Discours "Bernard Foccroulle"

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Prononcé par Pauline Dupret, doctorante en linguistique à l'UCLouvain, et Bart Demuyt, directeur de la Fondation Alamire à la KU Leuven

Messieurs les Recteurs,
Geachte heer Foccroulle,
Dames en heren,
Chers Collègues,
Chers Amis,

“Human nature is not simply divided between good and bad people, it’s the mission of the greatest artist to show the incredible complexity of the human soul and behaviour.” Met deze woorden stelt Bernard Foccroulle in zijn lezing Managing the challenges of Inherited Repertoire in wezen zijn eigen missie scherp.

Bernard Foccroulle staat als musicus en cultureel ondernemer ín de maatschappij. Pijnpunten van vandaag maken deel uit van zijn sociaal-artistiek engagement: Moeder Aarde die erop achteruitgaat, de nood aan investering in de jongste generatie en het feit dat enkel dialoog verschillende culturen dichter bij elkaar kan brengen om universeel een betere wereld te creëren.

Bernard Foccroulle pleit onvoorwaardelijk voor het slopen van de torenhoge muren die rondom kunst en haar pivoterende elite zijn opgetrokken. Zijn democratisering van opera in steden als Brussel en Aix-en- Provence is baanbrekend. Hij gaat daarbij geen enkele maatschappelijke discussie uit de weg. Opera moet meer zijn dan puur entertainment; het moet de sociale uitdagingen van vandaag in al hun aspecten aan de kaak stellen.

Daarbij steeds het kunstwerk hanterend dat, soms eeuwen geleden, binnen een historische context is ontstaan, maar vandaag net nood heeft aan een hertaling. Kunst als brug tussen heden en verleden, als brug tussen uitvoerder en publiek.

Net dat respect voor het muzikale erfgoed is Bernards Foccroulles constante drijfveer voor het creëren van kunst vandaag. Het delen van zijn kennis is daarbij zijn handelsmerk.

Zijn magistrale opname van alle werken voor orgel van Johann Sebastian Bach op veertien historische instrumenten is een levenswerk. Het toont dat muziek die is gemaakt met vakmanschap, blijvend perspectieven kan bieden door in te zetten op de ziel en de essentie van het kunstwerk zelf, en zo ook vandaag nog toelaat om creatief doch onderbouwd op te boksen tegen de waan van de dag.

Zelf spreekt Bernard Foccroulle over een ‘dynamisch proces’ en citeert hij: “Lire un livre, c’est achever de l’écrire.” (Danièle Sallenave). Zijn gedrevenheid om zichzelf als kunstenaar ten dienste van de compositie te stellen, zorgt ervoor dat de manier ‘waarop’ het publiek van vandaag kijkt of luistert ook een invloed heeft op het stuk zelf. Hij pleit daarbij voor dialoog, zodat ongeacht wát het werk inhoudt of wíe het heeft gemaakt, we steeds ruimte creëren in - om het met de mooie beeldspraak van Herman Portocarero te zeggen – een “Naamloze Vlakte”, waar iedereen volop kan ademen en mee deel uitmaakt van het artistieke proces.

Souvent, les revendications sociales viennent les marges. Et puis les institutions, plus lentes à se mettre en marche, choisissent ou non de suivre le mouvement. Pourtant, en oeuvrant depuis le coeur de puissantes institutions culturelles comme La Monnaie, grande maison d’opéra, Bernard Foccroulle nous rappelle que les institutions peuvent aussi prendre part à ces élans, sans les brider. Son opéra Cassandra, qui traite tant de la crise écologique elle-même que de la tragédie que vivent les gens qui annoncent le désastre, mais que l’on refuse d’écouter, c’est la rencontre entre opéra et monde militant. C’est l’opéra qui prête son chant aux
inquiétudes et aux revendications qui martèlent habituellement le pavé, à coups de poings levés et de cris.

C’est l’opéra qui se mobilise…

Cet engagement par et pour la culture se marque aussi dans des créations participatives et interculturelles. Grâce à celles-ci, Bernard Foccroulle, et les artistes avec lesquels il collabore, rassemblent autour d’une oeuvre musicale des langues et des gens qui, en société, sont parfois amenés à se sentir de plus en plus étrangers les uns aux autres. Cette rencontre par-delà diverses frontières, qui n’a strictement rien d’une intégration à sens unique, Bernard Foccroulle fait donc plus que nous la montrer, il nous propose des moyens de la faire advenir : par la musique, la danse, l’art… Il ne se contente pas d’affirmer que la culture unit — alors que nous savons bien que la culture peut aussi violemment exclure —, il nous propose d’unir par la création culturelle collective. Il rejoint ainsi les paroles du poète palestinien Mahmoud Darwich qui nous disait : “Sans doute avons-nous besoin de la poésie, plus que jamais. Afin de recouvrer notre sensibilité, et notre conscience de notre humanité menacée et de notre capacité à poursuivre l’un des plus beaux rêves de l’humanité, celui de la liberté, celui de l’ouverture au monde partagé […]”.

Le soutien de Bernard Foccroulle à la création contemporaine va dans ce sens. La défendre, c’est défendre l’indépendance du monde artistique — comme nous défendons l’indépendance du monde scientifique —, c’est-à-dire lui donner la possibilité d’être original et critique. C’est laisser aux artistes une chance de dire autre chose sur l’humanité, de nous la faire voir et entendre autrement, et qu’elle puisse donc nous émouvoir autrement… pour peut-être nous donner envie d’agir dans ce monde autrement. C’est aussi faire barrage aux pressions commerciales qui font courir à la culture le risque de l’uniformisation ou, pour employer des mots du musicien, le risque de la surdité face aux voix dissonantes mais fécondes. Mais le soutien de Bernard Foccroulle à la création contemporaine, c’est aussi un engagement social, car le rattachement institutionnel de beaucoup d’artistes est instable, et l’épidémie de COVID a dramatiquement rappelé la précarité de leur statut. Les aider à tenir bon, mais surtout leur offrir des tribunes d’expression, c’est aujourd’hui un acte de résistance.

Finalement, Bernard Foccroulle nous amène à réfléchir. Il ne nous dit pas simplement qu’il nous faut plus de culture : il nous demande quelle culture nous voulons, pour construire quel futur. Et, à quelqu’un qui lui
disait que la culture ne pourrait pas sauver le monde, mais qui lui demandait si elle pouvait malgré tout y contribuer, Bernard Foccroulle répondait : “J’ai envie de retourner la question. Pourra-t-on sauver le monde sans l’art, sans le recours aux artistes et à la culture vivante ? N’attendons pas des artistes qu’ils et elles sauvent le monde à notre place, mais prêtons attention à leur regard, à leur témoignage, à leur sens critique. C’est là que nous pourrons trouver, peut-être, l’énergie et la créativité pour réagir, pour résister à la déshumanisation, pour transmettre la mémoire de notre temps aux générations futures.”

Om al deze redenen, mijne heren rectoren, verzoeken wij u, het eredoctoraat van de UCLouvain en KU Leuven te verlenen aan de heer Bernard Foccroulle.

 

Discours de Bernard Foccroulle

Messieurs les Recteurs, Mesdames et Messieurs, Chers Amis,
Dames en Heren, Waarde Vrienden,
Ladies and Gentlemen, Dear Friends,

Allow me to express my deepest gratitude to the two universities that welcome me today. I am all the more sensitive to their mark of recognition as part of their six hundredth anniversary.

I am also very moved at finding myself alongside these exceptional ladies to whom the universities are paying tribute today.

Je voudrais saluer ici mes nombreux amis dans les deux universités ; et dire ma reconnaissance et mon admiration à l’égard de celles et ceux que je ne connais pas personnellement. Et, en ce six-centième anniversaire, comment ne pas évoquer aussi toutes ces générations qui se sont succédé au fil d’un parcours intellectuel, scientifique et pédagogique au plus haut niveau ? Notre vie quotidienne et notre représentation du monde ne seraient pas les mêmes sans leur travail de recherche, transmis de génération en génération.

Als musicus kan ik getuigen van wat onderzoek in de musicologie, geschiedenis, filosofie, theologie en vele andere disciplines ons heeft gebracht. Zo is onze kennis van de Vlaamse meesters van de polyfonie aanzienlijk verrijkt. Zo ook is ons begrip van de sociale en religieuze context waarin J.S. Bach componeerde enorm vooruitgegaan.

Depuis plus de cinquante ans, je joue la musique de Bach, j’y reviens sans cesse et j’y trouve une énergie, une inspiration, une force inépuisable. Bach a composé plusieurs œuvres sur le « Vater Unser » (le Notre-Père). Certaines d’entre elles évoquent la confiance du croyant dans le Père. La plus longue, la plus intense, la plus ardue, la plus exigeante, est toutefois d’une autre nature : j’y lis une invitation à méditer sur l’imploration « Délivre-nous du mal » (erlöse uns von dem Bösen.-). Pour le musicien luthérien qu’était Bach, cette phrase avait un sens théologique précis. Mais pour nous aujourd’hui, croyants ou non-croyants, ne pouvons-nous pas y trouver matière et inspiration pour méditer sur les forces du mal qui nous menacent, individuellement et collectivement ?

Je garde le souvenir d’une très belle journée interdisciplinaire organisée ici à l’UCL il y a une quinzaine d’années, autour de la question suivante : toute interprétation véritable ne s’accompagne-t-elle pas d’un acte créatif ? Les plus grands spécialistes dans le domaine des sciences exactes comme des sciences humaines avaient témoigné de l’importance de l’intuition et de la création, lors de toutes les découvertes scientifiques majeures.
J’ai été très marqué par la lecture du livre de Danielle Sallenave intitulé « Le don des morts ».
Elle écrit notamment ceci : « Lire un livre, c’est achever de l’écrire ! ».
Et encore : « comprendre ne peut se passer de créer » !
Quelles propositions magnifiques !! Si lire un livre participe de son écriture, assister à un concert ou à un spectacle invite chacune et chacun de nous à prendre part au processus de l’œuvre, à lui donner sens à partir de son expérience et de sa sensibilité propre.

Ik heb meerdere malen het genoegen gehad om in Brussel en Aix-en-Provence Die Zauberflöte van Mozart te programmeren. De drie producties verschilden sterk van elkaar en elk had zijn eigen dramaturgische accenten. Ik heb vaak met toeschouwers kunnen praten, in het bijzonder met kinderen en jongeren: hun kijk, hun begrip en inzicht waren schitterend, creatief, spontaan.

Daarom is de verantwoordelijkheid van culturele actoren enorm: het gaat niet meer alleen om het produceren van kwaliteitsvoorstellingen, maar ook om ervoor te zorgen dat die worden gedeeld met steeds talrijkere toeschouwers, van alle achtergronden, inclusief minder geprivilegieerde mensen. Aan deze dimensie van de democratisering van cultuur wordt het begrip culturele democratie toegevoegd, dat streeft naar de erkenning van alle culturen, inclusief de meest kwetsbare.

C’est précisément ce travail autour de ce que nous appelons aujourd’hui Droits culturels qui fut à l’origine de la fondation en 1994 de Culture et Démocratie ainsi que de Kunst en Démocratie, devenu par la suite « Demos ».

Créations interculturelles
Parmi les émotions musicales les plus fortes qu’il m’a été donné de vivre, je place volontiers plusieurs créations musicales interculturelles. Ces créations plongent leurs racines dans différentes traditions musicales, en tentant de chercher ce qu’elles ont en commun mais aussi ce que chacune d’entre elles possède d’unique, de singulier : le travail que mène Fabrizio Cassol avec ses amis du groupe Aka Moon, ou avec l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée, me semble exemplaire : j’y vois une manière très concrète de penser le monde dans un esprit de décolonisation, en tournant radicalement le dos à la supériorité des cultures occidentales, en tentant de construire de nouvelles relations, aussi équitables que possible, entre cultures naguère dominantes et dominées.

Relation à la nature.
Durant des siècles, la musique occidentale s’est construite autour de Dieu et de la figure humaine, sans que la nature et le vivant n’y trouvent une place prépondérante, à la différence de bien d’autres cultures.
Au vingtième siècle, Olivier Messiaen a inventé de nouvelles manières d’écouter la nature, le chant des sources, du vent et des oiseaux. Il n’était pas le premier compositeur à y puiser une inspiration, mais il fut le premier à le faire de manière aussi conséquente et organique, à la fois sur le plan de la connaissance ornithologique et sur le plan de son propre langage musical.
De son côté, le compositeur japonais Toshio Hosokawa a été si profondément marqué par la catastrophe de Fukushima qu’il conçoit désormais son art comme celui d’un guérisseur, à la manière d’un shaman. Il rejoint ainsi le travail d’un Giuseppe Penone, artiste plasticien italien qui ne cesse de lire et même d’écouter arbres et végétaux comme des êtres à part entière.
Messiaen, Penone et Hosokawa sont à mes yeux des figures prophétiques. Nous avons besoin de tels artistes qui renouvellent notre regard sur le monde et nous invitent à repenser notre place au sein du vivant.

Le rôle de la culture à l’Université.
J’ai dit précédemment à quel point la création artistique se nourrit du travail scientifique. La réciproque est tout aussi vraie ! En 2006, j’ai partagé avec Fabrizio Cassol une résidence d’artistes ici même à l’UCL. Ce fut une magnifique expérience, et je suis convaincu que ces résidences d’artistes constituent un enrichissement mutuel.

Bruno Latour, Franse socioloog en filosoof, en eredoctor van de KULeuven drie jaar geleden, schreef uitgebreid over de relatie tussen de mens en alle soorten va het leven op de planeet. Daarnaast heeft hij meegewerkt aan tal van culturele projecten, tentoonstellingen en theatervoorstellingen.

« J’ai remarqué, écrivait Bruno Latour, qu’il existait une boucle de rétroactivité entre mon travail au théâtre et mes écrits universitaires. Le travail artistique m’aide à saisir des idées à moitié obscures, encore tapies dans l’ombre. »

Sur l’état du monde
En constatant l’existence de tous ces outils qui permettent de mieux construire et coconstruire une vie culturelle de qualité, démocratique, loin de toute démagogie ou de tout populisme, il y a vraiment de quoi se réjouir !
Mais je ne peux m’empêcher de partager avec vous une très vive inquiétude sur la marche du monde.

Je suis horrifié de voir la dégradation que nous faisons subir à la planète.

Je suis effrayé de voir la montée des extrémismes et des complotismes, de constater le recul de l’état de droit y compris un peu partout en Europe et dans le monde. De voir la manière honteuse dont sont traités réfugiés et prisonniers dans notre pays.

Je suis effondré de voir les crimes de guerre causer autant de souffrances inimaginables, en ce moment même, dans l’est du Congo, en Ukraine, à Gaza...

Je suis scandalisé du double discours des dirigeants occidentaux, prompts à dénoncer ces crimes de guerre en Ukraine mais prêts à fermer les yeux sur ce qui se passe chez leurs alliés ou même chez eux.

Résistance...
Il y a quinze ans, Stéphane Hessel, rescapé du camp de concentration de Buchenwald, lançait son cri : « Indignez-vous ! »
Il y a quelques jours, Adélaïde Charlier confiait au journal « Le Soir » son indignation sur les promesses non tenues, le sentiment que l’on recule au lieu d’avancer, et elle exprimait une défiance croissante dans le monde politique.
Eergisteren deed Simon Sterck hetzelfde in Schaerbeek: Simon is student bij de KULeuven en VN-jongeren vertegenwoordiger voor de Vlaamse Jeugdraad. Laten we met meer aandacht luisteren naar deze jonge generatie, aub! Dan vinden we misschien een kans om onze eigen fouten te repareren.
Je vous le demande, chers amis : ne devons-nous pas nous préparer aujourd’hui à « entrer en résistance » ?
En résistance contre la marchandisation du monde...
En résistance contre les injustices et les inégalités inouïes, sources de violences et de conflits...
En résistance contre les dérives du patriarcat et les abus à l’égard des femmes...
En résistance contre l’antisémitisme et toutes les formes de racismes....
Quelles formes cette résistance devrait-elle prendre ? A chacune et chacun de réfléchir et de décider ce qui lui convient.
Je forme le vœu que cette résistance ne soit pas sectaire, ni désespérée, ni empreinte de haine. La haine ne peut qu’engendrer la haine !
Je souhaite ardemment que les résistances se déploient dans la créativité, l’audace, la non-violence. Qu’elles soient empreintes d’amour et d’amitié, de reconnaissance de l’autre et d’estime de soi, qu’elles se construisent dans le dialogue et l’acceptation des dissonances, qu’elles puisent leur force dans les beautés de la nature, la spiritualité et la recherche d’intériorité. Qu’ensemble, nous parvenions à faire reculer ce mal profond qui menace l’humanité.
Prenons exemple sur ces héros et ces héroïnes que furent Gandhi, Germaine Tillion, Nelson Mandela, Gisèle Halimi, Martin Luther King, et bien d’autres qui éclairent notre temps.
La beauté de la musique et de la poésie peut-elle nous aider à résister ? Je l’espère de tout mon être ! Dans sa très grande fragilité, la poésie nous invite à l’essentiel, aujourd’hui et demain, quels que soient les aléas du monde.
Permettez-moi de conclure en citant les mots que Stéphane Hessel prononçait en 2010, alors âgé de 93 ans :
 

A celles et ceux qui feront le 21ème siècle, nous disons avec toute notre affection :
Créer, c’est résister
Résister, c’est créer.