Agriculture durable : des images à prix d’or
uclouvain |
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Pour cartographier avec précision les parcelles agricoles et contribuer à une gestion plus durable de ces terres, les scientifiques ont besoin d’images satellites à très haute résolution. Des images, détenues par des sociétés privées, qui coûtent extrêmement cher. Dans un article publié dans PNAS, nos chercheurs démontrent l’intérêt de l’utilisation de telles images pour atteindre les objectifs de développement durable des Nations unies et lancent un appel pour ouvrir l’accès à ces images aux institutions scientifiques.
Les images satellites de la Terre sont une mine d’or pour observer la planète et les changements qui s’y opèrent. Elles permettent notamment l’étude et la modélisation du climat, l’inventaire des ressources naturelles ou encore la prévention et le suivi des catastrophes naturelles. Patrick Meyfroidt et Philippe Rufin, chercheurs au Earth and life Institute de l’UCLouvain, utilisent ces données d’observation de la Terre (EO) pour analyser la productivité agricole et l'utilisation des terres. Elles offrent une couverture étendue et permettent des analyses cohérentes, réduisant les coûts par rapport aux collectes de données sur le terrain.
Mais, si les images disponibles en accès libre permettent d’obtenir de bons résultats lorsqu’on se penche sur les grandes exploitations agricoles, leur niveau de précision ne permet pas de bonnes analyses pour les régions du monde peuplées de petits agriculteurs. Les données EO actuellement accessibles, comme celles de Landsat et Copernicus, ont une résolution insuffisante pour capturer les détails complexes de ces exploitations. Or les petites exploitations (moins de 2 hectares) jouent un rôle essentiel dans la production alimentaire mondiale, mais rencontrent des défis de stagnation et de baisse de productivité. Les données dont la résolution est inférieure à 2 mètres sont détenues par des opérateurs commerciaux tels que Airbus, Maxar et Planet Labs et sont extrêmement coûteuses (jusqu’à 52 000 € pour couvrir une fois le Rwanda ou 62 000 euros pour une couverture de la Belgique) et donc inaccessibles pour de nombreuses institutions de recherche.
Dans un article d'opinion publié dans la prestigieuse revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), nos scientifiques démontrent grâce à leurs recherches que des images à très haute résolution spatiale sont vraiment nécessaires pour cartographier l'agriculture dans toute sa complexité. Ils lancent un appel pour que les chercheurs et acteurs du développement et de l’environnement puissent avoir un accès ciblé, dans les régions concernées, aux archives des images satellites détenues par les sociétés commerciales. « L'idée, si on veut ici, est un genre de "proof of concept", pour montrer que, oui, si on a accès à ces images, on peut vraiment faire des choses complètement impossibles sans cela », explique Patrick Meyfroidt. « On appuie cela avec les recherches de Philippe Rufin mais aussi sur d'autres recherches, entre autres des multiples coauteurs de l'article, qui montrent que dans ce type de contexte (agriculture à très petite échelle, familiale, sans beaucoup d'intrants ou de mécanisation), des images à très haute résolution spatiale apportent réellement un plus ».
Grâce à un important budget de recherche du FNRS qui a permis d’acheter l'accès à ce type d’images, Philippe Rufin a mis au point une méthode innovante mêlant données d’observation de la Terre et intelligence artificielle pour cartographier avec une précision inédite les parcelles agricoles à l’échelle nationale. « Nous avons essayé, pendant des années, d'arriver au même résultat avec des images en accès libre, comme celles de la NASA avec Landsat, ou de l'ESA avec Sentinel-2, mais c'est tout simplement impossible. Et au vu du coût de ces images, on ne peut imaginer que des larges communautés de chercheurs, ou des agences gouvernementales dans les pays concernés, puissent acquérir ce genre d'images sur des régions ou continents entiers de façon régulière », souligne Patrick Meyfroidt.
Ces données permettent, entre autres, de cartographier précisément les parcelles agricoles, de surveiller la santé des cultures et de soutenir des interventions ciblées, comme une gestion optimisée des fertilisants. Mais aussi de mettre sur pied des initiatives de secours en cas de crise alimentaire, comme au Togo pendant la pandémie de COVID-19. Il ne fait aucun doute qu’une ouverture de ces données permettrait des avancées significatives dans la recherche, le suivi des objectifs de développement durable ainsi que des politiques agricoles plus adaptées pour les petites exploitations agricoles.
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Photos : © Cristina Chiarella