Le pacte européen sur la migration et l’asile n’est, ni en la forme, ni sur le fond, une codification de la politique migratoire européenne qui pourrait servir de modèle pour une codification européenne du droit international privé. En revanche, le droit international privé européen pourrait, en particulier dans sa vocation universaliste de recherche de l’harmonie des solutions, servir d’inspiration pour une future politique européenne de la migration.
Jean-Yves Carlier
Professeur émérite de l’UCLouvain
Ce texte a été écrit pour la revue italienne Eurojus. Cette revue en ligne couvre largement l’ensemble du droit européen avec des articles de fond et des notes d’actualité.
Deux événements me conduisent à associer ces deux domaines inscrits dans le titre V du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le droit international privé (article 81, sous le chapitre 3, Coopération judiciaire en matière civile) et la politique migratoire (articles 77 à 80, sous le chapitre 2, Politiques relatives aux contrôles aux frontières, à l’asile et à l’immigration). Le premier événement fut, en avril 2023, le colloque organisé, avec ma collègue Stéphanie Francq, à l’occasion de l’éméritat de notre collègue Marc Fallon, professeur de droit international privé et de droit européen. Marc Fallon fut parmi les premiers à analyser en profondeur les liens entre ces deux domaines du droit – droit international privé et droit européen –, notamment dans son cours à l’Académie de droit international de La Haye[1]. Le titre du colloque, auquel des professeurs de droit international privé de plusieurs pays européens ont participé, était : Vers un code européen de droit international privé ?[2]. Le second événement est, un an plus tard, en avril 2024, l’adoption, par le Parlement européen, du Pacte européen sur la migration et l’asile[3]. Pourquoi faire ici un rapprochement entre ces deux questions, l’idée d’une codification européenne du droit international privé et le Pacte européen sur la migration et l’asile ? La présence du mot « Pacte » pour ce second domaine pourrait laisser croire que l’Union a réussi une codification en matière de migration et d’asile, en manière telle qu’elle pourrait s’en inspirer pour codifier le droit international privé. Or mon propos sera l’inverse. Le Pacte sur la migration et l’asile ne doit ni ne peut, en la forme comme sur le fond, inspirer une possible codification du droit international privé (Partie I, Le Pacte européen sur l’asile et la migration, un échec programmé). Mais, à l’inverse, sur le fond, sinon en la forme, le droit international privé européen pourrait inspirer une évolution du droit européen de la migration (Partie 2, Le droit international privé, inspiration pour le droit des migrations ?).
A. Le Pacte européen sur l’asile et la migration, un échec programmé
Ce n’est pas le lieu, ici, d’analyser en détail le nouveau Pacte européen sur l’asile et la migration[4]. On se limite à quelques remarques de forme (A) et de fond (B).
1. Forme
Le Pacte européen sur l’asile et la migration a été présenté comme une sorte de codification, comme un « ensemble de nouvelles règles régissant la gestion des migrations et établissant un régime commun d’asile »[5], ou encore comme « un ensemble de règles » permettant de « gérer de façon ordonnée » les questions d’asile et d’immigration[6]. En réalité, ce « Pacte » ressemble plus à un « paquet ». Il est constitué de dix textes de droit dérivé, auxquels peuvent encore s’ajouter d’autres textes qui, ensemble, forment un paquet législatif de plus de 1500 pages. C’est pour le moins indigeste. Certains textes ne sont que des mises à jour, des refontes d’anciens textes[7]. D’autres sont plus nouveaux[8]. L’ensemble est qualifié de « Pacte », ce qui constitue une double erreur de vocabulaire. D’une part, un « Pacte » pourrait laisser croire qu’il y va d’un seul texte codifié, comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’en est rien. D’autre part, en matière de migrations, il y a déjà, au niveau international, le « Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières »[9]. L’usage du même terme prête bien évidemment à confusion. Il ne faudrait toutefois pas en déduire que ce nouveau Pacte européen sur l’asile et la migration est totalement étranger à la notion de codification. Il ne manque pas de cohérence, avec de très nombreux renvois d’un texte à l’autre qui tentent de former un ensemble. Mais la dispersion entre plusieurs textes, même avec des renvois, rend la lecture de l’ensemble beaucoup plus complexe que celle d’un véritable code[10]. En un mot, le mot « Pacte » n’est nullement ici la marque d’une codification au sens d’une synthèse cohérente, organisée, ordonnée et efficace. S’agit-il pour autant d’un pacte avec le diable ? Cette question impose l’examen du contenu.
2. Fond
Comme pour la forme, on ne fera pas ici une analyse de fond approfondie qui a déjà été fort bien faite dans plusieurs commentaires mentionnés ci-dessus, en particulier l’étude à la fois complète et synthétique de notre collègue Steve Peers. Plusieurs commentateurs ont attiré l’attention sur les risques de violations plus nombreuses du droit international des droits de l’homme et du droit des réfugiés, notamment au regard du principe de non-refoulement et de l’effectivité des recours dans les procédures aux frontières ou dans les procédures externalisées. Dans le cadre de cette réflexion par rapport à l’ensemble de l’Espace de liberté de sécurité et de justice, c’est sur un autre point que je souhaite attirer l’attention. Plusieurs textes du nouveau « Pacte » introduisent des mesures tendant à réduire les « mouvements secondaires » de migrants, c’est-à-dire leur passage d’un État membre à un autre. C’est le cas des nouvelles règles de détermination de l’État responsable de l’examen d’une demande d’asile qui confirment, voire renforcent, les critères du règlement Dublin et l’impossibilité pour le demandeur d’asile de faire choix du pays où il introduit sa demande. Le nouveau règlement supprime notamment le caractère automatiquement suspensif des recours contre les décisions de transfert vers un autre État membre. De même, aucune avancée n’est faite en matière de reconnaissance mutuelle, d’un État membre à un autre, des décisions ayant attribué la qualité de réfugié, alors que, à l’inverse, la reconnaissance de décisions « négatives » de rejet est renforcée. Comme l’exprime Steve Peers, « there is a deep inconsistency between encouraging greater negative mutual recognition of asylum refusals, while doing very little to promote positive mutual recognition (transfer of protection, mobility of international protection beneficiaries), despite the Treaty commitment to a uniform asylum status “valid throughout the Union” »[11]. Il y a là une double contradiction. D’une part une contradiction interne, au sein de la politique d’immigration et d’asile elle-même, d’autre part une contradiction externe, au sein du droit européen. Premièrement, la contradiction interne résulte du fait que si l’ensemble des textes adoptés vise à empêcher la libre circulation du migrant et, en particulier, du demandeur d’asile, deux textes ont l’effet inverse. Il s’agit d’abord de la directive « protection temporaire », de 2001, qui n’a pas été modifiée[12]. C’est cette directive qui est, à tout le moins jusque mars 2025, appliquée aux Ukrainiens, ou aux étrangers qui bénéficiaient d’un séjour de longue durée en Ukraine, qui fuient la guerre[13]. Non seulement ils ont le libre choix de l’État membre dans lequel ils demandent ce statut de protection temporaire, mais en plus, une fois obtenu, ils peuvent conserver ce statut et se déplacer en le transportant comme un sac à dos, pour s’installer dans un autre État membre. Il s’agit ensuite du deuxième aspect du nouveau règlement « Dublin », désormais intitulé règlement sur la « gestion de l’asile et de la migration » qui a aussi pour objectif de ne pas appliquer certaines règles du système de transfert d’un État membre à un autre, lorsque cela conduirait à une pression trop forte sur certains États membres, en pratique les États situés aux frontières extérieures de l’Union. La contradiction est évidente. D’une part, on veut éviter les mouvements secondaires en renvoyant vers les pays d’entrée, d’autre part on veut alléger la charge des pays d’entrée en relocalisant dans d’autres pays par des mécanismes dits de solidarité. À la manière de ce que nous appellerions des incohérences ou des travaux inutiles de Sisyphe, elle est présentée avec humour par Steve Peers comme suit : « Not since the grand old Duke of York had a favourite hill has there been so much pointless circular activity »[14]. Deuxièmement, la contradiction externe avec d’autres aspects du droit de l’Union en général et de l’Espace de liberté, de sécurité et de justice en particulier, est tout aussi évidente. La libre circulation et la reconnaissance mutuelle sont au cœur de la construction de cet espace, que la Cour elle-même a été amenée à appeler « le territoire de l’Union pris dans son ensemble »[15]. On peut dès lors s’étonner que les règles « Dublin » de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile n’aient pas été plus fondamentalement remises en question, alors même que de nombreuses voix dénoncent, y compris au sein des administrations, le coût non seulement humain mais aussi financier que ces procédures représentent pour les États. La peur de mouvements secondaires incontrôlables, qui ne sont objectivés par aucune étude et que la mise en œuvre de la protection temporaire pour l’Ukraine a contredits, l’a emporté sur la logique même de la construction européenne. En cela, ce Pacte, troisième phase de la politique européenne d’asile et d’immigration, est déjà, du point de vue des principes, un échec programmé. Sa mise en œuvre pratique, elle, ne pourra être jugée que plus tard[16].
B. Le droit international privé, inspiration pour le droit des migrations ?
Face au constat de faiblesse, pour utiliser un euphémisme, qui caractérise le Pacte européen sur l’asile et la migration, le droit international privé et l’idée d’une codification européenne de ce droit peuvent-ils être source d’inspiration, en la forme (A) et sur le fond (B) ?
1. Forme
Soyons de bon compte, les textes de droit dérivé qui forment aujourd’hui le droit international privé européen ne constituent en rien un code. Comme la politique migratoire européenne, ils composent un assemblage de différents textes séparés. Quatre distinctions peuvent toutefois être faites, dans le temps, dans l’espace, quantitativement et qualitativement. Premièrement, dans le temps, le droit international privé bénéficie, en droit européen, d’une plus grande ancienneté que la politique migratoire. Il y a plus de vingt ans de différence. Cela n’est pas négligeable dans la construction cohérente d’une politique commune et offre quelques excuses aux imperfections de la politique migratoire. Le premier texte, étant la Convention de Bruxelles, concernant la compétence judiciaire et l’exécution en matière civile et commerciale, remonte à 1968, alors que le premier texte de la politique migratoire, étant la Convention de Dublin sur la détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile, remonte à 1990. Deuxièmement, dans l’espace, les différences sont plus limitées. Pour les deux politiques, d’une part, dans l’Union, certains pays pouvaient bénéficier de clauses d’opting out ou d’opting in ; d’autre part, en dehors de l’Union, les États membres de l’AELE pouvaient y être associés. Une différence plus importante, dans l’espace, est, plus récemment, la possibilité de coopérations renforcées entre quelques États membres, pour la question plus sensible du droit international privé familial (art. 81, § 2, TFUE). Cette possibilité fut utilisée en matière de divorce avec le règlement Rome III[17]. Elle pourrait, si le Traité le permettait, l’être utilement pour des questions plus sensibles dans la politique migratoire. Le risque d’un niveau plus faible d’harmonisation est alors compensé d’une part par une plus grande effectivité des textes, d’autre part par un effet d’entraînement qui, progressivement, notamment par le principe de reconnaissance mutuelle, étend le résultat, sinon le contenu, des règles adoptées vers d’autres États membres non participants à la coopération renforcée. Troisièmement, quantitativement, les règles de droit international privé sont plus concises et donc plus digestes que celles relatives à la politique migratoire. Alors que, pour rappel, le « Pacte migratoire » fait plus de 1500 pages, les textes de droit international privé réunis font environ 320 pages si on se limite aux règles générales, augmentées de 200 pages si l’on y ajoute des règles spéciales, ce qui, au total, ne représente encore qu’un tiers des textes relatifs à la migration[18]. Enfin, quatrièmement, c’est peut-être qualitativement que la différence est la plus marquée. D’une part, de longue date, le droit dérivé du droit international privé s’est construit en la forme de règlements. D’autre part, ces textes forment pour la plupart des ensembles cohérents sur des matières précises : obligations contractuelles et non contractuelles, divorce et responsabilité parentale, régimes matrimoniaux, successions… et se répondent dans une logique binaire des questions de compétences internationales (conflits de juridictions) et de droit applicable (conflits de lois), tantôt, dans un premier temps, en deux textes (Bruxelles 1 ou 1bis avec Rome 1 et Rome 2 ; Bruxelles 2bis et 2ter avec Rome 3), ensuite en un seul texte (Rome 4, Rome 5…). Cette structuration plus forte a une influence certaine sur le contenu des textes.
2. Fond
Au-delà du contenu précis des règles en matière de compétence internationale, de reconnaissance de décisions judiciaires ou d’actes publics étrangers et de conflits de lois, on retiendra deux grandes tendances qui marquent le droit international privé européen et le distinguent nettement de la politique migratoire de l’Union. La première tendance est l’importance croissante de la technique de la reconnaissance de plein droit qui s’est substituée à la technique de l’exequatur. Il y va de reconnaissance des décisions judiciaires et des actes publics émanant d’un État membre de l’Union, ce qui correspond au principe de reconnaissance mutuelle, dans le cadre de la confiance mutuelle au sein de l’Union, mais aussi d’un esprit internationaliste, par la reconnaissance de plein droit de décisions et d’actes émanant d’États tiers. Il y va aussi, de plus en plus, d’une technique de reconnaissance « des situations ». Prônée par une doctrine de qualité, dont notre collègue français Paul Lagarde, dans le prolongement de travaux de Roberto Baratta, cette reconnaissance des situations permet d’une certaine façon aux personnes de conserver les droits acquis dans un autre État[19]. On mesure le fossé qui sépare cette évolution du refus de toute reconnaissance entre États membres de décisions attribuant la qualité de réfugié qui se distingue nettement d’une approche positive de la libre circulation des personnes, comme du reste de la libre circulation des marchandises, qui, provenant d’un État tiers, peuvent faire l’objet d’une reconnaissance de qualité et de fiscalité dans un premier État membre et, ensuite, bénéficier de la libre pratique. S’agissant des personnes, on notera, parmi les textes de droit international privé, le règlement 2016/1191 visant à favoriser la libre circulation des citoyens en simplifiant les conditions de présentation de certains documents publics dans l’Union européenne[20]. Certes, selon son article 2, § 4, ce règlement « ne s’applique pas à la reconnaissance dans un État membre d’effets juridiques attachés au contenu d’un document public délivré dans un autre État membre » mais en facilite la circulation automatique sans aucune formalité. Il peut concerner tous documents relatifs au statut personnel (naissance, mariage, divorce, décès…) délivré dans un autre État membre, et ce, contrairement à ce que laisse entendre le titre du règlement, pour toute personne et non seulement pour les citoyens européens. Pour ceux-ci, il peut même s’agir de documents relatifs à la nationalité. Le statut de réfugié reconnu étant un statut équivalent à celui de la nationalité du pays d’accueil avec un accès sans discrimination à l’essentiel des droits, conformément à la convention de Genève de 1951 relative au statut de réfugié, et au principe de non-discrimination qu’elle comporte (article 3), on peut s’interroger sur le refus persistant dans le droit de l’Union de reconnaître les statuts de réfugiés attribués dans un autre État membre. La deuxième tendance notable résulte du champ d’application universel des textes européens relatifs au droit international privé. Cette universalité du champ d’application est double : spatiale et matérielle. Du point de vue du champ spatial, il importe peu que le rapport de droit privé ou que les personnes concernées se situent en dehors du territoire de l’Union. Il suffit que cette situation relève de la compétence des juridictions de l’Union. Du point de vue du champ matériel, dès que ces relations privées, qui comportent un élément d’extranéité, relèvent de la compétence de la juridiction d’un État membre, le droit désigné par la règle de conflit de loi correspondante s’appliquera, sur le territoire de l’Union, quand bien même s’agirait-il du droit d’un État tiers à l’Union. Cette approche universaliste, propre à la recherche par le droit international privé de l’harmonie internationale des solutions, ne se retrouve guère dans le droit européen de la migration dont on a rappelé qu’il se construit d’une façon autonome, ce qui est propre à bien des domaines du droit de l’Union, mais surtout de façon unilatérale, bien éloignée des réalités mondiales que sont les migrations internationales ; jusqu’à l’usage du mot Pacte créant une confusion formelle avec le pacte mondial, par ailleurs ignoré en son contenu.
Conclusion
Faut-il déduire de ceci que le droit international privé est l’avenir du droit européen des migrations ? Non. En la forme, le droit international privé est, lui-même, encore très éloigné d’une codification, même si ses textes font preuve de davantage de cohérences. Les travaux du colloque précité, en l’honneur de Marc Fallon, l’ont bien montré. De nombreux obstacles devraient encore être levés. En outre, si, souvent, des codifications législatives se construisent à partir de travaux de la doctrine, alors que de tels travaux existent déjà en droit international privé[21], ils demeurent peu développés en droit des migrations. On notera toutefois que, sur le fond, le droit international privé pourrait inspirer un futur droit européen des migrations plus ouvert sur les réalités mondiales. À cet égard, le cadre institutionnel de la Conférence de La Haye de droit international privé pourrait être un lieu dans lequel les projets européens gagneraient à s’insérer[22], de même que, au sein de l’ONU et de l’OIM, les travaux à la suite du pacte mondial précité. Ici, comme en droit international public, la question n’est pas tant celle de la hiérarchie des normes et de la primauté d’un ordre juridique sur l’autre. « C’est (plus) par le constat des faits individuels (des réalités) que l’on découvre les règles qui les commandent, avec ou sans hiérarchie »[23]. Comme l’écrivait aussi dans son cours de 2002 à l’Académie de La Haye, Joe Verhoeven, collègue qui a enseigné à Louvain et à Paris 2, décédé en ce mois d’août 2024, à propos de « l’image trompeuse » du droit international, « elle ne saurait faire oublier que c’est un souci dominant de protection des personnes dans le respect des particularités de chaque situation d’espèce qui inspire les solutions adoptées, et la mécanique complexe sur laquelle elles s’appuient bien plus qu’un projet en quelque sorte architectural qui prétendrait organiser l’exercice harmonieux des différents pouvoirs dont chacune de ses solutions est concrètement le résultat »[24]. De même, pour les deux domaines ici évoqués, le droit international privé et le droit des migrations, ce « souci dominant de protection des personnes » devrait être central. En conséquence, le rôle des juridictions, tant nationales qu’européennes, à Luxembourg comme à Strasbourg, est et restera un rôle clé compte tenu de leur aptitude à se saisir, in concreto, du cas d’espèce pour construire le droit vivant, mettant en œuvre ce « souci dominant de protection des personnes ». Ce rôle du juge est d’autant plus important en matière de migrations que les personnes concernées, les migrants, demeurent, en l’absence de droit de vote, étrangères aux possibilités d’élaboration des normes appelées à régir leur vie. Ces équilibres entre les souverainetés et les droits des personnes continueront à reposer sur de nombreux et délicats arbitrages. Les temps actuels, marqués par la peur, la frilosité et la fermeture, ne sont guère favorables à l’ouverture au monde, mais celle-ci continuera à s’imposer à long terme. Il est à espérer pour l’Union européenne que ce soit par la raison et par le cœur, plus que par la force.
Pour citer cette note : J.-Y. Carlier, « Libres propos sur l’Espace de liberté, de sécurité et de justice : du droit international privé à la politique migratoire européenne », Cahiers de l’EDEM, septembre 2024.
[1] M. Fallon, « Les conflits de lois et de juridictions dans un espace économique intégré – L’expérience des Communautés européennes », in R.C.A.D.I., 1995, t. 253, pp. 9-281.
[2] Les « actes vivants » du colloque et de l’hommage à Marc Fallon sont accessibles, en fichiers vidéo, sur le site de l’UCLouvain. L’ouvrage Vers un code européen de droit international privé ? Liber amicorum Marc Fallon, sera publié en 2025 chez Larcier.
[3] Journal officiel, série L, du 22 mai 2024. L’ensemble des textes sont réunis, en anglais, sur le site du Réseau Odysseus.
[4] Pour de premiers commentaires, voyez https://eumigrationlawblog.eu/. Voyez aussi : St. Peers, « Taking Rights Half-Seriously : The New EU Asylum Laws », in Yearbook of European Law, 2024 (aussi sur academia.edu) ; D. Vitiello, « L’ultimo atto : il nuovo Patto sulla migrazione e l’asilo è (quasi) legge », in ADiM Blog, décembre 2023 ; M. Mouzourakis et C. Costello, « Human Rights Violations to Deflect Refugees : The EU Council Agreement on Asylum Reform as an Intensification of Policies Tried and Failed », in VerfBlog, 25 juin 2023 ; A. Di Pascale, « Verso l’adozione del nuovo Patto sulla migrazione e l’asilo ? », in Eurojus, 16 janvier 2024 ; C. Leclercq, « Nouveau pacte européen pour la migration et l’asile : accès à la protection internationale en péril, la réinstallation comme contrepoids au durcissement des mesures aux frontières ? », in Cahiers de l’EDEM, janvier 2024 ; J.-L. De Brouwer et E. Milazzo, « A Pact : So What ? », Egmont Institute, 29 janvier 2024 ; S. Barbou des Places, chronique « Droit d’asile et de l’immigration », in Rev. trim. dr. eur., 2024, pp. 193-198.
[7] Directive « qualification » (2011/95, devenue règlement 2024/1347), directive « procédure » (2013/32, devenue règlement 2024/1348), règlement « Dublin » (604/2013, devenu « gestion de l’asile et de la migration » 2024/1351), règlement « Eurodac » (603/2013, devenu 2024/1358), directive « accueil » (2013/33, devenue directive 2024/1346 et seul texte maintenu comme directive et non transformée en règlement, mise à part la directive « Protection temporaire », 2001/55, qui n’est pas modifiée).
[8] Règlement « filtrage » (2024/1356 + 2024/1352), règlement sur « les situations de crise et les cas de force majeure » (2024/1359), règlement établissant « un cadre de l’Union pour la réinstallation et l’admission humanitaire » (2024/1350), règlement « procédure de retour à la frontière » (2024/1349).
[9] A/RES/73/195. Pour un commentaire, en lien avec le droit de l’Union, voy. J.-Y. Carlier, Fr. Crépeau, A. Purkey, « From the 2015 European “Migration Crisis” to the 2018 Global Compact for Migration : A Political Transition Short on Legal Standards », in McGill International Journal of Sustainable Development Law and Policy, 2020, vol. 16, no 1, pp. 37-81.
[10] Reconnaissant une certaine cohérence, voyez l’article précité de Ségolène Barbou des Places dans la Revue trimestrielle de droit européen, 2024, p. 195.
[11] St. Peers, « Taking Rights Half-Seriously : The New EU Asylum Laws », op. cit., p. 86.
[12] Directive 2001/55, du 20 juillet 2001, relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil, J.O., 2001, L 212.
[13] Décision d’exécution 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 constatant l’existence d’un afflux massif de personnes déplacées en provenance d’Ukraine, au sens de l’article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d’introduire une protection temporaire, J.O., 2022, L 71. A. Di Pascale, « Volere è potere ! L’attivazione della protezione temporanea per l’accoglienza dei profughi ucraini nell’Unione europea », in Eurojus, 14 mars 2022 ; J.-Y. Carlier, « Ukraine et droit des réfugiés : protection temporaire », vidéo.
[14] St. Peers, « Taking Rights Half-Seriously : The New EU Asylum Laws », op. cit.,, p. 30.
[15] C.J.U.E., 8 mars 2011, Ruiz Zambrano, aff. C-34/09, § 66.
[16] Pour le premier « Plan commun de mise en œuvre du pacte sur la migration et l’asile » de la Commission, voyez COM(2024) 251 final du 12 juin 2024.
[17] Règlement n° 1259/2010 du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2010 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, J.O., 2010, L 343.
[18] Pour un recueil des textes, voyez J.-Y. Carlier, M. Fallon, St. Francq, Droit international privé. Code, Bruxelles, 9e édition, 2020.
[19] P. Lagarde, « La méthode de la reconnaissance est-elle l’avenir du droit international privé ? », in R.C.A.D.I., 2015, t. 371, p. 9 ; P. Lagarde (dir.), La reconnaissance des situations en droit international privé, Paris, 2013. Voyez aussi les travaux précurseurs de R. Baratta, « La reconnaissance internationale des situations juridiques personnelles et familiales », in R.C.A.D.I., 2010, t. 348, p. 253. Adde, L. d’Avout, « La reconnaissance dans le champ des conflits de lois », in T.C.F.D.I.P., 2014-2018, p. 215 ; S. Pfeiff, La portabilité du statut personnel dans l’espace européen, Bruxelles, 2017 ; S. Fulli-Lemaire, Le droit international privé de la famille à l’épreuve de l’impératif de reconnaissance des situations, Paris, 2022.
[20] Du 6 juillet 2016, J.O., 2016, L 200.
[21] Voyez les travaux du Groupe européen de droit international privé (GEDIP) et du European Association of Private International Law (EAPIL).
[22] Voyez H. Van Loon, « La nécessité d’un cadre mondial de coopération pour une réglementation durable de la migration de travailleurs », in Rev. crit. d.i.p., 2024, p. 218.
[23] C. Santulli, « Supériorité de la superstition de la primauté à la rationalité de la connaissance », in S.F.D.I., Droit international et juges internes, Colloque de Bordeaux, Paris, 2024, p. 535.
[24] J. Verhoeven, « Considérations sur ce qui est commun. Cours général de droit international public », in R.C.A.D.I., 2008, t. 334, p. 31.