Conseil du contentieux des étrangers, 24 février 2021, n° 249 784

Louvain-La-Neuve

Covid-19, crise économique et réfugiés palestiniens : le Conseil du contentieux des étrangers apprécie l’assistance de l’UNRWA à Gaza dans un contexte de pandémie mondiale

C.C.E - ressortissant palestinien – bande de Gaza – cessation de l’assistance de l’UNRWA – pandémie Covid-19 – vulnérabilité – reconnaissance du statut

Le Conseil du contentieux des étrangers reconnaît le statut de réfugié à un ressortissant palestinien ayant fui la bande de Gaza. Le Conseil reconnaît que la pandémie Covid-19 et les conséquences financières qui en découlent ont à ce point dégradé l’assistance de l’UNRWA que cette dernière a cessé d’être effective. Le Conseil reconnaît que l’agence n’est plus en mesure d’accorder une protection adéquate dans sa zone d’activité.

Zoé Crine

 

A. Arrêt

 Le requérant est un ressortissant palestinien, originaire de la bande de Gaza. Il introduit un recours devant le Conseil du contentieux des étrangers (ci-après, C.C.E.) contre une décision d’exclusion du statut de réfugié et du statut de protection subsidiaire à son encontre. À l’appui de son recours, le requérant fait valoir qu’il ne dispose actuellement plus de l’assistance de l’agence « United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East » (ci-après, UNRWA). En ce sens, il soutient que la crise Covid-19 a à ce point impacté les missions de l’UNRWA (en dégradant, notamment, sa situation financière) qu’il ne peut se prévaloir de sa protection dans la bande de Gaza.

Le Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides (ci-après, C.G.R.A.) refuse, cependant, de lui octroyer le statut de réfugié et le statut de protection subsidiaire. Il fonde son appréciation sur l’article 1D de la Convention de Genève, repris à l’article 55/2 de la loi du 15 décembre 1980. Cet article exclu du statut de réfugié les personnes bénéficiant « d’une protection ou d’une assistance de la part d’un organisme ou d’une institution des Nations Unies autre que le Haut-Commissariat pour les réfugiés » (ici, de l’UNRWA)[1]. Si le fait que le requérant en tant que palestinien bénéficie effectivement d’un droit de séjour dans la zone d’opération de l’UNRWA n’est pas contesté par les parties, le C.G.R.A. considère que la partie requérante peut actuellement toujours se prévaloir de la protection de l’UNRWA.

L’arrêt commenté est rendu à la suite du recours introduit par le requérant contre cette décision.

À l’audience devant le Conseil, le C.G.R.A. souligne que même si l’agence est soumise « à une très grave crise financière qui fait craindre à terme la cessation pure et simple de son assistance » (pt.1.3), les informations récentes à son sujet ne permettent pas de conclure que l’assistance fournie ne serait de facto plus effective. Aussi, les effets que la pandémie Covid-19 pourraient avoir sur l’assistance réelle de l’UNRWA et particulièrement, sur la cessation de son activité, restent pour le C.G.R.A. de nature « spéculative » (pt 1.3). Il invite le Conseil à baser son appréciation au vu de la situation existante, au moment où ce dernier doit se prononcer, sans se fonder « […] sur des hypothèses de ce qui pourrait[2] se passer dans un avenir plus ou moins proche » (pt.1.3.) Le C.G.R.A. souligne par ailleurs que le requérant n’invoque ni un état d’insécurité grave, ni des « circonstances indépendantes de sa volonté » fondées sur des raisons socio- économiques, humanitaires ou sécuritaires, qui l’auraient poussé à quitter la zone d’assistance de l’UNRWA sans pouvoir en bénéficier davantage.

Le C.C.E. estime qu’il ne peut se rallier aux motifs de la décision attaquée. Il examine en premier lieu la question de l’assistance de l’UNRWA.  S’il considère que le requérant a pu bénéficier de cette assistance, le Conseil s’attache aussi à préciser les circonstances dans lesquelles cette assistance est susceptible de prendre fin. Le Conseil rappelle que, selon la jurisprudence El Kott, le seul fait pour le requérant d’avoir quitté la zone d’opération de l’UNRWA n’est pas suffisant pour que celui-ci échappe à la clause d’exclusion du statut de réfugié. Il souligne néanmoins que l’assistance peut cesser lorsque l’UNRWA, l’agence en tant que telle, est purement supprimée ou quand celle-ci n’est plus en mesure de mener à bien les missions qui lui sont confiées. Le Conseil rappelle également que, toujours selon la jurisprudence El Kott, l’assistance de l’UNRWA peut-être réputée avoir cessé lorsque la personne qui en bénéficiait a « pour des raisons indépendantes de sa volonté » été contrainte de quitter la zone d’opération de cette agence.

En l’occurrence, le Conseil souligne que la partie requérante bénéficiait effectivement de l’assistance de l’UNRWA avant son départ. Il examine alors les circonstances dans lesquelles cette assistance pourrait être considérée comme ayant cessé. Pour ce faire, le Conseil fonde son raisonnement sur  la Jurisprudence El Kott relative à l’article 12, paragraphe 1er, a, de la directive 2011/95/CE du Conseil de l’Union Européenne du 13 décembre 2011 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection. L’article 12 de la directive reprend la clause d’exclusion prévue à l’article 1D de la Convention de Genève.  Il précise que si l’assistance de l’UNRWA vient à cesser pour « une raison quelconque », le ressortissant du pays tiers concerné bénéficie de plein droit du régime de la Convention.

Le Conseil examine, en l’espèce, si les circonstances invoquées par la partie requérante (en l’occurrence, la dégradation des missions de l’UNRWA des suites de la crise du Covid-19) sont susceptibles d’avoir mis fin à cette assistance. Le Conseil rappelle que les termes de l’article 12 peuvent être lus comme « visant des évènements qui concernent l’URNWA directement » (pt.2.1), comme la suppression de l’agence ou l’occurrence d’un évènement qui placerait cette dernière dans une situation où l’accomplissement de ses missions serait rendu impossible.

Dans son appréciation, le C.C.E. se base exclusivement sur les informations soumises par les parties. Si le C.G.R.A. estime, sur base de la documentation fournie, que les activités de l’UNRWA sont maintenues et que l’agence continue à remplir ses missions malgré les difficultés rencontrées, le Conseil relève que les dernières informations présentées au 1er février 2021 tempèrent « significativement » l’affirmation du Commissariat Général (pt.2.2.). D’une part, parce que les importantes coupes budgétaires impactent bel et bien l’assistance fournie par l’UNRWA, notamment en ce que les besoins essentiels des personnes sous sa protection (en matière de santé mais aussi d’assistance alimentaire de base), ne peuvent plus être rencontrés. Le Conseil observe dès lors que seuls des services réduits au strict minimum sont maintenus. D’autre part, parce que la pandémie Covid-19 impacte également l’activité de l’UNRWA. Aussi, pour le C.C.E., il s’agit alors d’évaluer si dans le contexte de la pandémie, l’assistance de l’URNWA a cessé pour la partie requérante. Le Conseil considère, eu égard à la situation actuelle, que le Covid-19 a une réelle influence sur « la situation financière déjà problématique de l’UNRWA mais également sur ses possibilités pratiques de fournir une assistance » (pt.2.3). Le Conseil considère dès lors que l’assistance de l’URNWA a cessé et ce pour une durée imprévisible.  Si le C.G.R.A. fait valoir que des améliorations sont prévues pour le futur (notamment, via un éventuel refinancement de l’UNWA par les USA), ces potentielles relances et améliorations restent très « hypothétiques » (pt.2.3). Le C.C.E. considère que les réfugiés palestiniens ne peuvent plus, de manière générale, compter sur l’assistance de l’UNRWA.

Au vu de ce qui précède, le Conseil constate que l’alinéa 2 de l’article 1D de la Convention de Genève doit dès lors être appliqué. Il reconnait au requérant la qualité de réfugié.

B. Éclairage

L’UNRWA est un organe des Nations Unies créé en date du 8 décembre 1949 par la résolution 302 (IV) de l’Assemblée générale des Nations unies. L’agence vient en aide aux réfugiés palestiniens situés dans la bande de Gaza, en Syrie, en Cisjordanie, Jordanie et au Liban. Elle a pour mission de répondre aux besoins médicaux, sociaux et éducatifs des réfugiés palestiniens sous sa protection.

Cet arrêt met en lumière différents éléments concernant le fonctionnement de l’UNRWA : il apporte, premièrement, un éclairage sur les raisons pour lesquelles l’assistance de l’agence peut être réputée avoir cessé dans le contexte d’une pandémie mondiale. Il met en évidence, deuxièmement, la vulnérabilité particulière des personnes prise en charge par l’UNRWA à l’aune des restrictions budgétaires que subit l’agence en pandémie Covid-19.

1. L’appréciation de la cessation d’assistance de l’UNRWA à l’aune des effets du Covid-19 : une appréciation qui s’aligne sur la jurisprudence européenne et la complète

Le raisonnement tenu par le C.C.E. est le premier d’une série d’autres arrêts (C.C.E., 25 février 2021, n° 249 930 ; C.C.E.,  11 mars 2021, n° 250 868 ) dans lesquels le Conseil , à partir d’un raisonnement similaire octroie une protection au demandeur.

En application de la jurisprudence El Kott de la C.J.U.E., le C.C.E. s’attache à analyser dans quelles circonstances l’assistance de l’UNRWA peut prendre fin, et plus précisément, si une pandémie mondiale et ses conséquences économiques pratiques peuvent-être considérées comme des éléments empêchant l’UNRWA d’accomplir sa mission à l’égard des réfugiés palestiniens.

Concernant la notion d’assistance de l’UNRWA, le C.C.E. précise dans cet arrêt qu’elle peut s’apprécier à partir d’autres critères qu’une « raison propre à l’UNRWA » mais aussi à l’aune d’un contexte (en l’occurrence ici, d’une pandémie mondiale aux conséquences économiques désastreuses pour l’agence). Le C.G.R.A. dans sa décision, base avant tout son appréciation sur le fait que le mandat de l’agence a été étendu jusqu’en 2023 et que cette dernière continue à remplir sa mission, dont les activités n’ont pas cessé. Si le site du l’UNRWA mentionne que ses services continuent d’être fournis sur place, le C.C.E. s’attache à analyser plus largement dans quel « environnement budgétaire » ceux-ci se déploient (pt.2.2). C’est à l’aune de ce contexte budgétaire, dans une vision plus « macro », que le C.C.E. apprécie la graduelle dégradation des missions de l’UNRWA. Aussi, le Conseil relève que si l’UNRWA connait depuis cinq années des difficultés budgétaires importantes, la pandémie Covid-19 a aggravé celles-ci à un point tel qu’elle a contraint l’UNRWA à « d’importantes réductions de dépenses » d’où découlent une impossibilité de mener à bien des missions pourtant essentielles (pt 2.2).

Le Conseil revient également sur le contenu de l’article 1D de la Convention qu’il précise. Cette disposition stipule que la cessation est susceptible d’intervenir pour une raison « quelconque ». Le Conseil interprète ici largement cette notion en considérant que celle-ci ne peut pas être limitée à une raison émanant exclusivement de l’agence. En raisonnant de la sorte, le Conseil empêche que la pandémie, au motif qu’elle touche de nombreux États dans le monde, soit exclue de l’analyse de la cessation d’une protection effective.  Il lui donne une place toute particulière et centrale dans un contexte de dégradation financière général qui impacte directement la protection effective des réfugiés palestiniens par l’UNRWA.

Cette analyse « inclusive » du Covid-19 comme raison valable pour justifier la cessation de la protection n’a pas toujours été celle du Conseil et est récente dans la jurisprudence. Le C.C.E. avait néanmoins déjà été attentif à la dégradation de la situation financière de l’UNRWA en raison du Covid-19 dans les arrêts n°248 158 et n° 248 163 du 26 janvier 2021. Le Conseil y annulait les décisions du C.G.R.A. et les renvoyait à ce dernier pour instructions complémentaires, au motif qu’il pourrait exister pour l’agence « un risque réel et imminent qu’elle ne soit plus en état de remplir sa mission » (pt.5.7 et pt. 5.6).

2. Une crise Covid et financière qui vulnérabilise et demande une protection adaptée

Le Conseil s’attache également à analyser les effets que cette pandémie peut avoir sur les personnes bénéficiant de l’assistance de l’UNRWA et plus précisément, comment la cessation des activités l’agence, ou leur réduction au strict minimum, vulnérabilise ces personnes. Le Conseil met en évidence deux choses : d’abord, il souligne le cumul de vulnérabilités auquel les réfugiés sous protection de l’UNRWA sont placés. À la vulnérabilité intrinsèque qui découle du statut de réfugié palestinien, se greffe un nouveau type de vulnérabilité qui se déploie et se crée dans un contexte de problèmes financiers latents qui ne permet plus à l’UNRWA de l’assister dignement (et qui, à son tour, vulnérabilise des personnes déjà précaires par une paupérisation générale). Le juge souligne donc ici l’amplification d’une vulnérabilité déjà présente, exacerbée par une situation particulière. Cette appréciation fait écho à la lettre du Commissaire Général de l’UNRWA, Philippe Lazzarini, sur la situation financière de l’agence en novembre 2020, dans lequel ce dernier évoquait les effets disproportionnés de la pandémie sur le public particulièrement vulnérable des réfugiés palestiniens.

 Ensuite, le Conseil relève une certaine concurrence entre réfugiés vulnérables, au vu des moyens limités de l’UNRWA. Le Conseil exprime clairement que la situation financière est à ce point catastrophique que les services de l’UNRWA sont contraints de limiter leurs prestations aux personnes « les plus vulnérables », ou encore que les aides financières et médicales ne sont fournies qu’aux réfugiés ayant les « besoins les plus critiques » (point 2.2). Le Conseil souligne aussi, sur base des informations qui lui sont fournies, l’exclusion de certaines catégories de réfugiés de ces aides (pt.2.2), pour donner la priorité à d’autres groupes de personnes vulnérables (en l’occurrence ici, les nouveau-nés). Les difficultés financières que traverse l’UNRWA amènent donc à une concurrence telle entre « vulnérabilités » que celles-ci, au vu des budgets limités, interagissent comme des « ennemis plus que frères »[3], puisqu’il s’agit de choisir parmi les vulnérables, afin de déterminer qui doit être aidé parmi celles et ceux qui ont tous besoin d’aide.  Le Conseil, dans son arrêt, est conscient de cela et prend les conséquences de cette crise au sérieux. Il donne une place toute particulière à ce cumul et cette concurrence de vulnérabilités en décidant qu’ils justifient, à l’aune du contexte Covid-19, l’octroi d’une protection particulière et adaptée.

Peu d’enseignements généraux peuvent être tirés de cet arrêt, rendu dans un contexte pandémique par définition « exceptionnel ». Il convient cependant de noter ce à quoi Conseil du contentieux des étrangers contribue. Il permet, en accord avec la jurisprudence européenne, d’apprécier la cessation de l’assistance de l’UNRWA en y incluant le Covid-19 et ses conséquences financières sévères comme une raison valable pour justifier la cessation de l’assistance de l’agence onusienne. Il permet également, en s’attachant à analyser les effets concrets de cette cessation d’activité sur les réfugiés palestiniens, d’éclairer leur besoin de protection à l’aide de leurs vulnérabilités décuplées par cette crise. Il leur garantit, par cette appréciation, la reconnaissance d’une protection adéquate dans un contexte singulier.

C. Pour aller plus loin

Lire l’arrêt : C.C.E, 24 février 2021, n° 249 784.

Jurisprudence :

C.J.U.E. (G.C.), arrêt du 19 décembre 2012, El Kott, C-364/11 ;

C.C.E., 26 janvier 2021, n°248 158 ;

 C.C.E., 26 janvier 2021, n° 248 163 ;

C.C.E., 25 février 2021, n° 249 930 ;

C.C.E., 11 mars 2021, n° 250 868.

Doctrine :  

Assemblée générale des nations unies, Résolution n°302 de l’Assemblée générale des Nations Unies, A/RES/302(IV), 8 décembre 1949.

Carlier J.-Y., « Des droits de l’homme vulnérables à la vulnérabilité des droits de l’homme, la fragilité des équilibres », R.I.E.J, vol. 79, 2017/2, pp. 175-204 ;

Carlier J.-Y. et Saroléa S., Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016 ;

UNITED NATIONS RWA, « Commissioner General letter to staff on the urgency of unrwa's financial situation », 9 novembre 2020.

Pour citer cette note : Z. Crine, « Covid-19, crise économique et réfugiés palestiniens : le Conseil du Contentieux des étrangers apprécie l’assistance de l’UNRWA à Gaza dans un contexte de pandémie mondiale », Cahiers de l’EDEM, mars 2021.

 


[1] Pour des informations et références complémentaires, voir CARLIER J.-Y. et S. SAROLEA., Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016, p. 446.

[2] La forme italique est utilisée dans le texte original de l’arrêt.

[3] Carlier J.-Y., « Des droits de l’homme vulnérables à la vulnérabilité des droits de l’homme, la fragilité des équilibres », R.I.E.J, vol. 79, p. 188.

Publié le 30 mars 2021