Cour administrative de Bujumbura (Burundi), 30 octobre 2017, Y. c. État du Burundi, Raep: 527

Louvain-La-Neuve

Cour administrative du Burundi, instance d’appel pour les demandeurs d’asile déboutés par le comité de recours ?

Pacte international relatif aux droits civils et politiques – Loi burundaise sur l’asile – Loi burundaise sur les migrations – Code de procédure civile – Recours contre les décisions de rejet de la demande d’asile – droit au recours effectif – Nécessité du juge en matière d’asile – Juge ordinaire ou spécialisé.

La Cour administrative de Bujumbura est saisie par une demandeuse d’asile déboutée par la deuxième et dernière instance en matière d’asile au Burundi, le Comité de recours. La Cour décide de rouvrir les débats pour permettre aux parties d’échanger sur les dispositions qui traitent de la nature juridique du Comité de recours ainsi que de la qualité de ses décisions et de la procédure qui y est prévue. Cette affaire pose aussi la question de l’exigence ou non de l’intervention d’un juge en matière d’asile, juge ordinaire ou spécialisé.

Pamphile Mpabansi

 

A. Arrêt

La requérante, ressortissante congolaise originaire du Kasaï Oriental, sollicite la protection internationale au Burundi en raison de l’insécurité causée par les différents groupes rebelles au Sud Kivu (Uvira, Sange, Musenyi, Kinanira), sa région de résidence depuis 1996.

Arrivée avec sa famille au Burundi en date du 1er janvier 2009, elle forme une demande de protection internationale le 2 juin 2010. La Commission consultative pour les étrangers et réfugiés (CCER) rejette la demande le 26 septembre 2014, lui reprochant son retard à se faire enregistrer mais aussi le fait qu’elle ne connait ni l’itinéraire qu’elle a emprunté ni les quartiers environnants la région de Sange dont elle dit provenir. Elle forme appel devant le Comité de recours (CR), deuxième et dernière instance burundaise en matière d’asile. Pendant l’entretien, l’interprète l’interroge quant aux noms des lieux publics comme l’hôpital, le marché, l’église, les routes de son lieu d’origine. Elle ne parvient pas à répondre. Il en va de même des deux enfants, qui ne peuvent pas non plus chanter leur hymne national alors qu’ils ont étudié en RDC. Il est aussi relevé que la requérante ne connait pas sa langue maternelle, le kikasai. Pour ce qui est du retard de se faire enregistrer, elle souligne que c’est son mari qui avait commencé la procédure et qu’il est parti sans lui indiquer à quelle étape de la procédure se trouvait le dossier. Elle a alors recommencé la procédure elle-même. Ce motif a été jugé infondé par le comité de recours.

La requérante dépose une requête en annulation devant la Cour administrative de Bujumbura. Elle se fonde sur l’article 378 du code de procédure civile qui stipule que « le recours en annulation est recevable contre toute décision réglementaire ou individuelle émanant d’une autorité administrative ».

En répliquant à la requête, les avocats de l’État soulèvent une exception d’irrecevabilité en se basant sur l’article 372 du code de procédure civile qui dispose que toute action ne peut être portée en justice si elle n’a pas été précédée d’un recours gracieux ou hiérarchique ou d’une demande préalable.

La Cour administrative de Bujumbura rouvre les débats pour permettre aux parties de se prononcer sur les dispositions légales invoquées avant de statuer sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par les avocats de l’État. Cet arrêt interlocutoire a été signifié aux parties en date du 14 juillet 2021 ; la procédure se poursuit.

Les dispositions discutées sont les articles 22 al. 3 et 4 de loi burundaise sur l’asile et la protection des réfugiés, 20 et 21 de l’ordonnance no 530/442 d’application de la loi burundaise sur l’asile ainsi que 24 de l’ordonnance no 530/443 d’application de cette même loi.

 

B. Éclairage

L’analyse proposée est centrée sur la saisine de la Cour administrative du Burundi et non sur les objections substantielles à la demande de protection introduite. Il eut aussi été intéressant de se pencher sur les analyses de crédibilité opérées sur la base de la connaissance des milieux d’origine et de transit mais un autre angle, procédural, a été choisi ici.

En effet, à l’heure où plusieurs États sont en phase de rédaction d’une loi nationale en matière d’asile et envisagent ou ont décidé de transférer la procédure de détermination aux instances nationales, il est important de déterminer les exigences procédurales à laquelle doivent répondre les procédures d’asile. Plus précisément, l’intervention d’un juge est-elle requise ? Dans l’affirmative, vaut-il mieux un juge ordinaire ou spécialisé ? La première question touche à la légalité tandis que la seconde peut être envisagée sous l’angle de l’opportunité. Cette affaire est l’occasion de traiter ces deux questions.

1. La procédure d’asile burundaise

Pour revenir à la situation au Burundi où la procédure d’asile est organisée par une loi nationale et où des instances burundaises ont été instituées, on précise que quel que soit le régime légal en vigueur (qu’il s’agisse du système initié par loi burundaise sur l’asile et la protection des réfugiés applicable dans le présent arrêt ainsi que ses ordonnances d’application ou du système actuel d’asile initié par la loi sur les migrations au Burundi), la procédure d’asile est purement administrative. Elle fait intervenir deux instances d’asile: la Commission consultative pour les étrangers et réfugiés et le Comité de recours.

L’article 8 de l’ordonnance d’application de la loi burundaise sur l’asile prévoit que la Commission consultative pour les étrangers et réfugiés est placée sous la tutelle du Ministre ayant l’intérieur dans ses attributions.

Quant au Comité de recours, même si les textes juridiques sur l’asile ne le disent pas expressément, lui aussi relève du Ministère de l’intérieur. En effet, l’article 25 de l’ordonnance d’application de la loi burundaise sur l’asile précise que le Comité de recours est composé d’un représentant du Ministère ayant l’intérieur dans ses attributions, le Président, d’un représentant du Ministère ayant la Justice dans ses attributions, le Vice-président ainsi que d’un représentant d’une association représentative de défense des droits humains. L’article 27 de la même ordonnance ajoute que les membres du Comité de recours sont nommés par une ordonnance du Ministre ayant l’intérieur dans ses attributions pour un mandat de quatre ans. Pour ce qui est de son fonctionnement, l’article 33 de cette même ordonnance précise que lorsque le Comité de recours siège en sous-chambre d’une personne, ses décisions doivent être contresignées par le Président, ou, en son absence, par le Vice-président. Pour tout autre cas, les décisions sont prises à la majorité simple des membres présents. En cas d’égalité, la voix du Président du Comité de recours est prépondérante.

Ainsi, le pouvoir de décision est bel et bien entre les mains du Ministre de l’intérieur et le Comité de recours rend bien des décisions administratives. Il ne s’agit pas d’une juridiction administrative. En effet, le Comité de recours ne présente pas les garanties d’indépendance et d’impartialité propre à tout organe qualifié de « juridiction ». Par ailleurs, le fait que la procédure burundaise d’asile admette une décision d’un seul membre du Comité de recours siégeant en sous chambre (articles 26 et 33 de l’ordonnance d’application de la loi burundaise sur l’asile) est une entorse au principe de collégialité tel que prévu par les articles 109 et 110 du code burundais d’organisation et de la compétence judiciaire.

2. Procédure exclusivement administrative ou administrative en première instance et juridictionnelle en degré d’appel

D’entrée de jeu, il faut souligner que la Convention de Genève de 1951 n’a prévu aucune disposition sur la procédure de détermination du statut de réfugié. Il a fallu attendre 1977 pour que le HCR adopte divers instruments (entre autres le Guide et principes directeurs sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés au regard de la convention de 1951 et du protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés ; le Guide pour la protection internationale des réfugiés et le renforcement des systèmes d’asile nationaux et le Guide sur le droit international relatif aux réfugiés) donnant des indications et formulant des recommandations.

Comme c’est la phase d’appel qui est discutée dans cette note, voyons ce qui est prévu par ces différents guides sur ce point.

Selon le Guide et principes directeurs du HCR (§192, vi), si on ne reconnaît pas au demandeur d’asile le statut de réfugié, il faudrait lui accorder un délai raisonnable pour demander le réexamen de la décision, soit à la même, soit à une autre autorité administrative ou judiciaire, selon le système existant. De surcroit, le Guide du HCR  pour la protection internationale des réfugiés et le renforcement des systèmes d’asile nationaux (p. 194) ajoute que tous les demandeurs d’asile doivent avoir le droit de faire appel d’une décision de rejet ou d’en demander le réexamen, y compris après une décision d’irrecevabilité, devant une autorité, une cour ou un tribunal différent et indépendant de l’autorité ayant statué en première instance. Quant au Guide sur le droit international relatif aux réfugiés (p.60), il  précise que cet organe de recours doit être indépendant et impartial, et habilité à examiner les faits et la législation.

Outre ces instruments spécialisés, il est intéressant de déterminer si le droit international des droits humains exige d’un recours qu’il soit exercé devant une instance administrative ou judiciaire afin de pouvoir être qualifié d’effectif.

Il n’y a nul doute que le recours est effectif s’il est exercé devant un organe qui offre les garanties d’indépendance et d’impartialité. Ainsi, un recours introduit devant une instance autre que judiciaire (voire administrative) n’offre notoirement pas les mêmes garanties que celui dont connaît un organe juridictionnel[1].

Dans l’arrêt sous analyse, il est à remarquer que le recours hiérarchique auprès du Ministre de l’intérieur évoqué par les avocats de l’État dans leurs réquisitions n’offre aucune garantie à la demandeuse d’asile. En effet, comme les deux instances d’asile et les ordonnances sur lesquelles elles se basent ont été mises en place par ce même Ministre, il ne pouvait pas être saisi en appel par la demandeuse d’asile déboutée devant le Comité de recours au risque d’être juge et partie dans un même dossier. Par ailleurs, il est très peu probable qu’une fois saisi, sa décision s’écarte de celle prise par le Comité de recours, organe qu’il a lui-même institué.

Il n’est pas possible ici de revenir sur toutes les dimensions du droit à bénéficier d’un recours effectif. Cette note revient toutefois, sans prétention à l’exhaustivité, sur ce qui est prévu par les textes internationaux et régionaux quant à ce droit en épinglant quelques jurisprudences les mettant en œuvre.

Le droit international et régional des droits humains consacre largement le droit au recours effectif face à un risque de violation de ces mêmes droits dans leur volet substantiel. Le recours effectif participe de la subsidiarité du contrôle supranational puisqu’il impose aux États de protéger les droits humains au sein de leur ordre juridique interne, le contrôle juridictionnel international n’intervenant que lorsqu’ils ont failli à cette mission. Les formulations sont diverses mais la constante est qu’un recours effectif doit être exercé devant la juridiction nationale.

a. Déclaration universelle des droits de l’homme

Quoique non contraignante, la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) du 10 décembre 1948 stipule en son article 8 que « toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi ».

Tel que formulé par la DUDH, ce droit au recours vise la protection non pas de tous les droits reconnus dans un ordre juridique mais seulement d’une partie d’entre eux. Parce qu’ils sont regardés comme particulièrement précieux, et notamment plus fondamentaux que les autres droits, un traitement juridictionnel spécifique leur est réservé[2]. Il en est ainsi pour le droit d’asile dont l’objet est de protéger face à des atteintes à des droits fondamentaux. Dans ce domaine où la souveraineté de l’État est directement en jeu, seule une juridiction peut offrir l’indépendance nécessaire[3].

Le droit d’asile figure à l’article 50 de la Constitution burundaise de 2018 au sein du titre II de intitulé « de la charte des droits et des devoirs fondamentaux, de l’individu et du citoyen ». La formulation de ce titre II fait du droit d’asile un droit fondamental de l’individu. Ainsi, pour le demandeur d’asile dont la demande a été rejetée par le Comité de recours, c’est son droit fondamental (droit d’asile) qui est en jeu. C’est pour cette raison qu’il devrait, comme le stipule l’article 8 de la DUDH, disposer d’un recours effectif devant la juridiction nationale compétente.

b. Textes onusiens contraignants

Le droit à un recours devant un organe juridictionnel est aussi prévu par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), texte contraignant, qui stipule en son article 14 que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. L’article 2 précise que les États parties s’engagent à « [g]arantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d’un recours utile, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ».

Il ressort de la jurisprudence du Comité des droits de l’homme  que pour être effectif, les recours doivent être utiles et ouverts de facto (Communication no CCPR/C/128/D/3300/2019,  A. E. c. Suède, 2020, § 8.3 ; Communication no  CCPR/C/111/D/2097/2011, Gert Jan Timmer c. Pays-Bas, 2014, § 6.3). Les recours purement disciplinaires et administratifs ne peuvent être considérés comme des recours adéquats et efficaces au sens du paragraphe 3 de l’article 2 du PIDCP[4].

Plusieurs autres textes mis en œuvre par les comités onusiens rappellent l’importance du droit à un recours effectif[5]. Il est ainsi inscrit dans le préambule de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le principe de l’effectivité de la protection des droits figure également dans la Convention relative aux droits de l’enfant, sans toutefois préciser l’exigence d’un recours juridictionnelle. C’est la protection des droits garantis qui doit être assurée de manière effective, par toutes les autorités, notamment par la voie législative ou encore par la coopération internationale.

Le Comité des droits de l’enfant rappelle que pour être effectif, les recours doivent être ouverts ou utiles (Communication no CRC/C/85/D/26/2017, M. B. S. c. Espagne, 2020, §9.3 ; Communication no CRC/C/85/D/28/2017, M. B. c. Espagne, 2020, § 9.3)[6].

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels s’est également prononcé sur le droit au recours effectif. Pour lui, le recours effectif est celui qui présente quelques chances de succès. Dans une affaire opposant Luciano Daniel Juárez et l’État d’Argentine, le Comité a estimé que la règle de l’épuisement des recours internes ne s’applique pas lorsque les recours n’ont aucune chance de succès (Communication no E/C.12/68/D/149/2019, Luciano Daniel Juárez c. Argentine, 2020, §7.6).

A côté de la jurisprudence issue des organes des traités, voyons celle développée par les juridictions régionales sur ce droit au recours effectif.

c. Charte africaine des Droits de l’homme et des peuples

Comme il en est pour les textes juridiques précédents, la Charte africaine des Droits de l’homme et des peuples, texte régional et contraignant, stipule elle aussi en son article 7, §1er, lit. A, que toute personne a « le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur ».

La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples considère que pour être effectif, les voies de recours ne doivent pas seulement exister mais elles doivent aussi être efficaces, utiles et offrir des perspectives de réussite ou être capables de remédier à la situation litigieuse

(Sébastien Germain Ajavon c. République du Bénin, 2019, § 109 ; Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso, 2014, § 68).

d. Au niveau du Conseil de l’Europe

Selon la Cour européenne des droits de l’homme dont la jurisprudence a eu à connaitre de nombreuses cas où la question de l’effectivité du recours s’est posée en matière migratoire, l’instance de recours ne doit pas nécessairement être une institution judiciaire, mais les pouvoirs et les garanties qu’elle présente entrent alors en ligne de compte pour apprécier l’effectivité du recours s’exerçant devant elle ( Conka c. Belgique, 2002, § 75 ; Driza c. Albanie, 2007, § 116 ; Hirsi Jamaa et autres c. Italie, 2012, § 197).

Pour qu’un recours soit réellement effectif, la jurisprudence internationale exige le respect de plusieurs conditions : le recours doit être matériellement accessible ; le recours doit offrir des garanties procédurales suffisantes ; le recours effectif doit permettre d’empêcher des conséquences irréversibles ; l’examen prescrit doit être suffisant pour remédier aux griefs défendables[7].

e. Directive procédure au niveau européen

Même si l’affaire analysée est localisée sur le continent africain, il est intéressant de se pencher sur le régime européen qui a fait l’objet d’une construction et d’une élaboration poussée en matière d’asile, en ce compris en termes de procédure. Il y est expressément prévu qu’un recours effectif est celui adressé devant une juridiction. La Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale stipule en son article 46 que les États membres font en sorte que les demandeurs disposent d’un droit à un recours effectif devant une juridiction. Ce recours doit être ouvert contre les décisions concernant la demande de protection internationale ; contre le refus de rouvrir l’examen d’une demande après que cet examen ait été clos en vertu des articles 27 et 28 ainsi que contre une décision de retirer la protection internationale, en application de l’article 45.

Ainsi, la directive procédure fait du droit au recours effectif un principe général applicable à toutes les décisions prises à l’égard de demandeurs d’asile, tant sur le fondement de la demande que sur sa recevabilité[8].

Il résulte de tous ces développements que le droit international et régional des droits humains exige qu’un recours « effectif » soit exercé, non pas devant n’importe quelle instance, mais bel et bien devant la juridiction nationale.

3. Nécessité du juge en matière d’asile

Il vient d’être démontré que l’exigence d’effectivité implique une procédure de qualité, apte à être un « remède » utile à la violation dénoncée[9]. Cela conduit à soutenir qu’il est important que l’instance de recours en matière d’asile soit une institution judiciaire car c’est elle qui présente toutes les garanties requises.

L’importance du juge en matière d’asile a été soulignée par Serge BODART, président du Conseil du contentieux des étrangers en Belgique[10]. Pour lui, l’apport principal du juge est d’offrir un recours effectif, c’est-à-dire un recours où il y a une possibilité d’avoir un vrai débat contradictoire. Il ajoute que c’est devant le juge que les demandeurs d’asile bénéficient des garanties d’impartialité et d’indépendance. Une procédure administrative n’offre au contraire pas suffisamment de garanties d’impartialité et d’indépendance puisque l’administration intervient sous l’autorité d’un ministre, d’un chef d’administration, et quelle que soit la qualité des fonctionnaires.

Dans le droit positif burundais, le demandeur d’asile débouté devant le Comité de recours peut, comme l’a fait la requérante, saisir la Cour administrative sur base de l’article 60, a) du code de l’organisation et de la compétence judiciaires qui stipule que « les juridictions administratives connaissent des recours en annulation pour excès de pouvoir dirigé contre les décisions des autorités administratives » ainsi que sur base de l’article 378 du code de procédure civile qui stipule que « le recours en annulation est recevable contre toute décision règlementaire ou individuelle émanant d’une autorité administrative ». Le recours pour excès de pouvoir est défini par Gérard Cornu comme un « recours contentieux tendant à l’annulation d’une décision administrative et fondé sur la violation par cette décision d’une règle de droit »[11]. Ce recours est possible contre toute décision administrative (décision qui n’est pas qualifiée de « mesure d’ordre intérieur ») sans qu’il soit besoin qu’un texte particulier le prévoit. Si un texte déclare qu’un acte n’est pas « susceptible de recours », la jurisprudence considère que tous les recours sont exclus sauf le recours pour excès de pouvoir[12]. Au Burundi, la seule condition est qu’une telle action ne peut être portée en justice si elle n’a pas été précédée d’un recours gracieux ou hiérarchique ou d’une demande préalable (article 372 du code de procédure civile).

Dans l’arrêt sous analyse, comme les réquisitions présentées par les parties étaient suffisamment claires, il aurait fallu que la Cour administrative saisie tranche définitivement pour ouvrir une nouvelle ère dans la procédure burundaise d’asile.

Permettre aux demandeurs d’asile de saisir la Cour administrative ne serait d’ailleurs qu’emboiter le pas à d’autres pays de la Communauté de l’Afrique de l’Est dont la RDC[13], l’Ouganda[14], le Kenya[15] et le Sud Soudan[16] qui prévoient un recours juridictionnel dans leur procédure d’asile.

4. Juge ordinaire ou spécialisé

A titre subsidiaire, sans développer longuement cette autre question, on peut se poser la question de savoir s’il y a un avantage ou non à ce que de telles affaires soient traitées par un juge non spécialisé. D’entrée de jeu, soulignons que le juge spécialisé – ou d’exception – est celui dont la compétence est limitée à une ou plusieurs matières de droit, par opposition au juge de droit commun. Selon le Vocabulaire Cornu, ce dernier a « vocation à connaître de toutes les affaires, à moins qu’elles n’aient été attribuées par la loi à une autre juridiction »[17]. L’avantage de la spécialisation est de faire juger les litiges par des spécialistes.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a aucun intérêt à ce qu’un litige « spécial » soit traité par un juge de droit commun. Comme il traite les dossiers à caractère général, il peut réfléchir quant au traitement procédural des demandeurs d’asile par rapport à d’autres justiciables, s’interroger quant au régime spécifique auquel ils sont soumis, régime parfois moins favorable que d’autres, et il a parfois moins de risque d’accoutumance. En effet, des situations de partialité peuvent naître si un magistrat reste trop longtemps spécialisé dans un même domaine impliquant systématiquement la même personne publique (par exemple un juge spécialisé en matière hospitalière qui est amené à condamner systématiquement un hôpital de son secteur risque d’avoir un préjugé défavorable lorsqu’une nouvelle affaire survient)[18].

Il en va de même en matière d’asile. Le juge spécial en la matière a entendu plusieurs fois les récits semblables et à force d’être toujours à l’écoute des mêmes récits, il y a un risque de relativisme. Cela n’est pas sans conséquences pour les demandeurs d’asile. C’est pour cette raison que parfois, le juge de droit commun peut lui être plus favorable que le juge spécial.

Pour l’arrêt sous analyse, comme il n’y a au Burundi aucune juridiction spécialisée en matière d’asile, le seul souhait pour la demandeuse d’asile est d’avoir la garantie d’indépendance et d’impartialité, raison pour laquelle elle a fait appel devant la Cour administrative.

Comme le dit le professeur Jean-Yves Carlier dans son cours à l’Académie de droit international de La Haye, la proclamation des droits ne comble pas le besoin d’humanité qui accompagne le chemin de l’exilé. Mais la reconnaissance effective de droits et l’existence de procédures destinées à les garantir sont de nature à rendre au réfugié sa dignité, lui rappelant que l’humanité est capable du meilleur après le pire.

C. Pour aller plus loin

Doctrine :

- J.-Y. Carlier et S. Sarolea, Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016, 831 p.

- A. Favi, "Protecting Asylum Seekers and Migrants in the Context of the Rule of Law Crisis in EU Member States: The Recent Approach of the Court of Justice of the EU through the Lens of the Global Compacts on Refugees and Migration", Laws, vol. 11.3, 2022, p. 37.

- International Commission of Jurists, September 2021, Fair Asylum Procedures and Effective Remedy - Training Materials on Access to Justice for Migrants, available at  https://www.icj.org/wp-content/uploads/2021/09/Module-1-Fair-asylum-procedures-and-effective-remedy.pdf

- M. Reneman, “EU asylum procedures and the right to an effective remedy”, Annuaire français de droit international, vol. 60, 2014, p. 948.

- S. Morgades-Gil, "The Right to Benefit from an Effective Remedy against Decisions Implying the Return of Asylum-seekers to European Safe Countries: Changes in the Right to Appeal in the Context of the European Union’s Dublin System vis-à-vis International and European Standards of Human Rights", European Journal of Migration and Law, vol. 19.3, 2017, pp. 255-280.

 

Pour citer cette note : P. Mpabansi, « Cour administrative du Burundi, instance d’appel pour les demandeurs d’asile déboutés par le comité de recours ?», Cahiers de l’EDEM, mai 2022.

 


[1] P. Mertens, « Droit un recours effectif devant l’autorité nationale compétente dans les conventions internationales relatives à la protection des droits de l’homme », Revue Belge de Droit International / Belgian Review of International Law, vol. 4(2), 1968, p. 459.

[2] O. Le Bot, « Le droit au recours comme garantie des droits fondamentaux : l’article 8 de la Déclaration universelle des droits de l’homme », Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, vol.7, 2009, p. 113.

[3] Entretien mené par Professeure Sylvie Saroléa avec son invité Serge Bodart dans le cadre du MOOC-edx-UCLouvain, Droit d’asile et des réfugiés, A/A 2020-2021.

[4] Communication n° 563/1993, Bautista de Arellana c. Colombie, UN Doc. CCPR/C/55/D/563/1993 (1995), §8, point 2, disponible à l’adresse  http://hrlibrary.umn.edu/undocs/session55/vws56355.htm, (consulté le 19/4/2022).

[5] International Commission of Jurists, Fair Asylum Procedures and Effective Remedy : Training Materials on Access to Justice for Migrants, September 2021, p. 27, available at  https://www.icj.org/wp-content/uploads/2021/09/Module-1-Fair-asylum-procedures-and-effective-remedy.pdf

[6] Dans une affaire similaire portée devant le Comité des droits de l’enfant, opposant une demandeuse d’asile au Danemark, ce Comité a affirmé que les décisions de la Commission de recours des réfugiés (instance de recours en matière d’asile au Danemark) ne sont pas susceptibles d’appel et que la requérante a donc épuisé tous les recours internes (Communication no CRC/C/85/D/31/2017, X. C., L. G. et W. G. c. Danemark, 2020, § 7.2).

[7] J.-Y. Carlier et S. Sarolea, « Le droit d’asile dans l’Union européenne contrôlé par la Cour européenne des droits de l’homme : A propos de l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce », Journal des tribunaux, vol. 130, no 6436, 2011, p. 353-358.

[8] J.-Y. Carlier et S. Sarolea, Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016, p. 602.

[9] J.-Y. Carlier et S. Sarolea, op.cit., p. 599.

[10] Entretien mené par Professeure Sylvie SAROLEA avec son invité Serge BODART dans le cadre du MOOC-edx-UCLouvain, Droit d’asile et des réfugiés, A/A 2020-2021.

[11] G. CORNU, Vocabulaire juridique, 7e édition, Presses universitaires de France, Paris, 2005, « Recours pour excès de pouvoir ».

[14] Règlement de 2010 sur les réfugiés (the refugees regulations), article 39.

[15] Loi de 2021 sur les réfugiés au Kenya (the Refugees Act 2021), article 14, §2.

[16] Loi de 2012 sur les réfugiés au Sud Soudan (the Refugees Act 2012), article 26.

[17] C. Bléry, « Rapport introductif. La notion de spécialisation » in La spécialisation des juges,  Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2012, §7, disponible à l’adresse  http://books.openedition.org/putc/523 (consulté le 26/4/2022).

[18] E. Jeuland, « Le droit au juge naturel et l’organisation judiciaire », Revue française d’administration publique, vol. 125, no 1, 2008, pp. 33-42, p. 39.

Publié le 31 mai 2022