Orques et baleines à bosse : de l’Arctique à l’UCLouvain
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Pour déterminer l’état de santé des orques et baleines à bosse, l’équipe de Cathy Debier a récolté un grand nombre d’échantillons de tissus vivants sur ces cétacés en Norvège. Ses analyses permettront d’évaluer l’impact des polluants et du stress sur ces animaux. Retour sur une mission de terrain hors du commun.
« On s’est retrouvés en pleine nuit sur ce petit zodiac entourés de dizaines de baleines à bosse et d’orques qui se nourrissaient avec frénésie de harengs à côté d’un bateau de pêche. C’était à la fois incroyable, magique et un peu stressant. Nous n’avions pas envie de nous retrouver à l’eau ! », raconte Cathy Debier, Professeure à la Faculté des bioingénieurs et chercheuse au Louvain Institute of Biomolecular Science and Technology, à propos d’un des moments forts de sa dernière mission de terrain en Norvège. Spécialisée en physiologie animale et toxicologie environnementale, Cathy Debier s’intéresse à l’impact de stress - tel que la pollution chimique, l’activité maritime ou encore le changement climatique - sur la santé des mammifères marins.
En novembre dernier, la chercheuse et son équipe (lire encadré) sont partis dans le grand Nord rejoindre leurs collaborateurs, Pierre Blévin de l’Institut de recherche Akvaplan-nivaet Audun Rikardsen de l’université de Tromsø, dans le cadre d’une étude financée par le Research Council de Norvège. Leur mission ? Récolter un maximum d’échantillons de peau et graisse sous-cutanée de baleines à bosse et d’orques. Pourquoi faire appel à l’équipe de Cathy Debier ? Elle a développé un modèle unique permettant de tester l’impact de différentes sources de stress sur des tissus vivants prélevés sur des animaux sains. Une méthode qui permet d’établir des liens de cause à effet entre, notamment, les polluants ou le cortisol (hormone du stress) et l’effet biologique qu’ils peuvent avoir sur les mammifères marins.
Ramener le tissu vivant au laboratoire, un sacré défi !
« On sait que les mammifères marins sont fort contaminés par les polluants mais on ne connaît pas l’impact de cette contamination sur leur santé », explique Cathy Debier. « Jusqu’ici les études portent sur l’analyse des tissus d’animaux morts/échoués et sur des corrélations entre des niveaux de polluants et la présence de certains biomarqueurs dans l’organisme de l’animal mais on n’a pas de certitude de lien de cause à effet entre le polluant et l’effet biologique ». Par exemple, lorsqu’une orque échouée présente une concentration élevée d’un certain polluant dans ses tissus, on aurait tendance à dire que c’est ce qui l’a rendue malade et tuée. Alors qu’il est aussi possible que l’orque ait été malade pour d’autres raisons et que, en perdant du poids, les polluants présents dans son corps se soient massivement concentrés dans la graisse qui lui restait avant de mourir…
La méthode de Cathy Debier consiste à prélever des échantillons de peau et de graisse sous-cutanée sur des animaux vivants et de ramener ces échantillons au plus vite au laboratoire dans des conditions qui permettent d’en préserver la survie et toutes les fonctionnalités. Les scientifiques peuvent alors couper ces tissus vivants en fines tranches, les exposer à diverses polluants et/ou au cortisol, et en analyser ensuite les effets pour pouvoir faire ces fameux liens de cause à effet.
Une course contre la montre : touristes et pécheurs à contribution
Après avoir testé et validé ce modèle, appelé « tranches de précision » avec une population d’éléphants de mer en Californie en 2020 grâce au soutien du FNRS, la chercheuse et son équipe ont relevé le défi avec les baleines et les orques. Une tout autre façon de travailler ! « Pour les éléphants de mer, nous les trouvions sur la plage et nous pouvions les endormir pour prélever les tissus. Ce qui n’est évidemment pas possible avec des mammifères totalement aquatiques », souligne-t-elle. « Ici nous étions équipés d’une flèche avec flotteur. Tirée par Audun Rikardsen, professeur à l’université de Tromsø et photographe animalier, cette flèche rebondissait sur l’animal en prélevant de la peau et de la graisse sur environ 6 millimètres de large et quelques centimètres de profondeur, et retombait à l’eau. Nous devions alors récupérer cette flèche avec un petit zodiac en moins d’une minute trente pour pouvoir mettre les tissus à l’abris avant qu’ils ne soient dégradés», explique Cathy Debier. Mais la course ne s’arrête pas là ! Une fois dans des thermos à 20°C dans un milieu de culture adéquat, les tissus devaient être envoyés au plus vite au laboratoire pour être découpés en tranches et exposés aux différents polluants et doses de cortisol…Et tout cela en moins de 48h ! « Nous avons confié à plusieurs reprise les thermos à des touristes sur des bateaux de « whale watching » ou à des personnes sur des ferry qui pouvaient les ramener rapidement jusqu’à Tromsø où d’autres collègues étaient fins prêts à les récupérer et à démarrer le travail en laboratoire. Nous lancions parfois littéralement les thermos sur le pont de ces bateaux », poursuit la chercheuse, amusée par le souvenir de cette course folle. Un travail de terrain et d’équipe qui restera à jamais gravé dans sa mémoire.
Stress multiples et effet exponentiel sur la santé
Une fois la campagne d’échantillonnage terminée, c’est le travail d’analyse en laboratoire qui commence. Un travail de longue haleine qui mettra des mois avant de pouvoir révéler résultats et conclusions concernant l’impact des polluants et du stress sur les baleines et les orques. À quoi peut-on s’attendre ? « L’étude de l’impact du stress et des polluants sur les éléphants de mer nous a permis de mettre en évidence qu’un stress chronique combiné à des taux de polluants élevés engendraient des modifications synergiques de l’expression des gènes chez ces animaux. En d’autres mots, la combinaison de plusieurs stresseurs (polluants et hormones de stress) entrainait la modification de l’expression de plus de 4800 gènes qui n’étaient pas affectés lorsque les stresseurs étaient testés de manière isolée ». La modification de l’expression de gènes au sein du tissu graisseux peut avoir de grosses conséquences sur la biologie, notamment sur la sécrétion d’hormones ou sur le système immunitaire des animaux, et donc sur leurs comportements ou leur capacité à faire face aux maladies.
Il faudra donc être patient.es pour savoir ce que vont révéler les analyses sur les orques et les baleines. « Nous allons également bientôt pouvoir obtenir des échantillons d’ours polaires à Svalbard dans le cadre d’une prochaine mission de terrain. Ces animaux sont aussi fortement contaminés en raison de leur place en haut de la chaîne alimentaire et sont également soumis à de nombreux stress environnementaux, comme la réduction de leur habitat par exemple », précise Cathy Debier.
Des moments forts et quelques frayeurs
Parmi les nombreux souvenirs que l’équipe de Cathy Debier gardera de cette mission en Norvège, on compte la rencontre d’une baleine et son baleineau. « La mère était prise dans un filet de pêche totalement emmêlé autour d’elle. Il a bien fallu 24h aux personnes qui tentaient de la libérer pour venir à bout de ce filet. On entendait très clairement la mère et son petit communiquer intensément », se remémore la chercheuse. « Heureusement il y a eu une happy end et ils ont pu repartir sains et saufs ».
La sortie de nuit évoquée au début de l’article était un autre moment fort de ce séjour parmi les cétacés : « Nous sommes sortis en bateau une nuit pour notre campagne d’échantillonnage. Les baleines et les orques ont l’habitude de suivre les bateaux qui pêchent les harengs. Elles attrapent les harengs qui échappent aux filets. Nous nous sommes approchés d’un bateau et il y avait des dizaines de baleines à bosse et d’orques qui se nourrissaient. Lorsque nous étions sur notre petit zodiac au milieu de toute cette agitation et que nous devions récupérer les flèches avec les échantillons, c’était à la fois génial et un peu paniquant. Les baleines et les orques passaient juste sous notre petite embarcation. Non seulement l’eau n’était qu’à 4°C mais les animaux étaient dans un tel état d’excitation qu’on ne pouvait s’empêcher de se demander ce qu’il se passerait si on tombait à l’eau… ». Des moments immortalisés par d’incroyables vidéos !
Une équipe de choc dévouée aux mammifères marins![]() Cathy Debier, Professeure à la faculté des bioingénieurs et chercheuse au LIBST, spécialisée dans les questions relatives au métabolisme et effets santé des lipides et à l’impact des stress multiples chez les organismes terrestres et aquatiques. Alexandra Spinel, vétérinaire, doctorante et assistante à l’école VETE, ira à Tromso en mai pour réaliser des dosages de polluants. Alexandra travaille sur le développement du modèle de tranches de précision chez les orques et baleines à bosse et compare les résultats avec un modèle de mammifère terrestre, le porc. Elle s’intéresse également aux relations entre polluants et biomarqueurs via des études corrélatives. Léo Demaré et Ilan Aron : mémorants bioingénieurs En collaboration avec |