Comité des Droits de l'homme, 21 juillet 2020, A.G. et s. et M.B. c. Angola, Com. n° 3106/2018

Louvain-La-Neuve

L’existence d’une loi ne suffit pas à garantir une protection effective contre le refoulement.

Comité des droits de l’Homme – Angola – Étrangers – Migrants et membres de leur famille – Expulsion collective

Le plus souvent, les mécanismes régionaux et internationaux des droits humains sont saisis de cas d’expulsion collective d’étrangers du Nord vers le Sud. Dans le cas d’espèce, le Comité des droits de l’homme est saisi par plusieurs migrants de nationalité turque risquant une expulsion de l’Angola. Les constatations du Comité des droits de l’homme invitent à revenir sur les expulsions collectives des migrants au regard du droit international et régional. Elles rappellent également l’obligation d’instituer des procédures d’asile équitables et efficaces et de garantir aux étrangers des voies de recours effectives pour contester une expulsion.

Alfred Ombeni Musimwa

A. Décision

Avant de présenter les constatations du Comité des droits de l’Homme (ci-après : Comité) (4), le présent Commentaire résume les faits tels que présentés par les auteurs (1), la teneur de leur plainte (2), et la position de l’Etat partie : l’Angola (3).  

1. Résumé des faits

Cette affaire regroupe dix-sept communications introduites par dix-sept auteurs, en leurs noms propres et au nom de membres de leur famille, tous de nationalité turque. Ils sont nés entre 1959 et 2017 et avaient immigré en Angola entre janvier 2011 et octobre 2016.

Les auteurs, adeptes des idéaux de Fethullah Gülen, sont des enseignants et un comptable au Colégio Esperança Internacional de Luanda (Angola), l’une des plusieurs écoles financées par le mouvement Gülen dans le monde. Après la tentative de coup d’État qui s’est déroulée en Turquie dans la nuit du 15 au 16 juillet 2016, le Gouvernement turc a fait pression sur le gouvernement angolais pour qu’il ferme le Colégio Esperança Internacional et expulse les enseignants et tous les ressortissants turcs considérés comme adeptes du mouvement Gülen. Le 3 octobre 2016, par un décret, le président angolais ordonne la fermeture du Colégio Esperança Internacional et décrète l’expulsion de tout ressortissant turc ayant un lien avec cette école. Le 10 février 2017, le Colégio Esperança Internacional est officiellement fermé par le ministère de l’Éducation. Les auteurs et les membres de leur famille sont brutalisés par les forces de l’ordre ; leurs passeports sont retirés, et les policiers les informent qu’ils disposent de cinq jours pour quitter l’Angola (par. 2.4).

Face au risque élevé de refoulement vers la Turquie et en raison de la suspension des procédures d’asile en Angola à la suite d’une révision législative de 2015 (par. 2.9), les auteurs déposent désespérément en février 2017 des demandes de protection spéciale au bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (ci-après : HCR) à Luanda (Angola). Le HCR leur délivre des lettres de protection et des copies sont transmises au Gouvernement angolais.

Cependant, l’Angola continue à exercer une pression sur les auteurs et les membres de leur famille pour qu’ils se conforment au décret présidentiel (notamment par le non-renouvellement de leurs visas de travail) sans que leurs demandes d’asile ne soient examinées (par. 2.8).

2. Teneur des communications

Devant le Comité, les auteurs soutiennent que leur renvoi vers la Turquie constituerait une violation des droits qu’ils tiennent des articles 7, 13 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après : Pacte).

Les plaignants affirment que s’ils sont renvoyés en Turquie, ils seront soumis à des actes de torture et à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, proscrits par l’article 7 du Pacte. Ils invoquent que ce sont les traitements qui sont infligés à toute personne ayant un lien même supposé avec le mouvement Gülen (par. 3.1). Dès lors que la Turquie accuse de terroriste tout adepte du mouvement Gülen, leur droit à un procès équitable consacré par l’article 14 du Pacte n’y sera pas garanti (par. 3.2).  Ils dénoncent également la violation de l’article 13 du Pacte dès lors que le décret d’expulsion pris par le Président angolais n’a jamais été rendu public. Il ne leur a pas été présenté formellement ni officiellement et ils n’ont pas eu la possibilité de contester ce décret devant une autorité compétente (par. 3.3).

3. Observations de l’Angola

Le 9 août 2018, l’Angola (État partie au Pacte depuis le 10 janvier 1992, le protocole additionnel est entré en vigueur pour l’Angola le 10 avril 1992) fait observer au Comité que les auteurs n’ont pas épuisé toutes les voies de recours internes (par. 4.3). Il souligne que ceux-ci bénéficient d’une protection au titre de la loi angolaise de 2015 sur le droit d’asile et le statut de réfugié, en attendant une décision définitive sur leurs demandes (par. 4.2). 

4. Constatations du Comité

Les délibérations du Comité se partagent entre l’examen de la recevabilité des communications et l’examen proprement-dit des griefs formulés dans les communications. Dans certains cas, pour éviter un risque de préjudice irréparable, le Comité peut demander – sans préjuger de la recevabilité ou du fondement de la plainte – des mesures provisoires, notamment la surséance d’une décision d’expulsion de tout auteur tant que le Comité examine sa communication. Ce fut le cas dans la présente affaire (par. 1.3).

  • La question de l’épuisement des voies de recours internes

Dans un premier temps, le Comité est amené à trancher la question de l’épuisement de recours internes. D’après l’Angola, aucune demande des auteurs n’a encore fait l’objet d’un jugement définitif et la procédure d’examen des demandes d’asile engagée en 2016 est toujours en cours (par. 6.3). Le Comité ne retient pas cet argument. Il note l’absence de mécanisme d’application de la loi de 2015 sur le droit d’asile et le statut de réfugié, ainsi que l’inexistence de voies de recours internes qui permettraient de contester un décret présidentiel d’expulsion (par. 6.3).

Estimant que les griefs tirés des articles 7 et 13 par les auteurs sont suffisamment étayés, le Comité examine les allégations des auteurs. 

  • La question du fondement des griefs

Le Comité constate que les autorités angolaises n’ont pas procédé à l’examen individualisé des dossiers des auteurs prescrit par l’article 7 du Pacte. Cet examen doit évaluer le risque réel et prévisible auquel ils seraient individuellement exposés s’ils étaient renvoyés en Turquie (par. 7.5 et 7.6). Le Comité conclut à la violation de l’article 13 du Pacte en ce sens que : primo, le décret présidentiel d’expulsion vise collectivement tous les ressortissants turcs ayant un lien avec le Colégio Esperança Internacional, sans tenir compte de la situation personnelle de chacun (par. 7.9). Secundo, les auteurs n’ont pas disposé d’un recours utile qui leur aurait permis de faire valoir individuellement les raisons qui militent contre leur expulsion et de faire examiner leur cas par l’autorité compétente (par. 7.9). Eu égard à ce qui précède, le Comité demande à l’Angola de ne pas expulser les auteurs et les membres de leur famille, et de procéder à un réexamen de leur demande d’asile (par. 9).

B. Eclairage

Ces constatations du Comité des droits de l’Homme offrent l’occasion de se pencher sur les expulsions des étrangers dans les pays dits du Sud. La présente affaire illustre que les mesures d’éloignement forcé ne concernent pas que le sens nord-sud mais peuvent concerner tout étranger. Ces constations conduisent à revenir sur les expulsions collectives au regard du droit international et régional (1), la relativité de l’obligation d’épuiser les recours internes (2) et l’obligation de l’État de garantir aux étrangers des recours permettant de contester une expulsion (3).

1. Les expulsions collectives de migrants, une pratique courante contraire au droit international

Il est fréquent que les États expulsent les migrants sans avoir procédé à un examen individualisé de leurs dossiers. En Afrique, la pratique n’est pas qu’angolaise, elle est courante et se propage ces dernières années. En Algérie par exemple, le représentant du HCR pour la Méditerranée centrale dénonce une expulsion « collective » de 601 étrangers pour la seule journée du 23 mars 2021[1]. La situation est quasi la même notamment en Tanzanie[2], au Congo-Brazza[3], au Niger[4] et en République démocratique du Congo[5]. Pourtant, ces pratiques et les politiques qui les incitent ou les tolèrent sont contraires aux principes fondamentaux du droit international et régional qui proscrivent les expulsions collectives arbitraires d’étrangers. L’article 13 du Pacte stipule : « Un étranger qui se trouve légalement sur le territoire d’un Etat […] doit avoir la possibilité de faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion et de faire examiner son cas par l’autorité compétente ». Plus protecteur encore est l’article 22 de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. Trente et un de cinquante-cinq États africains ont signé ou ratifié cette Convention. Outre les garanties procédurales visant à protéger les droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille en procédure d’expulsion, cet article interdit toute mesure d’examen, de décision ou d’expulsion collective d’étrangers. Mieux encore, il offre une protection qui va au-delà de la protection qu’offre le Pacte qui se limite à n’interdire que l’expulsion arbitraire d’un étranger qui se trouve « légalement » sur le territoire d’un Etat.

Tout comme les articles 4 du Protocole n° 4 à la Convention européennes des droits de l’Homme et 22.9 de la Convention américaine relative aux droits de l’Homme, l’article 12.5 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples proscrit toute expulsion collective d’étrangers. La Convention de l’Union africaine régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique qui offre une protection juridique assez large aux personnes qui sont obligées de quitter ou de ne pas retourner dans leur pays de nationalité ou d’origine, stipule à son article 2.2 : « Nul ne peut être soumis par un Etat membre à des mesures telles que le refus d’admission à la frontière, le refoulement ou l’expulsion qui l’obligeraient à retourner ou à demeurer dans un territoire où sa vie, son intégrité corporelle ou sa liberté seraient menacées […] ». Cette disposition est renforcée par l’article 5.1 de la même Convention qui note que « Le caractère essentiellement volontaire du rapatriement doit être respecté dans tous les cas et aucun réfugié ne peut être rapatrié contre son gré. » Si le principe fondamental de non-refoulement ne bénéficie qu’à un étranger risquant une violation de l’article 7 du Pacte dans le pays de renvoi, l’interdiction des expulsions collectives quant à elle, en tant que droit garantissant l’accès aux procédures adéquates (notamment la procédure d’asile), bénéficie à tout étranger[6].

Les jurisprudences régionale et internationale ont le mérite de le préciser. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’Homme (ci-après : Cour eur. D.H.) a déjà mis en lumière les politiques et les pratiques des États de sa juridiction en matière d’expulsions collectives et arbitraires des migrants (voir notamment les arrêts Conka c. Belgique (§59 et 63) ; Hirsi Jamaa et autres c. Italie (§ 184 et 185) ; Géorgie c. Russie (§ 167) ; Sharifi et autres c. Italie et Grèce (§ 240) ; Khlaifia et autres c. Italie (§ 156) et N.D. et N.T. c. Espagne (§ 195). Il en est de même de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (ci-après : ACHPR) notamment dans les affaires Institute for Human Rights and Development in Africa c. Angola (§ 68), Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme (RADDHO) c. Zambie (§ 19 à 21) et Union interafricaine des droits de l’Homme et autres c. Angola (§ 15 et 16). En somme, les deux mécanismes régionaux de protection des droits humains notent que les expulsions collectives des migrants, quelles qu’en soient les considérations, constituent une atteinte particulière aux droits humains. Ils soulignent que quelques soient les défis liés à la protection des nationaux ou des économies par les États, toute procédure d’expulsion d’étranger doit être entourée des garanties suffisantes qui attestent la prise en compte réelle et différenciée de la situation individuelle de chacune des personnes concernées.

Le Comité adopte la même position dans cette affaire. Il considère que viole l’article 13 du Pacte, le décret présidentiel du 3 octobre 2016 du fait qu’il vise les auteurs collectivement sans tenir compte de la situation individuelle de chacun (par. 7.9). Il découle de l’interprétation du Comité que même si le Pacte ne proscrit pas expressément les expulsions collectives comme le font le Protocole n° 4 à la Convention européennes des droits de l’Homme (art. 4), la Convention américaine relative aux droits de l’Homme (art. 22.9) et la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples (art. 12.5), l’article 13 du Pacte lu à la lumière de l’Observation générale n° 15, interdit implicitement les expulsions collectives d’étrangers (y compris les examens et décisions y relatifs) et cette interdiction a un caractère absolu.

2. L’épuisement de recours internes : une obligation « très » relative ?

Le Pacte (art. 41.1.c) et son protocole facultatif (art. 2 et 5.2.b), tout comme la Convention européenne des droits de l’Homme (ci-après : CEDH) (art. 35.1),  la Convention américaine relative aux droits de l’Homme (art. 46) et la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples (art. 50 et 56.5), réaffirment l’obligation coutumière d’épuiser les voies de recours internes pour permettre prioritairement aux autorités nationales et surtout aux tribunaux internes, de prévenir ou de redresser les violations des droits humains.

En pratique, il revient à l’auteur d’une communication de démontrer qu’il a épuisé les voies de recours utiles qui lui sont ouvertes. Ces recours doivent être disponibles, accessibles et effectifs. Au regard du rôle subsidiaire du Comité, le non-épuisement de ces recours est un motif d’irrecevabilité de la communication. Dans le cas d’espèce, l’une des observations de l’Angola est que les auteurs des communications n’ont pas épuisé tous les recours internes, la procédure de demande d’asile engagée en 2016 étant toujours en cours (en 2018).  Aucune décision n’a déjà été rendue et les tribunaux internes n’ont pas été saisis (par. 4.2 et 4.3). Les auteurs ne contestent pas ces affirmations. Ils relèvent l’inopportunité de saisir la justice angolaise au motif que plusieurs problèmes systémiques entravent son efficacité (par. 3.6 et 3.7).

Dans son analyse de l’épuisement de recours internes, le Comité n’examine pas la question sous l’angle de l’accès aux tribunaux angolais. Il centre son analyse sur l’inexistence d’un mécanisme de traitement des demandes d’asile prévu par la loi n° 10/15 du 17 juin 2015 relatif au droit d’asile et au statut de réfugié (par. 6.3). Cela pourrait sembler être un examen a minima de l’épuisement de recours internes. Cependant, il y a une explication jurisprudentielle à cela. En effet, pour le Comité, les procédures d’expulsion, d’extradition et d’éloignement ne bénéficient pas de la garantie offerte par l’article 14 du Pacte : le droit à un tribunal. Dans l’affaire Osayi Omo-Amenaghawon c. Danemark (§ 6.4), le Comité « […] affirm[e] que les procédures d’expulsion d’étrangers n’impliquent pas de décision sur des ‘’droits et obligations de caractère civil‘’ au sens du paragraphe 1 de l’article 14, et qu’elles relèvent de l’article 13 du Pacte. » Dans son observation générale n° 32 sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable (§ 17 et 62) le Comité note que « […] le droit d’accéder aux tribunaux et cours de justice prévu dans la deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 14 ne s’applique pas lorsque la loi interne ne reconnaît aucun droit à l’intéressé. […] toutes les garanties pertinentes de l’article 14 [ne] s’appliquent [que] lorsque l’expulsion prend la forme d’une sanction pénale ou que la violation d’un arrêté d’expulsion tombe sous le coup de la loi pénale. » En d’autres termes, l’article 2.3 du Pacte est applicable aux procédures d’asile et d’expulsion alors que l’article 14 du même Pacte qui garantit le droit à un procès équitable n’est pas applicable. Le raisonnement est quasi le même dans la jurisprudence de la Cour eur. D.H. L’arrêt Maaouia c. France qui pose le principe exclut les procédures d’expulsion des étrangers du champ d’application matériel de l’article 6 de la CEDH (Droit à un procès équitable). En principe, c’est l’article 13 de la CEDH (Droit à un recours), une disposition accessoire, qui s’applique. Toutefois, certains arrêts nuanceraient le principe excluant l’article 6 de la CEDH des procédures d’asile et d’expulsion[7].

Il en découle que l’obligation d’épuiser les voies de recours internes se réduirait en une obligation de saisir, non pas un tribunal interne, mais tout (autre) mécanisme mis en place par l’État et doté de la compétence de déterminer le statut de réfugié. En l’absence d’un tel mécanisme, l’obligation d’épuiser les voies de recours internes se trouve édulcorée. D’ailleurs, cette obligation est plus encore relativisée dans la jurisprudence de l’ACHPR au regard de certaines situations de fait qui affectent les étrangers. En effet, dans l’affaire Curtis Francis Doebbler c. Soudan (§ 116), l’ACHPR considère que « même si certains recours internes [sont] disponibles, il n’[est] pas raisonnable d’attendre des réfugiés qu’ils saisissent les tribunaux […] de leurs plaintes, compte tenu de leur extrême vulnérabilité et de leur état de privation, de leur crainte d’être expulsés et de leur manque de moyens adéquats pour être juridiquement représentés. »

3. L’obligation des États de garantir aux étrangers la possibilité de contester une expulsion

Les constations enseignent que l’existence d’une loi n’est qu’une étape en matière de protection des droits humains et, qu’à elle seule, elle ne suffit pas. Les droits fondamentaux sont garantis par la possibilité et la capacité pour toute personne, y compris l’étranger, à exercer un recours effectif en cas des violations desdits droits.

Outre l’article 2.3 du Pacte qui oblige les États à garantir à toute personne le droit à un recours utile en cas de violation des droits reconnus dans le Pacte, l’article 13 reconnait à tout étranger le droit de contester son expulsion devant une autorité compétente. Le droit à un recours effectif est la condition de la garantie de tous les droits humains. Sans procédure d’asile équitable et efficace en ce qu’elle garantirait une protection contre les expulsions, l’existence de la loi angolaise de juin 2015 sur le droit d’asile et le statut de réfugié s’avère illusoire. Ainsi, depuis la promulgation de cette loi en 2015 et la suppression du système précédent de détermination du statut de réfugié, l’Angola a expulsé des étrangers en dehors de tout cadre juridique pour ce qui est du traitement des demandes d’asile[8].

Les États auraient tout à gagner à mettre en place des mécanismes nationaux efficaces de détermination du statut de réfugié, et de faciliter aux migrants l’accès au moyen de recours effectif. Cela est conforme aux obligations internationales auxquelles ils se sont librement engagés. En outre, cela préserve leur réputation en matière de droits humains, en leur permettant de redresser par leurs propres systèmes de justice, les préjudices qu’ils auraient causés aux individus ou qu’ils n’ont pas pu empêcher.

Les recours des étrangers à des instances internationales sont le plus souvent une preuve d’inefficacité des instances nationales de protection des droits humains. Pourtant, comme cela ressort des arrêts T.I. c. Royaume-Uni et Müslim c. Turquie (§ 72), il n’appartient pas aux mécanismes internationaux, notamment au Comité, d’examiner les demandes d’asile ou de contrôler de quelle manière les États parties remplissent leurs obligations découlant de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Pour qu’un État se conforme à ses engagements internationaux, il suffit qu’il mette en place des garanties procédurales effectives qui protègent l’étranger contre un refoulement arbitraire, apparent ou déguisé, vers le pays qu’il a fui. Il convient de mentionner à cet égard un projet d’articles qui traite de l’expulsion des étrangers, adopté par la Commission du droit international en 2014. Son article 26 traite expressément des droits procéduraux de l’étranger objet de l’expulsion, et pourrait servir d’une première ébauche pour l’État. Ce projet d’article reconnait à l’étranger notamment les droits procéduraux suivants :

« a) Le droit à la notification de la décision d’expulsion ; b) Le droit de contester la décision d’expulsion, à moins que des raisons impérieuses de sécurité nationale ne s’y opposent ; c) Le droit d’être entendu par une autorité compétente ; d) Le droit d’accès à des recours effectifs pour contester la décision d’expulsion ; e) Le droit de se faire représenter devant l’autorité compétente ; f) Le droit de se faire assister gratuitement d’un interprète s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée par l’autorité compétente […] Le droit de demander l’assistance consulaire », y compris un effet suspensif du recours contre la décision d’expulsion.

C. Pour aller plus loin

Lire les Constatations : Comité des droits de l’Homme (CCPR/C/129/D/3106/2018-3122/2018), 21 juillet 2020, A.G., I.Y., I.O., S.U., B. K., Y. C., T. M., H. A., S. M., M. K., R. K., A. K., B. D., G. C., A. D., E. A. et M.B. c. Angola, Com. n° 3106/2018, 3107/2018, 3108/2018, 3109/2018, 3110/2018, 3111/2018, 3112/2018, 3113/2018, 3114/2018, 3115/2018, 3116/2018, 3117/2018, 3118/2018, 3119/2018, 3120/2018, 3121/2018 et 3122/2018.

Jurisprudence :

Comité des droits de l’Homme (CCPR/C/114/D/2288/2013), 23 juillet 2015, Osayi Omo-Amenaghawon c. Danemark, Com. n° 2288/2013.

Cour eur. D.H., 13 février 2020, N.D. et N.T. c. Espagne, réq. n° 8675/15 et 8697/15.

Idem, 5 février 2020, Conka c. Belgique, réq. n° 51564/99.

Idem, 1er septembre 2015, Khlaifia et autres c. Italie, réq. n° 16483/12.

Idem, 21 octobre 2014, Sharifi et autres c. Italie et Grèce, réq. n° 16643/09.

Idem, 3 juillet 2014, Géorgie c. Russie, réq. n° 13255/07.

Idem, 23 février 2012, Hirsi Jamaa et autres c. Italie, réq. n° 27765/09.

Idem, 26 avril 2005, Müslim c. Turquie, réq. n° 53566/99.

Idem, 5 octobre 2000, Maaouia c. France, réq. n° 39652/98.

Idem, 7 mars 2000, T.I. c. Royaume-Uni, réq. n° 43844/98.

ACHPR, 25 novembre 2009, Curtis Francis Doebbler c. Soudan, 235/00.

Idem, 22 mai 2008, Institute for Human Rights and Development in Africa c. Angola, 292/04.

Idem, 11 novembre 1997, Union interafricaine des droits de l’Homme et autres c. Angola, 159/96.

Idem, 31 octobre 1997, Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme (RADDHO) c. Zambie, 71/92.

Doctrine :

Bachelet, M. (Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme), Des expulsions collectives d’Angola ont mis des milliers de Congolais en danger en RDC, Genève, 26 octobre 2018, consulté le 22 mai 2021.

Carretero, L., Depuis janvier, l’Algérie a expulsé plus de 3 000 migrants vers le Niger, Infomigrants, 25 mars 2021, consulté le 18 mai 2021.

Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples, Communiqué de presse sur les expulsions forcées des réfugiés burundais par les autorités tanzaniennes, 15 décembre 2020, consulté le 17 mai 2021.

Commission du droit international, Projet d’articles sur l’expulsion des étrangers et commentaires y relatifs, 2014.

Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, Déclaration de fin de mission du Rapporteur Spécial des Nations Unies sur les droits de l’Homme des migrants, Felipe Gonzalez Morales, lors de sa visite au Niger (1-8 octobre, 2018), 8 octobre 2018, consulté le 14 mai 2021.

J.-Y. Carlier et S. Sarolea, Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016.

Leboeuf, L., « Interdiction des expulsions collectives et mesures d’expulsions immédiates et systématiques : la Cour européenne des droits de l’homme entre équilibrisme et contorsions », Cahiers de l’EDEM, Mars 2020.

Reliefweb, Opération Mbata ya Bakolo : Expulsions collectives de ressortissants étrangers en République du Congo, 2 juillet 2015, consulté le 17 mai 2021.

Zaidi Zanem, N., La RDC expulse des Burundais disant fuir la répression, 18 mars 2020, consulté le 16 mai 2021.

Pour citer cette note : A. Ombeni Musimwa, « L’existence d’une loi ne suffit pas à garantir une protection effective contre le refoulement », Cahiers de l’EDEM, mai 2021.

 


[1] Leslie Carretero, Depuis janvier, l’Algérie a expulsé plus de 3 000 migrants vers le Niger, Infomigrants, 25 mars 2021, consulté le 18 mai 2021.

[2] Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples, Communiqué de presse sur les expulsions forcées des réfugiés burundais par les autorités tanzaniennes, 15 décembre 2020, consulté le 17 mai 2021.

[5] Nety Zaidi Zanem, La RDC expulse des Burundais disant fuir la répression, 18 mars 2020, consulté le 16 mai 2021.

[7] J.-Y. Carlier et S. Sarolea, Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016, pp. 594-598.

[8] Michelle Bachelet (Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme), Des expulsions collectives d’Angola ont mis des milliers de Congolais en danger en RDC, Genève, 26 octobre 2018, consulté le 22 mai 2021.

Publié le 31 mai 2021