Retour de colloque : « La santé en prison dans les Unités Sanitaires »
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Fin septembre 2021 s’est tenu le 15ème congrès national de l’association des professionnels de santé exerçant en prison (APSEP) intitulé « La santé en prison dans les Unités Sanitaires » (les « unités sanitaires » est l’équivalent français du « service médical »). Ce congrès avait pour objectif de faire le point sur la gestion de la crise en prison après 18 mois de pandémie, de créer un espace d’échange d’expériences sur les pratiques des professionnels de la santé en milieu carcéral et d’analyser l’évolution de la population carcérale.
Lors de ce congrès, l’asbl belge I.Care a proposé deux présentations, l’une abordant les extractions de personnes détenues pour raisons médicales et l’autre, l’importante population migrante en détention. Rachelle Rousseaux, chercheuse au RESO-UCLouvain, y a également présenté un poster résumant la recherche menée dans le cadre de son mémoire (Rousseaux R. 2021) qui visait à mettre en évidence comment une intervention de promotion de la santé en prison contribue au développement d’une prison promotrice de santé.
Pour la première fois en 15 éditions, le programme du congrès comprenait une session spécifique à l’éducation et à la promotion de la santé en prison. Dans ce billet, nous vous proposons un résumé de présentations mises en avant dans cette session : une première d’Éric Le Grand (FNES) qui pose les enjeux pour la promotion de la santé en milieu carcéral, et deux autres présentant des exemples concrets d’actions de promotion de la santé en milieu carcéral.
"Quels enjeux pour la promotion de la santé en milieu carcéral ?" - E. Le Grand
Chargé de mission à la FNES (Fédération nationale d'éducation et de promotion de la santé), Eric Le Grand, sociologue, défend une approche de promotion de la santé en milieu carcéral globale et positive qui se base sur les stratégies de promotion de la santé, telles que définies dans la charte d’Ottawa (1986) de l’OMS : renforcer l’action communautaire, réorienter les services de santé, développer les aptitudes personnelles, créer des milieux favorables et élaborer des politiques pour la santé.
Selon lui, ce modèle d’action n’est que trop rarement considéré en prison. Lors de sa présentation, il insiste sur la nécessité d’adopter une approche globale qui envisage la prison comme un milieu de vie où toute action doit tenir compte de l’entièreté des composantes du milieu pour, effectivement et durablement, améliorer la santé des personnes qui y vivent et y travaillent. Mr. Le Grand poursuit en exemplifiant davantage.
Il mentionne, par exemple, que « réorienter les services de santé » englobe l’entièreté des services qui favorisent la santé et pas seulement les services médicaux. Aussi, il apparait nécessaire de se poser la question de l’adaptabilité et de l’accessibilité de ces services mais également de se demander si les messages transmis par ces services sont adaptés, compréhensibles et accessibles pour la population carcérale.
En ce qui concerne « le renforcement de l’action communautaire », l’accent devrait être mis sur l’écoute des besoins et attentes des personnes détenues en regard de leur environnement et de leur bien-être. Il apparait primordial d’avoir confiance en l’expertise de ces personnes et de les accompagner dans la mise en œuvre de ce qu’elles proposent comme actions.
Enfin, l’axe visant à élaborer des « politiques favorables à la santé » devrait venir questionner la place de la santé en prison. Mr. Le Grand pose, par exemple, la question de la prise en compte réelle du bien-être des détenus dans les politiques institutionnelles. En effet, des changements tels que le développement d’un environnement favorable à la santé, la collaboration avec l’administration pénitentiaire, l’inscription des actions de promotion de la santé dans la durée dépendent de ces politiques internes.
Mr. Le Grand resitue ces enjeux pour le secteur de promotion de la santé au sein de l’approche européenne des « Prisons Promotrices de Santé », dont les grands principes furent rédigés par l’OMS en 2007. Ce réseau a notamment développé des principes directeurs pour la promotion de la santé en prison (voir schéma ci-dessous).
Figure 1 : Approche de promotion de la santé en milieu pénitentiaire selon l’OMS
Source : Inpes (2014), adapté et traduit de OMS (2007).
D’après Mr. Le Grand, la promotion de la santé en milieu pénitentiaire se baserait encore trop souvent sur une approche par problème et monofactorielle, centrée principalement sur les aptitudes individuelles, ce qui dénote une application partielle des principes de promotion de la santé. Comme expliqué plus haut, la construction des actions de promotion de la santé devrait reposer davantage sur la prise en compte de l’entièreté des déterminants socio-écologiques de la santé en prison. Ainsi, Mr. Le Grand donne des pistes d’amélioration à destination du secteur de la promotion de la santé en prison : travailler avec pour cadre de référence les déterminants socio-écologiques de la santé en milieu carcéral, plaidoyer et encourager les approches intersectorielles, considérer l’ensemble des publics interagissant dans le milieu carcéral et soutenir leur participation dans la construction des solutions, et enfin, envisager la prison comme un milieu de vie où des personnes vivent, travaillent, interagissent, etc.
"S’évader sans s’évader" - L. Aymard
Le centre de détention d’Uzerche (France) a présenté son projet « S’évader sans s’évader… » qui a été construit entre des personnes détenues, présentant des conduites addictives (au nombre de 6) et une équipe de professionnels pluridisciplinaires au travers d’ateliers. Ce processus a eu pour effet de les remobiliser et de renforcer leurs compétences psycho-sociales (par exemple, l’estime de soi etc) et leurs ressources personnelles (pouvoir se projeter dans des projets futurs, savoir s’organiser etc.). A partir du constat que la marche a des bienfaits thérapeutiques sur la santé physique et psychique, le projet co-construit a pris la forme d’une randonnée précédée de séances préparatoires de sport en collectif. Le vécu des participants a été filmé lors de la randonnée. Ceux-ci partagent avoir ressenti un sentiment de liberté et de bien-être, le bonheur d’être en contact avec la nature et le sentiment de ne plus être en prison le temps de quelques heures.
"Quand la culture rencontre la Santé" - F. Rombaux & C. Tomczak
A Lille (France), un musée d’art moderne, contemporain et brut accueille des collections d’art venant de milieux asilaires et/ou pénitentiaires (notamment le centre de détention de Sequedin). Ce projet vise l’ouverture et l’accès à la culture pour tous et la lutte contre l’exclusion sociale. Plus concrètement, l’objectif est de faire « entrer » la culture au sein des institutions carcérales. Le musée collabore avec divers centres pénitentiaires en proposant des ateliers récréatifs, occupationnels et d’art plastique. Certaines activités se déroulent en prison et d’autres (comme les expositions) se font hors des murs pour permettre aux familles de venir découvrir les œuvres de leurs proches incarcérés. Les œuvres sont ensuite restituées aux centres pénitentiaires et exposées dans ses couloirs. Ces ateliers présentent la spécificité d’être mixtes et permettent dès lors aux hommes et femmes incarcérés de se rencontrer et d’échanger lors de ces moments.
En guise de conclusion, l’approche holistique en matière de santé, présentée par Mr. Le Grand, ne représente encore que très peu la réalité de ce qui est fait actuellement en prison. Malgré tout, les deux actions présentées ci-dessus (la randonnée et les ateliers artistiques) ainsi que l’intégration d’une session « éducation et promotion de la santé » au congrès de l’APSEP démontrent l’ouverture du secteur pénitentiaire français pour une définition positive et globale de la santé des détenus. Ces actions, mais également d’autres projets menés en prison (notamment par l’asbl belge I.Care), montreraient-elles les prémisses d’un glissement de paradigme en prison conduisant progressivement au développement d’approches axées sur les ressources des individus et des collectifs et tenant compte l’ensemble des déterminants de la santé en milieu carcéral ? Nous ne savons pas, mais nous ne pouvons qu’espérer retrouver la session « éducation et promotion de la santé » lors du 16e congrès de l’APSEP.
Sources :
- Inpes (2014). Promotion de la santé en milieu pénitentiaire : Référentiel d’intervention. Consulté le 12-10-21 à l’adresse : https://www.santepubliquefrance.fr/a-propos/services/service-sanitaire/promouvoir-la-sante-en-milieu-penitentiaire.-referentiel-d-intervention
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OMS (2007). Health in prisons A WHO guide to the essentials in prison health. Consulté le 12-10-21 à l’adresse : https://www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0009/99018/E90174.pdf
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Rousseaux R. (2021). Comment une intervention de promotion de la santé en milieu carcéral participe-t-elle au développement d’une Prison Promotrice de Santé ? Unpublished document. Mémoire, Université catholique de Louvain, Woluwé-Saint-Lambert.