Discours de Françoise Smets, rectrice

EVENTS

Rentrée académique 2024-2025

Françoise Smets

Réenchantons l’université. 600 ans. Quel anniversaire.

Depuis 600 ans, l’université de Louvain reste contre vents et marées ouverte, engagée dans la société et pionnière dans de nombreux domaines. De Erasme à Mercator en passant par Vésale, de Lemaitre à De Duve jusqu’aux dernières découvertes dans les domaines du cancer et des neurosciences, l’UCLouvain a toujours cultivé des esprits libres et critiques, curieux et créatifs, véritables moteurs de changements et de progrès. Et c’est plus que jamais notre intention.

Mais les contraintes se sont multipliées ces dernières années, de même que les bouleversements mondiaux. Et l’UCLouvain s’est agrandie sur 8 sites et dans plusieurs alliances internationales. Bien que l’enthousiasme reste intact, le moment est venu de repenser nos modes de fonctionnement, tout comme l’humanité est amenée à le faire face aux défis des transitions.

L’excellence de nos missions ne peut exister au détriment de ceux et celles qui font l’université. Cette excellence doit être le résultat de l’épanouissement de chacune et chacun, mais aussi du bien vivre collectif, et ceci dans tous nos métiers et sur chacun de nos sites. J’y travaillerai sans relâche. Il ne faut pas juste dire nos valeurs, nous devons les vivre, les incarner. L’équilibre des temps de vie doit être préservé. La confiance et la bienveillance doivent nous guider, le dialogue et la reconnaissance être intensifiés, un risque raisonnable être accepté, la simplification devenir une réalité. Les différents sites doivent pouvoir développer des projets spécifiques et les expertises locales doivent être valorisées. Une enquête sur la qualité de vie au travail aura lieu cette année, c’est une réelle opportunité. Comme les États généraux EDI et l’Assemblée de la transition, je désire que cette enquête soit un réel processus participatif et puisse nous guider dans la transformation de l’accompagnement des carrières.

L’épanouissement au sein de l’université est également menacé par des contraintes externes sur lesquelles il sera essentiel d’agir avec notre nouveau gouvernement et nos ministres de tutelle. Retrouver plus d’autonomie est une priorité, les enquêtes européennes le démontrent. Sortir du contrôle imposé par les différents décrets, diminuer les charges administratives et éviter tout fléchage des budgets est urgent. Le financement par étudiant a diminué année après année malgré, une solution doit être dégagée pour inverser cela rapidement. Les rythmes scolaires et le décret paysage doivent être revus, tant pour la cohérence des programmes que pour la qualité de vie des étudiantes et étudiants et de toutes celles et ceux qui les encadrent. Les hôpitaux académiques sont en grande difficulté, avec les nouvelles directions de nos deux cliniques et en partenariat avec notre université sœur la KULeuven, nous nous assurerons auprès des politiques en charge que leurs missions soient reconnues et soutenues correctement. Toujours avec la KULeuven, il sera aussi primordial de défendre les possibilités d’enseignement et de recherche conjoints entre le nord et le sud du pays.

Réenchanter l’université, c’est plus que tout voir le sens de notre travail ou de nos études. Ce sens est pour moi étroitement lié à notre engagement et à notre responsabilité sociétale. 

Je souhaite pour cela une UCLouvain toujours plus ouverte et inclusive. Dans ce but, un nouveau prorectorat a été créé pour piloter ces enjeux d’équité, de diversité et surtout d’inclusion. Chacun et chacune doit pouvoir se sentir chez lui à l’UCLouvain et avoir les mêmes chances de s’y développer. En bâtissant sur les constats réalisés et les mesures déjà mises en place, il conviendra de développer une politique inventive, complémentaire, transversale et surtout globale, qui s’attaquera à toutes les déclinaisons de l’exclusion et de la discrimination. La lutte contre les violences sexistes et sexuelles se poursuivra. Citons entre autres une brochure distribuée aux étudiantes et étudiants en ce début d’année et un outil clarifiant les personnes à qui s’adresser selon la situation. Le nouveau gender and diversity equality plan sera activé. Une attention particulière et des actions spécifiques seront dédiées à l’accueil des personnes qui nous rejoignent de l’étranger, surtout du Sud global, et à l’encadrement dédié aux étudiantes et étudiants en situation de précarité.

Notre responsabilité sociétale dans l’enseignement concernera d’abord la formation initiale des enseignants des maternelles à la 6è secondaire. Le consortium au sein duquel l’UCLouvain collabore formera la moitié des futurs enseignantes et enseignants. C’est un enjeu majeur, l’échec n’est pas permis. C’est pour cela qu’une nouvelle faculté des Sciences de l’éducation a été créée, pour piloter et coordonner ces programmes, avec nos partenaires mais également en interne avec les autres facultés impliquées dans ces formations. Ceci permettra également à la faculté de Psychologie, logopédie, sexologie et sciences de la famille, qui a connu d’importantes difficultés ces dernières années, de se restructurer.

Je veillerai aussi à poursuivre les actions prises en faveur de l’orientation des élèves du secondaire. Notamment grâce au Centre d’Information et d’Orientation, dont l’outil d’orientation gratuitement accessible en ligne a été repris par la Fédération Wallonie-Bruxelles, mais aussi grâce aux relations étroites avec les écoles secondaires qui ont permis d’adapter les activités proposées aux élèves. L’orientation est cruciale car elle est le premier pas vers l’accompagnement à la réussite. Une fois les études débutées, cet accompagnement reste une priorité. De nombreux dispositifs sont développés par les facultés et régulièrement requestionnés.  Les initiatives de sites se multiplient également, comme le nouveau blocus organisé par le CHU UCL Namur et rassemblant des étudiants de médecine et des autres professions de la santé ; la Maison des étudiants et

Résidence pour la réussite à Mons ou encore l’important projet Lutter contre l’échec du site de Saint-Louis dont le suivi doit maintenant être mis en place.

Nos programmes doivent avant tout rester novateurs et coller aux besoins de la société. La nécessité de donner à l’ensemble de nos étudiantes et étudiants un socle de connaissances solides concernant les objectifs du développement durable est un incontournable. Les projets pilotes de cours d’apprentissage par le service ou service learning et de service citoyen seront analysés puis étendus. L’impact de l’intelligence artificielle, que ce soit sur le contenu des cours ou sur les compétences à développer, est en cours de réflexion et d’intégration de même que la volonté d’organiser de plus en plus l’enseignement comme une formation tout au long de la vie.

Et qu’en est-il finalement de cette diplomation intégrale ? Nous avons la chance d’avoir beaucoup d’étudiantes et d’étudiants qui s’engagent ; dans le folklore, les kots à projet, comme déléguées de cours ou représentants dans les instances, dans les mouvements de jeunesse ou les clubs sportifs, dans l’université ou en dehors de celle-ci. Nous leur proposons dès cette année un outil qui visibilisera les compétences acquises dans cet engagement et leur permettra de prendre du recul et de réfléchir à ce que cela leur aura permis de développer. Les encourager à répondre aux questions évoquées par Jan et Nolvan ne devrait donc pas être si compliqué, réfléchissons-y ensemble.

Réenchanter l’université c’est aussi défendre la liberté de chercher à tout prix.  La réflexion sur les partenariats responsables et les réformes à entreprendre pour rendre encore plus robustes et claires les positions de l’UCLouvain sur l’attention portée aux droits humains dans les partenariats qu’elle conclut se poursuit. Les mouvements étudiants, autour du drame qui sévit dans la bande de Gaza depuis bientôt un an, auront été un acteur important dans cette réflexion. Leur indignation et leurs voix doivent être entendues, et ceci est constructif lorsque les échanges se font dans le respect, sans violence ni dégradation. Cela a été le plus souvent le cas dans notre université et je les en remercie. Avec le conseil des rectrices et recteurs francophones et nos homologues néerlandophones, l’UCLouvain continuera aussi à interpeller la Commission européenne et les autres bailleurs de fonds sur ces enjeux. 

Nous devrons préserver et favoriser les conditions de créativité et la reconnaissance de la diversité des recherches. Je m’y engage. A l’extérieur aussi, il sera important de défendre le rôle essentiel de la recherche fondamentale universitaire auprès de nos différents niveaux de pouvoir, et d’assurer la présence d’instruments de financement permettant une sélection indépendante et transparente. Il faudra avec les ministres impliqués poursuivre le soutien aux recherches inter- et transdisciplinaires. Un bel exemple de ce travail transdisciplinaire est le colloque d’octobre sur le futur de la santé à Bruxelles en 2050. Celui-ci marque non seulement les 50 ans de présence de l’UCLouvain à Bruxelles, mais démontre la nécessité de connecter les trois secteurs de notre université, mélangeant les visions de la santé avec les enjeux socio-économiques et les impacts de l’urbanisme sur ces questions. Une attention toujours plus grande devra finalement être portée à nos méthodes de valorisations de la recherche et à nos relations avec les entreprises, en poursuivant les transformations en cours dans ce domaine en interne, et en demandant aux différents gouvernements impliqués le maintien des structures qui y sont dédiées.   

Réenchanter l’université c’est construire une UCLouvain plus que jamais engagée dans la société. Je mettrai sur pied un conseil consultatif, regroupant des acteurs de la société civile, des mondes économiques, sociaux, politiques et entrepreneuriaux, de l’associatif et de la culture. Des tiers-lieux seront développés, comme le magnifique projet des Portes de la Transition à la ferme de Lauzelle. En Europe et dans le monde, il conviendra de capitaliser sur nos alliances, notamment Circle U. et The Guild. Il est essentiel que chacune et chacun puisse s’y investir et bénéficier de possibilités de mobilité et des nombreuses initiatives développées au sein de ces réseaux. Cela concerne non seulement les académiques, chercheuses et chercheurs, étudiantes et étudiants, ce qui est déjà bien le cas, mais aussi le personnel administratif et technique. Par rapport au Sud global, les collaborations actuelles de coopération doivent évoluer vers de véritables partenariats, où chaque partie prenante est sur un pied d’égalité. Dans le monde qui nous attend, nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres et encore plus à construire ensemble.

Réenchanter l’université c’est finalement, toutes et tous, user et abuser de la bienveillance car, comme le dit Didier van Cauwelaert dans son livre « La bienveillance est une arme absolue » et dans un langage très médical qui me correspond parfaitement : « … à une époque où tout se radicalise – la bêtise, la ruse, la haine, l’ego, le politiquement correct et même les discours humanitaires -, la bienveillance peut apparaitre comme une valeur obsolète, ringarde, inadaptée. Je pense qu’elle est au contraire la seule réponse thérapeutique à la crise morale que traversent nos sociétés. Une réponse qui, à défaut de changer le monde du jour au lendemain, lui redonne des couleurs et compense les déceptions qu’il nous inflige, tout en renforçant le système immunitaire assez paradoxal qu’est l’empathie. …la bienveillance est avant tout un outil de résistance face à la contagion des sentiments négatifs. ».

Les défis sont nombreux, autant que les attentes sont grandes. Je suis plus que jamais déterminée à les relever et, avec le nouveau conseil rectoral, nous sommes extrêmement motivés à piloter les changements nécessaires. Mais sans vouloir me soustraire aux responsabilités que vous m’avez confiées, je suis déjà certaine que je n’y arriverai pas sans vous. Je mettrai votre épanouissement au cœur de mes actions mais en retour je compte sur vous. Il nous faudra préciser nos objectifs communs et faire de ces transformations un récit collectif. Les expertises de chacune et chacun de même que la participation active des étudiantes et étudiants seront nécessaires pour construire ensemble cette UCLouvain qui nous ressemble et nous rassemble. Elle pourra alors rester une actrice majeure face aux enjeux sociétaux que nous affrontons, comme elle l’a toujours fait depuis 600 ans, et contribuer à réenchanter le monde.