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Métiers en pénurie et orientation

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22 April 2022, modifié le 6 December 2024

Chaque année, au moment de l’analyse des inscriptions dans les études et des statistiques de l’emploi, on observe un différentiel entre les choix formulés par les jeunes et le marché de l’emploi. Les même constats sont faits régulièrement en termes de filières en pénurie. Finalement, ces données questionnent naturellement l’efficacité de l’orientation chez certains acteurs.

Nous avons interviewé un expert de l'orientation en Belgique à ce sujet.
Ci-dessous, découvrez l'avis de Philippe Fonck du centre d'information et d'orientation (CIO).

Quel est l'enjeu de l’orientation à l’école et dans l’enseignement supérieur?

L’orientation, telle que définie aujourd’hui, est un processus qui vise le développement des personnes vers une vie socioprofessionnelle porteuse de sens, dans une double perspective de réalisation de soi et d’insertion dynamique dans la société. L’objectif de ce processus est de développer auprès des personnes des compétences à s’orienter et à se réorienter en cours de carrière.

La vision actuelle de l’orientation est bien plus complexe qu’une simple adéquation entre une offre de formations et de professions. L’orientation est au service des personnes, de leur développement avant tout, et pas prioritairement au service du marché.

L’approche est donc personnelle et narrative au sens où chacun développe le pouvoir d’effectuer ses choix personnellement et de donner du sens à ceux-ci. L’orientation se veut dynamique, formative pour la personne (on parle de maturation vocationnelle).

Dans quelle mesure l’orientation répond aux enjeux des métiers en pénurie ?

Une vision dynamique de l’orientation, telle que présentée ci-dessus, permet à chacun·e de faire face aux éventuelles pénuries en ajustant ses compétences. L’objectif de l’orientation serait de développer des « compétences à s’orienter » et donc de se focaliser davantage sur l’autonomisation et sur le processus que sur la « destination » choisie.

Le rapport de l’ARES met en évidence les formations continues et les spécialisations qui représentent 51% de l’ensemble des formations supérieures ! « Bridge the gap » : Ces formations sont d’excellents tremplins pour permettre à chacun·e d’ajuster ses compétences tout au long de la vie et de rebondir face au marché.

On constate aujourd’hui, une reprise rapide d’études chez les jeunes diplômé·es après l’obtention du diplôme, et ce, même s’ils et elles ont trouvé un emploi.

L’aide à l’orientation des adultes en reprise d’études est donc un enjeu essentiel dans nos sociétés. C’est aussi une composante essentielle pour l’efficacité du système de formation dans la recherche d’équilibre entre formation et employabilité.

D’une certaine manière, la formation complémentaire pourrait jouer un rôle d’ajustement alors que la formation initiale serait moins déterminante professionnellement.

Y a-t-il lieu d’être rassurant·e sur les pénuries et sur l’employabilité ?

La bonne nouvelle de l’enquête de l’ARES est de démontrer que les pénuries ne sont pas aussi spécifiques ou sectorielles que ce que l’on entend habituellement, nous faisons allusion par exemple aux STEM (Science, Technology, Engineering, and Mathematics) ou STEAM (STEM + Arts) souvent mises en évidence.

En fait, c’est presque tout l’enseignement supérieur qui est en « pénurie » aujourd’hui. C’est en soit, une nouvelle rassurante. Nous l’observons également dans les enquêtes diplômé·es menées à l’UCLouvain : globalement, le taux d’employabilité est excellent, avec juste parfois un temps de recherche un peu plus long… Cela tranche parfois avec la morosité perçue dans certains domaines ou auditoires.

Le socle de compétences générales proposé dans les formations initiales de l’enseignement supérieur en Belgique, où les formations sont moins professionnalisantes que dans certains pays, joue probablement un rôle en termes de polyvalence d’accès à différentes professions. Cette polyvalence est favorable aux diplômé·es pour faire face au risque de chômage.

Quel est l’équilibre à trouver entre soi et le marché ?

Le premier équilibre à trouver est celui entre « Aimer », « Pouvoir » et « Vouloir ». Aller vers une filière sans « aimer » ou sans « vouloir » vraiment, sera probablement difficile à gérer dans la durée même si le marché est porteur…

Il faut aussi « pouvoir » dans le sens d’être capable, pour entamer certaines études dites en pénurie. Nous pensons notamment au STEM qui demandent des compétences et des pré-requis bien spécifiques.

La dimension « Vouloir » nécessite de mettre tout en œuvre pour atteindre ses objectifs et d’éventuellement envisager des formations préparatoires. Une manière de se tester et de se donner du temps pour peaufiner un projet. En cours de cursus, une réflexion sur la maîtrise des langues, des outils numériques et plus globalement des compétences transversales (« soft-skills ») est de nature à favoriser l’adaptabilité et la polyvalence professionnelle. Des modules optionnels pourraient développer ces compétences transversales dans une perspective d’insertion socioprofessionnelle.

À ce sujet, le système éducatif pourrait développer des formations préparatoires incluant des modules d’orientation. Ces filières préparatoires existent en sciences, en mathématiques ; il en manque dans le secteur de la santé et des sciences humaines. Pour celles et ceux qui hésitent, ce serait l’opportunité de consolider des compétences avant de s’engager dans le supérieur et aussi d’ouvrir les horizons entre différentes filières.

L’analyse de l’ARES met l’accent sur les différences de genre dans le choix des études et cela se marque encore plus dans certaines filières en pénurie. Ce sont des tendances lourdes mais d’autres analyses pointent les « enjeux liés aux transitions sociétales » pour sensibiliser aux sciences et technologies, notamment à travers une vision moins basée sur le genre.

L’équilibre est probablement à trouver dans la gestion de sphères de vie : vie professionnelle, culturelle, cercles relationnels et de loisirs. Les valeurs changent par rapport au travail… surtout auprès des nouvelles générations.

Lire aussi En quoi les stéréotypes sur les métiers influencent-ils nos choix de formation et choix de métier ?

 

Par Philippe Fonck, Directeur du CIO - Centre d'information et d'orientation
Interviewé par Ora - Journaliste spécialisée en orientation.

 

Références :
Analyse de l’ARES :
https://www.ares-ac.be/fr/actualites/795-un-etudiant-inscrit-sur-deux-en-federation-wallonie-bruxelles-suit-un-cursus-qui-prepare-a-un-metier-en-penurie
Analyse Forem – STEM
https://www.leforem.be/content/dam/leforem/fr/documents/Rapport-STEM-11-2020.pdf