Cour d’appel (Royaume-Uni), 15 mars 2021, Turani and Anor v. Secretary of State for the Home Department, EWCA Civ 348

Louvain-La-Neuve

L’accès à la réinstallation au Royaume-Uni pour les réfugiés palestiniens au prisme de l’application extraterritoriale de l’interdiction des discriminations et du « devoir d’égalité du secteur public »

Réinstallation – Royaume-Uni – Réfugiés palestiniens – HCR – UNRWA – Non-discrimination – Devoir d’égalité du secteur public – Art. 29 et 149 § 1 Equality Act 2010 – Effet extraterritorial.

Ce jugement de la Cour d’appel du Royaume-Uni soulève la question de la légalité de l’application du programme de réinstallation au Royaume-Uni au regard de l’interdiction des discriminations et du « devoir d’égalité du secteur public » (PSED) en ce qu’il ne permet pas aux réfugiés palestiniens d’y avoir accès.

Caroline Leclercq

A. Arrêt

1. La réinstallation au Royaume-Uni

La réinstallation consiste à transférer des réfugiés d’un premier pays d’asile  Commissariat des Nations uvers un autre État qui a accepté de les accueillir et de leur accorder, à terme, une résidence permanente. Le programme de réinstallation du Royaume-Uni s’adresse aux réfugiés particulièrement vulnérables référés/présélectionnés par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (« HCR »), il s’agit d’un programme à titre gracieux en dehors des règles d’immigration (§ 8). Initialement, ce programme a été initié par une déclaration du Secrétaire d’État au ministère de l’Intérieur (« Secrétaire d’État ») et n’était accessible qu’aux réfugiés syriens, il a été élargi aux ressortissants non syriens en juillet 2017 (§ 12).

2. Les faits pertinents de la cause

Les requérants sont des réfugiés palestiniens qui ont fui la guerre en Syrie et ont obtenu une protection au Liban où ils résident actuellement. Ils souhaitent être admis au Royaume-Uni dans le cadre du programme de réinstallation mis en place par le gouvernement britannique. Le Secrétaire d’État reconnaît qu’ils remplissent les critères de vulnérabilité pour la réinstallation au Royaume-Uni (§ 1).

Cependant, ce programme s’applique uniquement aux réfugiés identifiés et référés (présélection) par le HCR, alors que les appelants – tout comme l’ensemble des réfugiés palestiniens – se trouvent sous le mandat d’une autre organisation des Nations Unies : l'Officeunies : l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (« UNRWA »), ce qui les rend inéligibles à la réinstallation (sauf dans des circonstances exceptionnelles) (§ 2).

3. La demande de contrôle judiciaire et la décision en première instance

Les requérants ont introduit une demande de contrôle judiciaire de l’application du programme par le Secrétaire d’État, soutenant que :

  • La mise en œuvre du programme de réinstallation correspond à une discrimination contraire à l’article 29, § 6, de l’Equality Act 2010 et est irrationnelle en vertu de la Common Law.
    • (1) A person (a ‘service-provider’) concerned with the provision of a service to the public or a section of the public (for payment or not) must not discriminate against a person requiring the service by not providing the person with the service.
    • (6) A person must not, in the exercise of a public function that is not the provision of a service to the public or a section of the public, do anything that constitutes discrimination, harassment or victimisation. …
    • (9) In the application of this section, so far as relating to race or religion or belief, to the granting of entry clearance (within the meaning of the Immigration Act 1971), it does not matter whether an act is done within or outside the United Kingdom.
    • (10) Subsection (9) does not affect the application of any other provision of this Act to conduct outside England and Wales or Scotland.

 

  • Le Secrétaire d’État n’a pas respecté le « devoir d’égalité du secteur public » (public sector equality duty, « PSED ») prévu à l’article 149, § 1er, de l’Equality Act 2010 qui impose aux organismes publics de tenir compte des besoins en matière d’égalité lorsqu’ils exercent leurs fonctions.

(1) A public authority must, in the exercise of its functions, have due regard to the need to-

    • (a) eliminate discrimination, harassment, victimisation and any other conduct that is prohibited by or under this Act;
    • (b) advance equality of opportunity between persons who share a relevant protected characteristic and persons who do not share it;
    • (c) foster good relations between persons who share a relevant protected characteristic and persons who do not share it.

En première instance, le juge a estimé que le programme de réinstallation ne créait pas de discrimination indirecte fondée sur la race contraire à l’article 29, § 6, de l’Equality Act 2010 (« EqA 2010 »). D’une part, la demande se situait en dehors de son champ d’application territorial et, d’autre part, la discrimination était justifiée.

Sur le second grief, le juge de première instance a déclaré que le PSED visé à l’article 149, § 1er, b), EqA 2010 s’appliquait à la décision d’établir le programme et qu’il y avait eu violation de cette obligation car aucun élément ne permettait de démontrer que le Secrétaire d’État avait examiné la promotion de l’égalité des chances pour les réfugiés palestiniens.

Les requérants obtiennent gain de cause en première instance au regard de l’effet extraterritorial de l’article 149 de l’EqA 2010 mais ils interjettent appel contre la décision en ce que le juge de première instance n’a pas constaté de discrimination contraire à l’article 29, § 6, de l’EqA 2010. Le Secrétaire d’État forme alors un recours incident contre la conclusion selon laquelle il y a eu violation du PSED. La Cour suprême sera également saisie suite au jugement de la Cour d’appel mais uniquement sur la question de savoir si le PSED possède un effet extraterritorial.

4. Le jugement devant la Cour d’appel

a. Violation de l’article 29, § 6 EqA 2010, et irrationalité en vertu de la Common Law

  • Application extraterritoriale

Concernant la violation de l’article 29, § 6, de l’EqA 2010 qui interdit toute discrimination dans l’exercice d’une fonction publique, la question est de savoir s’il s’applique à la mise en œuvre du programme de réinstallation au Liban (c’est-à-dire en dehors du Royaume-Uni). L’article 29, § 9, prévoit, à titre exceptionnel, l’application extraterritoriale de cette interdiction de discrimination dans la mesure où elle est liée à la race, à la religion ou aux convictions dans le cadre de l’octroi d’une autorisation d’entrée.

La Cour d’appel a conclu que le libellé de l’article 29, § 9, démontre l’intention expresse du Parlement d’étendre l’effet territorial de l’article 29 aux actes accomplis en dehors du Royaume-Uni, mais seulement dans des circonstances précises et limitées (§ 58).

La Cour a approuvé la conclusion du juge de première instance selon laquelle l’élaboration du programme de réinstallation ne constitue pas en soi l’octroi d’une autorisation d’entrée en vertu de l’article 29, § 9 (§ 62). Cependant, la Cour d’appel est parvenue à une conclusion différente de celle du juge de première instance sur la question limitée de savoir si l’application du programme de réinstallation dans des cas individuels équivalait ou non à l’octroi d’une autorisation d’entrée sur le territoire et relevait donc de l’article 29, § 9, EqA 2010.

La Cour affirme que l’article 29, § 9, de l’EqA 2010 s’étend aux refus comme aux octrois d’autorisation d’entrée, et doit couvrir la substance de la décision et pas seulement la décision formelle elle-même (§ 66). La règle contestée appliquée aux appelants est l’exigence d’un renvoi par le HCR en vue d’une réinstallation. Bien qu’il ne s’agisse pas de l’octroi d’une autorisation d’entrée en soi, il s’agit d’une condition préalable à l’obtention de cette autorisation (§ 67). La Cour a donc estimé que l’interdiction de discrimination prévue à l’article 29, § 6, s’applique à l'incapacité des appelantsl’incapacité de l’appelant à remplir la condition préalable pour obtenir l’autorisation d’entrée sur le territoire, à savoir une recommandation du HCR, nonobstant le fait que cela ait eu lieu en dehors du Royaume-Uni (§ 71).

  • Existence d’une discrimination indirecte

La Cour examine ensuite si cette discrimination peut être justifiée. La discrimination indirecte implique l’application d’une « disposition, d’un critère ou d’une pratique » (« PCP ») apparemment neutre qui désavantage les personnes présentant une caractéristique protégée particulière par rapport aux autres. La nationalité ou l’origine nationale est une caractéristique protégée pertinented’être. Les réfugiés palestiniens se trouvent désavantagés par rapport aux personnes d’autres origines déplacées par le même conflit. Le PCP dans la présente affaire est la règle selon laquelle la présélection des réfugiés dans le cadre du programme de réinstallation doit être effectuée exclusivement par le HCR (§ 27). Sur ce point, la Cour d’appel confirme le raisonnement du juge de première instance (§§ 75-80, 89-94, 95). Ce dernier avait suivi l’examen en quatre étapes dégagé au § 74 de l’affaire Bank Mellat v. HM Treasury afin de déterminer si la discrimination pouvait être justifiée.

Le juge de première instance a ainsi estimé que (i) l’objectif du PCP d’aider le plus vite possible les personnes déplacées par le conflit syrien est légitime ; (ii) le PCP est rationnellement lié à l’objectif poursuivi puisque le HCR est l’acteur le mieux placé pour identifier, préparer, vérifier et évaluer les besoins de réinstallation des réfugiés sur le terrain ; (iii) aucun moyen moins intrusif n’aurait pu être utilisé afin d’atteindre l’objectif du programme : la présélection des réfugiés par l’ambassade britannique locale ou le ministère de l’Intérieur pas plus que par l’une des organisations non gouvernementales (« ONG ») actives dans la région n’aurait pu offrir la sécurité, la fiabilité, la rapidité et la cohérence qu’apporte l’utilisation du HCR ; (iv) l’atteinte aux droits des requérants n’est pas disproportionnée par rapport au bénéfice probable du PCP. Contrairement aux autres personnes déplacées par le conflit syrien, les réfugiés palestiniens disposent de leur propre organisation de secours ; et, pour des raisons historiques, le mandat de l’UNRWA ne couvre pas la réinstallation, tandis que celui du HCR exclut les personnes relevant de l’UNRWA[1] l’UNRWAl’UNRWA. Le fait que les ressources de l’UNRWA et sa capacité à aider les réfugiés palestiniens soient limitées n’a aucune incidence (§ 43).

  • Irrationalité au regard de la Common Law

La Cour d’appel confirme également le raisonnement du juge de première instance concernant l’argument d’irrationalité au regard de la Common Law au motif qu’il était rationnel pour le Secrétaire d’État de s’appuyer sur le HCR pour sélectionner les réfugiés à réinstaller (§§ 133-138).

b. Violation du PSED (art. 149 § 1 EqA 2010, § 1er)

Concernant la violation du PSED, la Cour d’appel, comme le juge de première instance, écarte l’application des points a et c de l’article 149 § 1 EqA 2010.

Selon la Cour d’appel, la véritable question est de savoir si l’obligation consacrée à l’article 149, § 1er, b), s’étend à la prise en compte de la promotion de l’égalité à l’égard des personnes ou des questions situées en dehors du Royaume-Uni lors de l’élaboration d’une politique (§ 100). Le fait que le PSED s’applique à une fonction exercée au Royaume-Uni ne conduit pas inévitablement à la conclusion qu’il faut également tenir compte des personnes ou des questions situées à l’extérieur du territoire national.

Après avoir examiné les affaires Hottak et Hoareau, la Cour d’appel estime que le point de départ doit être la présomption que le Parlement a légiféré pour un effet territorial seulement, à moins que l’on puisse raisonnablement considérer qu’il avait l’intention de donner un effet extraterritorial aux dispositions de la loi (§ 101). La Cour estime qu’une obligation de tenir dûment compte de la nécessité d’améliorer l’égalité pour quiconque dans le monde entier, indépendamment de la capacité réelle de l’autorité publique à la faire progresser, serait dénuée de sens. De plus, rien dans le libellé de l’article 149, § 1er, b), ne permet de penser que telle était l’intention du Parlement (§§ 100-105, 107, 108).

La Cour d’appel confirme l’absence de discrimination contraire à l’article 29, § 6 EqA 2010. Elle infirme cependant le jugement de première instance quant à l’effet extraterritorial de l’article 149 et donne raison au Secrétaire d’État en constatant une absence de violation de cette disposition.

La Cour suprême est ensuite saisie uniquement sur l’effet extraterritorial de l’article 149. Elle confirme le raisonnement de la Cour d’appel et la présomption bien établie en droit interne selon laquelle la législation n’est généralement pas destinée à avoir un effet extraterritorial (§ 41). Aucun élément de la législation ne permet de déduire que la présomption peut être renversée. Le PSED vise à garantir que certains organismes publics tiennent dûment compte de la nécessité d’adopter des politiques qui contribuent à apporter des changements sociétaux au sein de la communauté mais pas de tenter de provoquer ce type de changement dans les pays situés en dehors du Royaume-Uni (§ 52). Une personne présentant une caractéristique protégée mais n’ayant aucun lien avec le Royaume-Uni ne pouvait pas contester la décision d’un organisme public au motif qu’il n’avait pas dûment tenu compte de la nécessité d’améliorer sa position au sein de cette communauté étrangère (§ 54).

B. Éclairage

Cet arrêt est l’un des premiers à mettre en cause les critères de sélection discriminatoires qui peuvent s’appliquer dans le cadre des programmes de réinstallation[2]. Bien qu’il concerne essentiellement le champ d’application territorial de certaines dispositions de l’EqA 2010 (art. 26, § 6, application d’une politique, et 149, § 1er, formulation d’une politique), il permet également de dégager différents enseignements relatifs aux programmes de réinstallation des réfugiés dans leur ensemble.

1. Une avancée par l’application extraterritoriale de l’interdiction des discriminations dans l’exercice d’une fonction publique (art. 26, § 6, EqA 2010)

L’application de garanties juridiques à des contextes extraterritoriaux a souvent été contestée[3]. Dans la présente affaire, le Secrétaire d’État a d’ailleurs développé un argument par analogie avec l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme M.N. et autres c. Belgique qui traitait de la portée territoriale des droits de la Convention européenne des droits de l’homme dans un contexte similaire. Cet arrêt concernait le refus d’un visa humanitaire par la Belgique à des requérants se trouvant au Liban. La Cour a conclu à l’absence d’effet extraterritorial de la Convention car elle a estimé que l’exercice d’un pouvoir public en relation avec la demande d’entrée en Belgique n'était n’estpas suffisant pour placer les requérants sous la juridiction territoriale de la Belgique, le simple fait qu’un requérant introduise une procédure dans un État avec lequel il n’a aucun lien de rattachement ne peut suffire à établir la compétence de cet État à son égard (§ 50). Cet argument avancé par le Secrétaire d’État a cependant été rejeté par la Cour d’appel qui a conclu à l’application extraterritoriale de l’article 29, § 6 EqA 2010.

En considérant que l’application du programme de réinstallation dans des cas individuels équivaut à l’octroi d’une autorisation d’entrée sur le territoire au sens de l’article 29, § 9, la Cour d’appel permet l’exercice d’un contrôle au regard de l’interdiction des discriminations dans la mise en œuvre du programme de réinstallation. Bien que l’exigence d’un renvoi par le HCR en vue d’une réinstallation ne constitue pas en soi l’octroi d’une autorisation d’entrée, il s’agit d’une condition préalable à l’obtention d’une telle autorisation.

C’est un point important car en Europe, les autorités de la plupart des États européens estiment que la décision du HCR de ne pas présélectionner une personne pour la réinstallation ne peut être considérée comme un refus d’autorisation d’entrée sur le territoire car à aucun moment, l'individu n'a introduit de demandel’individu n’a . Il s’agissait d’ailleurs d’un argument avancé par le Secrétaire d’État britannique dans la présente affaire (§ 64). Il en va de même de la décision d’un État de sélectionner ou non un réfugié pour la réinstallation.

Le problème se situe également dans l’absence de matérialisation des décisions de (pré)sélection. Le HCR au stade de la présélection pas plus que les États de réinstallation au stade de la sélection des réfugiés ne sont tenus de délivrer une décision à une personne acceptée ou refusée pour la réinstallation[4].

Dans le cadre de la présente affaire, ce qui est contesté n’est pas la décision du HCR mais la mise en œuvre du programme de réinstallation qui est matérialisé au sein de différents actes administratifs (déclarations parlementaires et ministérielles) qui, bien que n’étant pas de nature législative, permettent de servir de base à la contestation. Plus précisément, les requérants remettent en question la règle selon laquelle le HCR est la seule autorité compétente pour effectuer les renvois pour la réinstallation. Cette matérialisation du programme britannique de réinstallation permet l’exercice d’un contrôle juridictionnel. Dans la plupart des États européens, les programmes de réinstallation ne sont pas formalisés par un acte et ne sont dès lors soumis à aucune vérification[5].

2. Un contrôle limité exercé par la Cour au regard de la justification de la discrimination indirecte

Le contrôle de fond opéré par la Cour d’appel reste relativement limité. On peut notamment critiquer le test de proportionnalité où elle indique qu’il importe peu que les ressources de l’UNRWA et sa capacité à aider les réfugiés palestiniens soient restreintes par rapport aux ressources du HCR (voir point sur l’existence d’une discrimination). Or, c’est précisément ce manque de ressources matérielles et financières associé au traitement différentiel des réfugiés palestiniens par rapport aux réfugiés syriens, qui contribue directement à la vulnérabilité particulière des réfugiés palestiniens. Le mandat de l’UNRWA est un mandat plus limité et n’est de toute évidence pas équivalent à celui du HCR (argumentaire soutenu par la partie requérante au § 74). La recherche de solutions durables ne fait par exemple pas partie du mandat de l’UNRWA alors qu’elle constitue l’une des principales tâche du HCR.

On peut également déplorer le manque de considération pour les solutions alternatives proposées par les requérants à savoir de confier la tâche de présélection aux autotriés britanniques ou à des ONG actives au Liban.

3. Une application territoriale du PSED (art. 149 EqA 2010)

En outre, ce contrôle effectué par la Cour n’opère que dans le cadre de la mise en œuvre du programme de réinstallation et non au stade de son adoption puisque l’application extraterritoriale de l’article 149, § 1er, a été écartée. La Cour d’appel ainsi que la Cour suprême soulignent l’importance de la présomption contre l’extraterritorialité du PSED, sauf indication contraire explicite. Cela signifie que les obligations en matière d’égalité des organismes publics britanniques dans l’adoption des politiques se limitent aux personnes ayant un lien avec le Royaume-Uni. Le PSED ne s’applique donc pas aux personnes à l’étranger qui seraient affectées par l’adoption de projets ou de décisions d’organismes publics ayant des effets discriminatoires.

4. Des conséquences pour l’accès à la réinstallation des réfugiés palestiniens

De façon plus large, cet arrêt met en lumière les défis spécifiques auxquels sont confrontés les réfugiés palestiniens puisqu’ils se retrouvent la plupart du temps exclus des programmes de réinstallation étant donné qu’ils ne tombent pas sous le mandat du HCR mais uniquement de l’UNRWA.

Afin que les réfugiés palestiniens puissent avoir un accès plus aisé à la réinstallation au Royaume-Uni, la présélection pourrait être effectuée soit directement par les autorités britanniques soit par des ONG actives au sein des États de premier asile, dans notre cas, le Liban. Cependant, et comme cela a été présenté dans la justification de la discrimination indirecte, le HCR est l’organisation la mieux placée pour procéder à la présélection des réfugiés afin d’assurer une réinstallation rapide et efficace. Dès lors, la majorité des États ont recours à cette agence pour les renvois en matière de réinstallation, ce qui a pour effet d’exclure les réfugiés palestiniens de ces programmes (non seulement au Royaume-Uni mais également dans la majorité des autres États européens)[6]. Pourtant, de grands États de réinstallation tels que la Norvège, le Canada ou encore les États-Unis permettent aux ONG de procéder à des présélections en vue d'une réinstallation en dehors du mandat du HCR, tout en conservant cette agence comme organisme de renvoi principal. Ces dispositions ont été conçues pour résoudre le problème des limites du mandat de l'UNRWA.

Par ailleurs et tel que susmentionné, la Cour d’appel indique que le fait que les ressources de l’UNRWA et sa capacité à aider les réfugiés palestiniens soient limitées n’a aucune incidence sur l’issue du jugement, le test de proportionnalité effectué à cet égard est décevant[7].

Cette situation engendre des conséquences négatives dans le contexte actuel de Gaza, où le conflit persistant et la détérioration des conditions de vie exacerbent la vulnérabilité de ces populations. La limitation des protections extraterritoriales renforce l’isolement des réfugiés palestiniens et la nécessité de solutions internationales et d’une coopération accrue pour pallier ces lacunes.

Conclusion

Si l’application extraterritoriale de l’interdiction de discrimination dans l’exercice d’une fonction publique constitue une avancée car elle permet d’exercer un certain contrôle sur les critères appliqués dans le cadre du programme de réinstallation au Royaume-Uni, le test de proportionnalité effectué in casu par la Cour semble trop léger afin de fournir de réelles garanties aux réfugiés. L'admissibilité d'un contrôle d'actes posés au dehors de la juridiction restreinte d'un Etat européen est intéressante face aux divers projets d'externalisation. Ce qui se passe à l'extérieur sort ainsi d'une zone d'impunité juridique, même si, comme souligné, le contrôle reste ici marginal. De plus, cet examen ne s’étend pas à l’adoption du programme de réinstallation. De façon plus large, cet arrêt illustre les difficultés des réfugiés palestiniens à avoir accès à la réinstallation en raison de leur statut unique sous l’UNRWA et du choix privilégié des États européens de passer par le HCR pour effectuer la présélection des réfugiés pour la réinstallation.

C. Pour aller plus loin

Lire les arrêts :

High Court of Justice (UK), 26 July 2019, Turani, Marouf and Ahmad v. Secretary of State for the Home Department [2019] EWHC 1586 (Admin).

Court of Appeal (UK), 15 March 2021, R (Turani and Marouf) v. Secretary of State for the Home Department [2021] EWCA Civ 348.

Supreme Court (UK), 9 March 2023 R (on the application of Marouf) (Appellant) v. Secretary of State for the Home Department (Respondent), [2023] UKSC 23.

Jurisprudence :

C.J.U.E., 7 mars 2017, X. et X. c. Belgique, C-638/16, EU:C:2017:173.

Cour eur D.H., 15 mars 2020, M.N. et autres c. Belgique, req. n° 3599/18.

Supreme Court (UK), 19 June 2013, Mellat v. HM Treasury [2013] UKSC 38.

High Court of Justice (UK), 8 July 2015, R (Hottak) v. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs [2015] IRLR 827 (Admin).

High Court of Justice (UK), 9 February 2019, R (Hoareau) v. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs [2019] 1 WLR 4105 (Div).

Doctrine :  

Albanese F. et Takkenberg P., “UNRWA and the Palestinian refugees: Protecting refugee rights while structurally addressing the agency financially unsustainable modus operandi”, RSC working paper series n°138, février 2023, p 10.

Blundell, D., KC, « Supreme Court hands down important judgment on extraterritoriality and the PSED », Landmark Chambers, 2023.

Brotherton M., « Regina (Turani) v Secretary of State for the Home Department », ICLR.

Costello, C. et Foster, M., « (Some) refugees welcome : When is differentiating between refugees unlawful discrimination ? », International Journal of Discrimination and the Law, vol. 22(3), pp. 244-280.

Autres sources :

Manuel du HCR pour la réinstallation, 2011.

UNRWA annual operational report 2023.

 

Pour citer cette note : C. Leclercq, « L’accès à la réinstallation au Royaume-Uni pour les réfugiés palestiniens au prisme de l’application extraterritoriale de l’interdiction des discriminations et du “devoir d’égalité du secteur public” », Cahiers de l’EDEM, août 2024.

 

[1] L’UNRWA possédait initialement la double mission d’apporter une assistance humanitaire et de fournir un soutien à l'intégration locale et à la réinstallation limitée en tant qu'alternatives possibles au retour (et à l'indemnisation). Cependant, l'opposition des réfugiés palestiniens et des pays d'accueil aux premiers programmes de travaux envisagés dans les années 1950 a conduit l’UNRWA à s’abstenir d’intervenir dans ces domaines, UN General Assembly, 194 (III). Palestine - Progress Report of the United Nations Mediator, A/RES/194, 11 December 1948, voy. également: Assemblée générale des Nations-Unies, Résolution n°428 (V) - Statut de l'UNHCR, art. 7(c) et Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et Protocole de New York du 21 janvier 1967, R.T.N.U., vol. 189, p. 50 et vol. 606, p. 267, ci-après : « Convention de Genève », art. 1D.

[2] C. Costello et M. Foster, « (Some) refugees welcome : When is differentiating between refugees unlawful discrimination ? », International Journal of Discrimination and the Law, vol. 22(3), pp. 244-280.

[3] Voy. également : C.J.U.E., 7 mars 2017, X. et X. c. Belgique, C-638/16, EU:C:2017:173.

[6] Ibid.

[7] Les services humanitaires et de développement fournis par l’UNRWA sont limités aux territoires palestiniens occupés, à la Syrie, à la Jordanie et au Liban. Le mandat de l’UNRWA (contrairement à celui du HCR) ne comprend pas explicitement la recherche de solutions durables, ces derniers sont également exclus de la protection offerte par la Convention de Genève de 1961 sur le statut de réfugiés (art. 1er, D). L’UNRWA signale en outre que les réfugiés enregistrés au Liban mènent une existence extrêmement fragile et précaire et ne peuvent subvenir à leurs besoins que grâce à l’aide humanitaire. Selon les chiffres de l’ONU, 95 % des réfugiés palestiniens sont en situation d’insécurité alimentaire et connaissent la faim, le froid et la maladie dans des camps préexistants déjà dépourvus de ressources. L’accès aux soins de santé est limité, tout comme l’accès à l’éducation. Ces réfugiés dépendent entièrement des agences internationales et d’autres États pour leur assistance et leur soutien, UNRWA annual operational report 2023.

Publié le 10 septembre 2024