée que les instances supérieures du régime souhaitaient voir remplacée par le voi ou le tu, jugés davantage « virils » et « romains »). Ce sont ces types de « tabouisation » imposée par le haut que l’on se propose d’exposer dans cette brève communication.
• Paul Arblaster (UCLouvain):
"The Rape of Tamar and the incest taboo in Reformation Bible translation"
The Rape of Tamar is a biblical account of sexual violence within the royal family of King David. Twice in the course of the story, before and after he rapes her, Tamar appeals to her half-brother Amnon to marry her, an appeal each time followed by the phrase ‘But he would not listen to her’. Her full brother Absalom, who would murder Amnon in vengeance, also tells her ‘Sister, be quiet’. Although rabbinical commentators regarded a marriage between Amnon and Tamar as a legitimate possibility because their mothers belonged to different peoples and they belonged to different houses, Bible translators and commentators of the Reformation period framed Tamar’s appeals as contrary to the incest taboo, and therefore an impossible and sinful request that arguably made Tamar worse than her rapist.
• Natalia Bruffaerts (UCLouvain):
"Traduction et censure en URSS : étude de cas de deux romans d’Ousmane Sembène"
En URSS, la publication de toutes les œuvres littéraires dépendait de l'autorisation préalable des instances de censure qui veillaient à ce que tous les documents imprimés soient conformes au contenu de l'idéologie d'État. Cela concernait également les traductions. L’objet de cette étude est consitué par deux romans de l’écrivain et cinéaste sénégalais Ousmane Sembène – Ô pays, mon beau peuple (1957) et Les Bouts de bois de Dieu (1960) - et leur traduction vers le russe. On est en présence de la confrontation entre deux prises de position : celle de l’auteur qui était marxiste mais n’écrivait pas ses œuvres nécessairement en conformité absolue avec les canons du réalisme socialiste, et celle de la censure idéologique soviétique. L’analyse a montré que les traductions opèrent des omissions et des modifications qui détournent le sens original. Le choix des moyens linguistiques par les traducteurs, notamment, la suppression de l’hétérolinguisme, joue également un rôle important, parce que les ressources langagières servent à créer l’image des personnages et à véhiculer l’idée de l’auteur.
11:05 - 12:00:
• Geneviève Maubille et Andrea Pizarro (UCLouvain) :
"La traduction de la familiarité et de la vulgarité dans les bandes dessinées : échanges avec une traductrice professionnelle"
Dans les bandes dessinées, y compris les BD « tous publics », le vocabulaire familier, voire vulgaire, est souvent utilisé sous la forme d’interjections ou d’appellatifs. Il sert également à catégoriser un personnage selon son âge, ses origines, sa classe, etc. La vulgarité et son acceptabilité pouvant varier d’une langue à l’autre, le traducteur doit trouver un juste équilibre entre fidélité à l’auteur, respect des spécificités de la langue et de la culture cibles et exigences du client. La recherche, parfois difficile, de cet équilibre sera abordée au cours d’un entretien avec Geneviève Maubille, traductrice de bandes dessinées. Cet entretien se déroulera en français et s’appuiera sur des exemples de traduction de l’espagnol vers le français.
• Antoon Cox (KUL):
"“I know the guy but we didn’t use (0.6) a condom” Santé sexuelle et tabou dans des consultations multilingues aux urgences "
Bien que souvent perçue comme un sujet délicat ou tabou, la santé sexuelle est cruciale dans les soins de santé, y compris les services d'urgence. Ces derniers, grâce à leur accessibilité universelle, sont souvent la première interface pour les migrants. Cependant, discuter de la santé sexuelle dans ce contexte présente de nombreux obstacles, notamment l'embarras des patients, le malaise du personnel soignant et la barrière linguistique.
Cette présentation se penche sur une recherche ethnographique linguistique menée dans un service d'urgence situé au cœur de Bruxelles. Nous discuterons des méthodes de collecte de données et exposerons deux études de cas exemplaires. La première étude met en lumière la thématique de la santé sexuelle, abordée malgré une atmosphère taboue, et ce, en anglais, utilisé comme lingua franca malgré les barrières linguistiques. Dans un second cas, la patiente et le clinicien ne partageaient pas de langue commune, ce qui a nécessité que le mari de la patiente joue le rôle d'interprète ad hoc pour discuter de la santé sexuelle. À travers ces études de cas, nous mettrons en exergue les défis contextuels et interactionnels inhérents à la discussion sur la santé sexuelle et au traitement des tabous éventuels au sein même des consultations.
• Barbara De Cock, Andrea Pizarro et Ferran Suñer (UCLouvain) :
"Comment apprend-on à traduire les tabous ?"
Les plateformes de streaming ont révolutionné l'accès aux séries, notamment celles en langue espagnole comme « La casa de papel ». Cette série, riche en diversité linguistique, inclut abondamment l'utilisation de langage tabou. Dans une étude avec nos étudiant·es, nous avons examiné comment les différences individuelles, telles que l'immersion linguistique et les attitudes envers les gros mots, influencent la compréhension de ces expressions dans les séries. Les résultats montrent que des attitudes positives et un statut multilingue améliorent la compréhension des expressions taboues. De plus, les étudiant·es ayant séjourné à l'étranger ou regardé des séries en espagnol obtiennent de meilleurs résultats, bien que ces effets ne soient pas significatifs. Ces observations ouvrent la voie à des implications pédagogiques et à des orientations futures pour la recherche.
12:00: Clôture de l'événement
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Thursday, 20 February 2025, 09h00Thursday, 20 February 2025, 12h00
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Contactandrea.pizarro@uclouvain.beBelgique