Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Constatations relatives à la communication n° 2728/2016, Ioane Teitiota c. Nouvelle-Zélande, 24 octobre 2019

Louvain-La-Neuve

Une décision historique pour les « réfugiés climatiques » ? Mise en perspective.

Réfugiés climatiques – Comité des droits de l’homme des Nations Unies – Kiribati – Nouvelle-Zélande – Changements climatiques – Petits États insulaires en développement – Montée des eaux

La décision du Comité des droits de l’homme a fait grand bruit : elle est qualifiée d’« historique » par les nombreux auteurs qui l’ont déjà commentée, qui clament une nouvelle ère pour les dénommés « réfugiés climatiques ». Comment l’expliquer alors que le Comité donne raison à la Nouvelle-Zélande, au grand dépit du principal concerné ? Pour comprendre cet engouement, il est important de resituer d’où nous venons – à savoir, à peu de chose près, d’une absence totale de protection. Il est tout au moins aussi crucial de savoir ce qui peut être concrètement attendu d’une telle décision. Et là, rien n’est moins sûr… L’absence de critères clairs rend très incertains les potentiels effets qu’elle aura en pratique. L’optimisme est toutefois de mise : reconnaitre la responsabilité qui pèse sur les États en la matière est déjà en soi une avancée immense, sur le plan symbolique et au-delà.

Marie Courtoy

A. Arrêt

Ioane Teitiota est un habitant de l’ile de Tarawa dans la République de Kiribati. Là-bas, les changements climatiques ne sont pas un phénomène abstrait : leurs conséquences se font sentir jour après jour, à commencer par celles liées à la montée des eaux.[1] Face à la détérioration de ses conditions de vie, il a quitté son pays natal avec son épouse afin de se rendre en Nouvelle-Zélande. Ils y sont restés après l’expiration de leur permis et leurs trois enfants y sont nés.

Après avoir été appréhendé, Ioane Teitiota[2] a introduit sa demande de statut de réfugié et/ou de personne protégée. La demande de protection internationale en Nouvelle-Zélande comprend en effet trois étapes : (1) le statut de réfugié qui renvoie à la Convention relative au statut des réfugiés (ci-après, « la Convention de Genève »), (2) le statut de personne protégée au regard de la Convention contre la torture (ci-après, « CAT ») et (3) le statut de personne protégée au regard du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après, « PIDCP »). Il pense pouvoir bénéficier d’un de ces statuts « on the basis of changes to his environment in Kiribati caused by sea-level-rise associated with climate change »[3].

À l’appui de sa demande, Ioane Teitiota invoque ainsi la situation devenue instable et précaire à Tarawa à cause de la montée des eaux résultant du réchauffement climatique. L’érosion côtière rend les inondations plus fréquentes. L’infiltration de l’eau salée détruit les cultures, alors même que l’agriculture est l’un des principaux secteurs d’emploi sur l’ile. L’eau potable se fait de plus en plus rare, non seulement du fait de la contamination par l’eau salée, mais également en raison de la surpopulation. Enfin, les territoires habitables s’érodent, créant une crise du logement et causant des tensions sociales amenant parfois à de violentes disputes.

1. Décisions prises par les autorités néo-zélandaises

L’Officier de réfugié et de protection (Refugee and Protection Officer ; ci-après, « l’Officier ») a néanmoins décliné la demande Ioane Teitiota. Ce dernier a fait appel de la décision devant le Tribunal d’Immigration et de Protection (Immigration and Protection Tribunal ; ci-après, « le Tribunal ») qui, à la suite d’une motivation longue et nuancée, a suivi l’Officier dans son refus. Autant le Tribunal a jugé Ioane Teitiota tout à fait crédible, autant il n’a pas estimé que les circonstances justifiaient l’octroi de l’un des statuts.

Le statut de réfugié est ainsi dénié au demandeur pour deux raisons. Premièrement, il n’encourt d’après le Tribunal pas de réel risque de persécution en cas de retour vers Kiribati, dans la mesure où il n’est pas démontré qu’il existe une chance qu’il subisse des dommages physiques graves du fait des conflits fonciers, ni qu’il est impossible pour lui de cultiver des aliments ou d’obtenir de l’eau potable, ni de manière plus générale que les conditions environnementales seraient telles qu’elles pourraient compromettre son droit de vivre avec dignité. Deuxièmement, il ne peut démontrer l’existence d’un lien entre les éventuelles persécutions et l’un des motifs de la Convention de Genève puisque les maux qu’il invoque frappent de la même manière tous les habitants de Kiribati et qu’il ne met pas en évidence une quelconque inaction fautive du gouvernement à cet égard.

Quant au statut de personne protégée, le Tribunal écarte l’application de la CAT[4] pour ne se pencher que sur le PIDCP en son article 6, à savoir le droit de ne pas être privé arbitrairement de sa vie. Il estime alors, d’une part, que le demandeur ne met pas en avant un quelconque acte ou une quelconque omission de la part du gouvernement de Kiribati qui témoignerait d’un risque de se voir arbitrairement privé de sa vie et, d’autre part, qu’il n’existe à l’heure actuelle pas de degré suffisant de risque pour sa vie. Il en déduit dès lors que le statut de personne protégée ne peut lui être accordé.

Ioane Teitiota a alors épuisé tous les recours possibles en Nouvelle-Zélande, en faisant appel aux juridictions auprès desquelles la décision ne peut être contestée que sur les seuls points de droit : la Haute Cour (High Court), la Cour d’Appel (Court of Appeal), et enfin la Cour Suprême (Supreme Court). Ses différentes questions[5] tendent in fine à poser une seule interrogation fondamentale : ne faut-il pas reconnaitre le statut de réfugié à ceux qui fuient les effets des changements climatiques, peu importe le fait qu’un groupe entier y soit soumis de la même manière, dans la mesure où les émissions de gaz à effet de serre sont le produit de l’action humaine ? Les trois Cours ont néanmoins rejeté l’ensemble des objections avancées par Ioane Teitiota, se rangeant aux arguments du Tribunal.

Reprenant les mots de la Cour Suprême, un important caveat se doit cependant d’être ajouté : « That said, we note that both the Tribunal and the High Court, emphasised their decisions did not mean that environmental degradation resulting from climate change or other natural disasters could never create a pathway into the Refugee Convention or protected person jurisdiction. Our decision in this case should not be taken as ruling out that possibility in an appropriate case. »[6]

2. Décision du Comité des droits de l’homme des Nations Unies

Ioane Teitiota s’est finalement tourné vers le Comité des droits de l’homme des Nations Unies (ci-après, « le Comité »), prétendant que la Nouvelle-Zélande avait porté atteinte à son droit à la vie au sens de l’article 6 du PIDCP. C’est en effet seulement au regard de ce Pacte que le Comité est compétent : ses constatations ne pourront par conséquent préjuger de la pertinence du raisonnement des juridictions néo-zélandaises en ce qui concerne le statut de réfugié.

Le Comité commence à son habitude par un examen de la recevabilité de la communication. Ce premier test est passé avec succès : le Comité considère que « the author’s claims relating to conditions on Tarawa at the time of his removal do not concern a hypothetical future harm, but a real predicament »[7] et en conclut que, du point de vue de la recevabilité, le risque d’atteinte au droit à la vie avait été suffisamment démontré.

Au grand désespoir d’Ioane Teitiota toutefois, sur le fond, le Comité s’aligne sur la position des juridictions néo-zélandaises. Il estime que les violences liées aux litiges fonciers ne vont pas jusqu’à créer une situation de conflit généralisée ni ne concernent le demandeur plus particulièrement qu’un autre habitant de Kiribati ; qu’il n’est pas démontré que l’offre d’eau fraiche était inaccessible, insuffisante ou insalubre ; qu’il n’est pas non plus démontré qu’il n’existait pas de possibilités de subsistance, que ce soit via un emploi ou une assistance financière ; qu’enfin il ne peut être établi que les décisions prises au cours de la procédure judiciaire étaient clairement arbitraires ou erronées.

Le Comité se déclare alors ne pas être en position pour affirmer que les droits du demandeur en vertu de l’article 6 du PIDC ont été violés, tout en précisant que cela est dit « [w]ithout prejudice to the continuing responsibility of the State party to take into account in future deportation cases the situation at the time in the Republic of Kiribati and new and updated data on the effects of climate change and rising sea-levels thereupon »[8].

B. Éclairage

Malgré une issue décevante pour le principal intéressé[9], la nouvelle semble faire l’unanimité : « landmark decision », « wake-up call », « global precedent », « significant opening »… Les qualificatifs pour saluer la décision du Comité ne manquent pas. Comment comprendre cet engouement pour une décision lisse en apparence ? Que faut-il en conclure… et en espérer ?

Tant les juridictions néo-zélandaises que le Comité reconnaissent en effet la possibilité d’octroyer un statut de protection aux personnes fuyant les effets des changements climatiques. Qu’apporte dès lors le Comité de si révolutionnaire ? Outre le passage au plan international, la décision du Comité s’éloigne habilement des décisions internes. À y regarder de plus près, on s’aperçoit que ce ne sont pas les mêmes personnes qui sont visées : le champ d’application ainsi défini par le Comité est nettement plus large que les situations restrictives dans lesquelles les autorités néo-zélandaises admettent la possibilité d’une protection internationale.

Attention toutefois à la sémantique, qui a son importance du point de vue juridique : le Comité ne peut pas reconnaitre l’existence des « réfugiés climatiques », dans la mesure où il n’est pas compétent pour juger du respect de la Convention de Genève mais uniquement du PIDCP. Il ne peut donc décider que de la compatibilité de l’action de la Nouvelle-Zélande – à savoir le renvoi d’Ioane Teitiota vers son pays d’origine – avec le droit à la vie garanti à l’article 6 du PIDCP. Cela renvoie au statut de « personne protégée » en droit néo-zélandais.

1. Des décisions internes plutôt restrictives

Il convient d’abord de se pencher sur le raisonnement suivi par les autorités néo-zélandaises, avant de mieux comprendre en quoi il se distingue de celui avancé par le Comité.

- Deux revendications : l’asile et les droits humains

Force est de constater que la question de la reconnaissance du statut de réfugié occupe la majeure partie des décisions. Cela n’est pas surprenant : les questions de droit posées par le demandeur aux juridictions qui ont suivi le Tribunal (la Haute Cour, la Cour d’Appel et la Cour Suprême) n’ont porté que sur cet aspect de la requête, bien que ces dernières se soient parfois exprimées de manière plus générale.

Si le raisonnement menant à refuser le statut de réfugié est difficilement contestable en droit[10], les juridictions néo-zélandaises n’ont cependant pas choisi le chemin le plus protecteur. La Cour d’Appel se montre la plus radicale, considérant que « Mr Teitiota’s claim for recognition as a refugee is fundamentally misconceived. It attemps to stand the Convention on its head. »[11] Le Tribunal[12] et la Haute Cour[13], suivis par la Cour Suprême[14], estiment quant à eux que la Convention de Genève peut parfois se révéler adéquate en la matière. Ils l’entendent toutefois d’une manière extrêmement restrictive :

« Environmental issues sometimes lead to armed conflict. There may be ensuing violence towards or direct repression of an entire section of a population. Humanitarian relief can become politicised, particularly in situations where some group inside a disadvantaged country is the target of direct discrimination. »[15]

On est bien loin de la reconnaissance d’une action dans le chef des États du simple fait d’avoir contribué aux changements climatiques à travers l’émission de gaz à effet de serre. Cette idée n’est pourtant pas absurde : si elle pose des questions spécifiques de preuve, elle n’en pose pas sur le principe.[16] De même, le lien avec l’un des motifs de la Convention est souvent rapidement balayé, jugé comme inexistant avant même un examen approfondi. Le caractère dit indiscriminé cache pourtant parfois – souvent ? – ce qu’on pourrait qualifier de groupe social, à savoir un groupe qui partage la caractéristique d’habiter dans la même région ou même d’être vulnérable parce que disposant de moins de revenus.[17] Malgré l’apparente ouverture de leurs décisions, le Tribunal et la Haute Cour ne se montrent finalement pas réellement progressifs.

Du point de vue du statut de personne protégée, la question en l’espèce est de savoir si le renvoi vers le pays d’origine porterait atteinte au droit à la vie du demandeur. La seule juridiction à en faire l’examen est le Tribunal, qui estime qu’aucun acte ou omission de la part du gouvernement de Kiribati ne suggère qu’il existe un risque pour le demandeur de se voir arbitrairement privé de sa vie et que le risque d’atteinte à sa vie n’est pas imminent au sens du Protocole optionnel au PIDCP[18].

- Une déresponsabilisation : les raisons humanitaires et le renvoi aux législateurs

Il est intéressant de remarquer que, tout en déniant toute responsabilité qui s’imposerait à elle en vertu de l’un ou l’autre des conventions internationales, la Haute Cour introduit une autre possibilité : les préoccupations humanitaires, et le permis de séjour qui peut être octroyé sur cette base.[19] C’est une possibilité dont la Nouvelle-Zélande avait par ailleurs usé dans une autre affaire devant le Tribunal, où la famille provenant de Tuvalu s’était vue refuser le statut de réfugié mais avait, dans une décision séparée, été autorisée à rester en raison de liens familiaux en Nouvelle-Zélande.[20] Mais quelle est la différence ? Elle est toute simple : la décision est purement discrétionnaire. La Nouvelle-Zélande ne s’engage pas en agissant de cette manière, puisqu’elle ne reconnait pas être tenue par une obligation internationale.

Au final, la position des juridictions néo-zélandaises est très prudente, pour ne pas dire conservatrice. Que ce soit pour la Convention de Genève ou le PIDCP, la Haute Cour renvoie la balle aux législateurs :

« On a broad level, were they to succeed and be adopted in other jurisdictions, at a stroke, millions of people who are facing medium-term economic deprivation, or the immediate consequences of natural disasters or warfare, or indeed presumptive hardships caused by climate change, would be entitled to protection under the Refugee Convention or under the ICCPR. It is not for the High Court of New Zealand to alter the scope of the Refugee Convention in that regard. Rather that is the task, if they so choose, of the legislatures of sovereign states. »[21]

2. Des exceptions (d’octroi) à la règle (de l’examen)

C’est en inscrivant la décision du Comité dans le contexte qui l’a précédée qu’il est possible de comprendre en quoi elle offre une lueur d’espoir. Elle marque une victoire sur le plan symbolique, mais pas seulement : elle ouvre également la voie à des obligations concrètes. Le défi est néanmoins encore loin d’être atteint et l’implémentation reste la grande question.

- Une victoire symbolique

Sur le plan des principes, la décision du Comité établit qu’il est interdit de renvoyer des personnes vers un pays où les effets des changements climatiques sont tels qu’ils menacent leur vie ou les exposent à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Cela n’avait jamais été reconnu et, comme le souligne Jane McAdam, il a donc fallu 25 ans de jurisprudence pour en arriver là.

Dans sa décision, le Comité déclare en effet que « without robust national and international efforts, the effects of climate change in receiving states may expose individuals to a violation of their rights under articles 6 or 7 of the Covenant, thereby triggering the non-refoulement obligations of sending states »[22]. Il considère néanmoins que « the timeframe of 10 to 15 years, as suggested by the author, could allow for intervening acts by the Republic of Kiribati, with the assistance of the international community, to take affirmative measures to protect and, where necessary, relocate its population »[23], avant de conclure qu’il n’est pas en position pour constater une violation du droit à la vie.

Dans un domaine jusque-là tenu hors du droit, les États se retrouvent donc aujourd’hui soumis à trois obligations : ils doivent agir pour réduire les changements climatiques, ils doivent soutenir ceux d’entre eux qui sont davantage soumis aux effets des changements climatiques et/ou plus faibles économiquement – les deux allant souvent de pair –, à défaut de quoi ils seront tenus de prendre en charge les habitants de ces États au regard de l’obligation de non-refoulement. De manière sous-jacente, le Comité reconnait ainsi la dimension internationale des changements climatiques et leurs conséquences en termes de droits humains.

- Des obligations concrètes

En droit international, la question sera toujours la même : comment le Comité s’assurera-t-il de la mise en œuvre de ces susnommées « obligations » ? Autrement dit, est-il possible d’espérer plus que de belles paroles ?

Pour répondre à cette question, il est nécessaire de revenir sur le rôle même du cet organe. Le Comité est un groupe d’experts mis en place par les États membres des Nations-Unies afin de surveiller la mise en œuvre du PIDCP. Si ses décisions ne sont pas contraignantes en tant que telles, nul ne pourrait nier l’autorité qui y est attachée dans la mesure où les violer reviendrait à violer le PIDCP.[24] Les attentes se doivent toutefois d’être mesurées : qu’on le regrette ou non, le principe de base du droit international reste la souveraineté des États. Les obligations ne s’imposent aux États qu’au travers de leur consentement et le fonctionnement de tout système international dépend ultimement de leur bonne volonté.

Dans le cas présent, ce que le Comité instaure avec sa décision – avec une effectivité qu’il nous faudra attendre de voir –, c’est une obligation d’examen sérieux par l’État de telles requêtes. Rappelons-nous qu’il y a peu, l’idée que le principe de non-refoulement puisse s’appliquer aux personnes ayant fui les effets des changements climatiques pouvait encore sembler farfelue. Avec cette nouvelle décision, les États doivent dorénavant motiver sérieusement leur refus au regard de la situation subie par le demandeur de protection internationale, sachant qu'ils pourront avoir l'obligation de l'accueillir si les efforts qu'ils ont entrepris pour réduire les effets des changements climatiques et porter secours aux personnes qui en subissent déjà les conséquences de plein fouet ne sont pas suffisants. L’incitation à la disposition du Comité pour motiver les États à s’y conformer est claire : les particuliers savent désormais que le recours devant le Comité est aujourd’hui susceptible de porter ses fruits.

La volonté du Comité de rendre le recours auprès de lui accessible pour ce genre de cas se remarque très clairement au stade de la recevabilité. Benedikt Behlert met ainsi en évidence l’allègement de la charge de la preuve en comparaison avec la décision Bordes et autres c. France de 1996[25]. Dans cette affaire où des Français résidant à Tahiti accusaient la France de porter atteinte à leur droit à la vie en menant des essais nucléaires souterrains dans le Pacifique Sud, le Comité avait considéré que le fait que cette activité entraine la dégradation de la structure géologique de l’atoll concerné était « highly controversial even in concerned scientific circles » et avait par conséquent déclaré leur demande irrecevable. Cela avait amené Sarah Joseph et Melissa Castan à émettre un certain scepticisme en ce qui concerne la recevabilité de futures affaires liées aux changements climatiques, estimant « that any future complaint by a person regarding the impact of global warming on his or her human rights might face difficulties in proving precise causation ». Aujourd’hui, le Comité témoigne de sa détermination à ouvrir cette voie quand il déclare « that the author sufficiently demonstrated, for the purpose of admissibility, that due to the impact of climate change and associated sea level rise on the habitability of the Republic of Kiribati and on the security situation in the islands, he faced as a result of the State party’s decision to remove him to the Republic of Kiribati a real risk of impairment to his right to life under article 6 of the Covenant »[26].

- Une charge de la preuve déraisonnable ?

Le tableau n’est cependant pas sans ombre. Si le Comité admet sur le principe que l’obligation de non-refoulement peut s’appliquer aux personnes pour lesquelles les effets des changements climatiques menacent leur droit à la vie ou à ne pas être soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, il ne précise toutefois pas à partir de quel moment tel serait le cas ou, pour reprendre les termes de Jane McAdam, « where the tipping point lay ».

La seule précision qu’il donne en l’espèce est qu’il ne faudra pas attendre que les iles soient englouties pour considérer que les conditions de vie sont incompatibles avec le droit de vivre avec dignité… Cela ne nous éclaire pas beaucoup. Le risque, dès lors, est que le seuil requis soit tellement élevé qu’il vide la décision de toute sa substance.

C’est la critique adressée par les deux membres du Comité à l’origine des opinions dissidentes. Dans la première opinion dissidente, Vasilka Sancin estime que le Comité a eu tort de considérer qu’il n’y avait pas de problème d’accès à l’eau potable. Alors que le Comité base son évaluation sur le Programme d’Action National d’Adaptation, elle renvoie à des rapports d’expertise qui mettent en avant le défaut d’implémentation de ces politiques. Elle en conclut alors que, dans ces circonstances, la charge de la preuve devrait reposer sur l’État et non sur le demandeur. De manière plus générale, et plus incisive, la seconde opinion dissidente rédigée par Duncan Laki Muhumuza reproche au Comité de placer sur les épaules de l’auteur une charge de la preuve déraisonnable. D’après lui, « New Zealand’s action is more like forcing a drowning person back into a sinking vessel, with the “justification” that after all there are other voyagers on board »[27]. Il nous rappelle l’essentiel, à savoir qu’il serait « counterintuitive to the protection of life, to wait for deaths to be very frequent and considerable; in order to consider the threshold of risk as met »[28].

En effet, la détermination du seuil déterminera l’effectivité de la protection. La décision a peut-être ouvert une voie, mais les contours en sont flous : le chemin reste donc à tracer.

3. Conclusion

Le pas est grand, mais la route est longue… Les effets concrets de la décision restent à voir et le jour où les personnes qui fuient un environnement rendu inhabitable par les changements climatiques pourront se prévaloir d’un droit subjectif à être protégées de ce fait est encore loin. Ne nous privons toutefois pas d’optimisme : l’avancée que la décision aujourd’hui rendue consacre est immense. Il s’agit de la reconnaissance, sur le plan international, d’une responsabilité qui repose sur les États pour ceux jusqu’alors oubliés. Au-delà d’un renversement de perspective symbolique, le revirement est très concret puisque les États ne sont plus laissés à leur libre appréciation en la matière. Nul ne doute en effet qu’il sera dorénavant fait appel au Comité dans des cas similaires, et les États devront alors se justifier. Une épée de Damoclès pend aujourd’hui au-dessus de leur tête.

C. Pour aller plus loin

Lire l’arrêt : Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Constatations relatives à la communication n°2728/2016, Ioane Teitiota c. Nouvelle-Zélande, 24 octobre 2019.

Jurisprudence :

NZSC, Teitiota v Chief Executive of the Ministry of Business, Innovation and Employment, 20 juillet 2015, n°107.

NZCA, Teitiota v Chief Executive of the Ministry of Business, Innovation and Employment, 8 mai 2014, n°173.

NZHC, Teitiota v Chief Executive of the Ministry of Business, Innovation and Employment, 26 novembre 2013, n°3125.

NZIPT, AF (Kiribati), 25 juin 2013, n°800413.

Doctrine :  

Carlier (J.-Y.), Sarolea (S.), Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016.

Pour un résumé de la jurisprudence de la Nouvelle-Zélande en matière de « réfugiés climatiques » : Buchanan (K.), « New Zealand: “Climate Change Refugee” Case Overview », The Law Library of Congress, 2015.

Articles de presse :

Behlert (B.), « A significant opening. On the HRC’s groundbreaking first ruling in the case of a ‘climate refugee’ », Völkerrechtsblog, 30 janvier 2020, disponible sur https://voelkerrechtsblog.org/a-significant-opening/.

Malafosse (C.), Zipoli (D.), « “Réfugiés climatiques” : une décision historique du Comité des droits de l’homme de l’ONU ? », The Conversation, 11 février 2020, disponible sur https://theconversation.com/refugies-climatiques-une-decision-historique-du-comite-des-droits-de-lhomme-de-lonu-131348.

McAdam (J.), « Climate refugees cannot be forced back home », The Sydney Morning Herald, 20 janvier 2020, disponible sur https://www.smh.com.au/environment/climate-change/climate-refugees-cannot-be-forced-back-home-20200119-p53sp4.html.

 

Pour citer cette note : M. Courtoy, « Une décision historique pour les “réfugiés climatiques” ? Mise en perspective », Cahiers de l’EDEM, février 2020.

 


[1] Cela a valu aux iles du Pacifique le surnom de « canari dans la mine ». Voy., pour un exemple récent, l’intervention de Kate Schuetze, chercheuse sur le Pacifique à Amnesty International, à propos des constatations commentées : « The Pacific Islands are the canary in the coal mine for climate induced migrants ».

[2] Sa femme et ses enfants n’ont introduit leur demande que par la suite. Les recours introduits par Ioane Teitiota ne concerneront de même que lui seul, y compris la communication devant le Comité des droits de l’homme des Nations Unies ici commentée.

[3] NZIPT, AF (Kiribati), 25 juin 2013, n°800413, pt. 2.

[4] Outre le fait que le Tribunal ne voit pas en quoi le demandeur courrait le danger d’être soumis à une quelconque forme de torture au sens de la CAT, le demandeur lui-même n’y avait pas fait appel. Pour les mêmes raisons, le juge n’examine pas non plus outre mesure la compatibilité de la décision au regard de l’article 7 du PIDCP relative à l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

[5] Pour être tout à fait précise, trois des six questions reprenaient cette idée. Deux autres questions étaient quant à elles hors de propos – elles renvoyaient aux droits des enfants alors que les recours avaient été introduits par Ioane Teitiota seul. Une dernière question visait enfin à remettre en cause l’affirmation du Tribunal de considérer comme adéquat l’approvisionnement en nourriture et en eau.

[6] NZSC, Teitiota v Chief Executive of the Ministry of Business, Innovation and Employment, 20 juillet 2015, n°7/2015, pt. 13.

[7] Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Constatations relatives à la communication n° 2728/2016, Ioane Teitiota c. Nouvelle-Zélande, 24 octobre 2019, pt. 8.5.

[8] Ibid., pt. 9.14.

[9] Interrogé par ABC, Ioane Teitiota témoigne en effet : « Forgive my ignorance, but to be frank, I’m quite disappointed with the outcome of my case ».

[10] Le professeur Gentian Zyberi, directeur du Centre norvégien des droits de l’homme et membre du Comité des droits de l’homme, explique ainsi lors d’un entretien préparatoire à un article : « Il est très difficile de constituer une opinion contraire à la décision des tribunaux de Nouvelle-Zélande. Au vu des faits et de la loi, le jugement n’est ni erroné, ni arbitraire, ni ne viole les droits fondamentaux de M. Teitiota. »

[11] NZCA, Teitiota v Chief Executive of the Ministry of Business, Innovation and Employment, 8 mai 2014, n°173, pt. 40.

[12] NZIPT, AF (Kiribati), 25 juin 2013, n°800413, pt. 55-59 and 64-65.

[13] NZHC, Teitiota v Chief Executive of the Ministry of Business, Innovation and Employment, 26 novembre 2013, n°3125, pt. 27.

[14] NZSC, Teitiota v Chief Executive of the Ministry of Business, Innovation and Employment, 20 juillet 2015, n°7/2015, pt. 13.

[15] NZHC, Teitiota v Chief Executive of the Ministry of Business, Innovation and Employment, 26 novembre 2013, n°3125, pt. 27. La Haute Cour résume les développements du Tribunal (NZIPT, AF (Kiribati), 25 juin 2013, n°800413, pt. 58-59).

[16] J.-Y. Carlier, S. Sarolea, Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016, p. 441.

[17] Ibid.

[18] Le Protocole optionnel au PIDCP permet l’introduction de communications auprès du Comité, ce qu’a fait Ioane Teitiota en l’espèce.

[19] NZHC, Teitiota v Chief Executive of the Ministry of Business, Innovation and Employment, 26 novembre 2013, n°3125, pt. 42-44.

[20] NZIPT, AC (Tuvalu), 4 juin 2014, n°800517-520.

[21] NZHC, Teitiota v Chief Executive of the Ministry of Business, Innovation and Employment, 26 novembre 2013, n°3125, pt. 51.

[22] Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Constatations relatives à la communication n° 2728/2016, Ioane Teitiota c. Nouvelle-Zélande, 24 octobre 2019, pt. 9.11 (nous soulignons).

[23] Ibid., pt. 9.12 (nous soulignons).

[24] Pour une discussion plus approfondie sur la portée des décisions du Comité des droits de l’homme des Nations-Unies, voy. O. Delas, M. Thouvenot, V. Bergeron-Boutin, « Quelques considérations entourant la portée des décisions du Comité des droits de l’Homme », Revue québécoise de droit international, Vol. 30/2, 2017, pp. 1-50.

[25] Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Recevabilité de la communication n° 645/1995, Bordes et autres c. France, 22 juillet 1996.

[26] Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Constatations relatives à la communication n° 2728/2016, Ioane Teitiota c. Nouvelle-Zélande, 24 octobre 2019, pt. 8.6.

[27] Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Constatations relatives à la communication n° 2728/2016, Ioane Teitiota c. Nouvelle-Zélande, 24 octobre 2019, Annex 2, pt. 6.

[28] Ibid., pt. 5.

Publié le 28 février 2020