Configurations familiales post-divorce/séparation en Fédération Wallonie-Bruxelles : Le point de vue des adolescent-e-s
Prof. Laura Merla & Dr Jonathan Dedonder, Cirfase, UCLouvain
Louvain-la-Neuve, 15 novembre 2019
Le présent rapport a été réalisé dans le cadre du projet ERC Starting Grant « MobileKids : Children in multi-local, post-separation families » (https://mobilekids.eu/). Il analyse les réponses de 1474 jeunes scolarisés en Fédération Wallonie-Bruxelles et âgés de 12 à 18 ans, ayant participé à l’enquête LAdS (https://uclouvain.be/fr/chercher/cirfase/leuven-louvain-adolescents-survey.html). L’objectif est ici avant tout descriptif : il s’agit, à partir du propre regard des jeunes, de cartographier et décrire les configurations familiales post-divorce ou séparation, et de mettre en exergue certains points d’attention-clé qui nous éclairent sur l’évolution des familles contemporaines. [1][2]
Ce rapport est constitué de 5 parties :
1. Part des familles divorcées ou séparées et présentation des modes d’hébergement
Le présent rapport analyse les réponses de 1474 jeunes âgés de 12 à 18 ans ayant participé à l’enquête LAdS (sur 1600 participant·e·s). Ces répondant·e·s ont été réparti·es en différents groupes reflétant leur configuration familiale actuelle.
Les configurations familiales ont été identifiées sur base des critères suivants :
Parents ensemble : l’enfant a indiqué vivre avec ses parents qui ne sont ni divorcés, ni séparés.
Hébergement exclusif : l’enfant réside 100% du temps chez l’un de ses parents
Hébergement principal : l’enfant réside plus de 70% du temps chez l’un de ses parents
Hébergement alterné : l’enfant réside entre 30 et 70% du temps chez un parent, et 70 à 30% du temps chez l’autre parent. Notons que dans cette enquête la moitié des jeunes en hébergement alterné sont dans un modèle strictement égalitaire (50-50).
1.1. Répartition des modes d’hébergement
Les enfants de parents séparés ou divorcés représentent 35% de nos répondant·e·s – autrement dit, un peu plus d’un enfant sur trois vit dans une famille séparée ou divorcée. La configuration familiale ‘parents ensemble’ (PE) reste donc dominante, mais elle perd du terrain face à, par ordre d’importance, l’hébergement exclusif chez la mère (HEM) qui concerne 14% des jeunes, puis l’hébergement alterné (HA) qui en concerne près de 11%. Les configurations hébergement exclusif chez le père (HEP) sont peu courantes mais concernent tout de même 55 enfants dans notre population (soit près de 4% des enfants). Par contre, l’hébergement principal chez le père (HPP) est quasiment absent de notre population (seuls 9 enfants sont concernés).
Nous avons donc décidé, pour des raisons statistiques, de retirer cette dernière catégorie de nos analyses ultérieures, comme l’indique le tableau suivant.
Notons que si nous nous centrons uniquement sur les configurations post-divorce ou séparation, les modes d’hébergement se répartissent comme suit : 4 jeunes sur 10 en hébergement exclusif chez la mère, 3 jeunes sur 10 en hébergement alterné, près de 2 jeunes sur 10 en hébergement principal chez la mère, et 1 jeune sur 10 en hébergement principal chez le père.
1.2. Répartition filles - garçons
Au sein de notre population, nous ne constatons pas de différence dans la répartition filles-garçons dans les différentes configurations familiales, qui sont donc aussi courantes pour les premières que pour les seconds, sauf l’hébergement principal chez la mère où on retrouve un peu plus de filles que de garçons (58% contre 42%).
1.3. Age
1.3.1. Age des enfants en fonction du mode d’hébergement
Par contre, l’âge diffère significativement entre les configurations familiales. En effet, les enfants des configurations PE et HA sont en effet en moyenne significativement plus jeunes (moins de 15 ans) que les enfants qui sont en HE chez le père ou la mère.
1.3.2. Age de l’enfant au moment de la séparation
L’âge moyen des enfants au moment de la séparation de leurs parents se situe dans une fourchette allant de 5 ans et demi (HPM) à 7 ans et demi (HEP). Les enfants en HPM vivent la séparation parentale significativement plus tôt que les enfants en HA et HEM.
1.4. Filière d’études et configuration familiale
Nous retrouvons un plus grande part d’élèves scolarisés dans la filière Générale en hébergement alterné (HA) et chez les parents ensemble (PE) – cette filière concerne près de 3 jeunes sur 4 en HA et 7 sur 10 en configuration PE . Un·e enfant sur deux est scolarisé·e dans le Général parmi les jeunes en hébergement exclusif et principal chez la mère (HEM et HPM), mais dans ces configurations on retrouve également plus de jeunes scolarisé·es dans les filières Technique (1 jeune sur 4) et Professionnelle (près d’1 jeune sur 4 également). Par contre, les enfants en hébergement exclusif chez leur père (HEP) sont d’abord scolarisé·es dans l’enseignement Technique (près d’un·e jeune sur deux), puis Général (1 jeune sur 3), puis Professionnel (près d’un jeune sur 5).
Notons que les jeunes scolarisé·es dans l’enseignement Général sont surreprésenté·es dans notre population, notamment parce que les jeunes ne s’orientent vers le Technique, le Professionnel ou l’Artistique qu’à partir du second degré (généralement à partir de 14 ans).
2. Évolution des normes et pratiques familiales
2. Évolution des normes et pratiques familiales
De nombreux sociologues et historiens de la famille s’accordent à dire que nos sociétés sont passées d’un modèle normatif familial axé autour de la figure du pater familias à un nouveau modèle normatif axé sur une vision plus démocratique, relationnelle et individualiste de la famille. Selon François de Singly (2012), l’émancipation féminine et les revendications en matière d’égalité hommes-femmes ont conduit en effet à un fonctionnement familial plus horizontal que par le passé, un époux ne pouvant légitimement plus imposer sa volonté à sa conjointe. Ceci, couplé aux évolutions portées par les droits de l’enfant, qui encouragent à le considérer certes comme un être vulnérable, mais aussi comme un citoyen devant être consulté sur les décisions qui le concernent, participe à renforcer le caractère négocié des décisions familiales[3].
Dans le même temps, les fonctions de la famille ont évolué, avec un renforcement de la fonction sociale de construction et validation identitaire qui implique l’ensemble des membres (parents l’un envers l’autre, parents envers leurs enfants, et également enfants envers leurs parents). La famille n’est plus le lieu de la reproduction sociale héritée, mais davantage une sphère qui doit permettre à ses membres de s’autonomiser et de se réaliser en tant qu’individus. Ceci ne veut pas dire que le ‘nous’ familial s’efface totalement au profit du ‘je’, mais que ce dernier se construit en relation avec le premier.
La famille se recentre également sur l’enfant, vu comme un projet qui doit être porté et soutenu par ses parents. Les responsabilités parentales sont d’ailleurs considérées comme une limite acceptable à la liberté des adultes. En matière de divorce et de séparations conjugales, ceci se traduit par la survie du couple parental, inscrite dans le droit au travers du principe d’autorité parentale conjointe.
Comme nous le verrons dans cette section, certains résultats de l’enquête LAdS nous offrent un éclairage sur ces évolutions.
2.1. Regard sur le mode d’hébergement
Premièrement, plus de la moitié des jeunes de familles divorcées interrogé·es déclarent avoir été consulté·es sur leur mode d’hébergement.
Cependant, il est important de remarquer que seulement la moitié des enfants en hébergement exclusif chez le père ou chez la mère ont répondu à cette question. Si on tient compte de ces non-réponses, le taux de consultation descend à moins de 30% pour ces deux configurations. Ce fort taux de non-réponses pourrait s’expliquer par le fait que les jeunes en hébergement exclusif pour qui aucune autre alternative n’était envisageable, ou chez qui les conflits intra-parentaux étaient trop exacerbés au moment de la séparation pour laisser place au dialogue, n’aient pas trouvé la question pertinente.
Mais qu’ils aient pu donner leur avis ou non, les enfants se déclarent satisfait·es de leur mode d’hébergement, sans distinction de genre, de parent ou de configuration. Notons toutefois que le taux de satisfaction le plus faible (mais qui reste malgré tout élevé) concerne les filles en hébergement exclusif chez le père. Ici, deux jeunes filles sur 10 se déclarent insatisfaites.
2.2. Communication enfants – parents
2.2.1. Contacts inter-foyers
Les jeunes ont été interrogé·es sur la fréquence de contact avec un parent quand ils ou elles sont chez l’autre parents. La question était : « Quand tu es chez ta mère, as-tu des contacts avec ton père ? » et « Quand tu es chez ton père, as-tu des contacts avec ta mère? ». Ils pouvaient répondre par Jamais, Rarement (environ 1 fois par semaine ou moins), Souvent (2 ou 3 fois par semaine) ou Tous les jours. Il a donc été possible de calculer le pourcentage d’enfants qui n’avaient jamais de contact avec leurs parents et ceux qui en avaient, et ce même rarement.
En hébergement exclusif, la situation est un peu différente. 8 à 9 jeunes sur 10 communiquent avec le parent ‘gardien’ lorsqu’ils sont en visite chez le parent non gardien (autrement dit, plus de 9 jeunes sur 10 vivant chez le père communiquent avec lui quand ils rendent visite à la mère ; plus de 8 jeunes sur 10 vivant chez la mère communiquent avec elle quand ils rendent visite à leur père). Les jeunes sont par contre moins nombreux et moins nombreuses (près de 6 jeunes sur 10) à communiquer avec leur parent non gardien lorsqu’ils sont chez leur parent gardien. En creux, on relèvera donc que plus de 4 jeunes sur 10 en hébergement exclusif ne communiquent pas avec leur parent non-gardien.
2.2.2. Communication via les réseaux sociaux
La variable de contact à travers les réseaux sociaux est une combinaison de variables interrogeant les répondant·es sur leurs habitudes de communication avec leurs parents sur Facebook Messenger, WhatsApp, Snapchat, Skype ou équivalent et les Jeux en ligne. Pour chaque variable les répondant·es étaient invité·es à répondre sur une échelle à 5 points (1 : jamais – 2 : Plusieurs fois par mois – 3 : Plusieurs fois par semaine – 4 : 1 fois par jour – 5 : plusieurs fois par jour). Pour composer le score de communication via les réseaux sociaux, nous avons gardé la plus grande fréquence rapportée pour le·a répondant·e sur l’un des cinq réseaux. Par exemple, un·e répondant·e rapportant 4 pour Facebook messenger, 2 pour WhatsApp, 5 pour Snapchat, 1 pour les jeux en ligne et 1 pour Skype obtenait un score de 5.
Pour rappel, le volet du projet LAdS consacré aux pratiques numériques adolescentes révélait que les 3 principaux mediums utilisés par les jeunes pour communiquer avec leurs parents, toutes configurations confondues, sont Facebook (68%), puis les applications de communication multimodales Whats App/Skype/FaceTime (63%), puis Snapchat (53%), quel que soit le sexe de l’enfant. On constate également dans ce volet une plus grande utilisation de ces médiums pour communiquer avec la famille chez les jeunes vivant en famille non nucléaire.[4]
Les jeunes de parents séparés ou divorcés utilisent donc également les réseaux sociaux pour entretenir le lien avec leurs parents, et ils le font dans une plus grande mesure que les enfants qui vivent sous le même toit que leurs deux parents. Dans toutes les configurations, on notera que c’est davantage avec leur mère que les jeunes communiquent, sauf lorsque celle-ci est non-gardienne (enfants en HEP). Ceci permet de visualiser également la charge mentale des mamans, qui sont assez fortement sollicitées en ligne par leurs enfants. La communication via les réseaux sociaux est toutefois également fort présente du côté du père, sauf lorsque celui-ci est non-gardien (enfants en HEM).
Les réseaux sociaux apparaissent donc comme un outil qui permet aux jeunes d’entretenir la relation avec leurs parents, en particulier dans les familles séparées où les enfants voient un, voire leurs deux parents par intermittence. Des formes de co-présence virtuelle viennent donc soutenir les relations parents-enfants.
Notons toutefois qu’il n’y a à l’heure actuelle pas de consensus dans les recherches existantes sur l’usage des réseaux sociaux dans les familles post-divorce ou séparation, encore peu nombreuses, sur le caractère facilitateur de ces modes de communication dans la relation parents-enfants (Saini et al, 2013) : si certain·es auteur·es montrent que l’usage de Skype ou FaceTime peut conduire parents et enfants à se sentir plus ‘proches’ (Wolman and Pomerance, 2012), d’autres pointent du doigt le fait que le contact virtuel avec un parent non-gardien, entre les visites, peut être ressenti comme superficiel et frustrant, en particulier lorsque les technologies ne fonctionnent pas correctement (Gollop & Taylor, 2012). Les avantages et inconvénients de ce type de communication sont encore à creuser, mais parmi les premiers, les recherches existantes mentionnent notamment l’augmentation de temps de qualité avec le parent non-gardien, et une minimisation de la distance géographique qui sépare l’enfant de son parent. Les limites potentielles se situent notamment dans l’interférence de l’autre parent, dans les conflits intra-parentaux qui pourraient affecter négativement les effets de la communication et/ou être réactivés par ces contacts virtuels continus, et dans de possibles tensions entre ex-partenaires autour de l’accès à la technologie et du partage des coûts d’équipement et de connexion.
Notons que l’analyse des données de l’enquête LAdS n’a pas révélé de lien de causalité entre degré de conflits entre parents et communication inter-foyers. Autrement dit, les conflits intra-parentaux ne semblent pas influencer ici le niveau de communication enfants-parents.
2.3. Un contrôle parental exercé de manière coordonnée par les parents
Les jeunes ont été interrogé·es sur le degré de contrôle que leurs parents exercent sur eux, à partir des questions suivantes : Ma mère/Mon père demande toujours à savoir où je vais quand je sors ; Ma mère/Mon père demande à savoir à quoi je dépense mon argent ; Ma mère/Mon Père veut savoir qui sont mes amis. Ils répondaient sur une échelle de 1 (Pas du tout d’accord) à 5 (Tout à fait d’accord).
Toutes configurations confondues, les mères sont davantage contrôlantes que les pères, et c’est lorsqu’elles ont la garde exclusive ou principale de leurs enfants qu’elles le sont le plus. Les pères exercent un contrôle moindre, mais qui reste constant, qu’ils soient dans un couple non divorcé/séparé (PE), dans un couple pratiquant l’hébergement alterné (HA), ou seuls gardiens de leurs enfants après divorce/séparation (HEP) – mais c’est dans cette situation qu’ils sont le plus contrôlants.
Il est intéressant de relever que dans les familles où les parents vivent ensemble, les pères tendent à aligner leur degré de contrôle sur celui des mères. Autrement dit, plus une mère sera contrôlante, plus le père sera contrôlant également ; moins la mère sera contrôlante, moins le père le sera également. Cette coordination entre parents est moins présente dans les familles séparées, et ce d’autant plus que les parents partagent moins l’hébergement de leur enfant. Ainsi, dans les familles pratiquant l’hébergement alterné, près de la moitié des pères s’alignent encore sur leur ex-conjointe. Ce chiffre diminue légèrement dans la configuration hébergement principal chez la mère, et diminue drastiquement en cas d’hébergement exclusif chez la mère, jusqu’à se rapprocher de 0 en hébergement exclusif chez le père.
2.4. Qualité des relations parents-enfants
Cette variable est le résultat de la moyenne des réponses à 10 questions concernant les relations avec les parents. Pour chaque parent, les répondant·es devaient évaluer sur une échelle à 5 points les questions suivantes : 1) Comment est ta relation avec [ton père/ta mère] ; 2) Est-ce que [ta mère/ton père] t’admire et te respecte ? ; 3) A quel point es-tu proche et t’amuses-tu avec [ta mère/ton père] ? 4) Partages-tu des secrets et des sentiments intimes avec [ta mère/ton père] ? ; 5) A quel point [ta mère/ton père] t’aime-t-[elle/il] ? ; 6) A quel point aimes-tu [ta mère/ton père] ? ; 7) Est-ce que [ta mère/ton père] apprécie les choses que tu fais ? 8) [ta mère/ton père] trouve-t-[elle/il] important de t’écouter ? ; 9) [ta mère/ton père] trouve-t-[elle/il] que tu as de bonnes idées ? ; 10) [ta mère/ton père] trouve-t-[elle/il] qu’[elle/il] peut apprendre beaucoup de toi ?
Globalement, les jeunes rapportent d’assez bonnes relations tant avec leur mère qu’avec leur père (scores supérieurs à 3/5), et les scores des deux parents sont très proches, sauf dans les configurations d’hébergement exclusif où la qualité des relations avec le parent non-gardien est plus faible.
2.5. Degré de conflit entre parents
Le degré de conflit entre les parents est calculé à partir de la moyenne des cinq questions suivantes, posées pour la situation actuelle et pour la situation avant la séparation : A quelle fréquence tes parents se disputent-ils à propos d’argent ? ; A quelle fréquence tes parents se disputent-ils à propos de ton éducation ? ; A quelle fréquence tes parents se disputent-ils à propos des enfants ? ; A quelle fréquence est-ce que tes parents ne sont pas du tout d’accord entre eux? ; Est-ce que tes parents ont parfois de gros conflits?. Les enfants répondaient sur une échelle en cinq points 1 Jamais ; 2 Rarement ; 3 Parfois ; 4 Souvent ; 5 Tout le temps.
Le graphique ci-dessous permet de faire deux premiers constats importants.
- Premièrement, le degré de conflit entre parents diminue après le divorce/la séparation.
- Ensuite, il révèle que toutes les configurations familiales comportent une part de relations conflictuelles entre parents, même chez les « parents ensemble ».
L’on peut y voir un signal alarmant, qui suggérerait que les relations parentales contemporaines sont particulièrement tendues. Mais on peut aussi interpréter cette présence de conflits comme le signe que les décisions font davantage l’objet de discussions et de négociations entre parents qui vivent ensemble, ce qui reflète une évolution vers un modèle familial plus démocratique, dans lequel il est peu acceptable que les décisions soient prises unilatéralement.
3. Zoom sur l’hébergement alterné
3. Zoom sur l’hébergement alterné
Parmi nos répondant·es, 158 jeunes vivent en alternance chez leur père et chez leur mère (le plus souvent à raison d’une semaine sur deux). Dans cette section, nous nous intéressons de plus près à cette configuration familiale, qui, pour rappel, constitue depuis la loi de 2006 le mode d’hébergement à examiner en priorité en cas de séparation parentale, dès le moment où au moins un des deux parents en fait la demande. Cette configuration est comparée ici à deux groupes : la configuration « parents ensemble », et un second groupe qui rassemble toutes les autres configurations post-divorce/séparation, soit HEP, HEM et HPM
3.1. Participation des couples parentaux au marché du travail
Nous nous intéressons dans un premier temps à la participation des couples parentaux au marché du travail. Nous avons en effet voulu savoir si les co-parents pratiquant l’hébergement alterné travaillaient à temps plein, à temps partiel ou étaient sans emploi ; et si leurs profils à cet égard étaient différents des profils des parents ensemble, et des autres configurations post-séparation/divorce.
Comme le tableau ci-dessous le montre, plus de la moitié des parents HA travaillent tous deux à temps-plein (alors que dans les autres configurations post-divorce/séparation ce n’est le cas que dans 24% des cas). Loin derrière, les autres parents HA se répartissent en plusieurs groupes de taille moindre, parmi lesquels on retrouve le père à temps plein et la mère à temps partiel (12%) ; et, quasi à égalité, le père à temps plein et la mère sans emploi (7,6%) et les deux parents à temps partiel (6,3%).
Le graphique ci-dessous permet de visualiser et de comparer les couples parentaux HA et « parents ensemble ». On peut y voir que les parents en hébergement alterné sont légèrement plus nombreux à être tous deux employés à temps plein que les « parents ensemble ». On notera également qu’ils sont moins nombreux que les « parents ensemble » à compter en leur sein un père travaillant à temps-plein et une mère sans emploi, mais plus nombreux à compter des couples parentaux dans lesquels les deux parents travaillent à temps partiel.
Si l’on se penche maintenant sur le temps de travail individuel des mères et des pères, sans plus les lier au temps de travail de l’(ex)- conjoint·e, on peut faire les constats suivants :
- Du côté des pères : le travail à temps plein est dominant, et dans les mêmes proportions, chez les pères qui vivent avec la mère (PE), que chez les pères qui pratiquent l’hébergement alterné (près de 8 pères sur 10 travaillent à temps plein), alors qu’ils ne sont que 6 sur 10 dans les autres configurations de parents séparés. Ensuite, alors que le travail paternel à mitemps semble constant dans nos trois groupes, les pères en hébergement alterné sont les moins nombreux à être sans emploi – une différence particulièrement marquée avec les autres configurations postdivorce/séparation, où plus de 1 père sur 10 est sans emploi.
- Du côté des mères : C’est en hébergement alterné que l’on retrouve le plus de mères travaillant à temps plein (6 sur 10, pour 5 sur 10 dans les deux autres groupes). Elles sont aussi moins nombreuses à être sans emploi (un peu plus d’une mère sur 10, contre 4 et 5 mères sur 10 respectivement dans le groupe des parents ensemble, et des autres parents divorcés/séparés).
La situation d’emploi, mesurée ici à partir du temps de travail, semble donc meilleure dans les couples de parents ayant mis en place l’hébergement alterné, en particulier du côté des mères.
3.2 Confort matériel
3.2.1 Difficultés financières dans le chef des parents
Pour estimer les difficultés financières rencontrées par les parents, les jeunes ont été invité·es à répondre aux questions suivantes: « As-tu l’impression que ta mère a du mal à joindre les deux bouts et a des difficultés financières ? » Et « As-tu l’impression que ton père a du mal à joindre les deux bouts et a des difficultés financières ? » sur une échelle en 5 points, 1 (Pas du tout d’accord) à 5 (Tout à fait d’accord).
Si nous examinons d’abord ce qu’il se passe au sein des familles en hébergement alterné, on note :
- Que plus de 6 jeunes sur 10 (7 dans le cas du père) déclarent que leurs parents ne rencontrent que rarement ou jamais des difficultés financières.
- Que les enfants sont plus nombreux à rapporter des difficultés financières du côté de leur mère que de leur père. Un peu plus de 1 jeune sur 10 déclare que sa mère rencontre souvent ou toujours des difficultés financières, et 1 jeune sur 4 déclare que sa mère rencontre parfois de telles difficultés.
Si nous comparons les familles en hébergement alterné avec les deux autres groupes, on remarque que les jeunes en hébergement alterné sont plus nombreux à rapporter des difficultés financières que les jeunes dont les parents sont ensemble ; mais qu’ils sont par contre moins touchés par des difficultés financières que les enfants vivant en hébergement exclusif ou principal (où les mères semblent particulièrement en difficulté).
3.2.2. Confort spatial et sens du « chez-soi »
Les jeunes en hébergement alterné ont également été interrogé·es sur le degré de confort spatial qui leur était offert chez chacun de leurs parents, et sur le sentiment d’être ‘chez-soi’ chez chacun d’entre eux. Cette question a été posée à tous les jeunes dont les parents ne vivent plus ensemble (mais n’a pas été posée aux jeunes dont les parents vivent ensemble).
Pour établir le niveau de confort spatial des jeunes interrogé·es, nous avons combiné les réponses suivantes concernant l’habitat du père et de la mère : Il y a suffisamment de place pour tout le monde ; On se sent un peu à l’étroit ; J’ai une chambre pour moi tout·e seul·e ; Je partage une chambre avec d’autres enfants ; Je partage une chambre avec mon parent ; Je n’ai pas de chambre du tout.
Les jeunes rapportent des niveaux de confort relativement élevés, et de même ampleur, chez chacun de leurs parents – niveau qui est plus élevé que dans les autres configurations post-divorce/séparation, tant chez le père que chez la mère. Notons que l’écart entre niveaux de confort chez le père en HA comparé aux autres configurations est cependant plus élevé que chez la mère, ce qui peut s’expliquer par le fait que la plupart de ces jeunes sont hébergés à titre principal ou exclusif chez celle-ci – il peut sembler logique qu’on ait moins de place ou pas de chambre à soi chez un parent non-gardien.
Les jeunes en hébergement alterné rapportent également un niveau élevé de sentiment d’être ‘chez-soi’ chez leur père et chez leur mère. Par rapport aux autres configurations post-séparation/divorce, le sentiment d’être chez-soi chez la mère est de même ampleur, mais il est plus élevé chez le père en hébergement alterné.
Le sens du chez-soi provient de la réponse aux questions : « Est-ce que tu te sens ‘chez toi’ quand tu es chez ton père ? » et « Est-ce que tu te sens ‘chez toi’ quand tu es chez ta mère ? » de 1) Pas du tout à 5) « Tout à fait ».
3.3 Qualité des relations parents-enfants et sujets de conversation
Les jeunes en hébergement alterné déclarent avoir une relation de bonne qualité avec leurs deux parents (scores supérieurs à 3 sur une échelle allant jusqu’à 5), même si le score est légèrement plus élevé du côté de la mère que du côté du père. A cet égard, ils se situent à proximité des enfants dont les parents sont ensemble, mais se démarquent par rapport aux enfants en hébergement exclusif ou principal. Ces enfants ont des scores plus faibles, en particulier du côté de la relation avec le père. Deux interprétations peuvent en découler : les jeunes en hébergement alterné auraient dès le départ une meilleure relation avec leur père, ce qui a pu influer le choix de ce mode d’hébergement, et/ou le partage égalitaire de l’hébergement des enfants serait propice au développement (ou maintien) d’une relation de qualité entre les enfants et leur père (le plus faible score maternel dans les autres configurations post-divorce étant tiré vers le bas par les situations d’hébergement exclusif chez le père, où la qualité de relation avec la mère est moins bonne).
Sujets de discussion
Les enfants ont été invité·es à évaluer la fréquence à laquelle ils et elles parlent avec leurs parents des sujets suivants : Organisation de la vie quotidienne (ex : rdv chez le médecin), Travail scolaire, Vie de tous les jours, et Manière dont ils se sentent (« Émotions »). Ils ont aussi indiqué à quelle fréquence ils et elles devaient transmettre un message d’un parent à un autre. Cette évaluation a été réalisée sur une échelle de cinq points, de 1 (jamais) à 5 (tout le temps). Pour construire la variable de discussion avec les parents, nous avons donc calculé la moyenne de chaque score de type de discussion.
Premier constat : les jeunes discutent de tout, avec leurs deux parents. Avec leur mère, ils parlent en premier lieu de leur vie de tous les jours, puis de l’école, puis de leurs émotions et de l’organisation de la vie quotidienne. Avec leur père, c’est le travail scolaire qui vient en premier lieu, suivi de près par la vie de tous les jours. Viennent ensuite, dans une légère moindre mesure, l’organisation de la vie quotidienne et les émotions.
Second constat : les jeunes discutent de tout avec leurs deux parents, mais ils parlent un peu plus souvent de certaines choses avec leur mère qu’avec leur père. En effet, lorsque nous comparons le score obtenu pour chaque item en fonction du genre du parent, notre analyse révèle des différences significatives en fonction du genre des parents pour les discussions au sujet de la vie de tous les jours et des émotions. Une tendance allant dans le même sens pour l’organisation de la vie quotidienne reste à confirmer. Seules les conversations autour du travail scolaire sont indifférentes au genre du parent.
Troisième constat : il arrive aux jeunes de transmettre un message de leur père à leur mère, et vice-versa, dans des proportions équivalentes entre parents. Le score obtenu (sous la barre des 2,5 sur une échelle de 5) suggère d’une part, que c’est une pratique courante (les jeunes peuvent servir de courroie de transmission d’informations entre parents), mais pas massive, et d’autre part, que ce rôle de messager n’est pas le sujet principal de conversation avec chacun des parents.
4. Zoom sur les ménages monoparentaux féminins
4. Zoom sur les ménages monoparentaux féminins
Les ménages monoparentaux ont été largement reconnus comme des ménages particulièrement fragiles, notamment en raison du risque de pauvreté auquel ils font face, dans un contexte marqué parfois par une difficulté à obtenir le paiement d’une rente alimentaire de la part de l’ex-partenaire. Dans le cadre de ce rapport, nous avons également voulu nous pencher sur leur situation, au travers du regard que les jeunes portent sur elle.
Les ménages monoparentaux peuvent être définis de diverses manières. La définition que nous avons retenue ici est la suivante : ménages dirigés par un·e chef·fe de ménage divorcé·e ou séparé·e a) hébergeant au moins un enfant à titre principal ou exclusif; et b) ne cohabitant actuellement pas avec un·e nouveau/nouvelle partenaire.
Comme indiqué dans le tableau ci-dessous, les ménages monoparentaux correspondant à cette définition sont au nombre de 126. Le nombre de pères en situation monoparentale étant très faible, nous avons choisi de nous concentrer sur les mères en situation monoparentale (en HEM et HEP).
Dans cette enquête, plus de la moitié des mères hébergeant leur enfant à titre exclusif ou principal est en ménage monoparental.
Nous avons examiné en particulier les difficultés financières, la participation des mamans solo au marché du travail, et les tensions avec leur ex-partenaire. Comme nous le verrons dans les analyses présentées ci-dessous, les jeunes qui vivent dans un ménage monoparental féminin ont un ressenti qui confirme les constats existants, en particulier pour la configuration hébergement exclusif chez la mère (qui est, pour rappel, le mode d’hébergement le plus répandu dans notre échantillon). En effet, ils et elles renvoient l’image d’une configuration où les difficultés financières sont plus présentes – et peuvent être renforcées par l’importance du travail à temps-partiel féminin dans cette configuration -, et où les tensions entre ex-partenaires sont plus vives.
4.1. Difficultés financières
Comme le montre le graphique ci-dessous, les mères célibataires hébergeant leur enfant à titre exclusif ont davantage de difficultés financières que celles qui sont en couple cohabitant. Par contre la situation s’inverse en hébergement principal, où ce sont les mères en couple cohabitant qui ont le plus de difficultés financières que les mamans solo.
4.2. Tensions avec l’ex-partenaire
D’après les jeunes, les mères à la tête d’un ménage monoparental post-divorce se disputent davantage avec leur ex-partenaire que les mères qui se sont remises en couple cohabitant. Il s’agit d’une tendance statistique à confirmer sur un échantillon de plus grande taille. Notons que l’écart est particulièrement marqué dans la configuration hébergement exclusif chez la mère.
4.3. Participation au marché du travail
Par rapport aux mères en couple cohabitant, les mères célibataires sont moins nombreuses à travailler à temps plein, et plus nombreuses à travailler à temps partiel. Par contre, elles sont moins nombreuses que les mères en couple cohabitant à être sans emploi. Si on compare les deux modes d’hébergement, il ressort que les mères célibataires hébergeant leur enfant à titre exclusif sont dans une situation plus défavorable sur le marché du travail que les mères célibataires hébergeant leur enfant à titre principal.
En réalité, le fait d’être en couple ou célibataire a un effet significatif sur la situation d’emploi des mères en hébergement exclusif : être en couple augmente la probabilité de travailler à temps plein ou d’être sans emploi ; être célibataire augmente la probabilité de travailler à temps partiel. En hébergement principal chez la mère, le fait d’être célibataire augmente également la probabilité de travailler à temps plein. Un effet qui peut s’expliquer par la nécessité d’articuler seule vie professionnelle et soin des enfants, mais qui a pour conséquence de réduire les moyens financiers de ces ménages et d’impacter à long terme les mères en affectant notamment leurs droits en matière de retraite.
5. Zoom sur l’hébergement exclusif chez le père
5. Zoom sur…. l’hébergement exclusif chez le père
Pour terminer, il nous a semblé intéressant de nous attarder sur une configuration familiale peu courante, mais bien présente dans cette enquête : les familles post-divorce/séparation dans lesquelles les enfants sont confiés exclusivement au père.
5.1. Des pères-référence pour les enfants
Premièrement, les jeunes en hébergement exclusif chez leur père déclarent avoir une assez bonne relation avec leur père. Notons que le score moyen de 3,64 sur 5 est très proche du score obtenu par les mères qui hébergent leur enfant à titre exclusif (3,79). Notons également que ce score est légèrement plus bas que celui obtenu pour les pères des configurations PE et HA, mais c’est également le cas pour les mères hébergeuses exclusives par rapport aux mères PE et HA.
Deuxièmement, comme nous l’avons vu plus haut dans ce rapport, les pères gardiens exclusifs ont des scores de contact inter-foyers similaires (et même plus élevés) aux scores obtenus par les mères gardiennes exclusives. Autrement dit, les enfants en hébergement exclusif maintiennent massivement le contact avec leur père gardien quand ils rendent visite à leur mère.
En outre, c’est avec les pères en hébergement exclusif que les enfants entretiennent le plus de contacts via les réseaux sociaux parmi tous les pères couverts par cette enquête. Notons que ce niveau de contact est plus élevé que le score de contact avec la mère des enfants dont les parents sont ensemble – mais qu’il reste malgré tout inférieur au score de contact avec les mamans dans les autres configurations post-divorce/séparation.
Troisièmement, parmi l’ensemble des pères, ce sont les pères qui ont le score de contrôle le plus élevé, comme relevé plus haut dans ce rapport, ce qui signale le fait qu’ils prennent en charge cette fonction dans une plus grande mesure en l’absence d’une mère gardienne.
Enfin, nous relevons que c’est dans cette configuration que l’on retrouve la plus grande part de pères travaillant à temps-partiel (1 père sur 5). Notons qu’ils sont aussi plus nombreux à travailler à temps-partiel que les mères hébergeuses exclusives – ces dernières étant par ailleurs plus nombreuses à ne pas avoir d’emploi.
Un premier constat-phare se dégage donc de nos analyses : il semblerait que sur toute une série d’items :
- les pères gardiens exclusifs ont des comportements à bien des égards similaires à celui des mères gardiennes exclusives – autrement dit, c’est le fait d’être parent gardien (homme ou femme) qui semble déterminant, et non le genre du parent.
- ces pères apparaissent comme étant le parent de référence pour leur enfant.
5.2. Fragilité du lien avec la mère non-gardienne, en particulier pour les jeunes filles
C’est dans ce mode d’hébergement que le taux de satisfaction des enfants par rapport à leur mode d’hébergement est le moins élevé (80% de satisfaits) – une relative faiblesse que l’on ne retrouve pas dans les mêmes proportions dans la configuration Hébergement exclusif chez la mère. Il est frappant de constater que ce score est tiré vers le bas par les jeunes filles en particulier qui sont plus d’une sur 5 à se déclarer insatisfaites de ce mode d’hébergement.
C’est en particulier du côté du contact avec la mère non-gardienne que les différences garçons-filles sont fortement marquées. Comme le graphique ci-dessous le montre, les jeunes filles ont très peu de contacts avec leur mère quand elles sont chez leur père.
On retrouve également cette faiblesse des contacts fille-mère via les réseaux sociaux, même si ici elles ont un score légèrement plus élevé que les garçons.
Enfin, quand on leur demande si elles se sentent « chez elles » chez leurs parents respectifs, c’est dans cette configuration que les jeunes filles se sentent le moins « chez elles » chez leur mère. Le score des garçons est également le plus faible, mais on est frappé de voir à quel point le score des jeunes filles est bas, comparativement au score des filles dans les autres configurations (y compris le sens du chez-soi des jeunes filles chez le père dans la configuration HEM).
Ces quelques items suggèrent une fragilité de la relation mère-fille en particulier, et qui reflète notamment une difficulté (voire impossibilité ?) à maintenir un contact régulier avec la mère non-gardienne.
[1] Ce rapport peut être référencé comme suit : Merla Laura & Dedonder Jonathan (2019) Configurations familiales post-divorce/séparation en Fédération Wallonie-Bruxelles : le point de vue des adolescent·es, Rapport de recherche, Louvain-la-Neuve : UCLouvain.
[2] This project has received funding from the European Research Council (ERC) under the European Union's Horizon 2020 research and innovation program under grant agreement No 676868. This chapter reflects only the authors’ view. The European Commission is not responsible for any use that may be made of the information it contains.
[3] Relevons toutefois que dans de nombreuses familles, les relations demeurent traversées par des tensions, des conflits, des relations de pouvoir inégales. Les violences conjugales et intrafamiliales demeurent par exemple un phénomène important et préoccupant– une étude de l’Institut pour l’Egalité des Femmes et des Hommes publiée en 2010 suggérant que chaque année près de 15% de femmes et 10% d’hommes sont victimes de violences de la part de leur (ex)partenaire, à des degrés divers, les femmes étant touchées davantage que les hommes par des formes de violence plus graves, et de manière plus fréquente.
[4] Voir https://uclouvain.be/fr/chercher/cirfase/resultats-pratiques-numeriques-des-adolescent-e-s-en-fwb.html