Cour de cassation italienne, 2e section civile, 24 février 2021, ordonnance n° 5022/2021

Louvain-La-Neuve

Vers des critères d’analyse face à une demande de protection internationale en cas de catastrophe environnementale ?

Catastrophes environnementales – Critères d’analyse de la demande de protection internationale – Capacité de réponse de l’État d’origine.

En répondant au moyen tendant à obtenir l’examen d’une demande de protection sur base de l’existence d’une catastrophe, la Cour de cassation italienne développe son raisonnement sur plusieurs points d’analyse qui peuvent permettre d’identifier les éléments à examiner par le juge de fond italien et éventuellement un autre juge qui serait en face d’une demande de protection sur base de l’existence d’une catastrophe naturelle. L’examen se ferait au regard des éléments suivant : le seuil minimal de protection du droit à la vie, la protection sur base de l’existence d’une catastrophe, le caractère personnel du risque dans un contexte général, la prévisibilité du risque, la capacité de réponse de l’État d’origine et l’apport de la coopération.

Bertin Nalukoma Irenge

La présente ordonnance no 5022/2021 a déjà fait l’objet d’un précieux commentaire dans les Cahiers de l’EDEM par Francesca Raimondo. Après avoir démontré l’interprétation faite par le juge du droit italien de la protection humanitaire[1] et la règle d’examen qu’il détermine, l’auteur relève, au regard du droit à la vie ou à une vie digne, la portée du critère fixé par le juge de cassation dans l’évaluation du risque d’atteinte à ce droit : « le noyau inéliminable du statut de la dignité personnelle » (notre traduction). Ce critère a un réel potentiel protecteur pour les personnes fuyant les effets du changement climatique contre une décision de refoulement. Ce critère permet la protection contre de nombreux risques d’atteinte à la vie dont notamment ceux liés à des catastrophes environnementales, à d’autres aléas du changement climatique et de l’exploitation non durable des ressources naturelles. Dans la mesure où les catastrophes environnementales peuvent avoir certaines caractéristiques lorsqu’elles se produisent, le présent commentaire se distingue du précédent en essayant de dégager des critères d’analyse en combinant la décision de la Cour de cassation italienne avec la jurisprudence du Comité des droits de l’homme dont elle s’inspire par ailleurs. Un autre juge peut s’inspirer de ces critères lorsqu’il est devant une demande de protection basée sur l’existence d’une catastrophe environnementale.

A. Arrêt

1. Les faits

Le requérant est un ressortissant de la région du Delta du Niger, au Nigéria. Il fuit sa région principalement pour des raisons de perturbations environnementales, mais aussi de conflits et d’actes de violence qui constituent une menace pour sa vie. Il se présente en Italie devant la Commission territoriale pour la reconnaissance de la protection internationale où il introduit sa demande de protection internationale. Cette demande est rejetée. Il introduit un recours en annulation devant le Tribunal d’Ancona qui rejette sa demande. Le Tribunal note bel et bien, avec un raisonnement ample, l’existence, dans la zone du delta du Niger, d’une grave situation de perturbation environnementale, due à l’exploitation indiscriminée de la zone par les compagnies pétrolières et aux conflits ethnopolitiques qui l’affectent depuis les années 1990 (p. 3). Il rappelle que plusieurs groupes paramilitaires sont actifs dans la région et qu’en raison de sabotages et de vols, et dans le contexte d’instabilité existant, il y a eu de nombreux déversements d’hydrocarbures, à la suite desquels de vastes zones ont été contaminées (p. 3). Selon Christel Cournil, en constatant l’existence des criminels, le Tribunal évoquait la grande corruption de la gestion étatique des ressources naturelles (hydrocarbures) en lien avec des activités de sociétés pétrolières étrangères (pollutions et marées noires des raffineries) sans pour autant considérer cette dernière comme déterminante et faisant partie des exigences d’attribution de la protection humanitaire.

Face à ce nouveau rejet, le requérant forme un recours devant la Cour de cassation en invoquant deux moyens de droit. Par son premier moyen, le requérant se plaint du défaut d’examen d’un fait déterminant, au regard de l’article 360, § 1er, point 5, du Code de procédure civile, car le Tribunal n’a pas pris en considération la situation de catastrophe environnementale existant dans le delta du Niger (p. 2). Par son deuxième moyen, le requérant invoque la violation de l’article 5 du décret législatif no 286 de 1998, en ce que la juridiction de jugement n’a pas accordé la protection humanitaire sur la base de l’existence de la grave catastrophe environnementale visée par le décret législatif au premier moyen (p. 2).

2. La décision de la Cour de cassation

- Les principes

Dans son examen de la demande, la Cour de cassation constate d’abord que la situation de la région du requérant n’a pas été jugée suffisante par le Tribunal pour établir une condition de violence généralisée pertinente aux fins de l’octroi d’une protection subsidiaire. La situation de la région du requérant est caractérisée d’une part par la grande pauvreté de la population locale, qui ne bénéficie pas du tout des revenus de la principale ressource naturelle de la région, et d’autre part par l’insécurité liée aux sabotages, aux dégradations, aux enlèvements de personnalités et aux attaques même contre la police. Le Tribunal a considéré que le niveau de violence généralisée n’est pas de nature à constituer un conflit armé ou une situation équivalente. En outre, la Cour relève que le Tribunal n’a nullement tenu compte du contexte de perturbation environnementale et d’insécurité généralisée aux fins de l’octroi de la protection humanitaire (p. 3).

À ce titre, la Cour rappelle la position du Comité des droits de l’homme des Nations Unies dans l’affaire Ioane Teitiota. Le Comité a affirmé le principe selon lequel les États ont l’obligation de respecter et de garantir le droit à la vie et que cette obligation s’applique face aux menaces et aux autres situations raisonnablement prévisibles dans lesquelles la vie d’une personne est mise en danger. Il s’agit des situations qui peuvent entraîner la perte de vies humaines ou aggraver substantiellement les conditions d’existence, notamment la dégradation de l’environnement, le changement climatique et le développement non durable. Ces situations constituent certaines des menaces les plus graves et les plus urgentes pour la vie des générations actuelles et futures et qui peuvent porter atteinte au bien-être d’une personne, et donc entraîner une violation de son droit à la vie.

La Cour relève encore que le Comité estime que le principe général de non-refoulement s’applique à toutes les conditions de danger, puisque le droit à la vie inclut également le droit à une existence digne et de ne pas être victime d’acte ou omission pouvant entraîner une mort non naturelle ou prématurée de la personne humaine (p. 5).

- Le schéma d’analyse

De ce qui précède, la Cour de cassation établit que « lorsque, comme en l’espèce, le juge du fond reconnaît, dans une zone déterminée, une situation susceptible de constituer une catastrophe environnementale, ou en tout cas un contexte d’atteinte grave aux ressources naturelles accompagnée de l’exclusion de pans entiers de la population de leur jouissance, l’évaluation de la condition de danger généralisé existant dans le pays d’origine du demandeur, aux fins de la reconnaissance de la protection humanitaire, doit être effectuée en tenant compte spécifiquement du risque particulier pour le droit à la vie et à une existence digne résultant de la dégradation de l’environnement, du changement climatique ou du développement non durable de la zone » (notre traduction) (p. 5).

- La décision

Après examen des moyens du requérant et de l’œuvre du Tribunal, la Cour accueille le pourvoi, annule le décret du Tribunal attaqué et renvoie l’affaire au Tribunal dans une composition différente (p. 8).

B. Éclairage

Les éléments ou critères d’analyse abordés par la Cour de cassation italienne, dans son ordonnance 5022/2021, ont une cohérence avec ceux utilisés par le Comité des droits de l’homme dans l’affaire Ioane Teitiota, dans l’examen des décisions relatives à la protection en cas des perturbations environnementales. Les caractéristiques des catastrophes environnementales peuvent nécessiter l’examen des critères abordés par la Cour de cassation avec des considérations particulières. Comme le souligne Francesca Perrini, « [l]e phénomène migratoire lié aux enjeux environnementaux a ses propres caractéristiques qui le différencient des autres phénomènes migratoires. Souvent, en effet, la migration découlant de ce type d’évènement a un caractère temporaire, en ce sens qu’une fois l’urgence passée dans le pays d’origine, il n’y a plus rien à faire. Il est possible que les personnes contraintes de fuir veuillent revenir, lorsque les conditions le permettent. D’autre part, il convient de noter qu’il existe des cas dans lesquels le “retour” ne sera pas matériellement possible en raison de la disparition de l’État lui-même » (notre traduction).

Durant la période de l’évènement, un besoin de protection peut se révéler. Comme le rappelle le Comité des droits de l’homme (§ 9.11), deux types d’évènements peuvent se produire : des évènements soudains et des processus lents. Les premiers sont des évènements ponctuels qui ont une incidence immédiate et évidente sur une période de quelques heures ou de quelques jours, tandis que les seconds ont sur les moyens de subsistance et les ressources des effets néfastes qui peuvent se révéler graduellement sur une période de plusieurs mois ou plusieurs années. Dans l’une ou l’autre circonstance, le juge peut être porté à faire des évaluations de risque différentes. En lisant la décision de la Cour de cassation italienne, et celle du Comité des droits de l’homme dont elle s’inspire, il nous semble pouvoir dégager des critères d’examen des risques en cas de catastrophes environnementales dont d’autres juges peuvent se servir.

1. Le critère du « noyau inéliminable du statut de la dignité personnelle » en vue de la protection du droit à la vie et/ou à une vie digne

La Cour de cassation italienne établit que le « noyau inéliminable du statut de la dignité personnel » (notre traduction) est le critère fondamental d’évaluation du risque d’atteinte au droit à la vie lors de l’adoption d’une mesure d’éloignement. C’est le seuil minimal que le juge italien est invité à conserver pour protéger ce droit. Dans ce sens, de riches commentaires ont été émis au sujet de la protection des « réfugiés environnementaux » en vertu des droits de l’homme devant la Cour de cassation italienne (Francesca Raimondo, Antonello Ciervo, Francesca Perrini, Christel Cournil) et le Comité des droits de l’homme (Marie Courtoy, Majda Lamkhioued). Les deux instances admettent le principe de la protection du droit à la vie et/ou à une vie digne contre les effets néfastes du changement climatique et/ou des catastrophes naturelles. À cet effet, la Cour de cassation italienne rappelle la position du Comité selon laquelle l’obligation de respecter et de garantir le droit à la vie s’étend également aux menaces raisonnablement prévisibles et aux situations mettant la vie en danger qui peuvent entraîner la perte de vies humaines ou aggraver substantiellement les conditions d’existence, notamment la dégradation de l’environnement, le changement climatique et le développement non durable (p. 5). Elle conclut ensuite qu’aux fins de la reconnaissance ou du refus de la protection humanitaire (…), le concept de « noyau inéliminable du statut de la dignité personnelle » qu’elle identifie doit être considéré comme un élément fondamental de la protection humanitaire et comme la limite minimale essentielle en deçà de laquelle le droit individuel à la vie et à une existence digne n’est pas respecté. Cette limite doit être appréciée par le juge du fond par rapport à tout contexte qui, concrètement, est susceptible d’exposer les droits fondamentaux à la vie, à la liberté et à l’autodétermination de l’individu au risque d’être réduits à zéro ou en dessous du seuil minimal susmentionné, y compris expressément les cas de catastrophe environnementale (p. 8). Le seuil minimal du droit à la vie et/ou à une vie digne est donc le premier élément déterminant à examiner.

2. Les risques liés aux catastrophes environnementales peuvent être pris en compte dans l’examen d’une demande de protection sans être nécessairement rattachés à d’autres aléas

Le deuxième moyen en cassation dans cette affaire est qu’il y a violation de l’article 5 du décret législatif no 286 de 1998, en ce que la juridiction de jugement n’a pas accordé la protection humanitaire sur la base de l’existence de la grave catastrophe environnementale visée par le décret législatif au premier moyen (p. 2). La Cour de cassation y répond comme moyen de droit, non seulement parce qu’il existe un texte juridique fondant le droit à former appel lorsqu’un des moyens de demande n’a pas été rencontré mais aussi parce qu’une autre interprétation des cas de protection humanitaire peut être faite. Elle dit que la « juridiction […] a limité à tort l’appréciation de l’existence de la condition de danger généralisé à la seule existence d’un conflit armé, sans considérer, ni par rapport à la demande de reconnaissance de la protection subsidiaire, ni par rapport à la demande d’octroi de la protection humanitaire, le risque de mise en péril du seuil minimal incontournable des droits fondamentaux de l’individu spécifiquement lié à l’existence reconnue du contexte de catastrophe environnementale » (notre traduction) (pp. 7-8). La Cour de cassation a clairement établi que les conditions environnementales, plus spécifiquement les catastrophes environnementales, le changement climatique et l’exploitation non durable des ressources naturelles, doivent être dûment prises en compte, en relation avec la protection du droit à la vie (Francesca Raimondo).

Cette interprétation ouvre la possibilité de demander protection sur base de l’existence d’une catastrophe environnementale. C’est cette existence qui déclenche l’examen de la protection du droit à la vie. Le Comité, dans l’affaire Ioane Teitiota, en invoquant son observation générale no 36, rappelle une extension de la protection par le droit à la vie en disant : « L’obligation de ne pas extrader, expulser ou transférer par d’autres moyens énoncée à l’article 6 du Pacte peut avoir une portée plus vaste que le principe de non-refoulement dans le droit international relatif aux réfugiés, car elle peut exiger également la protection d’étrangers n’ayant pas droit au statut de réfugié » (§ 31). Et de son côté, la Cour de cassation italienne établit que « le danger pour la vie de l’individu, qui est pertinent aux fins de la reconnaissance de la protection, ne doit pas nécessairement découler d’un conflit armé, mais peut dépendre de conditions socio-environnementales en tout cas rattachables à l’action humaine, à condition que le contexte créé dans une zone donnée soit, concrètement, de nature à compromettre gravement la survie même de l’individu et de ses proches » (notre traduction) (p. 6).

3. Le risque d’atteinte à la vie est personnel mais le contexte général joue un rôle déterminant

La Cour de cassation italienne établit que « lorsque, comme en l’espèce, le juge du fond reconnaît, dans une zone déterminée, une situation susceptible de constituer une catastrophe environnementale, […] l’évaluation de la condition de danger généralisé existant dans le pays d’origine du demandeur […] doit être effectuée en tenant compte spécifiquement du risque particulier pour le droit à la vie et à une existence digne résultant de la dégradation de l’environnement » (notre traduction) (pp. 5-6). En cas d’atteinte grave aux ressources, cette atteinte est accompagnée de « l’exclusion des pans entiers de la population de leur jouissance du droit » (notre traduction) (pp. 5-6). Une catastrophe naturelle étant un évènement perturbant gravement le fonctionnement d’une communauté ou une société (O.I.M., 2019, p. 50), le risque individuel qu’il cause s’inscrit dans un contexte général de danger. Lorsqu’elle pose un problème d’accès aux ressources, des pans entiers de la population en sont affectés. La condition générale est déterminante pour la considération du niveau du risque. Il doit normalement y avoir un risque personnel mais l’exigence d’un tel risque peut s’effacer quand le risque général atteint un certain niveau, dans les cas les plus extrêmes. Le Comité des droits de l’homme aborde dans ce sens dans son observation générale no 36 (2019) relative à l’article 6 du Pacte : « Un tel risque doit être couru personnellement et ne saurait simplement être déduit de la situation générale qui prévaut dans l’État de destination, sauf dans les cas les plus extrêmes » (§ 30).

4. Il n’est pas nécessaire que le risque se réalise : la prévisibilité du risque

La Cour de cassation italienne conclut que l’obligation d’assurer le plein exercice du droit à la vie est de mise « même indépendamment de l’existence d’un danger actuel pour la vie » (notre traduction) (p. 5). Dans l’affaire Ioane Teitiota, le Comité renouvelle sa position dans son observation générale no 36 (§ 7) en ce que : « l’obligation des États parties de respecter et garantir le droit à la vie s’applique aussi face aux menaces et aux autres situations raisonnablement prévisibles dans lesquelles la vie d’une personne est mise en danger, et qu’il peut y avoir violation de l’article 6 par les États parties même si pareilles menaces ou situations n’entraînent pas effectivement la mort » (§ 9.4). Dans un contexte différent, en rappelant une déclaration conjointe sur les droits de l’homme et les changements climatiques, le Comité des droits de l’enfant, dans sa décision Chiara Sacchi et consorts, a aussi mis en exergue l’obligation pour un État de prévenir des atteintes prévisibles : « il serait contraire aux obligations des États relatives aux droits de l’homme de ne pas prévenir des atteintes prévisibles aux droits de l’homme provoquées par les changements climatiques ou de ne pas réglementer les activités qui contribuent à de telles atteintes » (§ 10.6). On peut dire que lorsqu’un risque lié à une catastrophe est raisonnablement prévisible, l’examen de la demande serait porté à l’évaluer au regard du danger pour la vie du requérant.

5. La capacité de réponse de l’État d’origine

Une catastrophe se caractérise pour son effet perturbateur de la société. La capacité de réponse de l’État d’origine est prise en compte dans l’examen du risque. Cette capacité peut se trouver soit affaiblie, soit totalement anéantie au moment de l’évènement. Dans l’ordonnance de la Cour de cassation italienne, le juge relève que : « la dégradation de l’environnement, du point de vue du Comité des Nations Unies, peut compromettre la jouissance effective des droits de l’homme individuels, tout comme le changement climatique et les effets causés, en général, par un développement non durable ; cela se produit lorsque le gouvernement local ne peut pas, ou ne veut pas, assurer les conditions nécessaires pour garantir l’accès aux ressources naturelles essentielles, telles que les terres arables et l’eau potable, pour tous, avec pour conséquence de compromettre le droit individuel à la vie » (notre traduction) (p. 5). L’accès à de telles ressources peut être compromis par une catastrophe. Et lorsque l’État est en mesure de garantir l’accès des personnes aux ressources, cela pourrait être un moyen opposable au demandeur de la protection. Dans l’affaire Teitiota, le Comité n’a pu remettre en cause l’évaluation faite par l’État néo-zélandais selon lequel l’État de Kiribati pouvait être en mesure de prendre des mesures d’adaptation. Le Comité relève que : « en l’espèce, le Comité accueille l’argument de l’auteur selon lequel l’élévation du niveau de la mer va probablement rendre Kiribati inhabitable. Il fait toutefois observer que le délai de dix à quinze ans mentionné par l’auteur pourrait permettre au Gouvernement d’intervenir, avec le soutien de la communauté internationale, en vue de prendre des mesures concrètes pour protéger et, si nécessaire, déplacer la population. Le Comité note que les autorités de l’État partie ont examiné ce point de manière approfondie et constaté que Kiribati prenait des mesures d’adaptation en vue de réduire les vulnérabilités existantes et de renforcer la résilience face aux dommages résultant des changements climatiques » (§ 9.12). Le Comité note que l’État de Kiribati a encore le temps de prendre des mesures adéquates. Il aurait été aussi souhaitable que l’examen de la condition générale de Kiribati prenne également en considération sa capacité de réponse dans le même temps et au-delà de ce temps. Cette capacité de réponse est un aspect de l’analyse qui peut être déterminant dans la prise de décision pour l’octroi d’une protection. Cette considération s’accorde avec la définition des catastrophes données par la Commission du droit international lorsqu’elle détermine, comme caractéristiques de la catastrophe, le fait que l’évènement perturbe gravement le fonctionnement de la société et provoque des déplacements de population ou des dommages matériels ou environnementaux de grande ampleur (article 3). Dans ces conditions, il convient d’examiner très soigneusement les capacités de réponse de l’État d’origine.

6. Le devoir de coopération

Dans l’affaire Teitiota, le Comité partage son avis selon lequel « si des mesures énergiques ne sont pas prises aux niveaux national et international, les effets des changements climatiques dans les États de destination risquent d’exposer les prétendants à l’asile à une violation des droits garantis par les articles 6 ou 7 du Pacte, ce qui obligerait les États qui entendent renvoyer les intéressés à appliquer le principe de non-refoulement » (§ 9.11). Cet avis semble s’inscrire dans une perspective où, si les États ne coopèrent pas à des mesures adéquates de prévention, d’adaptation et de gestion des effets des changements climatiques provoquant des déplacements de personnes, ils se verraient opposés l’obligation de protection du droit à la vie de ces personnes sur base du principe de non-refoulement. En effet, la multiplication des phénomènes pouvant provoquer de nombreux déplacements occasionnant des demandes de protection pourrait placer des États qui font face à des afflux massifs dans un besoin de coopération pour aider à contenir l’afflux. Face à des risques réels identifiés par des juges, ceux-ci pourront appliquer le principe de non-refoulement. Des obligations de coopération interétatiques peuvent pratiquement être instaurées dans le but d’accorder une protection aux personnes qui ne peuvent retourner dans leurs milieux d’origine. La coopération pourrait consister en un devoir d’échange d’information ou de biens et services nécessaires en appui au besoin de la protection du droit garanti.

Conclusions

L’œuvre du juge de cassation italien dans l’ordonnance 5022/2021, agissant sur base de sa législation nationale et prenant en compte les fondements du Comité des droits de l’homme dans l’affaire Teitiota, laisse apparaître un schéma d’analyse d’une demande de protection internationale lorsqu’elle est faite sur base de l’existence d’une catastrophe environnementale. L’évaluation de la menace peut être faite sur plusieurs aspects ou critères afin de réaliser un examen sérieux. En protégeant le droit à la vie ou à une vie digne, les détails pris en compte démontrent une rigueur dans l’examen des risques liés à une catastrophe environnementale. Nous avons essayé de les relever dans le présent commentaire dans la mesure où d’autres juges pourraient s’inspirer de cette œuvre. Ce que le Comité a instauré avec sa décision, comme le souligne Marie Courtoy, « est une obligation d’examen sérieux par l’État de telles requêtes ». Le juge italien permet d’identifier les points de la structure de cet examen dans cette décision 5022/2021. Pour Francesca Perrini, l’adoption d’une convention spécifique serait souhaitable. En effet, la clarification des seuils exigibles ou, à tout le moins, un cadre juridique formel d’analyse de ce seuil en cas de catastrophe environnementale et des changements climatiques est une précieuse nécessité, particulièrement avec ce début de protection à l’œuvre de juridictions.

En Afrique centrale par exemple, de nombreuses demandes de protection pourraient un jour être soumises à des juges. Pour illustration, la dernière éruption volcanique dans la ville de Goma, en République démocratique du Congo, a provoqué le déplacement de près de 450 000 personnes dont 52 000 qui ont traversé vers le Rwanda. On ne peut avoir le contrôle sur l’éruption et les perturbations qu’elle peut provoquer. Dans la même région et pour toutes les régions avoisinant le lac Kivu, une inquiétude plane quant au danger du gaz toxique contenu dans ce lac. S’il entre en contact avec les coulées des laves ou si des fuites de gaz se produisent, des milliers de personnes se trouveraient contraintes à se déplacer vers des pays voisins. Par-ci, par-là, des menaces contre la vie de personnes peuvent être repérées. Tout cela constitue un terrain d’analyse des questions de droit relatives à la protection internationale qui rendent utile la détermination des critères de protection des personnes affectées. D’où l’intérêt d’avoir des instruments de protection formelle plus adaptés permettant de prévenir des dangers futurs.

C. Pour aller plus loin

Lire l’arrêt : Cour de cassation italienne, 2e section civile, 24 février 2021, ordonnance no 5022/2021.

-Jurisprudence :

Doctrine :

Pour citer cette note : B. Nalukoma Irenge, « Vers des critères d’analyse face à une demande de protection internationale en cas de catastrophe environnementale ? », Cahiers de l’EDEM, janvier 2023.

 

[1] La protection humanitaire était une particularité du régime italien. Elle a été abrogée en 2018. Il s’agissait d’une forme résiduelle de protection prévue pour les personnes qui n’avaient pas droit au statut de réfugié ou à la protection subsidiaire mais qui ne pouvaient pas être éloignées du territoire en raison de situations personnelles objectives et graves. Le permis de séjour pour raisons humanitaires était délivré sur recommandation de la Commission territoriale pour la reconnaissance de la protection internationale en cas de refus, s’il existait des raisons sérieuses de nature humanitaire : raison de santé ou d’âge, famine et catastrophes environnementales ou naturelles, absence de liens familiaux dans le pays d’origine, être victime de situations de grave instabilité politique, d’épisodes de violence ou de respect insuffisant des droits de l’homme.

Publié le 05 février 2023