Xavier Falques invité d'Un jour dans l'histoire
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Nous sommes au soir du 22 novembre 1928. Le tout Paris, la crème de la crème de la « bonne société », le gratin du monde politico-culturel, se presse à l’Opéra Garnier. On est venu pour assister à la création du « Boléro », le nouveau ballet de Maurice Ravel. Dans la fosse, le chef Walther Straram dirige son orchestre. Le journal « Le Figaro » décrit le ballet comme une «évocation de l'Espagne dansante en une taverne de faubourg sous la lampe de cuivre accrochée aux solives; muletiers et contrebandiers acclament la danseuse qui bondit sur la table, aux sons d'une musique magicienne, sa danse s'exalte de plus en plus».
La danseuse se nomme Ida Rubinstein, elle a plus de quarante ans. La chorégraphie est signée Bronislava Nijinska, maîtresse de ballet russe. Les costumes d’Alexandre Benois et les décors d’Oreste Allegri.
Dans la salle, on peut apercevoir Igor Stravinsky qui, 15 ans plus tôt, a fait scandale avec son « Sacre du printemps » et que Ravel a soutenu. Serge de Diaghilev, organisateur de spectacles, impresario influent, n’est pas très enthousiaste. Il décrit une représentation qui « suait l’ennui provincial... tout y était long, y compris Ravel qui ne dure pourtant que 14 minutes. Le pire, ajoute-t-il, était Ida. Voûtée, une tignasse rousse, sans chapeau, avec des chaussons de danse pour paraître plus petite. Elle est incapable de danser quoi que ce soit.
Dans le Boléro, elle est restée un quart d’heure à tourner maladroitement sur une grosse table. » Le public, lui, est plutôt conquis et réserve un bel accueil à cette création si déconcertante.
La presse salue « la somptuosité », « les dons singuliers », « le triomphe de la maîtrise technique », « le délice d’élégance » et « le tour de force éblouissant » du compositeur. On raconte aussi n’importe quoi, qu’une spectatrice aurait crié « Au fou ! » et que Ravel aurait déclaré : « Celle-là, elle a compris ».
La légende se met en marche. De Paris à Bruxelles, de Monte-Carlo à New York en passant par Milan et Londres, le Boléro devient un phénomène et rentre dans l’Histoire de la musique. Un succès, d’ailleurs, qui ne va pas complètement ravir son auteur et même l’irriter. Ravel craint le malentendu.
Solitaire et pudique, ouvert et généreux, obstiné, peu enclin aux honneurs, qui était Maurice Ravel ? Pourquoi tant de frilosité devant sa propre réussite ? Aurait-il eu le génie humble ?