Le principe de l’unité familiale rejeté pour la mère d’un enfant mineur réfugié reconnu : la Cour de justice clôt le débat. Épilogue.
Enfant mineur réfugié – Mère « membre de la famille » – Art. 2, J, Directive 2011/95 – Statut de réfugié dérivé pour le membre de la famille – Art. 23 Directive 2011/95 – Inapplicabilité – Art. 20 Directive 2011/95 – Intérêt supérieur de l’enfant.
La Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur le principe de l’unité familiale. Elle interprète l’article 23 de la directive qualification comme n’obligeant pas les États membres à accorder au parent d’un enfant ayant le statut de réfugié un droit dérivé à la protection internationale. Même si la mère de l’enfant est considérée comme un membre de la famille au sens de cette directive, le statut de réfugié dérivé ne peut être octroyé à celle-ci, sauf si la législation nationale le prévoit. Comme la loi belge ne le prévoit pas, la mère de cet enfant doit démontrer une crainte de persécution individuelle. La Cour ne tient pas compte de l’absence de transposition de l’article 23 de la directive en droit belge. Elle n’examine pas les autres questions préjudicielles relatives au vide juridique dans lequel celle-ci se trouve au niveau de son droit de séjour en Belgique, ne s’estimant pas saisie d’une affaire pendante à ce sujet.
Christine Flamand
A. Arrêt
1. Faits
La requérante est une ressortissante guinéenne, arrivée en Belgique en 2018 avec trois de ses enfants. Elle sollicite la protection internationale en août 2018. Cette demande est rejetée par le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (ci-après CGRA) le 24 juin 2019 en ce qui la concerne. Une de ses filles, mineure, se voit octroyer le statut de réfugié à cette même date en raison d’une crainte d’excision en cas de retour en Guinée. La requérante introduit un recours contre la décision négative près du Conseil du contentieux des étrangers (ci-après CCE). Elle invoque notamment le principe de l’unité familiale et souhaite se voir octroyer le statut de réfugié dérivé, afin de bénéficier d’une protection internationale. Le CCE rejette ce recours le 8 juin 2020.
La requérante introduit un recours en cassation administrative au Conseil d’État afin que le principe de l’unité familiale, évoqué à l’article 23 de la directive 2011/95 (ci-après la directive) puisse s’appliquer. Saisi de ce recours, le Conseil d’État introduit plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne, afin d’obtenir une réponse aux nombreuses questions que pose cette situation. Ces questions portent notamment sur le principe de l’unité familiale contenu à l’article 23, son effet direct en droit belge, le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et la difficulté pour la requérante d’obtenir un séjour en Belgique. En effet, la requérante invoque qu’à défaut d’avoir été valablement transposé dans le droit belge, l’article 23 de cette directive revêtirait un effet direct impliquant l’obligation pour la Belgique de lui accorder la protection internationale. Par ailleurs, l’intérêt supérieur de l’enfant, visé à l’article 20 de la directive, et le respect l’unité familiale impliquent que la protection internationale soit accordée à la mère d’enfants reconnus réfugiés même si celle-ci ne satisfait pas aux conditions nécessaires pour obtenir cette protection.
2. Raisonnement et décision de la Cour
L’arrêt commenté est pris sans conclusions de l’avocat général.
La Cour juge que l’article 23 de la directive doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas aux États membres de reconnaître au(x) parent(s) d’un enfant ayant le statut de réfugié dans un État membre un droit à y bénéficier de la protection internationale. En l’espèce, elle reconnait que la maman est un membre de la famille de l’enfant au sens de l’article 2, J, de la directive, comme celle-ci était constituée dans le pays d’origine. Toutefois, comme la mère de l’enfant ne remplit pas individuellement les conditions pour bénéficier d’une protection internationale, elle n’y a pas droit.
La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’octroi d’une protection internationale dérivée au titre de l’article 23 de la directive, en tant que mesure plus favorable, est possible, sous la double condition qu’il résulte d’un choix de l’État membre concerné et qu’il soit compatible avec les dispositions de la directive et présente, notamment, toujours un lien avec la logique de protection internationale (voy. Ahmedbekova, C‑652/16, Bundesrepublik Deutschland, C-91/20). Par conséquent, se prononçant sur le droit à l’unité familiale, elle constate que le législateur belge n’a pas prévu ce droit à l’égard des membres de la famille d’un ou d’une bénéficiaire de la protection internationale. De plus, elle estime que l’obligation de faire de l’intérêt supérieur de l’enfant une considération primordiale ne saurait être interprétée comme imposant aux États membres une obligation d’octroyer le statut de réfugié au parent d’un enfant mineur bénéficiant de la protection internationale.
Ensuite, la Cour délimite sa compétence en rappelant que la décision préjudicielle sollicitée doit être « nécessaire » pour permettre à la juridiction de renvoi de « rendre son jugement » dans l’affaire dont elle est saisie (article 267 TFUE). Il s’agit d’un besoin inhérent à la solution effective du litige (§ 15). Cela requiert que le litige soit effectivement pendant devant une juridiction nationale. Dans l’affaire en cours, elle constate que si elle est saisie d’une question préjudicielle quant au refus de la protection internationale sur la base de l’article 23 de la directive, elle ne l’est pas sur la question du droit de séjour (sur la base des articles 24 à 35). En effet, « il ne ressort aucunement de cette décision et de ce dossier que ce requérant aurait concrètement sollicité l’un ou plusieurs des avantages énumérés […] auxquels renvoie l’article 23, paragraphe 2, de cette directive ni que la décision en cause au principal porterait sur un refus de tels avantages » (§ 17). La Cour refuse donc de se prononcer sur les autres questions préjudicielles et les déclare irrecevables, tout en laissant entendre que si elle avait été saisie d’une question de droit de séjour, la réponse à la question préjudicielle aurait pu être différente.
La Cour conclut donc que le principe de l’unité familiale repris à l’article 23 de la directive n’oblige pas les États à accorder le statut de réfugié dérivé aux membres de la famille s’ils n’ont pas eux-mêmes besoin d’une protection internationale. Comme le législateur belge n’a pas prévu cette faculté à l’égard des membres de la famille d’un ou d’une bénéficiaire de la protection internationale qui, individuellement, ne satisfont pas aux conditions d’octroi de cette protection, cela reste en accord avec le droit de l’Union.
Enfin, elle juge que les articles 20 et 23 de la directive doivent être interprétés en ce sens qu’ils n’imposent pas aux États membres de reconnaître au parent « membre de la famille », au sens de l’article 2, sous j), de cette directive, d’un enfant ayant le statut de réfugié dans un État membre le droit à bénéficier de la protection internationale dans cet État membre (§ 20).
B. Éclairage
Cet arrêt succinct clôt le débat entamé il y a 10 ans, en 2014, sur la question de l’unité familiale[1]. Dans cet éclairage, nous rappelons le contexte de l’application du statut de réfugié dérivé en Belgique (1). L’effet direct de l’article 23 de la directive, lequel n’est pas abordé par la Cour, est examiné à la lumière des conclusions de l’avocat général dans une affaire similaire (affaire C-473/22) (2). Enfin, nous examinons la manière dont la Cour applique le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, considérant dans cet arrêt l’enfant comme un migrant plutôt que comme un enfant (3).
1. Rappel du contexte : un vide juridique pour l’ascendant du parent d’un mineur réfugié
L’arrêt commenté confirme qu’il n’y a pas statut de réfugié dérivé accordé au parent d’un réfugié reconnu en l’absence d’une transposition de l’article 23 en droit belge, ni de droit subjectif au séjour pour ce parent.
Vu le vide juridique concernant le droit de séjour de ce parent dans la loi du 15 décembre 1980 (ci-après LE), il demeurait l’espoir que la Cour de justice comble ce vide, soit pour admettre que l’article 23 de la directive s’applique à cette situation, soit pour dénoncer l’absence de transposition de cet article en droit national. L’arrêt ne dit rien à ce sujet et n’entre pas dans le fond du débat. Il est pris sans conclusions d’un avocat général. Heureusement, une autre affaire jugée le même jour concernant une situation similaire (où, toutefois, l’ascendant est le père de l’enfant, lequel n’est pas considéré comme un membre de la famille car la famille s’est composée dans le pays d’accueil) contient les conclusions de l’avocat général Pitruzzella, dont on peut s’inspirer pour mieux comprendre le raisonnement de la Cour (raisonnement similaire dans l’arrêt commenté et dans l’arrêt de la Cour du 23 novembre 2024, C-374/22).
– Le principe de l’unité familiale
Pour rappel, le principe de l’unité familiale trouve sa source dans l’Acte final de la Conférence de 1951 de plénipotentiaires des Nations unies, lequel prévoit que l’extension de la protection internationale aux membres de la famille du réfugié s’applique automatiquement. Il s’agit en quelque sorte de l’octroi d’une protection en raison du lien de parenté avec le réfugié. Ce principe déroge donc à la règle selon laquelle il est normalement exigé que chaque personne faisant valoir un droit à la protection doit prouver une crainte de persécution à titre individuel. La Cour européenne des droits de l’homme reconnaît la vulnérabilité spécifique des réfugiés[2] et l’importance de l’unité familiale les concernant. Dans l’arrêt Mugenzi, elle rappelle que « l’unité familiale est un droit essentiel du réfugié et que le regroupement familial est un élément fondamental pour permettre à des personnes qui ont fui des persécutions de reprendre une vie normale » (§ 54).
Le CGRA et le CCE avaient respectivement une pratique administrative et une jurisprudence constante, en l’absence d’une norme spécifique, relative à l’application automatique du statut de réfugié dérivé aux membres de la famille bénéficiant du statut de réfugié. Dès juin 2014, le CCE a examiné les recours contre les refus de reconnaissance du statut de réfugié introduit par une famille en faisant une distinction entre la crainte de l’enfant et celle de ses parents[3].
L’avocat général (dans ses conclusions relatives à l’affaire C-374/22) décrit ce contexte en Belgique de « mouvant » (§ 17), puisqu’une pratique a été supprimée sans raison apparente. « Il semble constant que le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides a, jusqu’en 2018, octroyé automatiquement au parent d’un enfant réfugié un statut dérivé similaire à celui de l’enfant, indépendamment de toute considération relative à la réunion, dans le chef de ce parent, des conditions nécessaires à l’octroi d’une protection internationale. En 2019, le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides a mis fin à cette pratique » (§ 17). Cette décision unilatérale du CGRA implique une nette régression des droits car elle n’a pas été accompagnée de modifications législatives permettant aux ascendants d’être admis au séjour. La législation belge est muette par rapport à cette situation. Le statut de réfugié dérivé n’étant plus reconnu au parent de l’enfant, celui-ci se trouve dans un flou juridique : pourtant reconnu comme membre de la famille de l’enfant au sens de la directive (comme ascendant), il n’obtient plus le statut de réfugié dérivé.
– Ne comporte pas l’obligation pour le membre de la famille de se voir reconnaitre le statut de réfugié
La directive qualification reprend pourtant le principe de l’unité familiale dans son article 23. Celui-ci prévoit « que les États membres veillent à ce que l’unité familiale puisse être maintenue et à ce que les membres de la famille du bénéficiaire de la protection internationale qui, individuellement, ne remplissent pas les conditions nécessaires pour obtenir cette protection puissent prétendre aux avantages visés aux articles 24 à 35, conformément aux procédures nationales et dans la mesure où cela est compatible avec le statut juridique personnel du membre de la famille ». De plus, pour la Cour de justice, l’article 23 doit nécessairement se conjuguer avec l’article 3 de la directive, lequel permet aux États membres de prévoir des dispositions plus favorables. Ainsi, elle a jugé dans l’arrêt Ahmedbekova que « l’article 3 de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens qu’il permet à un État membre de prévoir, en cas d’octroi, en vertu du régime instauré par cette directive, d’une protection internationale à un membre d’une famille, d’étendre le bénéfice de cette protection à d’autres membres de cette famille, […] pour autant que ceux-ci ne relèvent pas d’une cause d’exclusion visée à l’article 12 de la même directive et que leur situation présente, en raison du besoin de maintien de l’unité familiale, un lien avec la logique de protection internationale » (§ 74)[4].
Selon la Cour, en l’absence de cette norme spécifique, la directive qualification ne prévoit pas une telle extension de la protection internationale dans son article 23. Or, le législateur belge n’avait, en novembre 2023, toujours pas transposé l’article 23 de la directive, ni prévu de normes plus favorables au sens de l’article 3 de la directive, tant s’en faut. En effet, en droit commun, les parents n’étaient pas admis au séjour en raison d’un vide juridique dans le cadre du regroupement familial ; seuls les MENA avaient droit au regroupement familial avec les ascendants, pas les mineurs accompagnés (article 10, § 1er, 7°, LE). Restait l’unique possibilité de solliciter une autorisation de séjour sur la base de circonstances exceptionnelles sur la base de l’article 9bis LE. Cette demande était laissée à l’appréciation discrétionnaire de l’Office des étrangers et n’offrait aucune garantie par rapport à une suite favorable dans un délai raisonnable et laissait la personne qui la sollicite dans une insécurité juridique et une précarité sociale latente.
Une loi réformant le regroupement familial, adoptée le 22 février 2024 mais pas encore publiée vient enfin pallier cette lacune en droit belge et reconnaît un droit de séjour au parent du mineur reconnu réfugié[5].
2. L’effet direct de l’article 23, § 2, de la directive
Une question préjudicielle concernant l’effet direct de l’article 23 de la directive est posée par le Conseil d’État à la Cour de justice, en l’absence de sa transposition en droit belge. Dans le droit de l’UE, l’effet direct d’une norme peut être reconnu à une directive si l’État membre n’a pas transposé la directive dans les délais. Cela signifie donc que le droit de l’UE crée des droits et des obligations pour les justiciables. Par conséquent, ceux-ci peuvent directement invoquer ces droits devant les juridictions nationales. Ces dernières ont alors l’obligation d’appliquer le droit de l’UE pour la solution des litiges dont elles sont saisies[6].
L’avocat général Pitruzzella (C-374/22, §§ 41-50) reconnait un effet direct à cet article 23, § 2, de la directive. Pour rappel, celui-ci garantit l’accès à des avantages aux membres de la famille d’un ou d’une bénéficiaire de la protection internationale. Il s’agit notamment d’un droit de séjour, de documents de voyage pour réfugiés[7], de l’accès à l’emploi, de l’accès à l’éducation, aux soins de santé ou encore de l’accès au logement. Il estime qu’il y a par conséquent une obligation à la charge des États membres d’organiser l’accès des membres de la famille aux avantages visés aux articles 24 à 35 de la directive. Ill estime que cette partie de l’article 23 est elle-même « suffisamment opérationnelle » pour être appliquée par le juge national (§ 47). Il réfère aux conclusions de l’avocat général dans une affaire Banks (C-128/92, 1994) pour déduire l’effet direct d’une disposition. « La clarté, la précision, le caractère inconditionnel, complet ou parfait de la règle et le fait qu’elle ne soit pas destinée à être mise en œuvre par des dispositions d’exécution revêtant un caractère discrétionnaire ne constituent, de ce point de vue, que les facettes d’une seule et même caractéristique que ladite règle doit présenter, à savoir la faculté d’être appliquée » (§ 53). Il conclut que selon lui, l’article 23, § 2, de la directive doit pouvoir être mobilisé directement devant le juge national, lequel est en mesure de comprendre ce que le législateur de l’UE a voulu mettre à la charge des États membres.
Par conséquent, un droit de séjour devrait donc être octroyé au membre de la famille du réfugié, a fortiori s’il n’existe pas de norme favorable pour que ce membre de la famille puisse bénéficier du statut de réfugié dérivé. En effet, la Cour a déjà jugé que la raison d’être de l’article 23 de la directive est « de permettre au bénéficiaire d’une protection internationale de jouir des droits que cette protection lui confère tout en maintenant l’unité de sa famille sur le territoire de l’État membre d’accueil » (Bundesrepublik Deutschland, C‑91/20, § 60).
Toutefois, la Cour ne se prononce pas sur la question de l’effet direct dans l’affaire commentée. Elle s’estime uniquement saisie par le Conseil d’État de la question du refus de la protection internationale. La Cour semble sous-entendre que si une question avait été posée par rapport au séjour de la requérante, qui aurait été par hypothèse rejeté par l’Office des étrangers, la Cour aurait pu se prononcer sur les autres aspects de l’article 23, § 2, le droit de séjour, y compris sa non-transposition en droit belge.
3. Et l’intérêt de l’enfant ?
La Cour estime que l’obligation de faire de l’intérêt supérieur de l’enfant une considération primordiale ne saurait être interprétée comme imposant aux États membres une obligation d’octroyer le statut de réfugié au parent d’un enfant mineur bénéficiant de la protection internationale (§ 20). Si le principe de l’unité familiale est un droit essentiel du réfugié, il ne semble pas en être de même pour l’enfant réfugié, accompagné de ses parents, en Belgique. Or, l’effet utile des droits de cet enfant, dépend du statut du séjour de son parent lequel est, pour rappel, particulièrement précaire.
Pourtant, dans une telle situation, il nous semble qu’il y a lieu de veiller encore davantage à la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Rappelons que ce principe est protégé par les articles combinés 7, 18 et 24 de la Charte des droits fondamentaux. De plus, le considérant 16 de la directive qualification souligne expressément que celle-ci respecte les droits fondamentaux consacrés dans la Charte et qu’elle vise à promouvoir l’application, notamment, du droit au respect de la vie familiale. Comme le souligne l’avocat général dans l’affaire C-374/22, « dans le cas où le parent serait tenu de quitter le territoire, puisqu’il n’obtient pas de séjour automatique mais qu’il doit en demander l’autorisation, il est probable que l’enfant doive le suivre. Dans un tel cas – certes hypothétique, mais non dénué de toute vraisemblance au regard de la teneur du dossier soumis à la Cour –, c’est cette fois-ci une atteinte frontale qui serait portée au droit d’asile de l’enfant, tel que protégé par l’article 18 de la Charte, l’empêchant de jouir effectivement dudit droit » (§ 77).
Malgré sa double vulnérabilité liée à sa minorité et à son statut de réfugié, la Cour semble considérer l’enfant d’abord comme un migrant. Pourtant, la Cour s’est laissée guider par le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant comme un principe général de droit et une règle de fond dans d’autres situations. En effet, elle s’est régulièrement positionnée de manière pragmatique et assertive sur la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant et de l’unité familiale au vu du contexte de séparation causée par les migrations forcées. De plus, la Cour a déjà estimé que l’article 23 de la directive doit être interprété en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, à la lumière duquel cette disposition doit être interprétée et appliquée (Bundesrepublik Deutschland, C‑768/19, § 48).
Enfin, l’interprétation téléologique des directives est régulièrement invoquée par la Cour dans le cadre de l’application des directives relatives au regroupement familial ou à la qualification. Ceci afin de donner un effet utile à ces principes, en particulier s’agissant du regroupement familial d’un MENA avec ses parents (A et S, C‑550/16). Dans le contexte hors asile, dans une affaire B. M. M. (C‑133/19, C‑136/19 et C‑137/19) relative au regroupement familial d’un parent avec un enfant mineur (sur la base de la directive 2003/84), la Cour avait décidé qu’il fallait déterminer la qualité de mineur au moment de l’introduction de la demande de regroupement familial afin de favoriser celui-ci. Dans cette affaire, l’intérêt de l’enfant est devenu le seul fondement du raisonnement de la Cour de justice. Cette jurisprudence constante illustre une interprétation résolument protectrice et favorable à l’intérêt supérieur de l’enfant.
L’on peut donc s’étonner du raisonnement lacunaire de la Cour au regard du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et du manque d’effet utile donné à l’article 23 dans ce contexte.
C. Conclusions
Dans l’arrêt commenté, la Cour de justice ne donne pas d’injonction à l’État belge de combler l’absence de transposition de l’article 23 de la directive et confirme le raisonnement du CCE dans son arrêt en assemblée générale du 11 décembre 2019. Elle clôt le débat. Le dénouement arrive quelques mois plus tard, en février 2024… Le législateur belge semble avoir compris le message en palliant enfin cette situation et en adoptant une loi réformant le regroupement familial. Celle-ci permet au parent d’un enfant reconnu réfugié de solliciter un droit de séjour d’un an, renouvelable sans conditions, en s’adressant à la commune de résidence (modification de l’article 12bis LE). Il semble s’être enfin emparé de cette question suite notamment aux recommandations claires du Médiateur fédéral dès 2022. Cette loi lui permet de se conformer au droit de l’UE et de redonner une dignité à l’enfant réfugié et à son parent.
Le dénouement est proche. Toutefois, la loi du 22 février n’est pas encore promulguée. Espérons qu’elle le sera rapidement pour combler ce vide juridique latent depuis 10 ans.
D. Pour aller plus loin
Lire l’arrêt :
- C.J.U.E., 23 novembre 2023, XXX, C-614/22, EU:C:2023:903.
Jurisprudence :
- Cour eur. D.H., 10 juillet 2014, Mugenzi c. France, req. n° 52701/09 ;
- C.J.U.E., 23 novembre 2023, XXX, C-374/22, EU:C:2023:902 ;
- C.J.U.E., 9 septembre 2021, Bundesrepublik Deutschland, C‑768/19, EU:C:2021:709 ;
- C.J.U.E., 7 novembre 2021, LW c. Bundesrepublik Deutschland, C-91/20, EU:C:2021:898 ;
- C.J.U.E., 16 juillet 2020, B. M. M., C‑133/19, C‑136/19 et C‑137/19, EU:C:2020:577 ;
- C.J.U.E., 12 avril 2018, A et S, C-550/16, EU:C:2018:248 ;
- C.J.U.E., 4 octobre 2018, Ahmedbekova, C-652/16, EU:C:2018:801 ;
- C.C.E., 11 décembre 2019, n° 230 068.
Doctrine :
- Carlier J.-Y. et Sarolea S., Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016 ;
- Deveux, C., « Loi du 22 février 2024 : le regroupement familial déjà réformé en attendant le Code », Newsletter de l’ADDE, mai 2024.
- Flamand, Chr., « Le C.C.E. a tranché : Le parent d’un enfant reconnu réfugié n’a pas de droit au statut de réfugié dérivé…une occasion manquée », Cahiers de l’EDEM, avril 2020 ;
- Flamand, Chr., « L’unité familiale, un droit du réfugié », Obs. sous C.C.E., n° 125 152, 18 juin 2014, R.D.E., 2014, n° 177, p. 253-260 ;
- Gribomont, H., « Reconnaissance automatique du statut de réfugié aux membres de la famille d’un réfugié reconnu », Cahiers de l’EDEM, janvier 2019 ;
- Sarolea, S., « La portée du principe de l’unité familiale », Newsletter EDEM, décembre 2013.
Autre
Le médiateur fédéral, Recommandation 2022/01 au Parlement - Février 2022.
MYRIA, « Avis : Un cadre légal pour le droit de vivre en famille des parents d’un mineur ressortissant d’un pays tiers ayant un droit de séjour », 21 juin 2022.
Pour citer cette note : Chr. Flamand, « Le principe de l’unité familiale rejeté pour la mère d’un enfant mineur réfugié reconnu : La Cour de justice clôt le débat. Épilogue », Cahiers de l’EDEM, avril 2024.
[1] Chr. Flamand, « L’unité familiale, un droit du réfugié », Obs. sous C.C.E., n° 125 152, 18 juin 2014, R.D.E., 2014, n° 177, p. 253-260.
[2] Cour eur. D.H., 12 octobre 2012, Singh c. Belgique, req. n° 33210/11.
[3] Cette distinction était appliquée dans les cas d’une crainte d’excision pour l’enfant. La distinction entre crainte du parent et de l’enfant semblait bien artificielle tant la crainte d’une mère ou d’un père de voir exciser sa fille constitue une crainte certes valide mais considérée comme anecdotique pour cette juridiction.
[4] Voy. à ce sujet : H. Gribomont, « Reconnaissance automatique du statut de réfugié aux membres de la famille d’un réfugié reconnu », Cahiers de l’EDEM, janvier 2019.
[5] Projet de loi modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers en matière de droit au regroupement familial, Doc., Ch., 55/3596, article 6 modifiant l’article 12bis de la loi du 15 décembre 1980.
[6] C.J.U.E., 5 février 1963, Van Gend & Loos c. Administration fiscale néerlandaise, aff. 26/62, EU:C:1963:1.
[7] Il s’agit de l’obtention d’un document de voyage pour réfugié pour le membre de la famille du réfugié, ce qui nous semble implicitement un argument pour favoriser le statut de réfugié dérivé pour ce parent.