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Regards croisés sur le Cantique des cantiques

De tous les livres de la Bible, le Cantique des Cantiques est celui qui a donné lieu aux interprétations les plus divergentes : certains commentateurs ne voient qu’un recueil de chants érotiques là où d’autres ont vu l’expression de l’expérience mystique la plus haute. Même les exégètes des cinquante dernières années n’arrivent pas à se mettre d’accord sur le sens du poème. Le Cantique des cantiques est donc l'un des textes qui peut le mieux illustrer l'opportunité d'une ouverture de l'analyse à l'histoire de la réception. Le groupe de recherche a voulu prendre du recul par rapport à ce foisonnement, pour s’interroger sur l’acte interprétatif lui-même. Il n’est pas sûr, en effet, qu’ « interpréter » ait la même signification pour un Père de l’Église, pour un humaniste de la Renaissance, et pour un exégète du 21e siècle. Ce questionnement a abouti à la publication d’un ouvrage collectif intitulé Regards croisés sur le Cantique des cantiques.

La Bible en ses Traditions

Ce projet se prolonge aujourd’hui par une étude de la réception du livre au sein des traditions juives et chrétiennes, dans la cadre du chantier La Bible en ses Traditions, ouvert par l’École Biblique de Jérusalem. Héritière de la Bible de Jérusalem, qui a connu trois éditions en un volume (1956, 1973, 1998) et de nombreuses adaptations dans d’autres langues, la Bible en ses Traditions souhaite offrir au public cultivé une édition actualisée de l’Écriture, sans oublier que, traversant siècles et langues, porté jusqu’à son lecteur par les traditions des communautés qui le précèdent, le texte biblique n’a jamais été un objet figé. Le questionnement historico-critique garde ici sa place, mais on ne privilégie pas la recherche d’origines souvent inaccessibles. Dans la Bible, au fil des périodes, la mémoire croyante recueille et interprète dans le langage de son temps l’action de Dieu dans l’histoire. Autant qu’un document brut, la Bible est une écriture. Concrètement, il s’agit de proposer une Bible glosée qui rende compte de l'histoire de la réception du texte biblique en produisant une traduction « polyphonique » qui intègre les versions anciennes (grecques, latines, syriaques, etc.), en montrant l'impact que le texte a eu sur la théologie et la liturgie, et en appréciant la transformation de sa compréhension au fil des changements culturels, tels qu'ils peuvent être perçus à travers la littérature, les arts visuels et la musique. L’annotation inclut en outre une sélection parmi les interprétations traditionnelles, éventuellement en débat ; les patrologies grecque, latine, syriaque sont mises à profit. L’histoire de ces interprétations, prolongées ou contredites par l’exégèse des scolastiques, des réformateurs (Luther, Calvin) et celle des traditions juives (targums, littéralistes médiévaux), fait l’objet d’une synthèse. L’histoire de l’interprétation peut enfin être illustrée par les témoins marquants de la réception du texte édité dans la culture, de la littérature aux arts visuels. L’innovation la plus visible de La Bible en ses Traditions est la présentation analytique de l’annotation. Les notes sont divisées et réparties le plus rigoureusement possible en plusieurs registres. Le but de cette présentation est double. D’une part, rendre l’annotation aussi transparente et documentaire que possible, en distinguant chaque aspect du commentaire. D’autre part, manifester l’enracinement profond dans des faits textuels, littéraires et traditionnels des interprétations proposées.

Un projet interdisciplinaire et interuniversitaire

Comme on le voit, c’est un projet interdisciplinaire apte à mobiliser des compétences bien au-delà du cercle des exégètes. J.-M. Auwers prend en charge la réception juive ancienne et, avec l'aide d'Agnès Lorrain, la réception patristique; Guy Lobrichon (Univ. d’Avignon) rend compte des lectures médiévales du Cantique, notamment chez Alcuin et dans la Glose ordinaire; Augustin Tavardon (École Biblique de Jérusalem) a réalisé une traduction du commentaire de Luther – la première en français – destinée à nourrir l'annotation sur la réception dans la Réforme; Geneviève Fabry a étudié Luis de León, lecteur du Cantique des cantiques, et le Père carme Jean-Emmanel de Ena, les mystiques (en particulier Jean de la Croix et Thérèse d'Avila). Ralph Dekoninck s'est investi dans les arts visuels. Claire Placial (Université de Lorraine) apporte un éclairage précieux sur les traductions françaises du Cantique depuis la Renaissance. Jean-Luc Maroy a repéré les évocations du poème sur le grand écran, tandis que Laurent-Olivier Marty (Toulouse) a recensé les principales versions musicales du Cantique. 


Les aspects exégétiques sont pris en charge par J.-M. Auwers (traduction des textes hébreu, grec, latin, critique textuelle, philologie) avec l'aide d'Etienne Méténier (versions syriaques) et par Jean-Emmanel de Ena (procédés et genres littéraires, intertextualité biblique).


Le P. Olivier-Thomas Venard, directeur scientifique de « la BEST », propose une présentation du projet sur YouTube.