Cour d’appel de Mons, 15 octobre 2019, n° 2016/RG/172, Service fédéral des pensions contre X

Louvain-La-Neuve

Nationalité et résidence dans l’accès à la pension de retraite coloniale.

Art. 14 CEDH – Art. 1er des lois relatives au personnel d’Afrique – arts 11 et 12 de la Constitution belge – Pension de retraite coloniale – Discrimination indirecte – Belges de statut congolais

Dans un arrêt très succinct, la Cour d’appel de Mons reconnait à un requérant « Belge de statut congolais » le droit à une pension de retraite pour les services prestés de 1947 à 1960 au sein de l’administration d’Afrique. Le raisonnement de la Cour repose essentiellement sur l’arrêt n° 137/2018 de la Cour Constitutionnelle de Belgique. Après avoir écarté la condition de nationalité prévue par l’article 1er des lois relatives au personnel d’Afrique coordonnées le 21 mai 1964, la Cour d’appel de Mons reconnait le droit d’accès à la pension de retraite sur base du critère de résidence. Le présent commentaire s’interroge sur la conformité de la condition de résidence par rapport au principe d’égalité et de non-discrimination dans un régime contributif. L’exigence de résidence ne constitue- t- elle pas une discrimination indirecte sur la base de la nationalité ?

Trésor Maheshe Musole

A. Arrêt

Le requérant, de nationalité belge et résident en Belgique, réclame sa pension de retraite coloniale pour les services prestés de 1947 à 1960 au sein de l’administration d’Afrique. À cette époque, le requérant ne possédait pas la nationalité belge, mais il était « Belge de statut congolais ». Il fonde sa requête, d’une part, sur les articles 10 et 11 de la Constitution belge et, d’autre part, sur les articles 9, § 2, et 10 des lois relatives au personnel d’Afrique coordonnées par l’arrêté royal du 21 mai 1964.

Par quatre décisions successives, le Service fédéral des pensions lui dénie le droit d’accès à la pension de retraite coloniale. Selon ce service, de 1947 à 1960, le requérant ne remplissait pas la condition de nationalité prévue par l’article 1er des lois relatives au personnel d’Afrique coordonnées par l’arrêté royal du 21 mai 1964. Selon cette disposition,

« Le présent chapitre s’applique aux personnes de nationalité belge ou luxembourgeoise qui ont été nommées comme membres du personnel de carrière des cadres d’Afrique avant le 30 juin 1960 ».

Après avoir saisi la Cour constitutionnelle par voie de question préjudicielle au sujet de la conformité de cette disposition aux articles 10 et 11 de la Constitution belge, la Cour d’appel de Mons lui reconnait le droit à la pension de retraite coloniale en se fondant sur l’arrêt n° 137/2018. A cette occasion, la Cour d’appel de Mons reprend la motivation de la Cour constitutionnelle selon laquelle

« L’article 1er des lois relatives au personnel d’Afrique coordonnées le 21 mai 1964, interprété comme excluant de la pension de retraite prévue par les articles 9, § 2, et 10 des mêmes lois les Belges de statut congolais nommés comme membres du personnel de carrière des cadres d’Afrique, viole les articles 10 et 11 de la Constitution ».

Sur cette base, la Cour d’appel de Mons lui reconnait la pension de retraite « pour éviter toute discrimination entre Belges et personnes belges de statut congolais » (p. 4). Par conséquent, la Cour d’appel de Mons dit que « le requérant a droit à une pension de retraite pour les services prestés de 1947 à 1960 dans l’administration d’Afrique » (p. 4).

B. Éclairage

Le raisonnement de la Cour d’appel de Mons repose essentiellement sur l’arrêt n° 137/2018 de la Cour constitutionnelle de Belgique[1]. À partir de la lecture combinée de ces deux arrêts, deux observations se dégagent. Elles sont relatives, d’une part, à la nationalité et, d’autre part, à la résidence.

En ce qui concerne la nationalité, celle-ci ne constitue pas « un critère essentiel pour l’assujettissement des travailleurs aux régimes belges de sécurité sociale »[2]. Au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (arrêts Gaygusuz, Koua Poirrez, etc.), une différence de traitement dans l’octroi de prestations sociales sur la base de la nationalité ne peut être admise que moyennant des « considérations très fortes ». En Belgique, le critère déterminant est en principe « le lieu d’occupation » du travailleur et non sa nationalité[3]. Dans la présente espèce, la Cour d’appel de Mons écarte la condition de nationalité pour éviter toute discrimination entre Belges et personnes « Belges de statut congolais ». En d’autres termes, cette juridiction considère que le requérant ne possédait pas la nationalité belge à l’époque des faits (1947 à 1960). Pourtant, une partie de la jurisprudence belge s’est prononcée sur cette question controversée[4]. En 2011, la Cour de cassation tranche la question de la possession de la nationalité belge par les « Belges de statut congolais ». Selon l’arrêt n° C.10. 0394. F,

« … si les Congolais ont, après l’annexion du Congo à la Belgique, acquis la nationalité belge, ce n’est pas en vertu des lois métropolitaines sur la nationalité, mais des règles ayant cet objet contenu dans le titre 1er du livre 1er du Code civil congolais (…) ».

En 2018, la Cour d’appel de Bruxelles va dans le même sens en considérant que les « Belges de statut congolais » étaient de nationalité belge.

Sans s’immiscer dans les débats sur la possession ou pas de la nationalité belge par les personnes de statut congolais, la Cour d’appel de Mons ne s’y intéresse pas. La raison est simple. Dans un régime contributif comme c’est le cas dans la présente espèce, la nationalité ne constitue pas un critère déterminant dans l’accès au droit à la pension. C’est la raison pour laquelle la Cour d’appel ne s’attarde pas sur la question de la possession de la nationalité belge d’autant plus que tel n’était pas l’objet du litige en cause.

S’agissant de la condition de résidence, il peut arriver que « ce critère ne soit posé dans les régimes contributifs que pour les seuls étrangers »[5]. Pour bénéficier du droit à la pension de retraite coloniale dans un tel régime, l’étranger doit alors résider en Belgique. Dans la présente espèce, la Cour d’appel de Mons reconnait le droit à la pension de retraite coloniale au requérant parce qu’il réside en Belgique. Ce raisonnement se fonde sur l’arrêt n° 137/2018 de la Cour constitutionnelle de Belgique. Cette dernière remplace le critère de la nationalité prévue à l’article 1er de la loi du 27 juillet 1961 par celui de la résidence. Sans être arbitraire, le critère de résidence trouve son fondement dans l’interprétation téléologique de la loi du 27 juillet 1961. Selon la Cour constitutionnelle, l’objet et le but de cette loi étaient de prévoir et d’organiser le reclassement dans la fonction publique belge des agents métropolitains qui avaient choisi de mener carrière dans la fonction publique de la colonie et qui se trouvaient soudainement empêchée de poursuivre cette carrière et obligé de rentrer en Belgique (pt. B.3.2). C’est pour cette raison que la Cour constitutionnelle conditionne l’octroi de la pension de retraite à la résidence en Belgique. Cette pension concerne les anciens membres du personnel qui, au moment de l’introduction de la demande d’admission au bénéfice de la pension, résident en Belgique (pt. B.3.2.). Par cette motivation, la Cour constitutionnelle remplace le critère de la nationalité prévu à l’article 1er de la loi du 27 juillet 1961 par celui de la résidence.

Cependant, dans un régime contributif comme c’est le cas dans la présente espèce, la question de la pertinence du critère de résidence parait délicate pour deux raisons.

Primo, ce critère crée une différence de traitement entre le national et l’étranger. Contrairement à l’étranger, le ressortissant belge peut résider à l’étranger et percevoir ses prestations sociales. Dans le cas sous examen, les « Belges de statut congolais » n’ayant pas de résidence en Belgique ne peuvent pas percevoir leur pension de retraite contrairement aux ressortissants belges qui se trouve dans la situation. Or, les deux catégories sont comparables. À l’époque coloniale, les « Belges de statut congolais » cotisaient de la manière que les ressortissants belges.

Secundo, le critère de résidence trouve une justification « du côté de la volonté politique d’obtenir la réciprocité de la part des États étrangers que du souci d’assurer une certaine justice sociale (…) »[6]. Or, dans la présente espèce, le juge n’avance pas la raison pour laquelle il conditionne l’octroi à la pension de retraite à la résidence.

Au regard de la délicatesse du critère de résidence, il y a lieu de se poser la question suivante : la condition de résidence pour les seuls étrangers ne constitue-t-elle pas finalement une discrimination indirecte sur la base de la nationalité ? La discrimination indirecte intervient lorsqu’« intentionnellement ou non, une mesure, en apparence neutre, a en réalité pour résultat de discriminer une catégorie des personnes »[7]. Il s’agit en fait d’une discrimination cachée intervenant lorsque « pour accéder à certains droits, un critère de nationalité peut être remplacé par un critère de résidence »[8]. Dans l’arrêt de la Cour constitutionnelle sur lequel se fonde la Cour d’appel de Mons, le juge substitue le critère de la nationalité prévue à l’article 1er de la loi du 27 juillet 1961 par celui de la résidence. Il ne parait ni objectif ni raisonnable d’imposer aux étrangers la condition de résidence alors qu’ils ne disposent pas d’un droit de séjour. Contrairement aux nationaux, l’entrée et le séjour relèvent de la souveraineté des États. Imposer la résidence équivaut en fait à demander aux « Belges de statut congolais » de recouvrer ou d’acquérir la nationalité pour bénéficier du droit à la pension de retraite comme c’est le cas dans la présente espèce.

Enfin, la pertinence du critère de résidence peut être questionnée par rapport à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Selon cette jurisprudence, « seules des considérations très fortes » peuvent donc justifier une différence de traitement dans l’octroi des prestations sociales sur la seule base de la nationalité. La juridiction de Strasbourg condamne les discriminations directes ou indirectes sur la base de la nationalité. À ce titre, doit-on considérer qu’un traitement différencié basé directement sur la résidence ne pourrait se justifier qu’en présence « des considérations très fortes » ? La question mérite d’être posée dès lors qu’une différence de traitement fondée sur la résidence peut cacher une discrimination indirecte sur la base de la nationalité. La jurisprudence pourra nous éclairer à l’avenir sur le critère de résidence dans le régime contributif. Nous osons croire que les juridictions pourront étendre le droit à la pension de retraite aux Belges de statut congolais indépendamment de leur résidence.

C. Pour aller plus loin

Lire l’arrêt : Cour d’appel de Mons, 15 octobre 2019, n° 2016/RG/172.

Jurisprudence :

Cour eur. D.H., Gaygusuz c. Autriche, 16 décembre 1996, req. n° 17371/90.

C. C., 11 octobre 2018, n° 133/2018.

Cass., 21 avril 2011, n° C.10. 0394.F.

Doctrine :

Carlier, J.-Y., et Saroléa, S., Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016.

Carlier, J.-Y. (dir.), L’étranger face au droit, XXes journées d’études juridiques Jean Dabin, Bruxelles, Bruylant, 2010.

Maheshe Musole, T., « Nationalité et sous nationalité dans l’accès à la pension de retraite coloniale : le cas des Belges de statut congolais », Cahiers de l’EDEM, octobre 2018.

Renauld, B., « Les Belges de statut congolais étaient Belges », Cahiers de l’EDEM, septembre 2018.

Pour citer cette note : T. Maheshe Musole, « Nationalité et résidence dans l’accès à la pension de retraite coloniale », Cahiers de l’EDEM, février 2020.

 


[2] E. Dermine et al., « Aperçu des droits sociaux des étrangers en Belgique et questionnements actuels », in J.Y. Carlier, L’étranger face au droit, XXes journées d’études juridiques Jean Dabin, Bruxelles, Bruxelles, 2008, p. 561.

[3] Ibidem.

[4] Pour une vue d’ensemble sur la controverse jurisprudentielle, voy. B. Renauld, « Les Belges de statut congolais étaient Belges », Cahiers de l’EDEM, septembre 2018.

[5] E. Dermine et al., « Aperçu des droits sociaux des étrangers en Belgique et questionnements actuels », in J.Y. Carlier, op. cit., p. 575.

[6] Ibid.

[7] J.Y. Carlier et S. Saroléa, Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016, p. 89.

[8] Ibid.

Publié le 28 février 2020