CJUE, 4 octobre 2018, Ahmedbekova, C-652/16, EU:C:2018:801

Louvain-La-Neuve

Reconnaissance automatique du statut de réfugié aux membres de la famille d’un réfugié reconnu.

Asile – statut de réfugié dérivé – unité familiale – membres de la famille – automaticité – articles 3 et 23 de la directive 2011/95.

La Cour de justice de l’Union européenne valide la disposition de la loi bulgare sur l’asile et les réfugiés qui étend automatiquement le statut de réfugié aux membres de la famille d’un étranger ayant obtenu le statut de réfugié, dans la mesure où ceux-ci ne relèvent pas d’une clause d’exclusion et où leur situation présente, en raison du besoin de maintien de l’unité familiale, un lien avec la logique de la protection internationale.

Hélène Gribomont

 

A. Arrêt

1. Faits et questions préjudicielles

En novembre 2014, Mme Ahmedbekova et son mari – ressortissants azerbaïdjanais – déposent séparément une demande d’asile en Bulgarie. La demande de Mme Ahmedbekova est également introduite pour le fils mineur du couple. La demande de son époux est rejetée, de même que le recours et le pourvoi en cassation. Sa demande est également rejetée. Dans son recours, elle invoque tant les persécutions dont serait victime son mari de la part des autorités azerbaïdjanaises que celles qui la concernent individuellement. À cet égard, elle fait valoir le risque d’être persécutée en raison de ses opinions politiques, ainsi que des problèmes de harcèlement sexuel subis sur son lieu de travail. Le risque de persécution en raison de ses opinions politiques serait démontré par sa participation à l’introduction de recours contre l’Azerbaïdjan devant la Cour européenne des droits de l’homme, sa participation à la défense des personnes persécutées par les autorités azerbaïdjanaises en raison de leurs activités dans le domaine de la défense des droits fondamentaux et son activité dans le cadre du média audiovisuel « Azerbaydzhanski chas » menant une campagne d’opposition au régime du pouvoir en Azerbaïdjan.

Dans le cadre de ce recours, la juridiction de renvoi se demande d’une part comment les demandes de protection internationale introduites séparément par des membres d’une même famille doivent être traitées, et d’autre part si la circonstance que le demandeur a participé à l’introduction d’un recours contre son pays d’origine devant la Cour européenne des droits de l’homme est un élément pertinent aux fins de déterminer si la protection internationale doit être octroyée. Elle pose ainsi à la CJUE neuf questions préjudicielles. Les réponses sont résumées ci-après.

  • Quatrième question préjudicielle (§§ 44-51). Lorsque l’autorité compétente évalue – de manière individuelle (article 4 de la directive qualification) – la demande de protection, elle doit tenir compte des menaces de persécution et d’atteintes graves pesant sur un membre de la famille du demandeur afin de déterminer s’il est, à cause de son lien familial avec cette personne, luimême exposé aux menaces.
  • Cinquième question préjudicielle (§§ 52-65). (1) Les demandes séparément introduites des membres d’une même famille peuvent faire l’objet de mesures visant à gérer toute éventuelle connexité. (2) Ces demandes ne peuvent pas faire l’objet d’une évaluation commune. (3) L’évaluation de ces demandes ne peut pas être suspendue jusqu’à la clôture de la procédure d’examen relative à une autre de ces demandes.
  • Deuxième et troisième questions préjudicielles (§§ 75-81). Une demande de protection est irrecevable lorsqu’une personne à charge du demandeur introduit une demande après avoir consenti à ce que son cas soit traité dans le cadre d’une demande introduite en son nom, et que rien dans la situation de la personne à charge ne justifie une demande distincte (article 33, § 2, e), de la directive procédures). Ce motif d’irrecevabilité ne couvre pas une situation dans laquelle une personne majeure introduit, pour elle et pour son enfant mineur, une demande qui se fonde notamment sur l’existence d’un lien familial avec une autre personne qui a introduit une demande séparément.
  • Septième question préjudicielle (§§ 84-90). La participation du demandeur de protection à l’introduction d’un recours contre son pays d’origine devant la Cour européenne des droits de l’homme doit être considérée comme étant un motif de persécution au titre d’opinions politiques (article 10, § 1er, e), de la directive qualification), s’il existe des raisons fondées de craindre que la participation à l’introduction de ce recours soit perçue par ledit pays comme un acte de dissidence politique contre lequel il pourrait envisager d’exercer des représailles. Une telle participation ne doit donc, en principe, pas être considérée comme prouvant l’appartenance du demandeur à un certain groupe social (article 10, § 1er, d), de la directive qualification).
  • Huitième question préjudicielle (§§ 91-103). La juridiction de recours est en principe tenue d’apprécier, à titre de nouvelles déclarations et après avoir sollicité un examen de celles-ci par l’autorité responsable de la détermination, les motifs d’octroi de la protection ou les éléments de fait qui, tout en étant relatifs à des événements ou à des mesures prétendument survenus avant l’adoption de ladite décision de refus, voire même avant l’introduction de la demande de protection, sont pour la première fois invoqués pendant la procédure de recours (article 46, § 3, lu conjointement avec l’article 40, § 1er, de la directive procédures). La juridiction de recours n’y est par contre pas tenue si elle constate que ces motifs ou ces éléments ont été invoqués dans une phase tardive de la procédure de recours ou ne sont pas présentés d’une manière suffisamment concrète pour pouvoir dûment être examinés, ou encore, lorsqu’il s’agit d’éléments de fait, si elle constate que ceux-ci ne sont pas significatifs ou sont insuffisamment distincts des éléments dont l’autorité compétente a déjà pu tenir compte.

2. Sixième question préjudicielle

La sixième question préjudicielle (§§ 66-74) fait l’objet d’un développement plus détaillé dès lors que c’est sur le point du statut de réfugié dérivé que porte l’éclairage ci-dessous.

La question porte sur l’interprétation de l’article 3 de la directive qualification qui prévoit que :

« Les Etats membres peuvent adopter ou maintenir des normes plus favorables pour décider quelles sont les personnes qui remplissent les conditions d’octroi du statut de réfugié ou de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et pour déterminer le contenu de la protection internationale, dans la mesure où ces normes sont compatibles avec la présente directive ».

Il s’agit de savoir si cette disposition doit être interprétée en ce sens qu’il permet à un Etat membre de prévoir, en cas d’octroi d’une protection internationale à un membre d’une famille, d’étendre le bénéfice de cette protection à d’autres membres de cette famille.

En l’espèce, l’article 8, § 9, du ZUB (loi bulgare sur l’asile et les réfugiés) stipule que :

« Sont […] considérés comme réfugiés les membres de la famille d’un étranger ayant obtenu un statut de réfugié, dans la mesure où cela est compatible avec son statut personnel et en l’absence des circonstances visées à l’article 12, paragraphe 1 ».

En application de cette disposition, si la requérante était reconnue réfugiée, ce statut serait étendu aux membres de sa famille, soit son époux et son fils, sans besoin d’examiner s’il existe une crainte fondée de persécution dans le chef de ces derniers. 

La directive qualification ne prévoit pas une telle extension aux membres de la personne à laquelle est reconnu le statut de réfugié (ou la protection subsidiaire). L’article 23 prévoit uniquement que les Etats peuvent aménager leur droit national de manière à ce que les membres de la famille du bénéficiaire du statut puissent, s’ils ne remplissent pas individuellement les conditions pour l’octroi du même statut, prétendre à certains avantages, qui comprennent notamment la délivrance d’un titre de séjour, l’accès à l’emploi ou l’accès à l’éducation et qui ont pour objet de maintenir l’unité familiale.

Cela étant, la Cour doit examiner si le maintien en vigueur d’une disposition telle que l’article 8, § 9, du ZUB est autorisé par l’article 3 de la directive qualification. Lue conjointement avec le considérant 14 de la directive, cette disposition établit que les « normes plus favorables » peuvent consister en un assouplissement des conditions dans lesquelles un ressortissant d’un pays tiers peut jouir du statut de réfugié ou du statut conféré par la protection subsidiaire. La Cour rappelle que l’exigence de l’article 3 selon laquelle toute norme plus favorable doit être compatible avec la directive signifie que cette norme ne doit pas porter atteinte à l’économie générale et aux objectifs de cette directive. Sont en particulier interdites les normes qui reconnaissent le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire à des personnes placées dans des situations dénuées de tout lien avec la logique de la protection internationale (arrêt M’Bodj, 2014) ou qui relèvent d’une clause d’exclusion (arrêt B et D, 2010).

En l’espèce, la Cour estime que la reconnaissance automatique, en vertu du droit national, du statut de réfugié à des membres de la famille d’une personne à laquelle ce statut a été octroyé en vertu du régime instauré par la directive qualification, n’est pas, a priori, dénuée de tout lien avec la logique de protection internationale. Deux conditions doivent toutefois être respectées :

  • les membres de la famille ne relèvent pas d’une clause d’exclusion (article 12 de la directive qualification) ;
  • leur situation présente, en raison du besoin de maintien de l’unité familiale, un lien avec la logique de protection internationale.

Sur cette dernière condition, l’Avocat général, dans ses conclusions, indique (§ 58) d’une part que la reconnaissance du statut de réfugié à titre dérivé aux membres de la famille d’un réfugié reconnu n’est pas incompatible avec le système de la Convention de Genève et est même recommandée par le HCR et admise en règle générale dans les procédures de détermination du statut de réfugié relevant du mandat de ce dernier (infra). D’autre part, une telle reconnaissance poursuit des objectifs conformes à l’article 23, § 1er, de la directive qui prescrit l’obligation pour les Etats membres de veiller au maintien de l’unité familiale du réfugié.  

B. Éclairage

Dans l’arrêt commenté, la CJUE valide le dispositif législatif bulgare instituant le statut de réfugié dérivé

La règlementation prévoit l’attribution du statut de réfugié aux membres de la famille d’un réfugié en vertu du seul lien familial qui les unit à ce dernier. Selon l’article 8, § 9, du ZUB, la reconnaissance du statut de réfugié aux membres de la famille d’un réfugié reconnu est automatique et n’implique pas la vérification, dans le chef des membres de la famille, de l’existence d’une crainte fondée de persécution qui les concerne individuellement.

La question préjudicielle portait donc sur la compatibilité d’une telle réglementation nationale avec la directive qualification qui ne prévoit pas un tel automatisme.

Les paragraphes suivants reprennent les principes relatifs au statut de réfugié dérivé et à l’unité familiale. La question de l’automaticité de la reconnaissance et des bénéficiaires est abordée.

1. En droit international

La Convention de Genève n’envisage pas le statut de réfugié dérivée. Conformément à l’article 1er, A), le réfugié est celui qui craint avec raison d’être persécuté à titre individuel.

En revanche, l’acte final de la Conférence de plénipotentiaires des Nations Unies qui a élaboré le texte de la Convention a reconnu expressément le « droit essentiel » du réfugié à l’unité de sa famille. Il recommande également aux Etats signataires de prendre les mesures nécessaires à son maintien et, plus généralement, à la protection de la famille du réfugié.

Les organes du HCR ont renouvelé à plusieurs reprises ces recommandations. Ainsi, dans un document sur les questions relatives à la protection de la famille, le Comité permanent du HCR a affirmé qu’« il découle du principe de l’unité familiale que, si le chef de famille satisfait aux critères régissant la reconnaissance du statut de réfugié, les membres à charge de sa famille doivent normalement se voir reconnaître la qualité de réfugié ». Le HCR a également préconisé, dans la Note d’orientation sur les demandes d’asile relatives aux mutilations génitales féminines, la reconnaissance à titre dérivé du statut de réfugié aux membres de la famille de potentielles victimes de mutilations génitales féminines et a admis la possibilité, pour le mineur accompagné, d’être le demandeur principal titulaire du droit à l’unité familiale. Les principes directeurs sur les demandes d’asile des mineurs font aussi une référence au statut de réfugié dérivé. Ils prévoient que « de la même manière qu’un enfant peut obtenir le statut de réfugié indirectement du fait du même statut d’un parent, un parent peut, mutatis mutandis, se voir accorder le statut dérivé de réfugié sur la base du même statut de son enfant ». 

Le HCR admet donc le statut de réfugié dérivé. Il établit que peuvent en bénéficier les membres de la famille nucléaire, à savoir : le conjoint du demandeur principal, tous les enfants célibataires de moins de 18 ans du demandeur principal, les parents ou les tuteurs principaux d’un demandeur principal de moins de 18 ans ainsi que les personnes à charge du parent ou tueur adulte, et les frères et sœurs mineurs d’un demandeur principal de moins de 18 ans. Des personnes autres que les membres de la famille nucléaire peuvent aussi être éligibles au statut dérivé au titre de l’unité familiale s’il est établi qu’il existe un lien de dépendance affective ou économique entre eux et le demandeur principal :  les parents à charge d’un demandeur principal adulte, les enfants mariés du demandeur principal qui restent à sa charge et les conjoins des enfants mariés lorsque les couples restent à sa charge, les enfants à charge du demandeur principal âgés de plus de 18 ans, d’autres parents à charges (frères, sœurs, tantes, cousins, etc.) qui vivaient avec le demandeur principal dans le pays d’origine ou dont la situation a ensuite changé de telle sorte qu’ils sont désormais à la charge du demandeur principal dans le pays d’accueil ; les enfants nourriciers ou d’autres personnes qui, bien que sans lien de parenté avec le demandeur principal, ont avec lui une relation de dépendance telle qu’elle est assimilable aux catégories de membre de la famille nucléaire.

Deux observations sont à faire. D’une part, le HCR applique le statut de réfugié dérivé tant dans le sens descendant que dans le sens ascendant, voire même dans le sens collatéral. Ce statut n’est donc pas réservé aux seuls enfants d’une mère ou d’un père bénéficiant de la protection, comme le préconise le CCE (infra). D’autre part, le HCR prévoit que les intéressés peuvent bénéficier du statut. La reconnaissance n’est donc pas automatique. Toutefois, mis à part s’ils font l’objet d’une mesure d’exclusion à titre individuel, il n’y a pas de raison que la reconnaissance du statut leur soit refusée.

2. En droit de l’Union européenne

A l’instar de la Convention de Genève, la directive qualification ne prévoit pas la reconnaissance de la qualité de réfugié à titre dérivé aux membres de la famille d’un réfugié reconnu.

Ainsi que susmentionné, l’article 23 de la directive consacre le principe du maintien de l’unité familiale. Cette disposition prévoit que les membres de la famille d’un réfugié qui ne bénéficient pas individuellement de la protection internationale peuvent néanmoins prétendre à certains avantages, dont le contenu est en substance le même que celui dont bénéficient les réfugiés reconnus.  Le régime reconnu en vertu de cette disposition n’inclut toutefois pas la protection contre le refoulement et ne peut donc être assimilé à la reconnaissance du statut de réfugié dérivé. 

L’arrêt commenté nous enseigne qu’en vertu de l’article 3 de la directive, qui autorise des dispositions nationales plus favorables dans la détermination des critères d’attribution du statut de réfugié, un Etat membre peut prévoir la reconnaissance automatique du statut de réfugié aux membres de la famille d’un réfugié reconnu. Une telle reconnaissance poursuit en effet les objectifs de maintien de l’unité familiale du réfugié de l’article 23.

L’article 23 s’applique aux « membres de la famille du bénéficiaire d’une protection internationale » (§ 2). En vertu de l’article 2, f), de la directive, les membres de la famille sont : le conjoint, ou le partenaire non marié engagé dans une relation stable, bénéficiaire d’une protection internationale ; les enfants mineurs de ces couples, à condition qu’ils soient non mariés et sans tenir compte du fait qu’ils sont légitimes, nés hors mariage ou adoptés ; le père ou la mère du bénéficiaire ou tout autre adulte qui en est responsable, lorsque ledit bénéficiaire est mineur et non marié. L’article 23 s’applique aussi aux autres parents proches qui vivaient au sein de la famille à la date du départ du pays d’origine et qui étaient alors entièrement ou principalement à charge du bénéficiaire d’une protection internationale (§ 5). La directive qualification consacre ainsi les notions descendante et ascendante du principe de l’unité familiale. Si elle ne prescrit pas directement le statut de réfugié dérivé, elle s’aligne toutefois en ce qui concerne les bénéficiaires sur la position du HCR. La législation bulgare vise les membres de la famille d’un réfugié reconnu, sans autre précision. L’espèce concerne une demande d’une mère vers son fils mineur. Eu égard à la législation bulgare et à la décision de la CJUE, prise à la lumière de l’article 23 et de l’article 2, j), de la directive, il ne semble pas que la reconnaissance du statut de réfugié dérivé soit réservée aux membres de la famille à charge du réfugié reconnu. D’autant plus que la CJUE dans son dispositif valide l’extension de la protection aux membres de la famille, sans autre restriction qu’une cause d’exclusion ou l’absence de lien avec la logique de la protection internationale.

La CJUE reconnait en outre que l’extension peut être automatique, puisqu’elle valide la réglementation bulgare.

3. En droit interne

Le HCR et le droit européen reconnaissent donc le statut de réfugié dérivé, en sens descendant et ascendant. Ce n’est pas le cas du droit et de la jurisprudence belge.

Sous l’angle de la législation, d’une part, la loi du 15 décembre 1980 ne prévoit pas le statut de réfugié dérivé. D’autre part, l’article 23 de la directive qualification n’a pas été transposé et le CCE rejette l’effet direct de la disposition. 

Sous l’angle de la jurisprudence, le CCE considère que seuls les membres de la famille à charge peuvent solliciter le statut dérivé. Il n’y a donc pas d’automaticité. Le CCE dispose que « l’application du principe de l’unité familiale peut entrainer une extension de la protection internationale au bénéfice de personnes auxquelles il n’est pas demander d’établir qu’elles ont des raisons personnelles de craindre d’être persécutées ». Il précise que cette extension ne peut jouer qu’au bénéfice des personnes à charge et qu’à l’égard de la famille qui existait déjà dans le pays d’origine. Dans un arrêt du 30 avril 2018, il décide que le principe de l’unité familiale, et partant, vu l’espèce, le statut de réfugié dérivé, ne peut s’appliquer dans la mesure où la requérante – la mère – n’est pas à charge de sa fille, âgée de trois ans.

Une telle jurisprudence pose question en termes d’effectivité de la protection internationale. En effet, depuis la réforme introduite par la loi du 21 novembre 2017, l’article 57/1 de la loi du 15 décembre 1980 prévoit que le mineur accompagné peut introduire une demande d’asile autonome, en son nom, que ce soit personnellement ou par le biais de son parent ou tuteur, lorsque la crainte lui est propre ou spécifique. Ce faisant, eu égard à la jurisprudence du CCE susmentionnée, comment un enfant mineur reconnu réfugié peut-il bénéficier pleinement et effectivement des droits qui découlent de son statut de réfugié si ses parents sont dans une situation précaire ? Une telle pratique pose également question en termes d’intérêt supérieur de l’enfant. Si l’enfant est reconnu réfugié, mais que ses parents ne le sont pas et ne peuvent bénéficier du statut de réfugié dérivé, la famille risque d’être séparée. La Belgique est pourtant tenue par des obligations juridiques internationales. Notamment, la Convention internationale relative aux droits de l’enfant prévoit que les Etats parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre son gré (articles 3, 9 et 10). Le Comité des droits de l’enfant établit quant à lui que « toute demande faite par un enfant ou ses parents en vue d’entrer dans un Etat partie ou de le quitter aux fins de réunification familiale est considérée par les Etats parties dans un esprit positif, avec humanité et diligence »[1].

Comme Christine Flamand, dans son commentaire relatif à l’arrêt du 30 avril 2018 susmentionné, nous soutenons que « la notion de dépendance "en sens unique" évoquée dans l’arrêt soit élargie à la conception de dépendance émotionnelle et sociale, à l’instar des lignes directrices du HCR, pour éviter de restreindre l’application du statut de réfugié dérivé ». Et ce, d’autant plus que la CJUE a maintenant validé une réglementation nationale qui prévoit l’extension automatique du statut de réfugié aux membres de la famille d’un réfugié reconnu. Christine Flamand conclut, et nous maintenons, qu’il y a également « urgence  à légiférer par rapport au droit à  l’unité familiale afin de permettre aux parents d’un mineur accompagné de bénéficier du même statut, maintenant que la loi permet à un mineur d’introduire une demande seul et ce, afin de donner aux nouvelles dispositions un effet utile, respectueux du droit de l’enfant ».

C. Pour aller plus loin

Lire l’arrêt : CJUE, 4 octobre 2018, Ahmedbekova, C-652/16, EU:C:2018:801

Doctrine : C. Flamand, « Le droit au statut de réfugié dérivé pour les parents du mineur, reconnu comme réfugié », Cahiers de l’EDEM, septembre 2018.

Pour citer cette note : H. Gribomont, « Reconnaissance automatique du statut de réfugié aux membres de la famille d’un réfugié reconnu », Cahiers de l’EDEM, janvier 2019.

 


[1] Voy. aussi Comité des droits de l’enfant, Observation générale conjointe n° 4 (2017) du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants  et des membres de leur famille et n° 23 (2017) du Comité des droits de l’enfant sur les obligations des Etats en matière de droits de l’homme des enfants dans le contexte des migrations internationales dans les pays d’origine, de transit, de destination et de retour, 16 novembre 2017, CMW/C/GC/4-CRC/C/GC/23.

Photo : https://www.designingbuildings.co.uk/wiki/Buildings_of_the_EU

 

Publié le 30 janvier 2019