Comité de recours du Burundi, 18 janvier 2018, X c. la Commission consultative pour les étrangers et les réfugiés, no 318-17C00143

Louvain-La-Neuve

Conséquences de l’absence injustifiée du réfugié au camp.

Convention de Genève – Convention de l’OUA – Loi burundaise sur l’asile – conséquences du retour dans le pays d’origine par le réfugié – respect des délais lors du dépôt de la demande d’asile

Le Comité de recours (deuxième et dernière instance en matière d’asile au Burundi) se prononce sur le refus de la Commission consultative pour les étrangers et les réfugiés (première instance d’asile) de reconnaitre le statut de réfugié au requérant en raison d’un dépôt tardif de sa demande d’asile. Après examen, le Comité lui reconnait le statut de réfugié sur base de l’article 5, alinéa 3, de la loi no 1/32 du 13 novembre 2008 sur l’asile et la protection des réfugiés au Burundi. Le Comité reproche à la Commission consultative de considérer la demande du requérant comme tardive alors qu’il s’agit d’une demande nouvelle introduite après la désactivation de la première demande.

Pamphile Mpabansi et Trésor Maheshe

A. Arrêt

Le requérant, ressortissant congolais originaire de Masisi (Nord Kivu), sollicite la protection internationale en raison de l’insécurité causée par les différents groupes rebelles. En date du 23 mars 2006, il arrive au Burundi où les autorités enregistrent sa demande sous le numéro 114-07C00002. La Commission consultative lui reconnait le statut et lui octroie la carte pour réfugié. À la suite d’une absence prolongée au camp de réfugiés, les autorités désactivent son dossier et, par conséquent, il perd le statut de réfugié. À son retour, il décide d’activer son dossier auprès de la Commission consultative en date du 27 mars 2017. Lors de l’examen de sa requête en date du 24 octobre 2006, la Commission consultative la rejette à cause du retard observé lors du dépôt de la demande. Cette décision repose sur loi burundaise sur l’asile et la protection des réfugiés ainsi que sur son ordonnance d’application. Selon l’article 1er de cette ordonnance,

« Dans les trente jours qui suivent son arrivée sur le territoire burundais, l’étranger qui demande l’asile est tenu de se présenter au bureau provincial le plus proche de son point d’entrée, au siège de l’Office national de protection des réfugiés et apatrides (ONPRA) ou à une de ses représentations. Le demandeur d’asile à l’étranger peut aussi se présenter à une représentation burundaise à l’étranger et y déposer sa demande. »

Par ailleurs, l’article 2 indique que si une demande d’asile est déposée après l’expiration des délais, elle sera jugée irrecevable par l’Office national de protection des réfugiés et apatrides (ci-après, ONPRA) sauf cas de force majeure.

Le requérant saisit le Comité de recours pour examiner la décision de rejet prise par la Commission consultative. Le Comité recommande la reconnaissance de la protection internationale après avoir examiné successivement la recevabilité et la demande quant au fond.

S’agissant de la recevabilité, le Comité reproche à la Commission d’avoir déclaré la demande irrecevable alors qu’il s’agissait d’une demande nouvelle. Selon le Comité, cette demande remplit les conditions de recevabilité, car « le demandeur a été enregistré avant la mise en application de la loi instaurant le retard dans le dépôt des demandes d’asile » (§ 3, p. 2).

Quant à l’examen de la demande au fond, le Comité oriente l’examen de la requête sur la base de l’article 5, alinéa 3 de la loi sur l’asile au Burundi. Selon cette disposition,

« Un réfugié est une personne qui, du fait d’une agression, d’une occupation extérieure, d’une domination étrangère ou d’un évènement troublant l’ordre public dans une partie ou dans la totalité de son pays d’origine, est obligée de quitter sa résidence habituelle pour chercher refuge dans un autre endroit à l’extérieur de son pays d’origine ou du pays dont elle a la nationalité ».

À partir de cette disposition, le Comité examine les trois critères d’éligibilité ci-après.

Premièrement, le demandeur doit être en dehors de son pays d’origine. Bien que le requérant n’apporte pas la preuve de la nationalité congolaise, le Comité le considère comme un ressortissant congolais, car il satisfait au test géographique (pt VI, 1, p. 3).

Deuxièmement, les évènements à l’origine de la fuite doivent être liés à l’un des motifs prévus par l’article 5 de la loi. Or, les informations sur le pays d’origine dont dispose l’ONPRA montrent que réellement à Masisi (région d’origine du demandeur d’asile), il y a eu des affrontements entre les combattants Nyatura du colonel Kasongo et ceux du Conseil national pour le renouveau et la démocratie (CNRD) au cours de la période alléguée par le requérant. Par conséquent, il s’agit d’un évènement troublant l’ordre public dans une partie ou dans la totalité de son pays d’origine au sens de l’article 5, al. 3 (pt VI, 2, p. 3).

Troisièmement, le demandeur ne veut ou ne peut rentrer dans son pays d’origine. Pour le Comité, la situation sécuritaire qui prévaut dans son pays d’origine ne lui permet pas de se réclamer de la protection son pays (pt VI, 3, p. 3).

Au regard ce qui précède, le Comité conclut que le récit du requérant réunit tous les critères d’éligibilité prévus à l’article 5, alinéa 3, de la loi sur l’asile et la protection des réfugiés au Burundi.

B. Éclairage

Dans la présente affaire, le raisonnement du Comité soulève plusieurs observations.

La première observation concerne les demandes tardives en droit burundais. Selon l’article 1er de cette ordonnance,

« Dans les trente jours qui suivent son arrivée sur le territoire burundais, l’étranger qui demande l’asile est tenu de se présenter au bureau provincial le plus proche de son point d’entrée, au siège de l’Office national de protection des réfugiés et apatrides (ONPRA) ou à une de ses représentations. Le demandeur d’asile à l’étranger peut aussi se présenter à une représentation burundaise à l’étranger et y déposer sa demande ».

Une exception à la rigueur de ces délais concerne les réfugiés sur place. L’article 4 de l’ordonnance précitée dispose que :

« Pour les personnes qui n’étaient pas réfugiés lorsqu’elles ont quitté leur pays, mais qui deviennent réfugiés par la suite, qualifiées ainsi de réfugiés sur place, le délai ci-dessus mentionné ne s’applique pas. Ces personnes doivent se présenter au bureau provincial le plus proche, au siège de l’ONPRA ou à une de ses représentations ».

Dans la présente espèce, le Comité de recours écarte l’application de l’article 1er de l’ordonnance non pas parce que le requérant est réfugié sur place, mais en raison du principe de non-rétroactivité des lois. En effet, le Comité de recours considère que « le demandeur a été enregistré en 2006 avant la mise en application de la loi instaurant le retard dans le dépôt des demandes d’asile » (pt III, p.3). À ce titre, on ne saurait lui appliquer les exigences de délai consacrées par l’ordonnance ministérielle n° 530/442 de 2009.

La deuxième observation se rapporte aux causes de cessation du statut. En droit burundais, il existe deux modalités de fin du statut de réfugié prévues par la loi burundaise sur l’asile et la protection des réfugiés. Il s’agit de la cessation (art. 60) et de la révocation (art. 61). Dans la présente espèce, le Comité de recours semble admettre une troisième modalité de fin de statut du réfugié, à savoir la désactivation du statut de réfugié en raison de l’absence prolongée dans le camp. Lors de l’examen de la crédibilité, le Comité affirme que le requérant

« (…) a été enregistré le 3/5/2006 et il a été reconnu réfugié (présentation de l’ancienne carte pour réfugié). Son dossier a été désactivé suite à son absence au camp d’où il a recommencé les procédures. Ainsi, il n’y a pas eu retard dans le dépôt de sa demande d’asile. Par ailleurs, le demandeur a été enregistré avant la mise en application de la loi instaurant le retard dans le dépôt des demandes d’asile » (pt III, p.3).

À travers ce raisonnement, le Comité reconnait l’existence d’une pratique en droit burundais relative la perte du statut ou de la désactivation de ce dernier à la suite de l’absence prolongée dans le camp de réfugié. Selon cette pratique, l’ONPRA procède à des vérifications régulières des réfugiés se trouvant dans les camps pour l’actualisation des informations les concernant. Si, par hasard, un réfugié ne s’y trouve pas lors de cette vérification, son nom est mis en surbrillance. Après un délai de 6 mois, les instances d’asile désactivent son nom. Lors de son retour, pour qu’il puisse réintégrer le camp, il doit justifier cette absence prolongée. À défaut d’une telle justification et, si cette absence se prolonge pendant 3 ans, les instances d’asile, mettent fin à son statut de réfugié.

Toutefois, cette pratique ne repose sur aucun texte juridique tant en droit burundais qu’en droit international. En droit burundais, ni la loi burundaise sur l’asile ni les ordonnances d’exécution ne prévoient une telle cause de cessation. Quand bien même une telle pratique ferait partie intégrante de la législation burundaise, la clause de cessation prévue à l’article 60 loi burundaise sur l’asile et la protection des réfugiés demeure fort critiquée [1]en raison de l’élargissement des causes de 7 à 11. Le droit burundais ne se conforme ni à la Convention de Genève ni à celle de l’OUA. En droit international, les causes de cessation sont d’interprétation stricte[2]. Selon le HCR,  

« Les clauses de cessation énoncent des conditions négatives et l’énumération qui en est faite est exhaustive. Ces clauses doivent donc s’interpréter de manière restrictive et aucune autre raison ne saurait être invoquée, par voie d’analogie, pour justifier le retrait du statut de réfugiés. Il va sans dire que si, pour une raison quelconque, un réfugié ne souhaite plus être considéré comme tel, il n’y aura pas lieu de continuer son statut de réfugié et de lui accorder la protection internationale » (§ 116).

En reconnaissant le statut de réfugié au requérant sans se prononcer sur une telle pratique, le Comité de recours manque l’occasion de se conformer aux engagements internationaux du Burundi.

Cette décision traduit la difficulté des instances d’asile de protéger les réfugiés vivant dans des camps. Dans un tel contexte, l’enregistrement des réfugiés dans les camps constitue le seul moyen permettant à l’État d’accueil de contrôler leur séjour. Or, de nos jours, le HCR oriente sa politique vers les alternatives aux Camps. Selon le HCR, « les camps peuvent avoir des impacts négatifs considérables à plus long terme pour toutes les personnes concernées ». D’où la nécessité, pour les États d’accueil, de protéger les réfugiés au-delà des camps.

C. Pour aller plus loin

Doctrine :

- Carlier J-Y. et Sarolea S., Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016, 831 p.

Pour citer cette note : P. Mpabansi et t. Maheshe, « Conséquences de l’absence injustifiée du réfugié au camp », Cahiers de l’EDEM, février 2021.

 


[2] J.Y., Carlier et S. Sarolea, Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016, p. 444.

Publié le 01 mars 2021