Nouveau pacte pour la migration et l’asile (accord politique), 23 décembre 2023

Louvain-La-Neuve

Accès à la protection internationale en péril : la réinstallation comme contrepoids au durcissement des mesures aux frontières ?

Pacte européen pour l’asile et la migration – Système européen commun d’asile – Contrôle aux frontières – Procédure d’asile – Procédure de filtrage – Mécanisme de solidarité entre États membres – Voie légale d’accès au territoire pour les demandeurs d’asile – Réinstallation – Droits fondamentaux – Droits procéduraux.

Le 20 décembre 2023, le nouveau pacte pour la migration et l’asile a fait l’objet d’un accord politique par les institutions européennes. Le renforcement des contrôles et l’instauration d’une procédure d’asile accélérée aux frontières extérieures de l’Union européenne (ci-après « UE ») ont suscité de nombreuses critiques, ces mesures étant jugées comme restreignant l’accès à l’asile et la qualité de la procédure pour les personnes cherchant une protection dans l’UE[1]. Un élément pourrait cependant servir de contrepoids à ce durcissement : la future adoption du pacte implique également la mise en œuvre du nouveau cadre européen pour la réinstallation, voie légale d’accès au territoire de l’UE pour les demandeurs d’asile.

Caroline Leclercq

A. Contenu

Le nouveau pacte pour la migration et l’asile proposé en septembre 2020 par la Commission européenne comprend plusieurs textes distincts de nature juridique différente[2]. Nous nous intéresserons uniquement à ceux qui concernent l’accès à l’asile et la procédure pour les personnes en quête de protection[3]. Certains de ces textes soumis par la Commission ont déjà été discutés au niveau du Conseil et du Parlement européen et font l’objet d’un accord provisoire depuis décembre 2022, c’est notamment le cas du règlement instaurant un cadre européen pour la réinstallation[4] (point 2). Leur adoption définitive était cependant dépendante d’un accord sur d’autres règlements du pacte portant principalement sur des mesures de contrôle aux frontières (point 1). Le 20 décembre 2023, un accord politique sur ces règlements a été atteint. Les discussions se poursuivront à un niveau technique jusqu’en février, une adoption formelle de l’ensemble des éléments du pacte étant prévue avant les élections au Parlement européen en juin 2024[5]. Bien qu’aucune modification substantielle ne soit attendue, les versions définitives des règlements n’ont pas encore été publiées. Cet article se base dès lors sur les informations actuellement disponibles, notamment par une lecture combinée des propositions de règlement et des commentaires sur les discussions qui ont eu lieu le 20 décembre 2023.

1. Les procédures à la frontière

Les derniers textes approuvés en matière d’accès à l’asile portent respectivement sur l’identification des ressortissants de pays tiers à leur arrivée (règlement filtrage), la mise en place d’une base de données commune afin de détecter les mouvements non autorisés (règlement Eurodac), l’efficacité et la rapidité des procédures d’asile et de retour aux frontières (règlement sur les procédures d’asile), la mise en place d’un mécanisme de solidarité obligatoire avec les États européens soumis à une forte pression migratoire (règlement gestion de l’asile et de la migration) ainsi que les situations de crises (règlement crise et force majeure)[6]. Ils visent à lutter contre l’immigration dite « irrégulière ».

– Règlement filtrage

Le premier texte induit la mise en place d’un filtrage des ressortissants d’États tiers à leur arrivée aux frontières de l’UE. Ce filtrage comprend un examen de santé, d’identité, de sécurité et de vulnérabilité. Le but est de déterminer dans un délai de sept jours si le demandeur doit faire l’objet d’une procédure de retour ou être orienté vers une procédure d’asile (ordinaire ou accélérée). Durant la durée de cet examen, les personnes concernées sont retenues à la frontière.

La mise en place d’un mécanisme de suivi des droits de l’homme est également prévue[7]. Il sera principalement mis en œuvre au niveau national mais avec l’intervention de l’Agence des droits fondamentaux pour l’Union européenne. Son champ d’application exact est encore imprécis.

– Règlement Eurodac

Ce filtrage est renforcé par la modification du règlement Eurodac. En plus des empreintes digitales initialement collectées, des images faciales ainsi que des informations personnelles telles que le nom, le prénom, la nationalité, la date et le lieu de naissance seront également enregistrées. En outre, des indications concernant les décisions d’éloignement, de retour ou de réinstallation seront récoltées afin d’identifier les personnes introduisant plusieurs demandes. Si cette identification était auparavant réservée aux adultes et aux enfants de minimum 14 ans, l’âge est à présent diminué à 6 ans[8].

– Règlement procédure d’asile

Le troisième règlement met quant à lui en place une procédure d’asile accélérée pour les migrants qui, ayant passé le premier filtre, ont cependant peu de chance d’obtenir une protection internationale en raison de leur pays d’origine. Si moins de 20 % des ressortissants de ce pays obtiennent l’asile dans l’UE, ils seront automatiquement redirigés vers une procédure accélérée. Il en va de même des personnes considérées comme présentant un danger pour la sécurité nationale ou l’ordre public. Dans ces cas, le délai de traitement de la demande d’asile sera accéléré et ne pourra excéder 12 semaines pendant lesquelles les personnes seront également détenues à la frontière. Si les mineurs étrangers non accompagnés échappent à cette procédure, les enfants arrivant avec leur famille en revanche pourront en faire l’objet. Lorsque la demande est rejetée, la personne concernée doit être renvoyée endéans 12 semaines, le pays de retour pouvant être le pays d’origine ou un pays tiers dans tous les cas figurant dans la liste des pays tiers sûrs. Un appel peut être introduit contre cette décision mais il n’a pas automatiquement d’effet suspensif[9].

– Règlement gestion de l’asile et de la migration

Le règlement gestion de l’asile et de la migration vise à l’amélioration du système Dublin. La relocalisation – transfert d’un demandeur d’asile d’un État membre de l’UE qui a la responsabilité de son accueil vers un autre État membre – est le principal outil utilisé afin de venir en aide aux pays possédant des frontières extérieures à l’Union qui subissent une forte pression migratoire. Le règlement met également en place deux autres formes de solidarité : une contribution financière ou un support en nature. Un minimum de 30 000 relocalisations par an est exigé ou si un État souhaite réduire sa contribution, il peut s’acquitter d’une somme de 20 000 € par demandeur d’asile non relocalisé[10].

– Règlement crise

Enfin, le règlement crise vise à régler les situations de crise, d’instrumentalisation et de force majeure. Il permet de retarder l’enregistrement des demandes d’asile d’un mois et d’étendre les procédures aux frontières aux demandeurs dont le taux de reconnaissance est inférieur ou égal à 75 % en temps de crise, et à 100 % en cas d’instrumentalisation[11]. Cela conduit à une augmentation du nombre de personnes soumises à des procédures accélérées. Presque tous les demandeurs d’asile devraient attendre l’issue de leur procédure pendant cinq mois (contre trois mois dans les procédures ordinaires). Si une demande d’asile est rejetée, cette détention pourrait durer dix mois au total[12].

2. Le nouveau cadre européen pour la réinstallation

Parallèlement à ces mesures de contrôle aux frontières, l’UE développe également une voie légale d’accès à son territoire pour les demandeurs d’asile. La réinstallation implique la sélection et le transfert de personnes ayant obtenu le statut de réfugié dans un premier État d’asile au sein duquel ils n’ont aucune perspective d’avenir vers un État tiers qui a accepté́ de les accueillir[13]. Une présélection des réfugiés les plus vulnérables est effectuée par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (ci-après, « HCR »). Les États membres choisissent ensuite, parmi les réfugiés présélectionnés, ceux qu’ils souhaitent réinstaller. Après deux programmes ad hoc de réinstallation financés par l’UE entre 2016 et 2019, l’objectif de ce règlement européen est de fournir « une approche commune de l’arrivée légale et sûre dans l’Union des personnes ayant besoin d’une protection internationale » afin « d’accroître les efforts de réinstallation et d’admission humanitaire et de réduire les divergences entre les pratiques et procédures nationales en matière de réinstallation »[14]. Afin d’atteindre cet objectif, le cadre européen prévoit un plan semestriel établi par le Conseil, une procédure d’admission commune, ainsi que des motifs d’exclusion.

– Plan semestriel non contraignant

Un plan semestriel établi par le Conseil fixera le nombre total de personnes à admettre, les modalités de la participation des États membres, une description des groupes spécifiques de personnes visées ainsi que les priorités géographiques[15]. Le préambule du règlement stipule cependant qu’« il n’existe pas de droit subjectif à demander l’admission ou à être admis par un État membre, ni d’obligation pour les États membres d’admettre une personne au titre du présent cadre »[16]. Des règles communes concernant l’admission et le type de statut à accorder seront mises en place.

– Procédure d’admission

L’article 10 de la proposition de règlement définit la procédure d’admission. Elle peut bénéficier aux ressortissants de pays tiers répondant à la définition du réfugié ou aux bénéficiaires de la protection subsidiaire, aux personnes vulnérables et aux membres de la famille de ressortissants de pays tiers, d’apatrides ou de citoyens de l’Union résidant légalement dans l’UE. Toutefois, les États membres peuvent favoriser les personnes : 1) ayant des liens familiaux avec des personnes résidant légalement dans un État membre ; 2) ayant des liens sociaux avérés ou d’autres caractéristiques susceptibles de faciliter leur intégration dans l’État membre, y compris des compétences linguistiques ou un séjour antérieur ; et 3) ayant des besoins de protection particuliers ou présentant des vulnérabilités[17].

Motifs d’exclusion

La proposition prévoit également des motifs d’exclusion. Il s’agit d’une combinaison des motifs déjà contenus dans la directive qualification et de certains des critères d’évaluation des risques contenus dans le code des visas et le code frontières Schengen. Dans ces cas, la participation au processus de réinstallation est interdite pendant une période de trois ans. En outre, les personnes qui ont refusé de participer à un programme de réinstallation ou d’admission humanitaire ou qui ont retiré leur consentement à la participation de l’un de ces programmes sont également exclues. Il en va de même pour les personnes qui refusent de participer à un programme d’orientation avant le départ[18]. Enfin, les « personnes à l’égard desquelles l’État membre ne peut fournir le soutien adéquat dont elles ont besoin en raison de leur vulnérabilité » ne sont pas éligibles à la réinstallation[19].

B. Discussion

Si l’Union européenne défend un objectif louable, à savoir réduire la migration irrégulière, en introduisant des mesures restrictives aux frontières et en renforçant l’entrée « légale », il est indéniable que les moyens utilisés sont empreints d’un déséquilibre : trop incisifs en ce qui concerne le renforcement des contrôles (point 1) et lacunaires au regard du cadre européen pour la réinstallation (point 2).

Ces mécanismes entrent en outre en contradiction avec de nombreux points repris dans les recommandations du HCR pour la présidence belge et hongroise parues ce 10 janvier 2024 qui serviront en partie à structurer notre discussion.

1. Des mesures qui semblent porter atteinte à la qualité de la procédure et aux droits fondamentaux des migrants

Plusieurs éléments des règlements adoptés pourraient porter atteinte à l’accès à l’asile en diminuant la qualité de la procédure et donc les chances d’obtenir une protection. Il s’agit de la procédure de filtrage et du critère de renvoi vers la procédure spéciale ainsi que des délais accélérés pour les procédures aux frontières comprenant des garanties moindres qui deviennent la norme en temps de crise. D’autres pourraient influencer négativement l’accès à l’asile en raison des risques structurels et d’atteinte aux droits fondamentaux qu’ils comportent. En effet la privation de liberté aux frontières doit nécessairement être contrebalancée par un mécanisme de solidarité ambitieux.

– Filtre supplémentaire et fiction juridique de non-entrée

Durant la procédure de filtrage, il sera considéré que les personnes n’ont pas officiellement pénétré sur le territoire de l’UE. Elles bénéficieront dès lors de garanties moindres et n’auront en principe pas accès à l’aide juridique[20]. Cela semble aller à l’encontre des normes bien établies selon lesquelles les personnes qui introduisent une demande de protection internationale depuis leur arrivée possèdent le statut de demandeur d’asile[21]. En outre, dans ses recommandations, le HCR insiste sur la nécessité d’appliquer les garanties du système d’asile européen et du droit international des réfugiés aux personnes dès l’instant où elles se présentent à la frontière et où l’on peut considérer qu’elles demandent une protection.

Il faut cependant noter que la fiction juridique de la non-entrée n’aurait pas pour conséquence d’exonérer les États membres de leur obligation en vertu de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne[22] puisqu’elle s’applique dès que le droit de l’UE est mis en œuvre par les États membres. La question est cependant de savoir comment d’éventuels abus pourraient être dénoncés en l’absence d’un droit au recours et d’accès à une aide juridique adéquate.

En effet, aucun droit de recours n’est prévu afin de contester le résultat de la procédure de filtrage. Bien que celle-ci n’entraîne pas une décision finale sur l’octroi ou non de la protection, à l’issue de cet examen préliminaire, les demandes d’asile seront transmises aux autorités compétentes, qui prendront leur décision à l’aide des informations recueillies durant le filtrage. Ces informations seront notamment utilisées afin de déterminer si le demandeur doit être orienté vers la procédure d’asile ordinaire ou la procédure accélérée à la frontière. Ce premier examen peut donc avoir des conséquences indirectes sur l’accès aux droits des ressortissants de pays tiers, en les détournant vers un « sous-système » d’asile caractérisé par des garanties procédurales insuffisantes (voy. point suivant)[23]. Il sera intéressant de déterminer sur quel type de texte cette procédure débouchera et la justification donnée en faveur de l’absence de recours contre cette première décision. Ce filtrage entraîne également un risque de profilage ethnique[24].

L’ensemble des éléments susmentionnés rend davantage nécessaire le mécanisme de suivi des droits fondamentaux qui devrait être mis en place. Le HCR insiste dans ses recommandations sur l’importance de sa mise en œuvre et se préoccupe du fait que les ONG seront exclues de ce mécanisme. Ces dernières devraient, selon le HCR, avoir un accès sans entrave à l’accueil et aux installations frontalières pour effectuer des visites de contrôle[25].

– Accélération des délais, examen individuel et garanties procédurales

Le règlement filtrage pourrait également nuire à l’examen individuel des demandes puisque les demandeurs d’asile originaires d’un pays où moins de 20 % des personnes qui demandent l’asile dans l’UE voient leur demande approuvée sont automatiquement orientés vers la procédure accélérée. Cette procédure induit le risque d’occulter les raisons individuelles qui obligent une personne à fuir son pays et de ne pas refléter les situations en constante évolution[26]. Ce risque est amplifié par le règlement crise qui augmente l’application de la procédure accélérée en temps de crise et la généralise en cas d’instrumentalisation. Ces notions étant définies en des termes flous par le règlement, la marge d’appréciation laissée aux États membres pour apprécier ces situations est conséquente.

La procédure accélérée repose sur l’idée qu’il faut moins de temps pour examiner les demandes d’asile considérées comme manifestement infondées que pour les autres. Des délais très courts en matière d’asile peuvent pourtant nuire à la qualité de cette procédure[27] et semblent difficilement conciliables avec la jurisprudence européenne en la matière. Selon la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après, « CJUE »), un demandeur d’asile doit disposer du temps nécessaire afin de réunir et présenter les éléments au soutien de sa demande d’asile[28]. La Cour européenne des droits de l’homme a quant à elle reconnu qu’il peut être difficile, voire impossible, pour l’intéressé de fournir des preuves dans un bref délai, surtout si ces preuves doivent être obtenues dans le pays qu’il prétend avoir fui[29]. C’est pourquoi « les délais ne doivent pas être si courts ou appliqués de manière si rigide qu’ils privent le demandeur de la reconnaissance du statut de réfugié d’une possibilité réaliste de prouver sa demande »[30]. Un counselling sera mis en place afin d’aider le demandeur à réunir les éléments nécessaires à l’introduction de sa demande d’asile. Il ne se traduira cependant pas par une représentation juridique. Les implications concrètes de cette distinction de langage sont encore floues à l’heure actuelle mais pourraient entraîner une diminution des garanties. À cet égard, le HCR insiste sur l’importance d’une assistance juridique qui « doit être fournie dès le début pour favoriser l’équité et l’efficacité du système, soutenir les responsables de dossiers et garantir le respect des droits des demandeurs »[31]. Par ailleurs, l’autorité doit elle aussi bénéficier d’un délai suffisant pour examiner les documents soumis et prendre sa décision. Les délais relativement courts induits par les procédures accélérées pourraient ne pas rencontrer cette exigence[32].

À l’issue de la procédure accélérée, un recours pourra être introduit. Ce dernier n’aura cependant pas automatiquement un effet suspensif. Il appartiendra à la juridiction d’appel de décider, soit sur requête, soit d’office, si le demandeur doit être autorisé à rester dans l’attente de l’issue du recours. Ce système entraînera le risque d’expulser une personne qui, au terme de la procédure d’appel, pourrait finalement se voir accorder l’asile[33]. Un tel cas de figure constituerait une violation du principe de non-refoulement. Dans ce contexte, le HCR insiste sur la nécessité de mettre en œuvre des garanties afin de protéger les requérants contre ces situations de refoulement[34].

– Privation de liberté et détention généralisée

L’un des éléments les plus problématiques de ces règlements est la privation systématique de liberté qu’ils entraînent. Les procédures d’asile et de retour aux frontières peuvent dure jusqu’à 12 semaines chacune. Si les personnes ne peuvent pas être renvoyées dans le délai imparti, ce qui est souvent le cas en raison de l’incapacité ou de la réticence des pays à reprendre leurs ressortissants, la procédure doit être poursuivie conformément à la directive retour. Celle-ci prévoit, entre autres, une détention en attente d’expulsion de trois à six mois, voire 12 mois dans les cas extrêmes[35]. En outre, le règlement crise augmentera l’application de cette procédure à la frontière ainsi que sa durée[36].

D’un point de vue structurel, les États membres devront créer au moins 30 000 places en centres d’accueil pour examiner les demandes d’asile avec pour objectif de traiter les dossiers de 120 000 personnes par an. Ces chiffres semblent dérisoires face aux millions de demandes d’asile auxquelles l’UE a dû faire face en 2023[37]. L’on peut dès lors s’interroger sur la capacité des États membres à accueillir ces demandeurs d’asile et à analyser leurs dossiers dans les délais impartis. Ce règlement induit donc un risque élevé de détention généralisée dans des camps surpeuplés aux frontières extérieures de l’UE durant des périodes plus longues que celles prévues par le règlement.

L’expérience de pays comme la Grèce[38] ou la Hongrie[39], qui ont mis en œuvre un modèle fondé sur le confinement systématique des demandeurs d’asile dans les zones frontalières, suggère qu’une telle approche est susceptible d’avoir une influence négative sur la liberté individuelle[40]. En outre, la détérioration des conditions d’accueil peut, dans certaines circonstances, créer des situations équivalant à une violation de l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants[41]. Ces mesures sont d’autant plus inquiétantes qu’elles concernent aussi bien les adultes que les enfants accompagnés de leur famille. À cet égard, Le HCR rappelle qu’il importe de « veiller à ce que des capacités et des conditions d’accueil adéquates soient en place, il s’agit d’un aspect essentiel de procédures d’asile équitables et efficaces. Cela inclut un hébergement sûr et digne, des moyens de subsistance adéquats, l’accès à l’éducation et aux soins médicaux, tout au long de la procédure, en fonction des besoins des demandeurs d’asile »[42]. L’on peut douter que l’accueil à la frontière respecte ces garanties.

Ces procédés semblent en outre contraires à l’article 8 de la directive sur les conditions d’accueil qui stipule que « les États membres ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle est un demandeur ». La détention doit être nécessaire et basée sur une appréciation au cas par cas. Elle ne peut avoir lieu que « si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées »[43]. L’article 9 indique en outre que la durée de la détention doit être aussi brève que possible[44]. Cette pratique est également en opposition au prescrit du Pacte mondial sur les migrations, signé par une majorité d’États membres, qui préconise la recherche d’alternatives à la détention, ne devant être pratiquée qu’en dernier recours[45]. Le HCR le rappelle aussi dans ses recommandations[46].

– Mécanisme de solidarité insuffisant

Malgré le caractère à présent obligatoire du mécanisme de solidarité entre États membres, le règlement gestion de l’asile et de la migration n’induira pas un renversement du système Dublin et ne permettra pas de diminuer suffisamment la pression qui repose actuellement sur les États possédant des frontières extérieures à l’Union européenne. On peut craindre que les dérives actuelles d’expulsions collectives vers des États tiers aux frontières extérieures de l’UE ne soient pas endiguées par ce mécanisme[47]. Le HCR souligne également le risque d’utilisation de la solidarité financière pour investir uniquement dans des mesures de dissuasion, telles que des murs, des clôtures ou des équipements de surveillance[48].

2. Une voie d’accès légale peu ambitieuse

Bien qu’il prenne la forme d’un règlement, le cadre européen pour la réinstallation n’est pas assez ambitieux pour contrebalancer le renforcement des contrôles aux frontières induits par le pacte. Non seulement, elle repose sur une participation volontaire des États membres dont les engagements sont insuffisants, mais en plus, elle semble être utilisée comme un outil de gestion des migrations et n’offre pas de garanties procédurales adéquates aux réfugiés impliqués dans ce processus.

– Processus volontaire

Si les voies d’accès légales doivent être privilégiées, il est impératif qu’elles entraînent un engagement accru des États membres. C’est 61 000 places de réinstallation et d’admission humanitaire qui devront être créées par l’Union européenne pour la période 2024-2025[49]. Ces engagements ont été pris à la suite du Forum mondial sur les réfugiés qui s’est tenu à Genève. Si ces chiffres semblent acceptables, ils sont en réalité minimes par rapport au nombre de personnes ayant besoin de réinstallation, soit plus de 2,4 millions de personnes en 2024, avec des besoins accrus dans toutes les régions[50].

En outre, seuls 14 États membres comptent prendre part au programme de réinstallation[51]. Si l’on peut comprendre les réticences des États présentant des frontières extérieures avec l’UE tels que la Grèce, Chypre, ou encore Malte, qui subissent déjà une forte pression migratoire, l’absence de participation des États du nord, quant à elle, est à déplorer. Les grands absents sont la République tchèque, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, le Danemark, l’Autriche, la Slovénie et la Slovaquie. Le HCR encourage pourtant l’UE à contribuer à 40 % des efforts globaux en matière de réinstallation et incite à la participation d’un maximum d’États membres[52]. De plus, ces quotas ne sont pas obligatoires et cela a des conséquences concrètes. Bien que l’Union européenne et 17 de ses États membres s’étaient engagés à réinstaller 29 000 réfugiés en 2023, seuls 6000 réfugiés ont été effectivement réinstallés dans seulement 11 États membres de l’UE[53].

Il est enfin important de noter que les réfugiés ne peuvent pas introduire de demande de réinstallation. Ils n’ont aucun moyen de prendre part volontairement à ce processus. C’est le HCR qui est maître en matière de présélection.

– Nouvel outil de gestion des migrations

Par ailleurs, bien que le nouveau cadre européen pour la réinstallation prône une approche commune, il autorise néanmoins les États à ajouter des critères distincts à celui initialement utilisé par le HCR. De cette façon, il détourne la réinstallation de son objectif premier d’outil de protection pour les plus vulnérables. La réinstallation devient alors, elle aussi, un instrument de gestion des migrations visant à contrôler les personnes qui entrent sur le territoire de l’UE[54]. Dans ses recommandations, le HCR insiste pourtant sur l’importance de « maintenir des programmes de réinstallation fondés sur des considérations de protection » et rappelle que la réinstallation « ne doit pas servir les objectifs de la politique migratoire »[55].

– Absence de garanties procédurales

En ce qui concerne les droits procéduraux des réfugiés pendant la sélection et la présélection, le règlement européen semble également présenter des lacunes. La seule disposition qui impose réellement une obligation procédurale aux États membres est l’article 10, § 2, b), qui induit un devoir d’information dans le chef des États membres sur les objectifs et différentes étapes de la procédure ainsi que sur les conséquences du retrait du consentement à être admis et du refus de participer à un programme d’orientation avant le départ[56]. Le texte actuel n’impose aucune obligation de motiver les décisions défavorables, et il n’existe aucun droit de recours contre ces décisions[57]. En outre, le dépassement des délais de traitement ne fait plus l’objet de sanctions[58]. Par ailleurs, les États membres ne sont pas tenus d’interroger les réfugiés réinstallés potentiels[59]. Enfin, l’interruption d’une procédure d’admission en raison d’une capacité insuffisante pour répondre aux besoins spécifiques des bénéficiaires vulnérables n’impose pas à l’État de réinstallation, qui a choisi de participer aux programmes de parcours légaux, l’obligation d’augmenter sa capacité insuffisante[60].

Conclusion

L’UE met en place une politique stricte visant à contrôler les personnes qui arrivent sur son territoire et à dissuader la migration irrégulière sans offrir en contrepartie un cadre adéquat et ambitieux pour la réinstallation, seule voie légale d’accès pour les demandeurs d’asile. Les mesures restrictives sont caractérisées par une forte intégration européenne tandis que le cadre pour la réinstallation n’impose aucune obligation réellement contraignante aux États membres. L’Union européenne inscrit sa politique d’asile dans une logique de contrôle des arrivées sur son territoire sans prévoir de garanties procédurales suffisantes pour les migrants.

L’étape supplémentaire induite par le règlement filtrage et son critère quantitatif ainsi que les délais accélérés de la procédure à la frontière pourraient en diminuer la qualité et donc les chances d’obtenir une protection. Cette procédure est généralisée en cas d’« instrumentalisation » par un règlement crise qui semble laisser une grande marge d’appréciation aux États membres quant à l’identification de ces situations[61]. Ce règlement prévoit également une extension des délais et par conséquent de la durée de la détention à la frontière. Cette détention systématique des migrants pendant le filtrage et la procédure accélérée semble non seulement contraire aux garanties prévues par le système d’asile européen mais pourrait conduire à des situations incontrôlables au vu des afflux massifs rencontrés par l’UE ces dernières années et des efforts structurels relativement faibles demandés aux États membres. Bien que le mécanisme de solidarité soit à présent obligatoire, le principe de Dublin demeure et les États possédant des frontières extérieures à l’UE continueront de subir une forte pression migratoire, qui a déjà été la cause de pratiques contraires au principe de non-refoulement.

La réinstallation n’offre pas un contrepoids suffisant au durcissement des contrôles aux frontières la détermination des quotas étant laissée à l’appréciation des États membres. En outre, l’objectif de réduction des divergences entre les pratiques et procédures nationales en matière de réinstallation n’est pas atteint puisque les États sont libres d’ajouter des critères à la vulnérabilité, comportant le risque que la réinstallation devienne, elle aussi, un outil de contrôle des migrations. Enfin, le règlement contient peu de garanties procédurales pour les réfugiés et l’impossibilité d’introduire un recours à l’issue de la procédure de sélection est préoccupante.

C. Pour aller plus loin

 

Lire le pacte (accord politique) : Pacte pour la Migration et l’Asile, 20 décembre 2023.

Législation :

Doctrine :

Pour citer cette note : C. Leclercq, « Nouveau pacte européen pour la migration et l’asile : accès à la protection internationale en péril, la réinstallation comme contrepoids au durcissement des mesures aux frontières ? », Cahiers de l’EDEM, janvier 2024.

 

[1] Voy. notamment : Amnesty International, « EU Migration Pact Agreement will lead to a surge of suffering » ; N. Nielsen, « New EU political deal on asylum alarms rights activists », EU Observers, 20 décembre 2023 ; CNCD 11.11.11, « Détenir, trier, expulser, des valeurs européennes ? ».

[2] Revised EU Blue Card Directive (adopted) ; EU Agency for Asylum (adopted) ; EU Return Coordinator (appointed); Qualification Regulation (Dec. 2022) ; Reception Conditions Directive (Dec. 2022) : Union Resettlement Framework Regulation (Dec. 2022) ; Eurodac Regulation (Dec. 2023) ; Screening Regulation (Dec 2023) ; Asylum Procedure Regulation (Dec. 2023) ; Single Permit Directive (Dec. 2023) ; Asylum and Migration Management Regulation (Dec. 2023) ; Crisis Regulation (Dec. 2023). For an overview : European Commission, « What is the New Pact on Migration and Asylum of the EU ? ».

[3] À savoir : le règlement sur le cadre européen de réinstallation, le règlement Eurodac, le règlement sur le filtrage, le règlement sur la procédure d’asile, le règlement sur la gestion de l’asile et de la migration et le règlement crise et force majeure. Nous n’aborderons pas la migration liée au travail.

[4] European Parliament, « Asylum and migration: deal reached on new EU resettlement framework », Press release, 15 December 2022.

[5] Amnesty International, op.cit.

[6] European Commission, « What is the New Pact on Migration and Asylum of the EU ? ». Les versions définitives des textes précités ne sont pas encore disponibles, cet article se base sur les propositions lues en combinaison avec des éléments publiés.

[7] Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council introducing a screening of third-country nationals at the external borders (« règlement filtrage »), COM(2020) 612 final, art. 14, art. 7, lu en combinaison avec: B. Gaillard, « Qu’est-ce que le pacte européen sur la Migration et l’Asile ? », Toute l’Europe, 23 décembre 2020, et D. Carême, « Pacte Asile et Migration : explications : épisode 5 le filtrage et le “tri” des exilés lorsqu’ils arrivent dans l’UE », X, 26 décembre 2023.

[8]Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council on the establishment of « Eurodac » for the comparison of fingerprints for the effective application of [Regulation (EU) No 604/2013 establishing the criteria and mechanisms for determining the Member State responsible for examining an application for international protection lodged in one of the Member States by a third-country national or a stateless persons], for identifying an illegally staying third-country national or stateless person and on requests for the comparison with Eurodac data by Member States’ law enforcement authorities and Europol for law enforcement purposes (recast) (« règlement Eurodac »), COM(2016) 272 final, lu en combinaison avec : B. Gaillard, ibid., et D. Carême, ibid.

[9] Amended proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council establishing a common procedure for international protection in the Union and repealing Directive 2013/32/EU, COM(2020) 611 final, lu en combinaison avec : P. De Bruycker, « The Genealogy of the new pact on migration and asylum », Conférence Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 23 janvier 2024.

[10] Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council on asylum and migration management and amending Council Directive (EC) 2003/109 and the proposed Regulation (EU), COM(2020) 610 final, lu en combinaison avec : B. Gaillard, op. cit., et D. Carême, op. cit.

[11] Chiffres exacts à confirmer par l’adoption officielle des règlements mais dans tous les cas une augmentation significative est attendue.

[12] Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council addressing situations of crisis and force majeure in the field of migration and asylum, COM(2020) 613 final, art. 4, § 1er, a).

[13] UNHCR, UNHCR Resettlement Handbook, Revised edition, July 2011, p. 3.

[14] Proposal for a Regulation on the European Parliament and of the Council establishing a Union Resettlement Admission Framework (« Nouveau cadre européen pour la réinstallation »), COM(2016) 468 final, 13 July 2016, préambule, considérants 2 et 10.

[15] Ibid., considérant 21.

[16] Ibid., considérant 19, art. 1er, § 2.

[17] Ibid., art. 10, § 1er, a).

[18] Ibid., art. 10, § 7, c).

[19] Ibid., art. 6, § 2.

[20] Règlement filtrage, préambule, considérant 16.

[21] Les personnes entrant sur le territoire des États membres sans autorisation relèvent de la procédure d’asile dès qu’elles ont introduit une demande de protection internationale ou de la procédure de retour si elles ne l’ont pas fait, Règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (texte codifié), J.O., L 77/1, art. 13 et 14.

[22] European Parliamentary Research Service, « Asylum Procedures at the border : European Implementation Assessment», novembre 2021, p. 58.

[23] Ibid., p. 63.

[24] Amnesty International, op. cit.

[25] UNHCR, 2024 Recommendations for the Belgian and Hungarian Presidencies of the Council of the European Union (EU), 10 janvier 2024, p. 9.

[26] International Rescue Committee, « What is the EU Pact on Migration and Asylum ? », décembre 2023.

[27] European Parliamentary Research Service, op. cit., p. 98.

[28] C.J.U.E., 31 janvier 2013, H.I.D. et B.A., C-175/11, EU:C:2013:45, § 75.

[29] Cour eur. D.H., 23 août 2016, J.K. c. Suède, req. no 59166/12, § 92.

[30] Cour eur. D.H., 19 février 1998, Bahaddar c. Pays-Bas, § 45.

[31] UNHCR’s 2024 Recommendations, op. cit., p. 7.

[32] European Parliamentary Research Service, op. cit., p. 98.

[33] Ibid., p. 110.

[34] UNHCR’s 2024 Recommendations, op. cit., p. 9.

[35] Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, J.O., L 348, 24 décembre 2008, pp. 98-107.

[36] Cinq mois, et si la demande est rejetée, dix mois au total.

[37] P. De Bruycker, op. cit.

[38] A. Papoutsi et al., « The EC hotspot approach in Greece : Creating liminal EU territory », Journal of Ethnic and Migration Studies, 2018, pp. 1-13.

[39] A. Kallius, D. Monterescu et P. K. Rajarm, « Immobilizing mobility : Border ethnography, illiberal democracy, and the politics of the “refugee crisis” in Hungary », American Ethnologist, vol. 43, no 1, 2016, pp. 25-37.

[40] Voy. les jugements de la C.J.U.E. sur la Hongrie et les zones de transit : Commission c. Hongrie, C-808/18 et FMS e.a., C-924/19 PPU et C-925/19 PPU.

[41] Voy. la mesure provisoire de la Cour européenne des droits de l’homme concernant les conditions de vie dans les centres d’accueil grecs adoptée dans l’affaire Sh.D. e.a. c. Grèce, Autriche, Croatie, Hongrie, Macédoine du Nord, Serbie et Slovénie, req. no 14165/16.

[42] UNHCR’s 2024 Recommendations, op. cit., p. 4.

[43] Directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte), J.O., L 180, 29 juin 2013, pp. 96-116, art. 8.

[44] Ibid., art. 9.

[46] UNHCR’s 2024 Recommendations, op. cit., p. 4.

[47] C.J.U.E., 14 mai 2020, FMS e.a., précité ; C.J.U.E., 17 décembre 2020, Commission c. Hongrie, précité ; Cour eur. D.H., 21 octobre 2014, Sharifi e.a. c. Italie et Grèce, req. no 16643/09 ; Cour eur. D.H., gde ch., 21 novembre 2019, Ilias et Ahmed c. Hongrie, req. no 47287/15 ; Cour eur D.H., 23 juillet 2020, M.K. e.a. c. Pologne, req. nos 40503/17, 42902/17 et 43643/17 ; Cour eur. D.H., 8 juillet 2021, Shahzad c. Hongrie, req. no 12625/17 ; Cour eur. D.H., 8 juillet 2021, D.A. e.a. c. Pologne, req. no 51246/17.

[48] UNHCR’s 2024 Recommendations, op. cit., p. 12.

[49] EU Commission, « Pledges submitted by the Member States for 2024-2025 », December 2023.

[51] Belgique (1575), Bulgarie (100), Croatie (100), Finlande (1050), France (6000), Allemagne (37 100), Irlande (1300), Italie (2700), Luxembourg (10), Pays-Bas (2000), Portugal (1000), Roumanie (200), Espagne (5800) et Suède (1800).

[52] UNHCR’s 2024 Recommendations, op. cit., p. 16.

[54] À titre d’exemple, l’Espagne applique des critères supplémentaires liés aux qualifications professionnelles des réfugiés.

[55] UNHCR’s 2024 Recommendations, op. cit., p. 16.

[56] Nouveau cadre européen pour la réinstallation, art. 10, § 2, b).

[57] Ibid., art. 10, § 6.

[58] Ibid., art. 10, § 4, a).

[59] Ibid., art 10, § 3.

[60] Ibid., art. 10, § 7, c).

[61] La directive protection temporaire est pourtant un instrument destiné à faire face aux crises et qui s’est avéré concluant pendant la crise ukrainienne.

 

Publié le 01 février 2024