Les nouveaux enjeux géopolitiques : quels risques pour l’Europe ?
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Depuis sa création en 1999, la Fondation Louvain soutient les projets stratégiques de l’UCLouvain en matière de recherche scientifique, d’enseignement, d’internationalisation et de développement culturel. Deux fois par an, la Fondation Louvain organise les rencontres afin de rassembler ses mécènes et partenaires autour de projets ambitieux et de thématiques d’actualité.
Le 7 novembre dernier, une centaine d’invités se sont retrouvés au nouveau Learning Center Christine de Pizan à Louvain-la-Neuve pour la sixième Rencontre de la Fondation Louvain, dont le thème portait sur la géopolitique.
Dans son discours d’introduction, Pierre-Olivier Beckers a rappelé que « 2025 sera une année hautement symbolique pour notre université qui fêtera ses 600 années d’existence. Dans le slogan qui illustrera cette année particulière « 600 ans, depuis 1425 … et demain", c’est le « …et demain » qui doit nous interpeller. Ce « et demain » concerne les enseignants et les chercheurs actuels et futurs, les nombreuses générations de jeunes qui, année après année, choisiront l’UCLouvain pour se former, sans oublier les 190 000 Alumni que rejoignent chaque année plus de 5 300 nouveaux diplômés. Cet avenir va se construire dans un monde en mutation permanente ».
Place ensuite à la thématique qui a animé cette sixième Rencontre, « Les nouveaux enjeux géopolitiques : quels risques pour l’Europe ? ».
Grâce au financement philanthropique du Fonds Baillet Latour avec deux chaires d’enseignement et de recherche, les professeurs Laetitia Spetschinsky et Tanguy Struye de Swielande ont eu l’occasion de développer leurs premières recherches.
La professeure Laetitia Spetschinsky a tout d’abord abordé le conflit entre la Russie et l’Ukraine. En agressant militairement l’Ukraine il y a près de trois ans, la Russie a déclenché un choc géopolitique majeur aux conséquences encore incertaines. Contrairement aux précédents chocs géopolitiques, ce conflit a entrainé l'imposition de sanctions massives et la suspension de routes commerciales terrestres et aériennes fluides. Le recours massif aux sanctions comme instrument de politique étrangère a placé les acteurs économiques en première ligne de la guerre et a fait des entreprises la nouvelle infanterie de la coercition européenne. À défaut de mobiliser des troupes pour repousser l'invasion russe, les gouvernements européens ont sous-traité au monde économique la responsabilité d’enrayer la machine de guerre russe. Entraînées dans la guerre par la Russie, les entreprises sont donc forcées de réorienter leur stratégie.
Laetitia Spetschinsky a conclu en mentionnant que « la puissance russe est éternellement fragile, tant sur le plan politique qu’économique. C’est une économie de production, une économie de rente qui se porte plus ou moins bien dans le contexte de l’économie de guerre actuelle. C’est également une puissance fragile sur le plan démographique. Je pense fondamentalement que les économies émergentes ne s’y trompent pas : elles ne sont pas nombreuses à placer leurs billes dans le panier russe, même si elles en extraient des avantages considérables pour l’instant. L’Europe demeure un partenaire stable, prometteur et intéressant. Il lui reste à maintenir et à développer son avantage ».
Le professeur Tanguy Struye de Swielande a quant à lui abordé la géoéconomie. Depuis quelques années, la mondialisation est remise en question. Elle a entraîné l'externalisation et la délocalisation des chaînes d'approvisionnement dans le monde entier et rendu les économies très vulnérables aux chocs et donc aux perturbations, le Covid-19 et la guerre en Ukraine en étant de parfaites illustrations. Dans un contexte de rivalité entre puissances, le modèle de fonctionnement des chaines de production du « juste à temps » ne peut fonctionner que dans un monde caractérisé par l'interdépendance, la stabilité et la coopération. Dès que l'on entre dans une logique de rivalité, la délocalisation et la sous-traitance deviennent une arme potentielle.
En matière économique, nous sommes entrés dans l’ère de la géoéconomie. Il s’agit de recourir à l'utilisation d'instruments économiques pour promouvoir et défendre les intérêts nationaux et pour produire des résultats géopolitiques bénéfiques. Les échanges économiques se font de plus en plus selon une logique de souveraineté et de sécurité économique. Les États ne recherchent plus nécessairement une coopération gagnante-gagnante ou une coopération économique pour des avantages mutuels, mais visent plutôt à faire progresser leurs propres avantages au détriment des autres. C’est en particulier le cas pour les secteurs des matières premières et des nouvelles technologies. Il s’agit ainsi, après 30 ans de politiques de délocalisation, de promouvoir la réindustrialisation sur son territoire, mais également de produire plus localement en raison de l'impact environnemental.
Face aux politiques des États-Unis et de la Chine, qui suivent et appliquent les logiques de backsourcing ou d’onshoring afin d’essayer de contrôler la chaine d’approvisionnement, l’Union européenne a du mal à exister et cela pour plusieurs raisons dont le manque de compétitivité et de volonté politique, une lourdeur bureaucratique, des prix énergétiques élevés et un manque de prise de risques. En définitive, l’Union européenne manque tout simplement de stratégie or comme l’explique Toffler, « si vous n'avez pas de stratégie, vous ferez partie de la stratégie de quelqu'un d'autre ».
La rectrice, Françoise Smets, a clôturé la soirée en présentant ses ambitions pour l’UCLouvain pour les cinq prochaines années, ainsi que la nouvelle équipe rectorale qui va l’accompagner durant son mandat et qui a pris ses fonctions le 1er septembre 2024.