Les ciseaux à ADN sous haute surveillance
uclouvain |
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Pilier incontournable d’un bon brassage génétique, la protéine SPO11 agit comme des ciseaux moléculaires. Elle permet de réassembler l’ADN et de réduire de moitié le matériel génétique des cellules reproductrices. Pour la première fois, des chercheurs de l’UCLouvain ont réussi à re-créer cette étape dans un tube en laboratoire. Une avancée majeure publiée dans la prestigieuse revue Nature.
Nos cellules reproductrices, appelées gamètes, sont toutes uniques. D’abord, elles ne contiennent qu’un seul chromosome de chacune des 23 paires de chromosomes du génome humain. En outre chacun de ces chromosomes est assemblé à partir de morceaux échangés au sein de chaque paire. Lors de la fécondation un gamète maternel fusionne avec un gamète paternel pour constituer une cellule comptant à nouveau 23 paires de chromosomes, comme toutes les autres cellules de l’organisme. C’est cette cellule « recombinée » qui est le point de départ pour le développement d’un nouvel être vivant génétiquement sans précédent.
Le processus qui permet de former les cellules reproductrices s’appelle la méiose et permet d’obtenir ces cellules « amputées » de la moitié de leurs chromosomes. Comment ? Grâce à une protéine, SPO11, une sorte de ciseaux moléculaires dont le rôle est de couper l’ADN pendant la méiose. « Cette activité de clivage est connue depuis 25 ans mais elle n’avait jamais été reconstituée ‘in vitro’ au laboratoire. C’est-à-dire, qu’on savait que SPO11 doit être capable de couper l’ADN, mais jamais personne n’était parvenu à reproduire cette activité dans un tube », explique Corentin Claeys Bouuaert, chercheur au Louvain Institute of Biomolecular Science and Technology. « C’est ce que nous sommes parvenus à faire », révèle-t-il. Les résultats de cette étude sont publiés dans la prestigieuse revue Nature.
Une paire de ciseaux cassée
Reproduire l’activité d’une protéine biochimiquement (dans un tube) est la seule manière de vraiment comprendre son fonctionnement. « Dans ce cas-ci, nos études nous ont permis de comprendre que SPO11 se présente comme une paire de ciseaux cassés. Il faut deux lames pour que le ciseau fonctionne (la protéine doit être dimérique), mais en réalité les deux lames sont détachées (SPO11 est monomérique). Il faut donc que les deux lames se retrouvent pour que l’activité de clivage de l’ADN ait lieu », dévoile le scientifique qui est lauréat d’une bourse européenne ERC Consolidator.
Les coupures dans l’ADN sont très importantes à la fois pour le brassage génétique entre chaque génération, et donc pour l’évolution. Mais aussi pour le bon fonctionnement de la reproduction puisque, sans elles, l’organisme est stérile. Cependant, en dehors du processus de méiose, couper l’ADN est dangereux. C’est notamment l’effet que peuvent avoir les UV sur notre génome lorsqu’on s’expose au soleil. Les dommages alors causés dans l’ADN peuvent induire la mort des cellules ou l’apparition de cancers. « SPO11 ne peut donc pas agir n’importe où, n’importe quand. Son activité doit être contrôlée. Et nos observations nous permettent justement de mieux comprendre comment ce processus est contrôlé : intrinsèquement, la protéine est inactive car le ciseau est « cassé », mais, dans les bonnes circonstances, par exemple en présence de certains partenaires, le ciseau se reconstitue (deux sous-unités SPO11 se retrouvent) et le clivage à lieu ».
Si ces recherches sont fondamentales et son effectuée dans le but de mieux comprendre la méiose, il existe toutes une série de problèmes de stérilité associés à ce processus ou à l’activité de la protéine SPO11. Des mutations dans le gène SPO11 ou d’autre protéines impliquées dans la formation de cassures de l’ADN, ou leur réparation par recombinaison, induisent une stérilité, par exemple. Bien comprendre ces mécanismes au niveau moléculaire permet de mieux comprendre comment ces mutations impactent la fertilité, ce qui pourrait, un jour, mener à de nouvelles thérapies.