C.J.U.E., 5 octobre 2023, OFPRA, C‑294/22, EU:C:2023:733

Louvain-La-Neuve

Missions d’assistance de l’URNWA et protection des réfugiés palestiniens : la C.J.U.E. apprécie l’effectivité de la protection de l’agence onusienne en contexte

C.J.U.E. – Apatride d’origine palestinienne – Réfugié UNRWA – Introduction d’une demande de protection internationale en France – Question préjudicielle – Exclusion de la convention de Genève – Cessation des missions d’assistance de l’UNRWA – Aide médicale – État d’insécurité grave – Risque d’atteinte irréversible à l’état de santé – Reconnaissance du statut de réfugié.

La Cour de justice de l’Union européenne reconnaît le statut de réfugié à SW, apatride d’origine palestinienne ayant quitté la zone d’opération de l’URNWA. Saisie d’une demande de décision préjudicielle par le Conseil d’État français, la Cour estime que l’agence onusienne n’est plus en mesure de remplir les missions qui lui incombent – en l’occurrence, l’octroi de soins médicaux dont la vie de SW dépend. Elle estime également que ce dernier a été contraint de quitter la zone d’opération de l’UNRWA dans la mesure où l’impossibilité pour l’agence de prodiguer une aide médicale fait courir à SW « un risque réel de décès imminent ou un risque réel d’être exposé à un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé ou à une réduction significative de son espérance de vie ». Le juge européen apprécie l’assistance fournie par l’UNRWA, les raisons ainsi que les conséquences de sa cessation en contexte.

Zoé Crine

A. Arrêt

SW est apatride d’origine palestinienne. Il a vécu au Liban jusqu’en février 2019 avant de quitter le territoire pour la France, où il est arrivé en date du 11 août 2019. SW souffre d’une grave maladie génétique de naissance, qui nécessite l’octroi de soins médicaux que l’UNRWA n’est pas en mesure de financer. En date du 11 octobre 2019, le directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (ci-après, « O.F.P.R.A. ») a statué négativement sur la demande d’obtention du statut de réfugié introduite par SW. En appel, la Cour nationale du droit d’asile (ci-après, « CNDA ») a annulé cette décision en reconnaissant la qualité de réfugié à SW. L’O.F.P.R.A. s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’État, qu’il a saisi contre ladite décision. À l’appui de son recours, l’O.F.P.R.A. fait valoir plusieurs erreurs de droit commises par la CNDA. D’une part, la Cour nationale n’aurait pas vérifié si SW était bien contraint de quitter la zone de l’UNRWA pour des motifs liés à sa sécurité. D’autre part, elle aurait jugé à tort que le fait de ne pas pouvoir financer les soins médicaux nécessaires à l’état de santé de SW constituait une cessation effective de la protection de l’UNRWA – SW devenant alors éligible à la protection offerte par la convention de Genève. Enfin, l’O.F.P.R.A. estime que l’agence onusienne a été considérée à tort comme ne pouvant plus assumer ses missions d’assistance – alors même que la prise en charge de soins tertiaires n’en faisait pas partie. Par ailleurs, il souligne que la possibilité d’un traitement adéquat au Liban pour SW n’aurait pas été écartée.

La juridiction de renvoi rappelle qu’en vertu de l’article 1er, section D, de la convention de Genève, la convention ne trouve pas à s’appliquer à une personne apatride d’origine palestinienne tant que celle-ci bénéficie encore effectivement de l’assistance ou de la protection de l’UNRWA[1]. Aussi, en se fondant sur l’arrêt El Kott, la Cour rappelle que la cessation de la protection ou de l’assistance d’un organisme des Nations unies « pour quelque raison que ce soit » inclut également « la situation d’une personne qui, après avoir eu effectivement recours à cette protection ou à cette assistance, cesse d’en bénéficier pour une raison échappant à son propre contrôle et indépendante de sa volonté » (§ 21). Il revient aux autorités nationales d’apprécier sur la base d’une évaluation individuelle de la demande que le demandeur a été contraint de quitter cette zone, ce qui pourrait être vérifié lorsque le demandeur se trouve « […] dans un état personnel d’insécurité grave » et que l’agence active dans la zone n’est pas en mesure de garantir des conditions de vie conformes aux missions qui lui incombent (§ 21).

Or, la Cour souligne qu’il ressortirait de la décision du 9 décembre 2020 de la Cour nationale du droit d’asile que l’URNWA était dans l’incapacité de fournir au requérant les soins dont sa survie dépend. Par là même, l’UNRWA n’était plus en mesure de garantir à SW des « conditions conformes à sa mission d’assistance » (§ 22), le contraignant à l’état d’insécurité personnelle qui l’a forcé à quitter le Liban.

Compte tenu des considérations qui précèdent, le Conseil d’État décide de surseoir à statuer et pose à la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après, « C.J.U.E. ») les questions préjudicielles suivantes : premièrement, SW peut-il être considéré comme se trouvant dans « un état personnel d’insécurité grave », ainsi que dans une situation où l’UNRWA n’est plus en mesure de garantir des conditions de vie conformes à ses missions. Deuxièmement et dans l’affirmative, le Conseil demande à la Cour de préciser les critères permettant l’identification d’une telle situation – que ceux-ci relèvent, par exemple, du degré de gravité de la maladie ou des soins requis (§ 23).

Sur les questions préjudicielles, la Cour rappelle que toute personne enregistrée auprès de l’UNRWA « a vocation à bénéficier d’une protection et d’une assistance de cet organisme dans le but de servir son bien-être en tant que réfugiée » (§ 29)[2]. En conséquence, la Cour rappelle également que les personnes bénéficiant de cette assistance sont, en principe, exclues du statut de réfugié au sein de l’Union, conformément l’article 12, § 1er, sous a), première phrase, de la directive 2011/95/CE du Conseil de l’Union européenne du 13 décembre 2011. Elle souligne que ces personnes pourraient tout de même se prévaloir de la protection prévue par la directive si l’assistance de l’URNWA venait à cesser, avant de mentionner « qu’il est constant que le sort des bénéficiaires de l’assistance fournie par l’UNRWA n’a pas été définitivement réglé jusqu’à présent » (§ 32). L’UNRWA octroie une aide sanitaire aux réfugiés de Palestine pour répondre à leurs besoins essentiels en matière de santé et la Cour souligne que ce type d’assistance fait partie des missions qui lui incombent. Elle considère dès lors que l’impossibilité de l’UNRWA – quels que soient les motifs – de fournir ce type d’assistance, implique une cessation effective de son activité au sens de l’article 12, § 1er, sous a), seconde phrase, de la directive 2011/95. Aussi la Cour rappelle-t-elle que le mandat de l’URNWA qui consiste, entre autres, à délivrer l’aide médicale ne peut dépendre de la capacité opérationnelle effective de l’UNRWA à fournir une telle aide, comme le soutient l’OFPRA. Elle réfute l’argument des autorités françaises, soutenant que lorsqu’une prestation spécifique ne peut être fournie par l’UNRWA, cette prestation doit être considérée comme ne relevant pas de ses missions. Selon la Cour, une telle interprétation reviendrait en fait à « réduire la notion de “mission” » fournie par l’URNWA (§ 42) en les limitant aux seules missions effectivement réalisées par l’agence et en excluant toutes les prestations qui ne pourraient être fournies – notamment, pour raisons financières – de son mandat. Cette interprétation reviendrait aussi à exclure les demandeurs de toutes formes de protection, en ce que celle de l’URNWA ne serait plus effective et qu’ils seraient par ailleurs non éligibles à celle offerte par la convention de Genève (§ 42).

La Cour poursuit en rappelant que la seule impossibilité de fournir des soins spécifiques ne peut suffire à conclure que la protection offerte par l’URNWA aurait cessé (§ 43). Il convient de s’assurer en plus que la personne est contrainte de quitter la zone d’opération de l’agence, en ce qu’elle se trouve dans un état d’insécurité grave. Le simple fait que les prestations proposées par l’UNRWA soient inférieures à celles dont SW pourrait bénéficier s’il obtenait le statut de réfugié ne suffit pas non plus à justifier qu’il a été contraint de quitter ladite zone d’opération (§ 45). En se fondant sur les conclusions de l’avocat général, la Cour dit pour droit qu’un apatride d’origine palestinienne « […] doit être considéré comme ayant été contraint de quitter cette zone dans le cas où l’impossibilité de recevoir les soins nécessaires à son état de santé de la part de l’UNRWA fait courir à cet apatride un risque réel de décès imminent ou un risque réel d’être exposé à un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé ou à une réduction significative de son espérance de vie » (§ 46). Aussi, elle souligne qu’il appartient au juge national d’apprécier l’existence ou non d’un tel risque.

B. Éclairage

Cet arrêt intervient après plusieurs arrêts de la C.J.U.E. se prononçant sur les questions de cessation de la protection de l’agence onusienne[3].

En application de sa jurisprudence El Kott, la C.J.U.E. précise dans cet arrêt les circonstances selon lesquelles l’assistance de l’UNRWA est réputée prendre fin. La Cour interprète cette notion à l’aune des missions d’aide médicale de l’UNRWA, en considérant que l’impossibilité de recevoir des soins essentiels à l’état de santé peut être considérée comme un élément contraignant les réfugiés UNRWA à un état d’insécurité grave, les obligeant à quitter sa zone d’opération. La Cour détermine néanmoins un « seuil de gravité élevé » pour aboutir à cette conclusion : il doit s’agir d’un risque de décès « réel ou imminent », d’un risque d’être confronté à « un déclin grave, rapide et irréversible » d’un état de santé ou encore d’un risque d’être exposé à une « réduction significative de l’expérience de vie ».

Aussi, en réaffirmant que l’aide médicale fait bel et bien partie des missions de l’UNRWA, la Cour empêche que ces missions spécifiques soient d’emblée exclues de l’analyse de l’octroi d’une protection au motif que celles-ci ne peuvent plus être assurées financièrement. Elle précise la notion de « mission » de l’UNRWA par une interprétation « inclusive », en soulignant que ces missions ne peuvent être réduites à celles pour lesquelles l’agence peut encore faire preuve de capacité effective, et surtout, ne peuvent être définies indépendamment de son mandat. Au contraire, la Cour place l’accès aux soins médicaux (qui conditionnent la survie et assure une forme de dignité) au cœur de son raisonnement, comme une mission incombant directement à l’agence et à partir de laquelle évaluer quand son assistance peut être réputée avoir cessé. Ainsi, elle évite l’écueil de l’argument financier soulevé par les autorités étatiques, servant surtout à mieux expliquer l’inaction de l’agence onusienne pour finalement mieux justifier la non-reconnaissance d’un besoin de protection.

Cette jurisprudence européenne fait écho, au niveau national, à un récent arrêt du Conseil du contentieux des étrangers (ci-après, « C.C.E. »). Le C.C.E. rappelle dans un arrêt no 298 958 du 19 décembre 2023 l’état de crise auquel est confronté l’URNWA et l’impact que ce contexte continue d’avoir sur les missions qui lui incombent : « […] si l’URNWA continue de fournir ses services, son environnement budgétaire actuel le contraint à procéder à d’importantes réductions de dépenses, à des réaffectations de ressources et à des expédients financiers, qui ont bel et bien impacté l’assistance qu’il est censé fournir dans le cadre de son mandat, notamment pour ce qui concerne des besoins aussi essentiels que les soins de santé […] » (§ 6.13). Dans cet arrêt, le C.C.E. reconnaissait la qualité de réfugié au requérant, en soulignant que si toute activité de l’URNWA n’avait pas cessé, l’agence se trouvait en pratique « confrontée à des difficultés de fonctionnement à ce point grave » (§ 6.17) qu’il peut être considéré que les réfugiés palestiniens ne peuvent plus compter sur sa protection ou son assistance. Cet arrêt confirmait une jurisprudence antérieure du C.C.E.[4]. Par ailleurs, le Conseil avait déjà été attentif à la dégradation de la situation financière de l’UNRWA dans un contexte de pandémie mondiale dans les arrêts no 248 158 et no 248 163 du 26 janvier 2021. Il y annulait déjà les décisions du Commissariat général aux Réfugiés et aux Apatrides (ci-après, « CGRA »), au motif qu’il pourrait exister pour l’agence « un risque réel et imminent qu’elle ne soit plus en état de remplir sa mission » (§§ 5.7 et 5.6 de l’arrêt). Ces arrêts renseignent aussi sur la volonté du juge d’apprécier le contexte dans lequel les missions de l’UNRWA sont amenées à être réalisées (en l’occurrence ici, à l’aune de contraintes budgétaires constantes dans le temps). Cette vision plus « macro » rend l’appréciation de la dégradation des missions de protection et d’assistance effectuées par l’UNRWA[5] encore plus fine et bienvenue, particulièrement au vu du contexte de crise humanitaire sans précédent qui affecte actuellement la bande de Gaza.

D’autres précisions sont encore attendues de la part de la C.J.U.E. dans l’appréciation des circonstances dans lesquelles la protection de l’UNRWA est réputée avoir cessé. Une question préjudicielle[6] a été posée à la Cour à cet égard par le tribunal administratif de la ville de Sofia, Bulgarie. La Cour est amenée, entre autres, à apprécier le sens de l’article 12, § 1er, sous a), deuxième phrase, de la directive 2011/95 (« si cette protection ou cette assistance cesse pour quelque raison que ce soit ») au regard d’un apatride d’origine palestinienne enregistré auprès de l’UNRWA, en tenant compte de certaines circonstances spécifiques. En effet, la demande de décision préjudicielle fait état, entre autres, de « la situation générale […] de crise humanitaire sévissant » à Gaza, ainsi que des difficultés rencontrées par l’UNRWA pour fournir des services de base tels que de la nourriture, de l’eau potable ou de l’accès aux soins de première nécessité. La demande fait aussi mention du profil particulier du requérant et invite le juge à se prononcer sur la possibilité de fournir une réponse différente à la question posée, au seul motif que « le demandeur est une personne vulnérable au sens de l’article 20, paragraphe 3, de cette directive, à savoir un enfant mineur ». Le juge a donc l’opportunité d’affiner encore l’analyse, ici en la déclinant au regard des informations disponibles sur la situation désastreuse à Gaza mais aussi plus généralement, au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant (de son bien-être, de sa sécurité).

Peu d’enseignements peuvent être tirés de cet arrêt sinon qu’il précise encore davantage les conditions dans lesquelles la protection de l’URNWA peut être considérée comme ayant cessé. Cet arrêt, comme ceux du C.C.E. mentionnés dans ce commentaire, témoigne aussi d’une prudence bienvenue du juge pour éclairer les besoins de protection des réfugiés UNRWA en contexte. En s’attachant à analyser les effets concrets de cette cessation d’activité sur les réfugiés palestiniens, le juge – national et européen – garantit la reconnaissance d’une protection adaptée.

C. Pour aller plus loin

Lire l’arrêt : C.J.U.E., 5 octobre 2023, OFPRA, C‑294/22, EU:C:2023:733.

Jurisprudence :

Doctrine :

 

Pour citer cette note : Z. Crine, « Missions d’assistance de l’URNWA et protection des réfugiés palestiniens : La C.J.U.E. apprécie l’effectivité de la protection de l’agence onusienne en contexte », Cahiers de l’EDEM, janvier 2024.

 

[1] Pour des informations complémentaires sur la clause d’exclusion contenue à l’article 1er, section D, de la convention, voy. J.-Y. Carlier et s. Sarolea, Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016, p. 446.

[2] À ce sujet, voy. l’arrêt du 3 mars 2022, Secretary of State for the Home Department, C‑349/20, EU:C:2022:151.

[3] Voy. notamment ibid., et C.J.U.E., 13 janvier 2021, Bundesrepublik Deutschland, C-507/19.

[4] Voy. notamment C.C.E, 24 février 2021, no 249 784 ; C.C.E., 25 février 2021, no 249 930 ; C.C.E., 11 mars 2021, no 250 868.

[5] À ce sujet et pour une analyse « en contexte » du C.C.E., voy. aussi Z. Crine, « COVID-19, crise économique et réfugiés palestiniens : le Conseil du contentieux des étrangers apprécie l’assistance de l’UNRWA à Gaza dans un contexte de pandémie mondiale », Cahiers de l’EDEM, mars 2021.

[6] (En cours) Zamestnik-predsedatel na Darzhavna agentsia za bezhantsite, C-563/22.

Publié le 01 février 2024