Education à l’orientation et approche orientante
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Interview de Philippe Fonck - conseiller en orientation et directeur du Centre d'information et d'orientation UCLouvain.
Mais alors quelle serait la responsabilité de l’école ?
N’est pas le rôle du conseil de classe ?
PF - Les conseils de classe, organisés obligatoirement dans les écoles secondaires, réunissent l'équipe pédagogique et sont « chargés d'évaluer la formation des élèves, de les guider, de contribuer à leur orientation et le cas échéant, d'élaborer un plan de remédiation et de prononcer leur passage dans l'année supérieure ». C’est un rôle de « Bilan » mais préalablement à ce bilan, le jeune devrait être accompagné pour apprendre à s’orienter.
L’accompagnement pour apprendre à s’orienter est une dimension éducative essentielle. Le courant de « l’éducation à l’orientation » met l’accent sur la sensibilisation des élèves et des jeunes aux processus de choix et de prise de décision. Il s’agit d’apprendre au jeune à passer d’une « vague idée » souvent influencée par son entourage à un « projet personnel » mûrement réfléchi.
PF - Le courant théorique de l’éducation à l’orientation est une approche de sensibilisation aux processus « cognitifs » centrés sur les processus de prise de décision. Ce courant repose sur quatre étapes complémentaires : explorer les possibles et mieux se connaître, relativiser ou trier les informations récoltées, évaluer et prioriser les choix, s’engager et poser les premiers pas de son projet.
Le courant de l’approche orientante est plus global dans son approche et met l’accent sur la dimension pédagogique. On parle d’acquisition de compétences « vocationnelles ». Il s’agit d’une approche qui mobilise tous les acteurs de l’école : équipe-école et partenaires de l’environnement éducatif. Les activités sont alors intégrées au plan d’aide à la réussite et participent à donner du sens aux apprentissages par rapport aux projets de l’élève.
Mais comment cela peut-il se faire ? Pouvez-vous donner des exemples ?
PF - En « éducation au choix », par exemple, la visite d’un salon de l’étudiant ou d’une soirée d’information sur les études, peut se préparer avec l’équipe éducative en amont : sensibiliser les jeunes aux questions à poser, préparer avec eux les thématiques à explorer et qui pourraient faire sens pour eux. Après le salon ou la soirée : qu’avez-vous appris ? qu’est-ce qui vous étonne ou vous interpelle ? Avec quoi n’êtes-vous pas d’accord ? En faisant cela, on travaille l’exploration et la réflexion.
En « approche orientante », cela peut se travailler dans les apprentissages disciplinaires. Aujourd’hui, nous allons travailler sur les intégrales. Quels sont les métiers qui utilisent ces intégrales ? A quoi cela sert-il ? Inviter un professionnel dans son cours … Quels sont les qualités qu’il faut pour exercer ce métier ? Comment vous est-venu le goût pour les intégrales ? Après les examens, quelles difficultés rencontrez-vous dans les problèmes posés ? Quel était votre état d’esprit lors de résolution du problème ? Cet état d’esprit a-t-il joué sur votre réussite ? En effectuant cela, les élèves comprennent mieux le sens des apprentissages, l’impact des apprentissages dans la vie professionnelle et apprennent à mieux se connaître aussi …
Pourriez-vous citer quelques « compétences vocationnelles » ?
PF - Liées à l’exploration : le croisement des sources d’information sur l’emploi ou sur les différences entre types de formations. La capacité à mener une recherche d’information et à connaître les outils pour s’informer sur les métiers et les formations. La capacité à se mettre en mot et à développer une meilleure connaissance de soi, à accéder à une complexité de langage en termes de qualités, valeurs, compétences, …
Pour l’approche réflexive, citons : la capacité à synthétiser les informations pertinentes, à développer un regard critique, à se situer personnellement, à exprimer ses préférences, à comprendre l’autre dans sa singularité, à accepter le regard des autres.
Pour la mise en projet, prioriser ses choix, à court terme et à moyen terme, trouver les moyens et les ressources pour s’y préparer et y parvenir.
Plus globalement, développer de confiance en soi, de l’assurance, l’envie de s’épanouir et de se mettre au service du bien commun.
PF - Les questions d’orientation se posent trop souvent en fin de cycle, donc à un moment critique, chargé d’anxiété pour les jeunes. Travailler cette réflexion sur l’orientation, en cours de cycle, permet aux élèves de se réapproprier plus aisément ces compétences en phase plus critique. La confiance en soi s’en voit renforcée ainsi que le pouvoir d’agir !
Si ce n’est pas fait, l’anxiété domine et la prise de recul sur soi et sur son environnement est moins aisée. Le jeune a alors tendance à se retrancher dans des comportements de négation des risques (j’essaie et on verra bien), de procrastination (c’est pas essentiel aujourd’hui, on verra plus tard), de recherche de lieux sûrs ( je fais cela par ce qu’il y a de l’emploi), de suiveurs (si c’est bon pour mon copain, c’est bon pour moi), de perte de confiance (je n’en serai pas capable), …
En fait, les paradigmes évoluent beaucoup dans le champ de l’orientation ?
PF - Effectivement, on peut le dire. Durant de nombreuses années, l’orientation s’est posée en termes « adéquationniste » : trouver la profession qui me correspond le mieux. Cette approche était fortement basée sur des profils de personnalité. On en trouve des traces encore aujourd’hui, notamment derrière la demande des jeunes et des parents d’avoir recours à des tests. Cette approche a mis l’accent sur le rôle prépondérant des experts de l’orientation.
L’éducation au choix a mis l’accent sur l’apprentissage de processus cognitifs qui interviennent sur le « comment s’orienter ». Cette approche implique la sensibilisation aux processus vocationnels et au rôle de l’expérience pour se confronter à la réalité. S’orienter s’apprend.
L’approche orientante amplifie la co-construction avec le jeune en recentrant l’orientation au cœur des apprentissages et en donnant sens aux apprentissages. L’orientation et l’école s’ouvrent aux partenaires proches de l’école. L’enseignant occupe un rôle de réflexion sur les apprentissages et participe positivement à l’apprentissage de compétences utiles pour s’orienter.
De plus en plus, les évolutions des professionnels s’opèrent aujourd’hui à travers des approches narratives et soutiennent le jeune dans sa recherche de sens. Le jeune devient expert de ses choix et le professionnel crée un climat d’écoute et des situations qui favorisent la narration de soi et de son futur.
Certaines recherches tentent à démontrer que la complémentarité des approches et des acteurs favorisent la réussite des transitions.