Comité des droits de l’enfant, Constatations relatives à la communication n° 17/2017, M.T. contre Espagne, 18 septembre 2019

Louvain-La-Neuve

MENA : Vers l’abandon des examens médicaux de détermination de l’âge osseux ?

Mineur étranger non accompagné - demandeur d’asile - examens médicaux - détermination de l’âge

L’utilisation des tests osseux dans la détermination de l’âge des mineurs étrangers non accompagnés (MENA) a longtemps été décriée à cause des marges d’erreur importantes, une fiabilité faible des résultats et des questions d’éthique. Après avoir demandé aux États de s’abstenir de recourir à de tels examens, le Comité des droits de l’enfant choisit dans cette affaire, d’ignorer les arguments de l’Espagne, qui s’obstine à pratiquer ces examens. Pour maintenir cet élan, il est opportun de trouver une méthode plus efficace de détermination de l’âge.

Alfred Ombeni Musimwa

A. Arrêt

Pour mieux comprendre le raisonnement au fond du Comité (3), nous devons partir des faits et de la demande de l’auteur (1), ainsi que des décisions (litigieuses) des autorités espagnoles (2).

1. Résumé des faits et de la demande de l’auteur

M.T. est un ressortissant ivoirien né le 31 décembre 1999. À la suite de l’assassinat de son père, accusé par l’armée régulière de collaborer avec les milices antigouvernementales, M.T. fuit son pays et entre irrégulièrement et sans documents d’identité en Espagne le 15 janvier 2017. La police espagnole l’identifie comme majeur et l’oriente vers un centre d’accueil pour adulte[1].

En avril 2017, un cousin de Côte d’Ivoire lui ayant fait parvenir ses documents d’identité (acte de naissance, certificat de nationalité et carte d’identité avec photographie et empreintes digitales), M.T. se présente à plusieurs reprises, d’avril à juin 2017, à l’Office d’aide aux réfugiés à Madrid (ci-après : « Office ») pour présenter une demande d’asile en tant que mineur. L’Office l’informe verbalement qu’il ne pouvait pas introduire une demande d’asile pour deux motifs : d’abord, qu’il devait être accompagné d’un tuteur, et ensuite, que le Bureau du procureur pour les mineurs (ci-après : « le Procureur ») avait émis un décret de majorité et qu’il devait donc, s’il souhaitait introduire une demande d’asile, se déclarer en tant que majeur. Comme il n’avait que cette option, M.T. finit par déposer, en septembre 2017, une demande d’asile en tant que majeur, en donnant la fausse date du 1er janvier 1999 comme date de naissance, contrairement à la date mentionnée sur ses documents d’identité et son passeport qu’il avait entretemps obtenu en juillet 2017.

En saisissant le Comité, M.T. fonde sa demande sur la violation par l’Espagne de cinq articles de la Convention relative aux droits de l’enfant (ci-après : « CIDE ») protégeant son droit à la non-discrimination liée à son statut de mineur étranger non accompagné (art. 2), à la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant (art. 3) et la présomption de minorité, à la préservation de son identité comprenant son âge (art. 8), à son droit d’être entendu (art. 12), à son droit à une protection de l’État (art. 20) et, à demander une protection internationale et/ou d’entreprendre une action interne pour défendre ses droits (art. 22).

2. Décisions prises par les autorités espagnoles

La police espagnole qui avait détenu M.T. après son entrée irrégulière en Espagne n’avait pas activé le protocole relatif aux mineurs non accompagnés. Selon la police espagnole, M.T. s’était déclaré majeur à son arrivée. La police n’avait aucun doute sur le fait qu’il l’était, compte-tenu de son apparence physique. Cette présomption a été plus tard renforcée par un constat de falsification de l’âge sur le certificat de nationalité de M.T., l’absence de correspondance entre les empreintes digitales prélevées sur M.T. et celles de sa carte d’identité, et le manque de ressemblance entre M.T. et la photographie sur son document d’identité. Ces éléments avaient conduit le Procureur à émettre un décret de majorité. L’Office s’était par la suite fondé sur ce décret pour refuser à M.T. d’introduire une demande d’asile en tant que mineur.

Plus tard, le Procureur rejeta la demande de M.T. en révision dudit décret pour deux motifs : premièrement (le 6 juin 2017), parce que M.T. refusait, du fait que ses documents prouvaient qu’il était mineur, de se soumette à des tests médicaux de détermination de l’âge[2] ; deuxièmement (le 6 novembre 2017), et malgré la présentation de son passeport obtenu en juillet 2017, parce qu’une procédure pénale initiée par le ministère public pour usurpation et falsification d’identité était ouverte à charge de M.T. et de trois membres de la Fundacion Raices, une fondation d’accompagnement d’enfants et d’adolescents à risque d’exclusion sociale, qui le soutenait.

Le 26 févier 2018, la plainte à charge des membres de la Fundacion Raices était rejetée par la Haute Cour provinciale de Madrid pour absence de preuve. Le 18 février 2019, la même Cour rejetait l’exception d’incompétence qui avait été soulevée par l’avocat de M.T. dans le but de faire juger l’affaire par un tribunal pour mineurs. Cependant, le 11 mars 2019, la Cour pénale n° 18 de Madrid, donnant raison à l’avocat de M.T., confirmait l’exception d’incompétence de la Haute Cour provinciale de Madrid de connaitre d’une affaire dont l’auteur (M.T.) était mineur à l’époque des faits en avril 2017. La Cour pénale n° 18 reconnaissait ainsi la date de naissance de M.T. au 31 décembre 1999 conformément à son passeport. Cela n’a toutefois pas empêché le Comité déjà saisi de procéder à l’examen de la recevabilité de la communication.

3. Questions et procédures devant le Comité

Le Comité procède d’abord à l’examen de la recevabilité de la communication, avant tout examen au fond.

  • Résumé de l’examen de la recevabilité

En réponse aux arguments d’irrecevabilité soulevés par l’Espagne au motif que les recours internes disponibles n’avaient pas été épuisés au moment de la saisine du Comité (pt. 11.2), celui-ci aboutit à la conclusion que les recours internes auxquels fait référence l’Espagne ne sauraient être considérés comme utiles, en arguant que : « The Committee considers that, in the context of the author’s imminent expulsion from Spanish territory, any remedies that are excessively prolonged or do not suspend the execution of the existing deportation order cannot be considered effective. […] » (pt. 12.4). Le Comité estime que M.T. a suffisamment étayé ses griefs de violation des articles 2, 3, 12, 20 et 22 de la CIDE, considère que la communication est recevable et procède ainsi à l’examen au fond.

  • Résumé de l’examen au fond

Le Comité commence par examiner si l’intérêt supérieur de l’enfant a été une considération primordiale dans la procédure de détermination de l’âge subie par M.T. Il tient compte des deux éléments : (1) le fait que les autorités espagnoles n’ont pas permis à M.T. d’être accompagné par son avocat lors de cette procédure, ayant abouti à la délivrance d’un décret de majorité, ce qui pour le Comité, pourrait entrainer une injustice substantielle ; et (2) le fait que les autorités espagnoles ont rejeté les documents d’identité de M.T., y compris son passeport, sans chercher à dissiper le doute en contactant les autorités ivoiriennes. Le Comité conclut que cette procédure n’était pas assortie des garanties nécessaires et que l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été pris en compte. Par conséquent, il constate une violation des articles 3 et 12 de la CIDE (pt. 13.6).

Ensuite, le Comité conclut à la violation par l’Espagne des articles 8, 20.1 et 22[3] pour avoir attribué un âge et une date de naissance à M.T. contrairement à ceux figurant dans ses documents, et ; du fait qu’il n’avait pas pu demander l’asile car un tuteur ne lui avait pas été désigné, le privant ainsi de la protection spéciale et l’exposant à un risque de préjudice irréparable en cas de retour dans son pays d’origine (pt. 13.9 et 13.8).

Enfin, le Comité considère que le fait pour les autorités espagnoles de n’avoir pas appliqué les mesures provisoires demandées par le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité, viole l’article 6 du Protocole facultatif (pt. 13.11). En termes de mesures provisoires (pt. 1.2), le Groupe de travail avait demandé à l’Espagne : (1) de reconnaître l'auteur comme mineur et de lui offrir la protection, (2) de lui permettre de demander l'asile par l'intermédiaire d'un tuteur ou d'un représentant légalement désigné et, (3) de l'autoriser à rester en Espagne pendant le traitement de sa demande d'asile.

B. Eclairage

La question au centre de cette affaire est celle de la détermination de l’âge d’un demandeur d’asile non accompagné (in)vraisemblablement mineur. En contexte migratoire, déterminer si une personne est mineure est fondamental, car les personnes mineures étrangères non accompagnées (ci-après : « MENA ») appartiennent à une catégorie de personnes extrêmement vulnérables nécessitant une protection renforcée de l’État[4]. Cependant, « [l]a détermination de l’âge des MENA est difficile dès lors qu’ils ne disposent que très rarement de documents probants et authentiques »[5].

Il s’agit dans le cas d’espèce d’une personne migrante (in)vraisemblablement mineure, ayant franchi irrégulièrement les frontières d’un État, sans documents d’identité. Une première solution qui s’offre repose sur la convergence entre la déclaration de la personne migrante et l’appréciation des autorités du pays d’accueil, notamment sur base de l’apparence physique de la personne. En cas de contestation, les deux volets de cette première solution, tous deux subjectifs, montreraient très rapidement leurs limites et ne pourraient donc pas dissiper tout doute : c’est pourquoi les documents officiels sont privilégiés dans la détermination de l’âge. En l’absence de tels documents, ou en cas de doute sérieux quant à leur authenticité, l’Espagne – à l’instar de plusieurs autres États d’ailleurs - recourt aux tests médicaux d’analyse de l’âge osseux (1), lesquels sont, désormais, clairement découragés par le Comité (2).

1. Derrière la question de la détermination de l’âge : l’enjeu de l’intérêt supérieur des MENA

L’enjeu principal de la procédure interne porte sur la détermination de l’âge de M.T. Cela se justifie par les conséquences qu’une reconnaissance en tant que mineur aurait sur la suite de la procédure. En effet, si M.T. obtient l’asile en tant que MENA, cela suppose non seulement qu’il devra bénéficier de la protection spéciale prévue par la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 et son protocole additionnel de 1967 ; mais qu’il devra également jouir du traitement spécial prévu par la CIDE, de l’Observation générale n° 6 (2005), et cela impliquera que la CIDE soit lue conformément à l’Observation générale conjointe n° 4 et n° 23 (2017) (pt. 2 et 68) du Comité des droits des travailleurs migrants et du Comité des droits des enfants sur les obligations des États en matière des droits humains des enfants en contexte migratoire[6].

Dans le cas d’espèce, nous verrons que l’Espagne se fonderait sur une présomption de majorité des MENA pour leur demander de se soumettre aux examens médicaux de détermination de l’âge, alors que ces examens sont largement contestés pour manque de fiabilité et parce qu’ils soulèvent des questions éthiques. Cependant, l’Espagne est loin d’être le seul « mauvais élève » cherchant à contourner le droit international par le biais des tests d’analyse de l’âge osseux : il en est de même de la Belgique.

  • Des décisions guidées par une présomption de majorité

La procédure interne révèle un certain attachement aux tests médicaux de détermination de l’âge et une préférence des autorités espagnoles à accorder à M.T. la protection internationale en tant que majeur, et pas une protection renforcée en tant que MENA.

Primo, les autorités espagnoles affirment n’avoir aucun doute sur le fait que M.T. était majeur au moment de son entrée sur le territoire espagnol (pt. 4.2 et 6.3), sur base ─ disent-elles ─ de la déclaration de M.T. et de son apparence physique (pt. 4.1). Cependant, face aux documents d’identité de M.T., le Procureur émet un doute sur l’âge et demande à M.T. de se soumettre aux examens médicaux. Ce doute en soi suffisait, conformément à l’Observation générale n° 6, renforcée par la demande du Groupe de travail (pt. 1.2), à activer le protocole relatif aux MENA, et nullement à fonder, comme ce fut le cas, une preuve de majorité (pt. 2.9 et 4.4 b).

Secundo, les autorités espagnoles ne considèrent pas M.T. comme un mineur car ─ affirment-elles ─ il y a eu falsification de son âge dans ses documents (pt. 4.2 et 4.4) et parce que ceux-ci ne contiennent pas de données biométriques (pt. 4.4). S’agissant de la falsification des données d’un document officiel d’un État étranger, si nous nous fondons sur l’article 4 de la loi espagnole sur les droits des étrangers et le §4° de la doctrine jurisprudentielle espagnole du Tribunal suprême, qui reconnaissent comme preuve autorisée de l’identité d’un étranger les documents qui lui ont été délivrés par les autorités de son pays d’origine, sans condition de biométrie (pt. 7.8), un document officiel considéré comme peu fiable ne devrait pas automatiquement donner lieu à des tests médicaux (contrairement à ce que la doctrine jurisprudentielle espagnole du Tribunal suprême laisserait penser). Il existerait dans pareil cas la possibilité pour l’État d’accueil, à l’occurrence l’Espagne, de faire authentifier le document litigieux par les autorités du pays d’origine. C’est d’ailleurs dans le même sens que le Comité rappelle que la charge de la preuve est partagée (pt. 13.4).

Concernant la biométrie, même si le Comité ne s’y attarde pas, l’Espagne ne conteste pas le fait que le Procureur (pt. 5.6 et 7.2), l’Office (pt. 5.7) et la Haute Cour provinciale de Madrid (pt. 10.1) étaient au courant de ce que M.T. était en possession d’un passeport dès juillet 2017, donc bien avant la communication des observations du 14 mars 2018 de l’Espagne au Comité, dans lesquelles l’État espagnol affirmait que la présentation d’un document d’identité original comportant des données biométriques sur l’âge amènerait le Procureur à réviser un décret de majorité (pt. 6.2). De plus, l’Espagne savait, ou aurait dû savoir, que le passeport que M.T. avait à plusieurs reprises présenté aux autorités espagnoles était biométrique, comme cela est d’ailleurs le cas pour tous les ressortissants ivoiriens depuis plus de dix ans.

  • Une pratique des États (européens), dont la Belgique

Plusieurs États recourent à des examens médicaux d’analyse de l’âge osseux dans la détermination de l’âge des (présumés) MENA. Ces examens comprennent la radiographie du poignet gauche (23 États), de la clavicule (15 États), le panoramique dentaire (17 États) et/ou l’examen dentaire (14 États). D’autres États (12 États) recourent à des estimations fondées sur l’apparence physique[7] (N.B.F. contre Espagne, 2018, §8.3).

En novembre 2017, le Comité adoptait une position contre l’utilisation des examens médicaux dans la procédure d’asile : « Les États devraient s’abstenir d’utiliser des méthodes médicales fondées, notamment, sur les analyses osseuses et dentaires, qui peuvent être imprécises, comporter de grandes marges d’erreur, et peuvent aussi être traumatisantes et entraîner des procédures juridiques inutiles » (Observation générale conjointe n° 4 et n° 23, §4). Précédemment, le Parlement européen déplorait, au §15 de la résolution sur la situation des mineurs non accompagnés dans l’UE, « le caractère inadapté et invasif des techniques médicales utilisées pour la détermination de l'âge dans certains États membres, parce qu'elles peuvent occasionner des traumatismes et parce que certaines de ces méthodes, basées sur l'âge osseux ou sur la minéralisation dentaire, restent controversées et présentent des grandes marges d'erreur […] ».

Cependant, la Belgique tout comme l’Espagne, ne fait pas exception à la pratique ainsi que cela ressort de l’article 7 §1er de la loi-tutelle qui stipule que : « Lorsque le service des Tutelles ou les autorités compétentes en matière s’asile, d’accès au territoire, de séjour et d’éloignement ont des doutes concernant l’âge de l’intéressé, il est procédé immédiatement à un test médical [osseux] par un médecin à la diligence dudit service afin de vérifier si cette personne est âgée ou non de moins de 18 ans […]». En outre, les documents d’identité, y compris ceux d’état civil et le passeport original authentifié, indiquant la minorité d’âge (des MENA) sont régulièrement écartés sans justification objective du doute[8], et l’article 28 du Code de droit international privé ne semble pas être respecté. La Belgique recourt au triple tests médicaux de la radiographie des dents, du poignet et de la clavicule, pourtant mis en cause par le Comité, le Parlement européen, l’Ordre national des médecins, et la littérature de nombreux scientifiques[9].

2. Pour une procédure adéquate de détermination de l’âge des MENA

Certes, le recours aux examens médicaux de détermination de l’âge est répandu dans de nombreux États. Cependant, même si la décision du Comité marque une r-évolution, elle serait difficilement généralisable et applicable dans des nombreux États où une procédure efficace de substitution ne serait pas mise en place.

  • Une r-évolution pratiquement récente

Jusqu’en novembre 2017, la position du Comité sur les procédés de détermination de l’âge des MENA n’était pas précise. Le paragraphe 31 de l’Observation générale n° 6 (2005) est aussi générique que imprécis sur la question, et n’interdit pas formellement un quelconque test médical. Le travail de concert avec le Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille a marqué un tournant sur la question, puisqu’il a abouti à demander expressément aux États de « s’abstenir de recourir à des méthodes médicales fondées, notamment, sur les analyses osseuses et dentaires […] » (Observation générale conjointe n° 4 et n° 23, §4).

En application de cette r-évolution, le Comité, tout en notant l’argument de l’Espagne fondé sur le refus de M.T. de se soumettre aux examens médicaux de détermination de l’âge (pt. 13.4 c), choisit tout simplement de n’y prêter aucune attention, démontrant ainsi que l’argument n’a (plus) aucune pertinence juridique pouvant justifier un examen. Dans le même ordre d’idée, l’attention portée par le Comité aux documents de M.T. est aussi intéressante (pt. 13.4). En effet, il accorde le crédit de validité à tout document disponible sans condition de biométrie, avec des conséquences importantes pour le partage de la charge de la preuve : il revient au MENA d’apporter les documents disponibles prouvant sa minorité, et c’est à l’État qui en conteste la véracité, non pas d’y apporter prioritairement la preuve contraire, mais d’en établir préalablement l’authenticité.

  • Une décision difficilement généralisable

Aux yeux du Comité, la détermination de l’âge des MENA au moyen des méthodes médicales d’analyses osseuses n’a plus de valeur juridique. Cependant, le Comité se réserve le droit de se prononcer sur une quelconque méthode de substitution au cas où, face à un doute sérieux, il n’existerait pas de documents établissant incontestablement l’âge de la personne. Il se limite à souligner qu’« [i]l est impératif de prévoir une procédure régulière pour déterminer l’âge d’une personne, ainsi que la possibilité de contester le résultat par le biais d’une procédure d’appel » (pt. 13.3). Cette réserve du Comité est triplement compréhensible : (1) le Comité n’est pas un législateur international, (2) il n’existe pas de règles ni d’accords communs concernant la détermination de l’âge dans les États parties à la CIDE, et (3) le Comité était appelé à se prononcer sur un cas spécifique. Cela a pour implication que le raisonnement du Comité est difficilement généralisable, notamment au cas de la personne qui ne présenterait aucun document valide.

Cependant, cette décision envoie la balle dans le camp des États parties : à eux de trouver une procédure régulière de détermination de l’âge plus efficace que les examens médicaux, et donc, une méthode respectueuse, à tous égards, des droits fondamentaux conventionnels. Une des pistes qu’il faudrait explorer s’inspirerait du modèle holistique d’évaluation de l’âge mis en place par le Collège royal de pédiatres en Grande Bretagne[10], mais surtout de l’évaluation holistique australienne du Royal Childrens’s Hospital Melbourne, au(x)quel(s) devrait s’ajouter une coopération administrative, judiciaire et médicale entre l’État de destination et l’État (supposé) d’origine (et peut-être aussi l’État de transit, si nécessaire) de façon à répondre à l’impératif, largement partagé dans la communauté scientifique en général et médicale en particulier, d’avoir accès aux enregistrements des naissances du pays d’origine et/ou une comparaison avec « un groupe de référence scientifiquement fiable »[11].

3. Conclusion

Cette décision a certes le mérite de faire remarquer aux États l’impertinence des arguments fondés sur les examens médicaux d’analyses osseuses pour la détermination de l’âge d’une personne prétendant être mineure. Cependant, sans alternative crédible, les États seraient toujours tentés d’y recourir : le débat n’est donc pas clos ! En attendant que les États trouvent une (nouvelle) procédure régulière efficace de détermination de l’âge d’une personne, ils devront, sous peine d’être condamnés par le Comité, accorder tout le crédit possible aux documents (et aux déclarations) présentés par les personnes prétendant être des MENA. En cas de doute sérieux, le Comité attend des États une proactivité dans la recherche des preuves et non un déploiement d’efforts visant à débouter les MENA. Une telle proactivité n’est possible qu’en établissant une coopération migratoire ambitieuse entre les pays d’origine, de transit et de destination.

C. Pour aller plus loin

Lire l’arrêt : Comité des droits de l’enfant, Constatations relatives à la communication n° 17/2017, M.T. contre Espagne, 18 septembre 2019.

Jurisprudence : Comité des droits de l’enfant, Constatations relatives à la communication n° 11/2017, N.B.F. contre Espagne, 27 septembre 2018.

Doctrine :

Autres sources :

Pour citer cette note : A. OMBENI MUSIMWA, « MENA : Vers l’abandon des examens médicaux de détermination de l’âge osseux ? », Cahiers de l’EDEM, Avril 2020.


[1] L’ordre d’expulsion émis contre M.T. n’avait pas été exécuté du fait qu’aucune autorité consulaire n’avait proposé de l’identifier. M.T. a donc été libéré et orienté vers le foyer pour adulte de la Croix-Rouge.

[2] L’avocat de M.T. qui l’accompagnait au Bureau du procureur n’avait pas été autorisé à l’assister pendant la rencontre ni lors de son transfèrement au poste de police (pt. 2.9 et 12.5).

[3] Au regard de ces violations, le Comité ne juge plus pertinent d’examiner si les faits constituent une violation distincte de l’article 2 de la CIDE.

[4] Pour plus de développement sur le mineur étranger et l’intérêt supérieur de l’enfant, voy. C. FLAMAND, « Primauté du statut de l’enfant sur le statut du mineur étranger isolé en situation irrégulière : oui, mais … », Cahiers de l’EDEM, avril 2019, p. 13.

[5] J.-Y. CARLIER et S. SAROLEA, Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016, p. 531.

[6] Il sied de souligner que de neuf traités de base des Nations Unies en matière de droits humains, la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (1990) est l’unique instrument que l’Espagne, comme les autres États membres de l’Union européenne, n’a ni signé, ni ratifié à ce jour.

[7] Voir aussi, D. BUSIER, « Evaluation psychosociale de l’âge au Royaume Uni », RMF 52, mai 2016, p. 87.

[8] K. FOURNIER, L’estimation de l’âge des MENA en question : problématique, analyse et recommandations, Plate-forme mineurs en exil, Septembre 2017, p. 13.

[9] European Asylum Support Office, Age assessment practice in Europe, Décembre 2013. Voir aussi l’article de Patrick Chariot (médecin légiste et professeur de médecine légale à l’Université Paris 13), « Quand les médecins se font juger : la détermination de l’âge des adolescents migrants », Chimères 2010/3, n° 74, particulièrement les pages 104 à 107. Voir également, K. FOURNIER, op. cit., p. 26.

[10] K. FOURNIER, Op. cit., p. 26.

[11] Ibid, p. 19.

Publié le 30 avril 2020