C.J.U.E., 20 janvier 2021, OA, C-255/19, EU:C:2021:36

Louvain-La-Neuve

L’affaire OA : un autre pas vers une interprétation complète de la notion de la ‘protection’ dans la directive qualification.

Directive qualification – (acteurs de) protection – soutien familial et clanique – cessation du statut de réfugié – protection subsidiaire

La Cour de Justice de l’Union européenne a été saisie de questions préjudicielles par le Tribunal Supérieur du Royaume-Uni. Au cœur de la demande se trouve notamment la question de la notion de la « protection » selon la directive qualification. En effet, la CJUE est interrogée sur l’interprétation de cette notion, afin de déterminer si celle-ci recouvre le soutien financier et sécuritaire par les membres de la famille et proches de l’individu voire par les membres de son clan. Dans cet arrêt, la CJUE rend une décision cruciale : ni les membres du clan, ni les proches de l’individu peuvent être considérés comme les acteurs capables d’assurer une protection au titre des exigences de l’article 7 de la directive. En outre, la Cour explicite que la notion de la protection est la même dans l’article 2 (c) qui concerne l’octroi du statut de réfugié, l’article 7 (1) et (2) qui concerne les acteurs de protection, ainsi que l’article 11 (1) (e) concernant la cessation du statut de réfugié.

Younous  Arbaoui Professeur Assistant, Amsterdam centre for Migration and refugee Law (ACMRL), Université Libre d’Amsterdam.

A. Arrêt

1. Le litige principal

La demande de décision préjudicielle émane du Tribunal Supérieur du Royaume-Uni et concerne un ressortissant somalien (OA) qui s'était vu accorder le statut de réfugié en 2003 sur la base de son appartenance à un clan minoritaire persécuté par des clans majoritaires. Son statut de réfugié a été révoqué en 2016 en raison d'un changement de circonstances en Somalie. La notion de « protection » telle qu'elle figure dans la directive qualification 2004/83/CE, en particulier l’article 2 (c), qui concerne l’octroi du statut de réfugié, l’article 7 (1) et (2) qui concerne les acteurs de protection, ainsi que l’article 11 (1) (e) concernant la cessation du statut de réfugié, est au cœur de la requête préjudicielle.

Selon le Secrétaire d'État au Ministère de l'intérieur du Royaume-Uni, la persécution des clans minoritaires par les clans majoritaires n'est plus un risque réel, et, de plus, il existe une protection effective en Somalie (par. 25). La décision du Secrétaire d'État de révoquer le statut de réfugié d'OA était en partie basée sur la disponibilité du soutien des proches d'OA et des membres de son clan. À cet égard, le Secrétaire d'État a fait référence à un précédent jugement du Tribunal Supérieur selon lequel « bien que la protection pertinente doive être une protection de l'État, l'évaluation de l'efficacité de cette protection exige la prise en compte des fonctions de protection au sens large, y compris celles exercées par les familles et les clans ».[1] En outre, la demande de décision préjudicielle mentionne que, selon certaines juridictions au Royaume-Uni, les exigences découlant de l’article 7 de la directive doivent être prises en compte lors de l’examen de l’existence de la « protection » dans le pays d’origine, mais que les dites exigences ne s’appliquent pas au stade de l’appréciation de l’élément concernant la « crainte fondée d’être persécuté ». Selon lesdites juridictions, le soutien fourni par la famille ou le clan de la personne concernée peut être pris en considération lors de l'évaluation de la disponibilité de la protection (par. 27). Le Secrétaire d’État a noté dans ce sens que OA pouvait être soutenu financièrement par sa sœur vivant à Dubaï et par des membres de son clan résidant au Royaume-Uni, et que la disponibilité de ce soutien constitue une forme alternative de protection (par. 28). Dans les procédures de recours ultérieures, l'avocat d'OA a fait valoir que lors de l'évaluation de la disponibilité de la protection, il était « juridiquement impossible de prendre en compte les fonctions de protection exercées par des acteurs non étatiques », telles que le soutien des proches et des membres du clan (par. 26).

2. Questions préjudicielles et réponses de la Cour

Pour statuer sur le litige principal, le Tribunal Supérieur du Royaume-Uni demande à la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après, CJUE) de statuer sur les questions suivantes (par. 29).

1. La protection du pays d’origine, au sens de l’article 11 (1) (e) et de l’article 2 (e) de la directive qualification, doit-elle être comprise comme une protection de l’État ?

2. Pour décider s’il existe une crainte fondée d’être persécuté au sens de l’article 2 (e) de la directive et s’il existe une protection contre cette persécution conformément à l’article 7 de la directive, le « critère de la protection » doit-il être appliqué aux deux questions et, si tel est le cas, est-il régi par les mêmes critères dans chaque cas ?

3. Si l’on laisse de côté l’applicabilité de la protection par des acteurs non étatiques au titre de l’article 7 (1) (b) de la directive et si l’on suppose que la réponse à la première question ci-dessus est affirmative, l’effectivité ou la disponibilité de la protection doivent-elles être évaluées uniquement par rapport aux actes et aux fonctions de protection des acteurs étatiques ou peut-on considérer les actes et les fonctions de protection accomplis par des acteurs privés tels que les familles ou les clans ?

4. Les critères régissant l’examen de la protection qui doit être effectué lors de l’analyse de la cessation dans le contexte de l’article 11 (1) (e) de la directive sont-ils les mêmes que ceux qui doivent être appliqués dans le contexte de l’article 7 de la directive ? 

La CJUE répond en premier lieu à la quatrième question et ensuite aux première, deuxième et troisième questions conjointement. Concernant la quatrième question, la Cour estime que la protection dans le sens de l’article 11 (1) (e) de la directive concernant la cessation du statut de réfugié doit « répondre aux mêmes exigences que celles résultant, en ce qui concerne l’octroi de ce statut, de l’article 2, sous c), de cette directive, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphes 1 et 2, de celle-ci » (par. 39). Les trois premières questions invitent la Cour à préciser si un éventuel soutien financier et social fourni par des acteurs privés (famille, clan du ressortissant) répond aux exigences de la protection permettant d’apprécier la protection par l’État d’origine. La question est de savoir si l'efficacité ou la disponibilité de la protection doit être évaluée uniquement par référence aux actes/fonctions de protection des acteurs étatiques ou si l'on peut tenir compte des actes/fonctions de protection exercés par des acteurs privés (société civile) tels que les familles et/ou les clans. C’est sur cette question que les parties à l’audience devant la CJUE se sont concentrée.[2]  La Cour trouve que l’article 11 (1) (e), lu en combinaison avec l’article 7 (2) « doit être interprété en ce sens qu’un éventuel soutien social et financier assuré par des acteurs privés, tels que la famille ou le clan du ressortissant d’un pays tiers concerné, ne répond pas aux exigences de protection résultant de ces dispositions et n’est, de ce fait, pertinent ni aux fins d’apprécier l’effectivité ou la disponibilité de la protection assurée par l’État au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous a), de cette directive ni aux fins de déterminer, en vertu de l’article 11, paragraphe 1, sous e), de ladite directive, lu en combinaison avec l’article 2, sous c), de celle-ci, la persistance d’une crainte fondée d’être persécuté » (par. 63).

3. L’analyse de la Cour 

La Cour commence son raisonnement par clarifier que le statut de réfugié cesse d’exister si le demandeur en question « ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité » (par. 34).  En se référant à son arrêt Salahadin Abdulla e.a., elle estime que cela implique que ladite protection est « la même que celle qui était jusqu’alors défaillante, à savoir celle contre les actes de persécution » dans le sens de l’article 2 (c) de la directive (par. 35). Les circonstances prouvant l’absence ou l’existence de la protection étatique sont décisives lors de la détermination de statut de réfugié et lors de l’examen de sa cessation (par. 36). La cessation implique que le changement de circonstances ait remédié aux causes qui ont entraîné la reconnaissance du statut de réfugié (par. 36). En référant à cette symétrie entre l’octroi du statut de réfugié et sa cessation, la Cour constate que la protection qui peut mener à ne pas reconnaître le statut de réfugié ou le faire cesser « doit répondre aux mêmes exigences » découlant de l’article 7 de la directive (par. 37). Ainsi, pour conclure que la crainte d’être persécuté n’est plus fondée, l’État d’accueil doit vérifier que les acteurs de protection, comme définis dans l’article 7 (1), « ont pris des mesures raisonnables pour empêcher la persécution, qu’ils disposent ainsi, notamment, d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution et que le ressortissant intéressé, en cas de cessation de son statut de réfugié, aura accès à cette protection » (par. 38).

Ensuite, la Cour précise que la « protection » en vertu de l’article 11 (1) (e) est explicite dans l’article 7 (2) selon lequel la protection est généralement accordée « lorsque les acteurs visés au paragraphe 1 [dudit article] prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection » (par. 43).  Ce qui veut dire que la notion de la « protection » réfère à la « protection par le pays d’origine » et consiste en la prévention ou sanction des actes de persécution à travers « des mesures prises pour empêcher des actes de persécution ainsi que l’existence d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner de tels actes » comme mentionné dans l’article 7 (2) de la directive (par. 44).

Par la suite, la Cour observe qu’un « simple soutien social et financier (…) n’est, en tant que tel, de nature ni à empêcher des actes de persécution ni à déceler, à poursuivre et à sanctionner de tels actes et, partant, ne peut être considéré comme assurant la protection » (par. 46). Ainsi, le « soutien social et financier (…) assuré par la famille ou le clan (…) ne peut être considéré comme assurant une protection contre des actes de persécution » (par. 47) et « n’est pas pertinent aux fins d’apprécier l’effectivité ou la disponibilité de la protection » (par. 48). En ce qui concerne la protection sécuritaire par les clans, la Cour rappelle que les acteurs de protection sont selon l’article 7 (1) « soit l’État lui-même, soit des partis ou des organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’État ou une partie importante du territoire de celui-ci » (par. 52). Il en suit que la protection sécuritaire par les clans « ne peut pas être prise en compte pour vérifier si la protection de l’État satisfait aux exigences » de l’article 7 (2) de la directive (par. 53).

En ce qui concerne la pertinence d’un soutien social et financier fourni par la famille ou le clan lors de la détermination de la persistance de la crainte d’être persécuté, la Cour explique que les conditions relatives à la crainte d’être persécuté et à la protection « sont intrinsèquement liées » (par. 56). Quand la protection contre des actes de persécution est existante, on ne peut pas être considéré comme craignant lesdits actes (par. 57) . La Cour souligne ici que seule la protection satisfaisant les exigences de l’article 7 (2) pourrait permettre de conclure l’absence de la crainte fondée (par. 60). Par conséquent, les conditions portant sur l’existence de la crainte fondée et la protection « ne sauraient être examinées en fonction d’un critère de protection distinct, mais doivent être appréciées au regard des exigences prévues » par l’article 7 (2) de la directive (par. 61). Dans ce sens, en vertu de l’article 1 de la directive, les exigences découlant de l’article 7 (2) sont des normes « minimales » de la protection (par. 62) et si on accepterait qu’une protection non-répondant auxdites exigences minimales pourrait exclure la crainte fondée, l’article 7 (2) n’aurait pas de sens. 

B. Éclairage

En vue de ce qui précède, il apparait que la notion de « protection » telle qu'elle figure dans les articles 2, 7 et 11 de la directive qualification est le problème fondamental au cœur du renvoi préjudiciel. Plus particulièrement, il s’agit de la question de savoir si l'effectivité ou la disponibilité de la protection contre des actes de persécution doit être évaluée uniquement par référence aux fonctions de protection des acteurs étatiques ou si l'on peut tenir compte des fonctions exercées par des acteurs non-étatiques tels que les familles et les clans. Étant donné que la Cour n'a pas eu auparavant l'occasion d'aborder spécifiquement cette question, la présente affaire OA est une occasion unique de s’y arrêter et de clarifier la question une bonne fois pour toutes.[3]

1. Les acteurs privés ne sont pas des acteurs de protection

Par le présent arrêt, la Cour statue explicitement que les membres de la famille et les clans ne remplissent pas les conditions « minimales » citées par l’article 7 de la directive, et donc ne seraient pas considérés comme des acteurs de protection. Dans ce sens, du point de vue terminologique, il est estimable que la Cour qualifie la fonction dudit acteur privé en utilisant le terme de « soutien » au lieu de « protection ». De cette façon, la Cour rejette directement la position du Royaume-Uni qui adoptait une approche maximisant les fonctions des acteurs privés. Le raisonnement de la Cour dans la présente affaire va dans le sens de son arrêt Salahadin Abdulla et autres selon lequel l’acteur de protection doit avoir le pouvoir, la structure institutionnelle et les moyens de maintenir un niveau minimum d'ordre public dans le pays d’origine. Ce positionnement est également cohérent avec les conclusions de l’avocat général Hogan qui, en se référant au libellé et au contexte de l'article 7, a fait valoir que les acteurs privés, tels que les familles et les clans, ne sont pas des parties ou des organisations « contrôlant l'État ou une partie avérée de cet État » et qu'ils ne satisfont pas à l'exigence de l'article 7 (2), car rien ne suggère que ces acteurs sont en mesure de mettre en place « un système juridique efficace pour la détection, la poursuite et la sanction des actes constituant une persécution ou une atteinte grave » (par. 68-73). Comme le soutien offert par ces acteurs privés est en principe temporaire, il ne peut pas être vu comme protection dans le sens de l’article 7 de la directive. Cette ligne de pensée place l’État au cœur de la protection internationale et repose sur l’idée que la question de l’octroi ou non du statut de réfugié est fondamentalement liée à l’existence ou l’absence de la protection étatique ; c’est lorsque le pays d’origine n’est pas capable, ou refuse, de protéger la personne en question contre des actes de persécution, que le pays d’accueil intervient pour protéger; si le premier ne peut pas remplir cette fonction, le deuxième s’y substitue ; mais lorsque le pays d’origine peut protéger contre la persécution, le pays d’accueil n’est pas obligé d’offrir la protection nécessaire.[4] C’est l’État qui est le sujet et l’acteur principal ici, mais il faut  admettre qu’il y a une exception à ce principe lorsque les autorités étatiques dans le pays d’origine ne fonctionnent pas. L’article 7 de la directive reconnaît également le rôle d’acteur de protection aux « partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’État ou une partie importante du territoire de celui-ci » qui remplacent l’État qui ne fonctionne pas. À cet égard, je me réfère également au considérant 19 de la directive qui précise que la protection peut être assurée par des partis ou organisations « remplissant les conditions de la présente directive » et « qui contrôlent une région ou une zone plus étendue du territoire de l'État ». Il est évident que les familles ainsi que les clans ne sont pas dans la mesure d’être classées au sein de cette exception. Cette lecture (pseudo) étatique exclut clairement les acteurs privés du champ d'application des acteurs de la protection. Admettre le contraire viderait le ratio derrière la notion de protection.

2. Conséquences pour certains États Membres de l’UE

Le présent arrêt aura des conséquences pour les juridictions du Royaume-Uni. Comme mentionné par l’avocat général Hogan, et conformément à l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, « la Cour demeure compétente pour statuer à titre préjudiciel sur les demandes des juridictions du Royaume-Uni présentées avant que la période de transition » et « l’arrêt de la Cour qui sera prononcé à une date ultérieure a force obligatoire dans tous ses éléments pour le Royaume-Uni » (par. 11-13).  En particulier, l’approche suivie dans l’affaire MOJ[5], selon laquelle les fonctions des acteurs privés doivent être prises en compte lors de l’examen de l’existence de la protection, doit être révisée. Inversement, le présent arrêt aurait moins d’implications pour les juridictions françaises puisque celles-ci adoptent déjà une approche étatique lors de l’examen de la protection. Selon la Cour nationale du droit d'asile française, en l'absence de protection étatique, d'autres autorités peuvent offrir une protection : « parmi ces autorités, les organisations qui contrôlent une partie substantielle du territoire d'un État sont celles qui disposent de structures institutionnelles stables leur permettant d'exercer un contrôle civil et armé exclusif et continu sur un territoire délimité (...) ; une fois ces éléments constitutifs satisfaits, (...) il faut déterminer si la protection de substitution offerte par cette organisation est, pour la personne concernée, accessible, effective et non temporaire ».[6] Cette jurisprudence reflète la position de la France qui, lors de l’audition devant la Cour, adoptait une approche minimisant la fonction des acteurs privés.[7] Contrairement à la France, l’approche des juridictions néerlandaises semble résonner avec celle du Royaume-Uni. Le Conseil d'État néerlandais inclut également les acteurs privés dans le champ d'application des acteurs de protection.[8] Par exemple dans les affaires impliquant des femmes fuyant un mariage forcé, les tribunaux néerlandais ont régulièrement fait valoir que le soutien fourni par les membres  de la famille (souvent masculins), les organisations non gouvernementales (ONG) et les clans, est pertinent pour décider si une protection est disponible (Arbaoui 2019). Cette approche ne pourrait plus persister après le présent arrêt OA.

Dans le même contexte des femmes fuyant un mariage forcé, les juridictions néerlandaises se réfèrent aux efforts du gouvernement visant à améliorer la situation des femmes comme sensibilisation, émancipation des femmes et projets de législation criminalisant les mariages forcés dans les pays d'origine. Ces trois éléments, en plus de la présence d'ONG gérant des refuges temporaires pour les femmes, ont régulièrement suffi pour conclure qu'une protection effective était disponible. (Arbaoui 2019) Dans ce sens, le Conseil d’État néerlandais estime que l'exigence d'un « système juridique efficace » n'était pas un critère autonome, et que d'autres éléments pouvaient jouer un rôle.[9] Cette approche suggère que le Conseil interprète l'article 7 (2) de la directive comme signifiant que, puisqu'il indique que les mesures raisonnables peuvent notamment prendre la forme d'un système juridique, ces mesures « ne sont pas toujours » absentes si un système juridique n’existait pas ;  il ne s'agit donc pas d'un critère autonome (Battjes 2016). En effet, on peut soutenir que l'article 7 (2) contient une certaine marge d'appréciation puisqu'il indique que la protection est assurée lorsque « des mesures raisonnables sont prises, entre autres, par le fonctionnement d'un système juridique efficace ». Cela signifie évidemment que des mesures raisonnables peuvent également être prises par d'autres moyens que la mise en œuvre d'un système juridique effective. À cet égard, Battjes (2016) observe que l'article 7 (2) n'indique pas explicitement quels pourraient être ces autres moyens et que malgré cette marge d'appréciation, l'article 7 (2) est normatif et établit une norme minimale, à savoir celle d'un « système juridique efficace ». Ce point de vue est confirmé par le présent arrêt puisque la Cour rappelle qu’en vertu de l’article 1 de la directive, les exigences découlant de l’article 7 (2) sont des normes « minimales » de la protection (par. 62). On peut également se référer au premier considérant de la directive selon lequel l'objectif de la directive est de « fixer des normes minimales » de protection. En fait, si on accepte qu’une protection ne répondant pas auxdites exigences minimales pourrait exclure la crainte fondée, l’article 7 (2) n’aura pas de sens. Autrement dit, l’exigence d’un « système juridique effectif » est l’exemple minimal de telles mesures ; d’autres moyens seraient possibles, mais ils doivent au moins être égaux à un système juridique effectif. 

Malheureusement, la Cour ne donne pas de précisions sur la situation potentielle en cas d'absence d'un tel système juridique et sur ce que toute alternative pourrait éventuellement entraîner. Les efforts gouvernementaux visant à améliorer la situation des femmes, par le biais d'activités de sensibilisation et de législation criminalisant les mariages forcés, constituent-ils des « mesures raisonnables » pour prévenir la persécution ou la souffrance de préjudices graves ? Je répondrais à cette question par la négative. De nombreux gouvernements dans les pays d'origine ne tolèrent pas ouvertement la violence fondée sur le sexe et s'efforcent de s'attaquer à ce problème, par exemple en organisant des campagnes, en adoptant une législation pertinente et en soutenant les ONG. Ces efforts gouvernementaux attestent souvent de l'insuffisance de la protection étatique existante et donc de l'absence d'un système juridique efficace. Comme les ONG sont généralement là pour combler les lacunes, leur simple existence tend à accentuer les insuffisances de la protection étatique existante plutôt qu'à mettre en évidence leurs progrès. De tels efforts montrent que le gouvernement tente d'assurer une protection, mais pas qu'une protection efficace, au sens de systèmes juridiques efficaces, est réellement disponible.[10]

Eu égard à ce qui précède, les Pays-Bas devraient donc adapter leur approche, en particulier dans le cas des femmes fuyant le mariage forcé. En faisant ceci, l’approche de l'État néerlandais en droit d’asile ne contrasterait plus avec son approche dans le cadre du regroupement familial, dans lequel il a eu recours à diverses mesures législatives pour empêcher les mariages forcés.[11] À ce sujet, l'État ne mentionne ni les membres de la famille ni les ONG dans les pays d'origine qui pourraient être en mesure de soutenir les personnes confrontées à un mariage forcé. Alors que l'État s'attribue une obligation positive de protéger les victimes potentielles en matière de regroupement familial, la protection en matière de droit d'asile est encore privatisée. Alors que l'État est le principal acteur de la protection dans le cadre du regroupement familial, la famille et les communautés locales sont appelées à offrir une protection dans le cadre du droit d'asile. Cette pratique s'articule autour d'une politique de deux poids, deux mesures[12], mais si les juridictions néerlandaises implémentaient l’esprit de ce présent arrêt OA, ce double standard disparaitrait.  

3. Acteurs de protection et protection subsidiaire

Dans le présent arrêt, la Cour évite de traiter la question des acteurs de protection dans le contexte de la protection subsidiaire. À cet égard, elle observe que le litige au principal ainsi que les questions préjudicielles portent seulement sur le statut de réfugié (par. 51). La Cour évite donc de traiter cette question malgré que la réponse soit, à mon avis, simple : puisque l'article 7 s'applique au statut de réfugié autant qu’au statut conféré par la protection subsidiaire, l'interprétation donnée par la Cour à l’article 7 dans le présent arrêt OA devrait également être applicable à la protection subsidiaire.  Cette question reste en tous cas ouverte et, vu que la Cour n’a pas encore eu l’occasion de l’aborder, les juridictions nationales seraient invitées à référer cette question dans le futur.

Selon l’avocat général Hogan (par. 75), l’existence de soutien familial ou clanique serait pertinent pour la question si le retour du demandeur d’asile vers son pays d’origine « exposerait cette personne au risque réel d’une pauvreté matérielle extrême, méconnaissant ainsi les garanties contre les traitements inhumains ou dégradants contenues à l’article 3 de la CEDH ». Selon le gouvernement français, le soutien financier pourrait effectivement jouer un rôle dans ce contexte quand il ne s’agit pas des actes de persécution, mais d’une situation où le niveau de vie est à risque. [13] La position du Royaume-Uni va dans ce sens en se référant à l’arrêt R. H. c. Suède de la Cour européenne des droits de l'homme (ci-après, CEDH) qui portait sur l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. Dans cette affaire, la CEDH a pris en considération le fait qu'une femme somalienne ne retournerait pas en Somalie en tant que « femme seule » car elle a maintenu des contacts à Mogadiscio et avait de la famille qui y vivait, notamment un frère et des oncles. Selon la CEDH, elle doit donc être considérée comme ayant accès à la fois à un soutien familial et à un réseau de protection masculin (par. 73)

Cette approche est également en vigueur dans les cas des femmes fuyant des violences liées au genre. Dans l'affaire AA contre Suède concernant une mère et ses filles fuyant un mariage forcé, bien que la CEDH ait d'abord noté que la protection devait être « étatique », elle a ensuite fondé sa décision sur l'existence d'un soutien familial et d'ONG au Yémen. En ce qui concerne la mère, la CEDH a noté qu'elle pouvait compter sur la protection de son frère au Yémen, de son autre frère à Londres qui peut lui apporter un soutien supplémentaire, de ses deux fils adultes qui peuvent également subvenir à ses besoins, ainsi que de sa mère et de ses deux sœurs vivant au Yémen. La CEDH a également fait référence à son réseau social et aux ONG qui gèrent des refuges pour femmes au Yémen. La Cour a en outre observé que les filles partageaient le même réseau familial (masculin) et qu'en tant que « cellule familiale », elles « bénéficieraient d'un soutien mutuel ». (par. 72, 83, 90-95) Dans d'autres cas, la CEDH a suivi la même approche. Dans Collins et Akaziebie c. Suède, la Cour a noté que le gouvernement nigérian prenait des mesures pour lutter contre les mutilations génitales féminines (MGF), y compris la criminalisation de cette pratique, puis elle a observé que diverses ONG avaient été actives dans la lutte contre les MGF (par. 12). Dans l'affaire Izevbekhai et autres c. Irlande, la CEDH a d'abord déclaré que, bien que la législation criminalisant les MGF ne soit pas appliquée dans le pays d'origine, le gouvernement s'oppose publiquement aux MGF. Elle a ensuite fait référence à l'existence d'ONG actives dans le soutien et la protection physique des femmes qui échappent aux MGF. (par.  74-75 et 80). Dans Ameh et autres c. Royaume-Uni, la CEDH a pris en considération la possibilité de demander la protection et le soutien des ONG qui aident les femmes fuyant les MGF ainsi que de la famille de la requérante (par. 14). Dans l'affaire R.W. et autres c. Suède, la CEDH a d'abord noté que les autorités « prennent des mesures actives pour prévenir les MGF » et a ensuite fait référence aux « églises, ONG et autres organisations qui travaillent activement à la protection des femmes et des filles contre les MGF ». Dans N c. Suède concernant une femme afghane, la CEDH a pris en considération le fait qu'elle n'avait plus de réseau social en Afghanistan. Elle s'est ensuite référée à des informations sur le pays indiquant que « les femmes non accompagnées ou les femmes n'ayant pas de "tuteur" masculin continuaient à être limitées dans leur capacité à mener une vie sociale normale » et que « les femmes sans soutien et protection masculins n'ont généralement pas les moyens de survivre ». (par. 60-61)

Cette jurisprudence montre que la CEDH répond actuellement par l'affirmative à la question de savoir si les acteurs privés entrent dans le champ d'application des « acteurs de protection ». La protection telle qu'elle est appliquée par la CEDH n'est pas exclusivement (pseudo) étatique. Chaque acteur capable de fournir un soutien pour atténuer le risque des traitements interdits joue un rôle lorsqu'il s'agit de décider de la disponibilité d'une protection.[14] Cette approche est incohérente avec la manière dont la « protection » est abordée dans les affaires impliquant des victimes de violence domestique en Europe. Il est en effet impensable qu'un État membre oriente une femme résidant dans l'UE et courant le risque de violence domestique vers son frère vivant en Europe, ou vers des foyers d'ONG, pour qu'elle soit protégée contre son mari. La jurisprudence de la CEDH concernant de tels cas montre en effet que l'incapacité de la police à répondre efficacement à un appel à l'aide d'une victime de violence domestique, ou à assurer une protection efficace pour limiter ses effets, ou encore à ne pas poursuivre l'auteur des faits, pourrait constituer une violation de l'article 3 de la CEDH.[15] Cette jurisprudence montre que la CEDH base son raisonnement sur l’équation « violence privé = protection privée » dans les « cas externes ».[16] Tout comme certaines juridictions néerlandaises, l'approche de la Cour européenne des droits de l'homme prévoit « deux poids, deux mesures ».

La question qui se pose donc est que serait la réponse de la CJUE sur la question du rôle des acteurs de protection dans le contexte de la protection subsidiaire des femmes fuyant des violences basées sur le genre ? Va-t-elle suivre la même approche que la CEDH ?  À mon avis, la CJUE éviterait cette approche si on prend en considération son interprétation de l’article 7 de la directive dans le présent arrêt ainsi que son approche concernant le mariage forcé dans le contexte du regroupement familial. Dans ce dernier sens, la CJUE adhère à une approche de protection étatique. Dans l’affaire  Noorzia, par exemple, elle a légitimé la limite d'âge (qui est une mesure « protective» étatique) dans le cadre du regroupement familial, car elle contribue à prévenir les mariages forcés et à protéger les victimes potentielles. La CJUE ne fait référence ni aux membres de la famille ni aux membres du clan comme formes alternatives de protection. Si la CJUE faisait le contraire dans le contexte de la protection subsidiaire, cela confirmerait, malheureusement, l'approche « deux poids, deux mesures » adoptée par la CEDH et les juridictions néerlandaises.

En tout état de cause, bien que le soutien fourni par des acteurs privés puisse être pertinent, l'article 7 n'indique pas dans quelle mesure le soutien privé jouerait un rôle dans le cadre de la protection subsidiaire. À mon avis, les familles et clans peuvent être pertinents lorsqu'ils fonctionnent en complément des (pseudo) acteurs étatiques de protection efficace existants, par exemple lorsqu'ils peuvent faciliter l'accès d'un individu aux systèmes juridiques existants afin de se protéger contre un mariage forcé. Mais, une chose est claire : la protection ne peut être considérée comme existant uniquement sur la base de l’existence d’un frère qui est contre le mariage forcée de sa sœur. Il ne peut être considéré comme acquis que les membres de la famille seront toujours capables et désireux de soutenir leurs proches de manière permanente. Même s'ils pouvaient avoir les moyens de le faire, tous les hommes des pays d'origine ne seraient pas disposés à jouer ce rôle de manière permanente. Plus particulièrement, l'hypothèse selon laquelle les membres masculins de la famille dans les pays d'origine seraient toujours prêts à soutenir d’une façon permanente les membres féminins de leurs familles est controversée et reproduit les relations familiales patriarcales et, par conséquent, l'asservissement des femmes.[17] Heureusement, l’esprit de l’arrêt OA permet de se défendre contre une telle approche, au moins dans le contexte du statut de réfugié. 

Enfin, qu’en est-il de la cessation du statut conféré par la protection subsidiaire ? L’article 16 (1) de la directive, concernant la cessation de ce statut, ne mentionne pas explicitement la protection par le pays d’origine, mais seulement une situation de changement de circonstances : « Un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride cesse d’être une personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire lorsque les circonstances qui ont justifié l’octroi de cette protection cessent d’exister ou ont évolué dans une mesure telle que cette protection n’est plus nécessaire ». Il est donc question de se demander dans quelle mesure l’existence du soutien familial et clanique peut être pris en compte dans ce contexte. En tous cas, il est décisif de s’assurer si le soutien social est durable dans le sens de l’article 16 (2) qui stipule que « les États membres tiennent compte du changement de circonstances, en déterminant s’il est suffisamment important et non provisoire pour que la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire ne coure plus de risque réel de subir des atteintes graves ». Admettant que le soutien social pourrait souvent être de nature temporaire, il faudrait se demander si l’existence de ce soutien serait suffisante selon la directive. Cette question reste également ouverte.

4. Pour conclure

Le concept d'acteurs de la protection est interprété différemment dans le droit d'asile européen. D'un côté, le Royaume-Uni et les Pays-Bas considèrent les acteurs privés comme des « acteurs de protection ». D'autre part, la France adopte l'approche (pseudo) étatique. L'arrêt OA vient clarifier ce concept : les acteurs privés ne sont pas des acteurs de protection dans le sens de la directive qualification. Cette interprétation aura donc un effet de « changement de jeu » pour la politique d'asile en Europe concernant l’application des exigences portant sur la protection et ses acteurs. Ceci dit, à mon avis, au moins les questions suivantes restent ouvertes pour une question préjudicielle future.

Prenant en considération que les exigences découlant de l’article 7 (2) de la directive qualification sont des normes « minimales » de la protection, et si on considère que l'article 7 (2) contient une marge d'appréciation (puisqu'il indique que la protection est assurée lorsque « des mesures raisonnables sont prises, entre autres, par le fonctionnement d'un système juridique efficace »), est-ce que cela signifie que des mesures raisonnables peuvent également être prises par d'autres moyens que la mise en œuvre d'un système juridique effective ? Dans l’affirmative, quels pourraient être ces autres moyens ? Est-ce que les efforts du gouvernement visant à améliorer la situation des femmes comme sensibilisation, émancipation des femmes et (projets de) législation criminalisant la violence basée sur le genre, en plus de la présence d'ONG gérant des refuges temporaires pour les femmes, sont suffisants pour conclure qu'une protection effective était disponible selon l’article 7 de la directive ? [18]  

Si la CJUE avait l’occasions de répondre à ces questions, il serait intéressant de découvrir comment elle se positionnerait envers l’approche de la CEDH.  En attendant, et vu le présent arrêt OA qui exclut les acteurs privés dans le contexte du statut de réfugié, les avocats représentant les demandeurs d’asile, en particulier ceux fuyant la violence basée sur le genre, sont encouragés à essayer de présenter les demandes de leurs clients sous l’angle du statut de réfugié au lieu de la protection subsidiaire.[19]

C. Pour aller plus loin

Lire l’arrêt : C.J.U.E., 20 janvier 2021, OA, C-255/19, EU:C:2021:36.

Jurisprudence :

C.J.U.E., 30 avril 2020, OA, Conclusion de l’avocat général Hogan, EU:C:2020:342 ;

- C.J.U.E, 28 mars 2010, Salahadin Abdulla e.a., C‑175/08, EU:C:2010:105.

Doctrine :  

- Y. Arbaoui, “Gedwongen huwelijk in het Nederlandse asielrecht”, A&MR, 2020, nr. 8. 

- Y. Arbaoui, Deux Poids, Deux Mesures: A critical frame analysis of the Dutch debate on family related asylum claims, Thèse doctorale, VU 2019. (Arbaoui 2019)

- H. Battjes, “Wanneer is bescherming effectief? De Afdelingsjurisprudentie over bescherming in het licht van het Unierecht”, JNV 2016 (3) 24.

- H. Battjes, “De ontwikkeling van het begrip bescherming in het asielrecht”, 2012
Migration Law Series nr. 10. 

- T. P. Spijkerboer, “Gender, Sexuality, Asylum and European Human Rights”, Law and Critique, 29, 2018, pp. 221-239.

- J. Wessels, “The boundaries of universality - migrant women and domestic violence before the Strasbourg Court”, Netherlands Quarterly of Human Rights, Vol. 37(4), 2019, pp. 336-358.

Pour citer cette note : Y. Arbaoui, « L’affaire OA : un autre pas vers une interprétation complète de la notion de la ‘protection’ dans la directive qualification », Cahiers de l’EDEM, février 2021.

 


[1] Tribunal Supérieur, 3 octobre 2014, MOJ e.a. (retour à Mogadiscio)

[2] E. Stoppioni, « L’audience de la CJUE dans l’affaire C-255/19 O.A.: statut de réfugié et rôle du soutien de la famille ou du clan », Compte rendu d’audiences de plaidoiries du Blog droit européen, mars 2020. 

[3] Cet éclairage est partiellement basé sur Y. Arbaoui, « The OA case: Game Changer? Private ‘actors of protection’ in European Asylum Law », RLI Blog on refugee Law and Forced Migration, Novembre 2020.

[4] E. Stoppioni 2020.

[5] Tribunal Supérieur, 3 octobre 2014, MOJ e.a. (retour à Mogadiscio)

[6] Conclusions de l’avocat général, par. 71.

[7] Voir Stoppioni 2020.

[9]Conseil d’Etat, 5 aout 2008 (nr. 200708107/1).

[10] Battjes 2016 ; Arbaoui 2020.

[11] Arbaoui 2019.

[12] Ibid

[13] Stoppioni 2020.

[14] H. Battjes, ‘De ontwikkeling van het begrip bescherming in het asielrecht’, Migration Law Series nr. 10, 2012 ; Battjes 2016.

[15] Cour eur. D.H, 9 juin 2009, Opuz c. Turquie, req. n ° 33401/02.

[16] J. Wessels, “The boundaries of universality - migrant women and domestic violence before the Strasbourg Court”, Netherlands Quarterly of Human Rights, Vol. 37(4), 2019, pp. 336-35.

[17] Voir également, T. P. Spijkerboer, Gender, Sexuality, Asylum and European Human Rights, Law and Critique 29 (2018), p. 221-239, voir en particulier p. 127.

[18] Pour d’autres questions, voir Battjes 2016.

[19] Pour une telle analyse juridique, voir Y. Arbaoui, Gedwongen huwelijk in het Nederlandse asielrecht, A&MR 2020, nr. 8. 

Photo : https://www.designingbuildings.co.uk/wiki/Buildings_of_the_EU

Publié le 01 mars 2021