C.J.U.E., 16 juillet 2020, B.M.M ea. c. État belge, affaires jointes C‑133/19, C‑136/19 et C‑137/19, EU:C:2020:577

Louvain-La-Neuve

Regroupement familial : Effectivité des recours et garanties procédurales au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Droit au regroupement familial – Directive 2003/86/CE – Article 4, par. 1 – Notion d’enfant mineur – Articles 7 et 24, par. 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Intérêt supérieur de l’enfant – Article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’union européenne – Droit à un recours effectif – Enfants du regroupant devenus majeurs au cours de la procédure juridictionnelle contre la décision de rejet de la demande de regroupement familial – Prise en compte de minorité à la date d’introduction de la demande de séjour, y compris en cas de recours.

La Cour de justice de l’Union européenne juge que la détermination de la minorité, qui conditionne le droit au regroupement familial, doit avoir lieu à la date du dépôt de la demande, et non à la date à laquelle les autorités compétentes statuent sur celle-ci. Cela favorise l’effectivité du recours car même si l’enfant devient majeur dans le cadre d’une procédure juridictionnelle contestant un rejet de demande, il conserve le droit à ce que son recours soit examiné et partant, l’intérêt à agir. La Cour estime aussi que les recours juridictionnels dans le cadre du regroupement familial qui impliquent des enfants doivent être traités en priorité. La Cour procède à une interprétation téléologique de la directive relative au regroupement familial et fonde son raisonnement sur le respect des droits de l’enfant.

Christine Flamand

A. Arrêt

1. Faits

Le 20 mars 2012, trois enfants, B.S., B.M et B.M.O, introduisent, auprès de l’ambassade de Belgique à Conakry (Guinée), une demande de regroupement familial en qualité d’enfants mineurs d’un ressortissant d’un pays tiers bénéficiant du statut de réfugié en Belgique (B.M.M.). Ces demandes sont rejetées par une décision du 2 juillet 2012.

B.M.M. introduit le 9 décembre 2013, au nom et pour le compte de ses enfants mineurs, auprès de l’ambassade de Belgique à Dakar, de nouvelles demandes de regroupement familial. Celles-ci sont rejetées le 25 mars 2014 dans le respect des délais prévus par la loi belge. Leur avocat introduit un recours en suspension et en annulation contre ces décisions de rejet devant le Conseil du contentieux des étrangers (ci-après CCE). Le 31 janvier 2018, soit trois ans et neuf mois après l’introduction des recours, le CCE rejette lesdits recours comme étant irrecevables pour défaut d’intérêt à agir, en se fondant sur le fait que, à la date où il statue, B. S., B. M. et B. M. O. sont majeurs et ne remplissent donc plus les conditions prévues par les dispositions régissant le regroupement familial des enfants mineurs.

Un recours est introduit par les requérants au Conseil d’État (ci-après CE), contestant l’argument de l’absence d’intérêt à agir, estimant que la date qui doit être prise en compte, contrairement à ce qui est statué par le CCE, est celle de l’introduction initiale de la demande de regroupement familial à l’administration de l’Office des étrangers (ci-après OE), date à laquelle les enfants étaient mineurs. Ils remplissent dès lors les conditions de la loi. Le CE décide de surseoir à juger et pose deux questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après, C.J.U.E.).

Une première question concerne l’interprétation de l’article 4 de la directive 2003/86 (ci-après, la directive) et le moment auquel les conditions du regroupement familial doivent être réunies. Le CE souhaite des éclaircissements de la Cour sur l’interprétation de l’état de minorité. La date à laquelle il convient de se référer pour déterminer si un ressortissant d’un pays tiers est un « enfant mineur » est-elle celle à laquelle est présentée la demande, ou celle à laquelle il est statué sur cette demande par les autorités compétentes, le cas échéant après un recours dirigé contre une décision de rejet d’une telle demande ? En d’autres termes, les requérants ont-ils le droit d’être traités comme des mineurs au sens de la directive 2003/86 même s’ils ont atteint leur majorité au moment où l’administration statue sur leur demande de regroupement familial ou, plus tard, au cours de la procédure juridictionnelle introduite par les requérants contre la décision adoptée ? La seconde question complète la première et porte sur l’interprétation de l’article 18 de la directive, lu à la lumière du droit au recours effectif prévu par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux, (ci-après la Charte) sur l’intérêt que conserverait un mineur devenu majeur au cours de la procédure juridictionnelle à voir la décision initiale annulée.

2. Raisonnement et décision de la Cour

La Cour de Justice se prononce sur ces deux questions préjudicielles distinctes.

La première question préjudicielle concerne l’interprétation de l’article 4 de la directive 2003/86. Cet article désigne les membres de la famille autorisés à rejoindre un(e) regroupant(e). Il s’agit des enfants mineurs (biologiques ou adoptés) qui doivent être d’un âge inférieur à la majorité légale de l’État membre concerné et ne pas être mariés. La directive est muette quant au moment où la condition de minorité doit être rencontrée. Elle n’opère pas de renvoi au droit des États membres.

La Cour estime par conséquent qu’une interprétation autonome et uniforme doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition ainsi que de l’objectif poursuivi par la directive, qui est de favoriser le regroupement familial, de lui donner un effet utile et de protéger les ressortissants de pays tiers, notamment les mineurs (point 25 qui se réfère aux arrêts de la C.J.U.E., E., 13 mars 2019, pt. 45 ; O et S., 10 décembre 2012, pt. 74). Cette même jurisprudence fait obligation aux États membres, dans les hypothèses clairement déterminées, d’autoriser le regroupement familial de certains membres de la famille du regroupant sans pouvoir exercer leur marge d’appréciation (C.J.U.E., Parlement c. Conseil, 27 juin 2006, pt. 60 ; O et S., 10 décembre 2012, pt. 70). Elle rappelle l’obligation des États membres d’interpréter leur droit national d’une manière conforme au droit de l’Union, en ce compris les droits fondamentaux protégés par la Charte, tels que l’article 7 (protection de la vie privée) en combinaison avec l’article 24 (intérêt de l’enfant), qui insistent sur la nécessité pour un enfant d’entretenir régulièrement des relations personnelles avec ses deux parents. La directive quant à elle stipule l’obligation de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant (article 5).

Par conséquent, la Cour estime que la date à prendre en compte, pour apprécier la condition d’âge des enfants, est celle de l’introduction de la demande de regroupement familial. Il s’agit d’une condition d’admissibilité de la demande de regroupement familial, qui ne saurait être appréciée que lors de la date d’introduction de cette demande (pt. 47). Par conséquent, en cas de recours contre une décision de rejet d’une telle demande, c’est encore cette date d’introduction de la demande initiale qui compte, conformément à une interprétation téléologique de la directive et dans le respect des droits fondamentaux de l’enfant, même s’il est devenu majeur entretemps.

En décider autrement et tenir compte de la date à laquelle l’autorité statue sur la demande d’entrée reviendrait à faire dépendre le succès de la demande de circonstances imputables à l’administration et non pas au demandeur (pt. 42). Ce raisonnement ne permettrait pas d’assurer une égalité de traitement, une sécurité juridique et un traitement identique et prévisible à tous les demandeurs se trouvant dans la même situation.

La seconde question préjudicielle concerne l’interprétation de l’article 18 de la directive qui stipule que le regroupant et/ou les membres de sa famille ont le droit de contester en justice les décisions de rejet de la demande de regroupement familial, de non-renouvellement, de retrait du titre de séjour, ou d’adoption d’une mesure d’éloignement.

Le CCE avait considéré que l’enfant mineur devenu majeur au cours de la procédure juridictionnelle introduite contre la décision de rejet de sa demande de regroupement familial n’avait plus d’intérêt à agir et à voir cette décision annulée, de sorte que son recours devait être rejeté par la juridiction compétente. Or, le CE se demande si le recours formé contre le refus d’un droit au regroupement familial d’un enfant mineur, jugé irrecevable pour le motif que l’enfant est devenu majeur durant la procédure juridictionnelle, ne priverait pas ce jeune de la possibilité qu’il soit statué sur son recours contre cette décision et ne porterait pas atteinte à son droit à un recours effectif.

La Cour se réfère à la réponse à la première question préjudicielle qui conclut que si l’enfant mineur lors de l’introduction de la demande devient majeur au cours de la procédure juridictionnelle, il convient de prendre en considération l’âge du mineur lors de l’introduction de la demande de regroupement familial.

La Cour note qu’au contraire de l’article 5 de la directive qui prévoit une durée de traitement de la demande de regroupement familial, la directive ne prévoit aucun délai pour statuer sur les recours. Elle constate que le délai moyen d’examen des recours en Belgique est de trois ans et qu’il n’est pas accordé de priorité de traitement aux cas de mineurs (pt. 40). Elle rappelle que l’article 18 prévoit qu’en cas de refus du regroupement familial, le regroupant ou les membres de la famille ont le droit de contester cette décision et les États membres veillent à fixer des procédures et des compétences pour rendre effectifs ces recours, au sens de l’article 47 de la Charte. Même si les États disposent d’une marge de manœuvre à cet égard, ils sont tenus de respecter et garantir le droit effectif devant un tribunal (C.J.U.E., Torubarov). L’avocat général, dans ses conclusions, déduit de la combinaison des articles 18 et 47 que ces recours, pour être effectifs et réels, doivent être cohérents et ne pas entraîner de conséquences arbitraires ou indéfendables (Cour eur.D.H., MacFarlane c. Irlande, 10 septembre 2010). Il considère que ce serait le cas « si l’issue du droit des requérants de former un recours contre la décision du ministre leur refusant un permis de séjour à des fins de regroupement familial devait dépendre de leur statut personnel à la date de l’audience devant le Conseil du contentieux des étrangers, c’est à dire du point de savoir s’ils étaient encore mineurs ou s’ils avaient entre-temps atteint l’âge de la majorité » (pts. 42 et 44).

La Cour suit ce raisonnement de l’avocat général et conclut que l’article 18 de la directive, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que le recours dirigé contre le rejet d’une demande de regroupement familial d’un enfant mineur soit rejeté comme étant irrecevable au seul motif que l’enfant est devenu majeur au cours de la procédure juridictionnelle. Dans le cas contraire, ce jeune majeur serait privé de la possibilité qu’une juridiction statue sur son recours et son droit à un recours effectif en serait atteint.

La Cour estime également que l’irrecevabilité d’un recours introduit contre la décision de rejet d’une demande de regroupement familial, comme en l’espèce, ne pourrait être fondé sur le constat que les personnes concernées ne justifient plus d’un intérêt à obtenir une décision de la part de la juridiction saisie. La Cour juge qu’il ne saurait être exclu qu’un ressortissant d’un pays tiers dont la demande de regroupement familial a été rejetée conserve, même après être devenu majeur, un intérêt à ce que la juridiction saisie du recours contre ce rejet se prononce sur le fond, dans la mesure où, dans certains États membres, une telle décision juridictionnelle est nécessaire pour permettre au demandeur d’introduire une action en dommages et intérêts à l’encontre de l’État membre en cause (pt. 56-57).

B. Eclairage

Cet arrêt constitue la prolongation pour tout étranger de ce que la Cour de justice avait jugé concernant le regroupement familial des MENA reconnus réfugiés dans l’arrêt A et S en 2018 (1). Cet arrêt confirme l’importance que la Cour porte au respect de la vie familiale et à l’intérêt de l’enfant (2). Par ailleurs, la Cour veille à l’effectivité des recours en matière de regroupement familial, en particulier lorsque des mineurs sont impliqués (3).

1. Prolongation des enseignements de l’arrêt A et S

La Cour élargit les enseignements de l’arrêt A et S aux mineurs qui n’ont pas le statut de réfugié ni de position privilégiée en droit[1]. Dans l’arrêt A et S, il était question de déterminer quelle date devait être prise en considération pour déterminer le droit au regroupement familial pour un mineur non accompagné (ci-après MENA) avec ses ascendants. La Cour décide que c’est la date de l’introduction de la demande d’asile au vu de son effet déclaratif. Elle considère que même si le MENA devient majeur au cours de procédure d’asile, le droit au regroupement familial avec ses parents est maintenu et par voie de conséquence, l’exonération des conditions matérielles les concernant. Il s’agissait de maintenir les conditions favorables mises en place par la directive (art. 10.3), auxquelles devaient pouvoir prétendre les membres de la famille d’un MENA ayant obtenu le statut de réfugié ou de protection subsidiaire[2].

Ceci laissait ouvert la question de la prise en compte de la condition de minorité pour les demandes introduites par d’autres mineurs dans le cadre du regroupement familial mais qui ne bénéficient pas de ce statut « privilégié » de bénéficiaire de la protection internationale. Par ailleurs, l’arrêt A et S concernait la date d’introduction de la demande d’asile tandis que dans le cas commenté, il s’agit de l’introduction d’une demande de regroupement familial.

L’avocat général s’inspire de l’arrêt A et S et estime que ces différences de statut ne sont pas déterminantes en ce qui concerne les affaires à la cause. Il considère que « les principes qui sous-tendent l’affaire A et S sont très pertinents aux fins de résoudre les questions d’interprétation soulevées dans les présentes procédures » (pt 39, conclusions). La Cour reprend le raisonnement de l’avocat général et adopte le raisonnement favorable à la vie familiale et à l’intérêt de l’enfant, conformément à l’objectif de la directive. Cette interprétation de la directive garantit que le résultat de toute demande de regroupement ne dépend ni des aléas de la date à laquelle l’autorité administrative a statué sur la demande ni des retards ultérieurs inhérents au système juridictionnel ou, d’ailleurs, au système administratif (pt 39-40). Ce raisonnement ne permettrait pas d’assurer que l’intérêt de l’enfant soit pris en considération.  

La notion de vulnérabilité mentionnée dans l’arrêt A et S, liée à la double condition de minorité et de qualité de réfugié, laisse la place à une prise en compte croissante de l’intérêt de l’enfant qui devient le seul fondement du raisonnement de la Cour de justice, ce qui fait tout l’intérêt et la nouveauté de l’arrêt commenté.

2. Intérêt de l’enfant, principe ancré dans la Charte

En faisant le choix de privilégier cette interprétation à la lumière de la Charte, la Cour se laisse guider par le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant comme un principe général de droit, une règle de fond et une règle de procédure. La Cour de justice se positionne de façon assertive sur la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, tant au niveau de la vie familiale qu’au niveau de l’effectivité des recours le concernant.

- Intérêt de l’enfant et vie familiale

La Cour rappelle le caractère subjectif du droit au regroupement familial. Elle fonde son raisonnement et sa décision sur le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et son intérêt à ne pas être séparé trop longtemps de ses parents. Elle favorise le principe de l’unité familiale, dans les meilleurs délais pour tous les enfants, peu importe leur statut (MENA reconnu réfugié, ressortissant de pays tiers).

C’est donc uniquement la qualité d’enfant et la vulnérabilité qu’elle associe à cette minorité qui détermine la position de la Cour, qui entend les protéger. Elle combine l’interprétation de l’article 7 de la Charte avec l’obligation de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant et la nécessité pour un enfant d’entretenir régulièrement des relations personnelles avec ses deux parents, stipulées à l’article 24, paragraphes 2 et 3 de la Charte. La Convention relative aux droits de l’enfant (ci-après CIDE) prévoit en son article 10 que toute demande faite par un enfant ou ses parents en vue d'entrer dans un État partie ou de le quitter aux fins de réunification familiale est considérée par les États parties dans un esprit positif, avec humanité et diligence. Ces exigences imposent aux États membres d’examiner les demandes de regroupement familial dans l’intérêt des enfants concernés, dans le souci également de favoriser la vie familiale, et en évitant de porter atteinte tant à l’objectif de cette directive qu’à son effet utile (C.J.U.E., O. et S., décembre 2012).

Par cette jurisprudence constante et de plus en plus affirmative, la Cour conforte l’assise des droits de l’enfant dans le droit de l’Union.

- Intérêt de l’enfant et garanties procédurales pour assurer l’effectivité du recours

Par cet arrêt, la Cour analyse la pratique du CCE à la lumière de l’article 47 de la Charte. Pour favoriser l’effet utile du recours dans le cadre du regroupement familial, la Cour s’appuie sur les droits de l’enfant et juge qu’une priorité doit être accordée au traitement des requêtes impliquant des enfants. L’avocat général estime qu’en l’absence de délais de traitement de recours dans la directive (art. 18), une priorité et une urgence doivent être accordées au traitement de requêtes de mineurs afin de ne pas mettre en péril leur droit au regroupement familial et la possibilité pour les familles de se réunir (conclusions de l’avocat général, pt. 43).

La  Cour souligne, suivant en cela le raisonnement de la Cour européenne des droits de l’homme en ce qui concerne respectivement l’article 47 de la Charte et les articles 6, par. 1, et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, que le droit à un recours effectif implique que les recours nationaux soient effectifs et réels, et non simplement illusoires et théoriques.  Pour être effectifs, ces recours doivent être traités en priorité et ils ne peuvent être rejetés pour le motif que les enfants sont entretemps devenus majeurs.

Cette affaire met en exergue les délais d’examen extrêmement longs du CCE en matière de regroupement familial (3 ans et 9 mois dans l’affaire à la cause). La Cour s’étonne que le CCE ne traite pas les dossiers impliquant des enfants en priorité (pt. 43). De manière indirecte, la Cour veut mettre l’enfant à l’abri de ces délais qu’il considère comme excessifs et qui réduisent à néant l’effectivité du recours, notamment lorsque l’enfant devient majeur. Cela implique que le CCE va devoir s’organiser pour diminuer drastiquement les délais d’examen de ce type de recours.

La Cour européenne des droits de l’homme avait déjà estimé que même si l’article 8 ne prévoit pas de garanties procédurales spécifiques en matière familiale, « la qualité du processus décisionnel dépend spécialement de la célérité avec laquelle l’État agit » (Cour eur. DH, Mugenzi c. France, 10 juillet 2014, pt. 46). Elle l’évoque dans la situation impliquant des regroupants bénéficiant de la protection internationale. La Cour de justice élargit par cet arrêt l’obligation des États de traiter rapidement les demandes en lien avec la vie familiale, afin de garantir le respect des articles 7, 24  et 47 de la Charte.

Ceci avait également été affirmé par la Comité des droits de l’enfant spécifiquement dans l’affaire YB et NS (2018). Vu la très longue période d’examen du dossier de visa de long séjour, le Comité avait conclu que l’État n’avait pas respecté l’obligation qui lui était faite de traiter la demande de regroupement familial pour raisons humanitaires avec humanité et diligence, violant ainsi l’obligation faite par l’article 10 de la CIDE.

L’effectivité de la procédure de regroupement familial implique, pour les mineurs, la célérité de traitement du dossier, tant au niveau de l’examen de la demande de regroupement familial que d’un éventuel recours juridictionnel. 

3. Effectivité des recours et nature du contrôle juridictionnel

La Cour s’est déjà prononcée sur la nature du contrôle juridictionnel et du recours effectif dans le cadre de la protection internationale (p.e. C.J.U.E., Torubarov). Si la Cour, dans l’arrêt commenté, se prononce sur l’aspect effectif du recours en matière de regroupement familial, ce qui est une nouveauté en soi, elle ne se prononce pas sur la nature du contrôle que la juridiction doit opérer pour atteindre cet objectif. En droit belge, ce contrôle est limité en ce qui concerne les recours relatifs au regroupement familial, ce qui peut remettre en cause son caractère effectif, au détriment de l’intérêt de l’enfant notamment. Ceci relève probablement d’une autre question préjudicielle dans le prolongement de cet arrêt ...

Cet arrêt nous permet de prolonger ces réflexions. Tout comme en ce qui concerne les délais de traitement des recours, la directive est muette sur la nature du contrôle opéré par la juridiction.  L’article 18 de la directive se prononce sur la nécessité de prévoir un recours et de pouvoir rester sur le territoire, mais ne se prononce pas sur la teneur du recours : s’agit-il d’un recours de légalité ou d’opportunité ?

Une large marge de manœuvre est réservée aux États par la directive puisque « la procédure et les compétences en ce qui concerne l’exercice du droit visé au premier alinéa sont fixées par les États membres concernés » (art. 18). La Commission, dans ses lignes directrices, définit ce contrôle comme un « contrôle juridictionnel exhaustif qui doit être disponible quant au fond et à la légalité des décisions » et exige que « les décisions peuvent être contestées non seulement en droit, mais également compte tenu des faits d’un cas d’espèce » (pt. 7. 5)

En Belgique, le recours contre les décisions de refus de regroupement familial par l’OE se limite à un contrôle marginal de la légalité de la décision, qui exclut l’examen de l’opportunité de la mesure (CCE, 29 septembre 2017, n° 192 845 ; 14 septembre 2017, n° 191 972). Pour statuer, l’administration se base uniquement sur les informations disponibles lors de l’introduction du recours (examen ex tunc). La juridiction a uniquement la possibilité d’annuler la décision, pas de la réformer. Elle ne peut substituer son pouvoir d’appréciation à celui de l’administration, ce qui parfois conduit à un jeu de ping-pong entre administration et juridiction, au détriment du mineur ou de sa famille et prolongeant d’autant l’incertitude quant à une décision finale.

Ce contrôle limité permet-il la mise en œuvre d’un contrôle effectif ? Lorsque l’administration statue sur une demande de regroupement familial, elle exerce une compétence au moins en partie liée. Le respect des conditions légales donne droit au regroupement familial. Toutefois, « confronter ces conditions légales aux faits suppose nécessairement l’exercice d’un certain pouvoir d’appréciation des faits, par exemple lorsqu’il s’agit de déterminer si la relation répond au critère de stabilité » [3]. Il en va de même lorsqu’il s’agit de jauger la prise en compte des droits de l’enfant. Ces considérations permettent de douter de l’effectivité du recours s’agissant d’une matière impliquant les droits fondamentaux.

L’absence d’un examen d’opportunité est en porte-à-faux avec les lignes directrices de la Commission, qui recommande que les recours contre des refus de séjour en matière de regroupement familial respectent le principe du recours effectif[4]. Cette limitation du contrôle dans le cadre du regroupement familial pourrait être questionnée près de la Cour de justice, notamment au regard de l’article 47 de la Charte et du respect de l’intérêt de l’enfant (articles 7 et 24 de la Charte), maintenant que la Cour reconnait l’obligation pour les États membres d’organiser un recours réel et effectif dans le cadre du regroupement familial en particulier, lorsque des enfants sont impliqués. Gageons que cette vaste question puisse faire l’objet d’une question préjudicielle dans le futur.

Conclusions

L’interprétation téléologique de la directive relative au regroupement familial permet une prise en compte croissante des droits de l’enfant et en renforce considérablement l’assise dans le droit de l’Union. L’enfant migrant se voit reconnaître davantage de droits. En insistant sur l’interprétation de la directive à la lumière des droits fondamentaux, la Cour de justice applique le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant comme une règle de fond, d’interprétation et de procédure. Comme règle de procédure, la Cour y puise le principe du recours effectif dans le cadre du regroupement familial. Ceci est très important dans un contexte européen mais également dans un contexte belge où la législation relative au regroupement familial ne cesse de faire l’objet de tentatives de modifications successives pour e rendre l’accès plus difficile[5].

L’arrêt aura des conséquences importantes pour la juridiction belge (CCE) puisque l’enfant conserve son intérêt à agir même s’il est devenu majeur en cours de procédure. Le CCE devra traiter ces recours avec priorité et apprécier de manière systématique et transversale le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.

C. Pour aller plus loin

Lire l’arrêt :

- C.J.U.E.,  16 juillet 2020, B. M. M. ea c. État belge, affaires jointes C133/19, C136/19 et C137/19, EU:C:2020:577

Jurisprudence :

- Cour eur.D.H., 10 juillet 2014, Tanda-Muzinga c. France, requête n° 2260/10

- C.J.U.E., 19 mars 2020, Conclusions de l’avocat général Gerard Hogan , affaires jointes C-133/19, C-136/19 et C-137/19, EU:C:2020:222

- C.J.U.E., 13 mars 2019, E., C635/17, EU:C:2019:192

- C.J.U.E., 29 juillet 2019, Torubarov, C-556/17, EU:C:2019:626

- C.J.U.E., 12 avril 2018, A et S , C-550/16, EU:C:2018:248

- C.J.U.E., 6 décembre 2012, O.et S. , C-356/11 et C-357/11, EU:C:2012:776

- CCE, 24 mars 2020, ° n°234 415

Doctrine :  

Carlier, J.-Y. et Leboeuf L., « Droit européen des migrations », JDE, 2019, p.114-130 ;

Carlier, J.-Y. et Sarolea S., Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016 ;

Flamand, C., « La minorité prolongée du MENA reconnu réfugié pour favoriser l’unité familiale », Cahiers de l’EDEM, mai 2018 ;

Frasca, E., « Rule of law concerns regarding systems of judicial review in asylum cases: on the binding effect of judicial decision and the fundamental right to an effective remedy », Cahiers de l’EDEM, septembre 2019 ;

Hardy, J., « Les lignes directrices pour l’application de la directive 2003/86 relative au droit au regroupement familial à l’aune de la jurisprudence récente », Rev. dr. étr., n° 179, pp. 339-349 ;

Peers, S. « Family reunion, the rights of the child and effective remedies: latest CJUE judgment », 28 juillet 2020.

Autre :  

Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen concernant les lignes directrices pour l’application de la directive 2003/86/CE relative au regroupement familial, Bruxelles, 3 avril 2014, COM(2014) 210final.

Pour citer cette note :

Ch. Flamand, « Regroupement familial : Effectivité des recours et garanties procédurales au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant», Cahiers de l’EDEM, août 2020.

 


[1] C. Flamand, « La minorité prolongée du MENA reconnu réfugié pour favoriser l’unité familiale », Cahiers de l’EDEM, mai 2018

[2] J.-Y. Carlier et L. Leboeuf, «Droit européen des migrations », JDE, 2019, p.126, pt. 36-37.

[3] J.-Y. Carlier et S. Sarolea, Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016, pt. 755.

[4] J. Hardy, « Les lignes directrices pour l’application de la directive 2003/86 relative au droit au regroupement familial à l’aune de la jurisprudence récente », Rev. dr. étr., n° 179, pp. 339-349

[5] Voy. p.e. proposition de loi du 10 octobre 2019  modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers en ce qui concerne la réglementation relative au regroupement familial, https://www.dekamer.be/FLWB/PDF/55/0574/55K0574001.pdf.

Photo : https://www.designingbuildings.co.uk/wiki/Buildings_of_the_EU

Publié le 04 septembre 2020