Cour eur. D.H., 2 février 2023, Alhowais c. Hongrie, req. n° 59435/17

Louvain-La-Neuve

Brutalités policières et lacunes dans les enquêtes sur la rivière Tisza : la Hongrie condamnée pour avoir adopté une politique de protection des frontières inhumaine.

Non-refoulement – Procédures frontalières – Frontière entre la Serbie et la Hongrie – Lacunes procédurales – Droit à la vie – Obligations positives – Enquête efficace et rapide – Interdiction de traitements inhumains et dégradants – Conditions de recevabilité.

Dans l’arrêt Alhowais c. Hongrie, la Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée au sujet de refoulements à la frontière entre la Serbie et la Hongrie. Lors d’un contrôle aux frontières opéré par la police hongroise près de la rivière Tisza, un migrant d’origine syrienne est décédé. La Cour constate l’absence d’enquête effective sur la violation du droit à la vie et l’interdiction de traitements inhumains par les autorités hongroises. L’enquête était incomplète, elle n’a pas permis d’évaluer la responsabilité de l’État dans la protection du droit à la vie. De plus, les autorités hongroises n’ont pas fait tout ce qu’elles pouvaient raisonnablement faire pour protéger la vie du migrant par la suite décédé. La Cour conclut que la Hongrie a violé l’article 2 CEDH ainsi que son article 3 (dans son volet procédural).

Silvia Rizzuto Ferruzza[1]

A. Arrêt

1. Les faits

Le 1er juin 2016, le requérant, son frère F. et une famille irakienne avec trois enfants, tous citoyens syriens, tentent de traverser la rivière Tisza, qui sépare la Serbie de la Hongrie, en bateau. Lorsqu’ils voient le bateau, les policiers de la rive hongroise crient aux passagers de « retourner en Serbie » et leur jettent des pierres et des cailloux. Les passagers du bateau ont voulu passer les enfants aux policiers, mais ces derniers ont réagi en tirant des gaz lacrymogènes dans leur direction.

Le requérant et son frère décident de faire demi-tour et tentent de rejoindre la rive serbe à la nage. En ce moment, le frère du requérant disparait dans l’eau. Des officiers hongrois ont mis à l’eau un bateau de sauvetage pour le rechercher, mais en vain, et son corps ne sera retrouvé que deux jours plus tard. La famille, quant à elle, n’a pas pu rejoindre le rivage en Hongrie à cause des barbelés ; cette famille a attendu environ une demi-heure le départ de la police et a ensuite repris la nage dans la rivière, où le bateau de sauvetage les a finalement trouvés en état d’hypothermie et les a emmenés à l’hôpital.

À la suite de cet événement, le 2 juin 2016, le service de contrôle des frontières de Szeged, en Hongrie, a préparé un rapport pour la direction de la police du comté de Csongrád indiquant que, sur la base des preuves et des informations disponibles et en raison des contradictions entre les déclarations des policiers et des demandeurs d’asile, il ne pouvait pas établir si les policiers avaient violé les droits des migrants. Le rapport suggère l’ouverture d’une enquête pour « mauvaise conduite dans l’exercice de leurs fonctions ». Les autorités hongroises ont enquêté sur l’incident, mais le bureau du procureur a clos l’enquête puisqu’il n’était pas possible d’établir au-delà de tout doute raisonnable que des crimes avaient été commis.

Selon le gouvernement hongrois, la mort de F. n’est pas imputable aux autorités hongroises, mais elle a été, en l’espèce provoquée par la peur. À l’inverse, le requérant, soutient l’existence d’un lien de causalité entre le comportement des officiers et la mort de son frère. Celle-ci serait donc imputable à l’État puisque les autorités hongroises auraient utilisé de la violence à son encontre, lors de l’opération de refoulement. Ainsi, F. aurait été contraint de se rediriger vers la Serbie à la nage et la noyade aurait donc été une conséquence directe du comportement des autorités hongroises.

À la suite de ces événements, le frère de la victime a poursuivi la Hongrie devant la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après, la Cour) pour n’avoir pas protégé le droit à la vie de son frère, pour les traitements inhumains subis par lui et son frère et pour n’avoir pas mené une enquête effective en violation des articles 2 et 3 de la Convention (§ 146).

2. Décision de la Cour

Après avoir établi la recevabilité du recours, la Cour a analysé son bien-fondé et a conclu à une violation du droit à la vie (article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, ci-après CEDH), dans ses deux volets, procédural et matériel, estimant que les autorités hongroises n’avaient pas fait tout ce qui était en leur pouvoir pour mettre en place un système de sauvetage adéquat tout au long de la partie du fleuve notoirement dangereuse. La Cour a également estimé que l’autorité chargée de l’enquête n’avait pas fait son travail correctement puisqu’elle n’avait pas enquêté sur les circonstances de l’affaire relatives au décès et à l’agression policière. Toutefois, en ce qui concerne l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants (article 3 CEDH), la Cour a déclaré qu’elle ne pouvait pas établir au-delà de tout doute raisonnable une violation substantielle de l’article 3 CEDH en raison, notamment, du caractère superficiel de l’enquête menée par les autorités hongroises (ce qui a conduit à la reconnaissance d’une violation de l’article 3 dans son volet procédural).

– Sur la recevabilité du recours

Tout d’abord, la Cour ne prend pas en compte l’objection du gouvernement hongrois selon laquelle les plaintes du requérant auraient dû être rejetées pour absence d’épuisement des voies de recours internes. Et plus précisément pour ne pas avoir intenté une action civile en dommages et intérêts contre l’État.

Selon le gouvernement, l’exercice d’un recours pénal contre les auteurs présumés ne dispensait pas le requérant d’intenter une action civile pour la violation alléguée de ses droits, au titre de la CEDH, contre les autorités chargées de l’enquête.

Selon le requérant, l’objet de l’action civile en dommages et intérêts concernait les omissions alléguées des autorités d’enquête. Le cœur de la plainte du requérant était l’allégation de mauvais traitements infligés par des agents de la police hongroise. Par conséquent, il a estimé que les poursuites pénales étaient la seule voie de droit susceptible d’apporter une réparation effective à ses griefs.

Par ailleurs, les recours civils en dommages et intérêts pour des actes illicites imputables à l’État n’auraient pas pu être considérés comme suffisants à la lumière des obligations de l’État partie au titre de la CEDH (voy. Barta c. Hongrie, § 46). En l’espèce, les recours de droit civil contre les actes illicites imputables à l’État ou à ses agents ne pouvaient conduire qu’à l’octroi de dommage et intérêts (§ 62). À cet égard, la différence entre les deux types de recours juridiques doit être prise en compte. Ils n’ont pas le même objectif, puisqu’une plainte pénale vise à établir la responsabilité pénale des auteurs, alors qu’une action civile vise à établir la responsabilité d’une autorité prétendument négligente.

En outre, la Cour a également observé que le gouvernement hongrois n’a pas pleinement expliqué en quoi la procédure civile aurait été la plus pertinente et la plus appropriée pour enquêter sur les circonstances du décès du frère du requérant (§ 71). Les recours de droit civil contre des actes illicites imputables à l’État ou à ses agents n’auraient pu aboutir qu’à l’octroi de dommages-intérêts, ce qui ne saurait être considéré comme suffisant au regard des obligations de l’État contractant au titre des articles 2 et 3 de la Convention.

– Sur le respect du droit à la vie (volet procédural)

La Cour a constaté que l’enquête menée par les autorités hongroises n’a pas pris en compte d’autres éléments de l’opération et n’a pas permis d’apprécier la responsabilité de l’État dans la protection du droit à la vie, en violation de l’article 2 CEDH. Plus précisément, le premier point à examiner, selon la Cour, est de savoir si l’enquête pénale ouverte en l’espèce, à savoir la poursuite de policiers inconnus pour des allégations de mauvais traitements au cours d’une procédure judiciaire, était en soi suffisante pour s’acquitter de cette obligation.

La Cour observe à cet égard qu’en décidant d’ouvrir une enquête sur les allégations de mauvais traitements infligés par des policiers, le champ matériel de l’enquête pénale est resté limité à certains types de comportements (par exemple, le lancement de gaz lacrymogènes). Elle estime que les autorités auraient dû enquêter de manière approfondie sur le manquement allégué par le requérant relatif à l’absence de diligence des autorités dans la protection, qui leur incombe, de protéger la vie de la victime (§ 82). Selon les juges de Strasbourg, les autres éléments caractérisant l’opération de police ont été complètement ignorés et aucune évaluation de la responsabilité institutionnelle pour l’absence de protection du droit à la vie n’a été faite. La Cour s’est référée à sa jurisprudence antérieure, rappelant que parfois des vies humaines sont perdues en raison de défaillances du système global plutôt que d’erreurs individuelles entraînant une responsabilité pénale ou disciplinaire. La Cour note que l’absence de toute responsabilité directe de l’État dans le décès d’un individu ou dans la mise en danger de sa vie n’exclut pas en soi l’applicabilité de l’article 2 CEDH (voy Cavit Tınarlıoğlu c. Turquie, § 61). En effet, celui-ci serait applicable même dans des circonstances où le requérant est victime d’un comportement d’agents de l’État qui, par sa nature même, est potentiellement mortel ou met en danger la vie du requérant.

– Obligation positive de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger le droit à la vie (volet substantiel)

Sur le point relatif à la responsabilité alléguée du gouvernement, la Cour a précisé que les faits dans le cas d’espèce n’excluent pas nécessairement la responsabilité du gouvernement pour le décès du frère du requérant, l’État ayant l’obligation positive de protéger le droit à la vie (sur ce sujet, voy. Stoyanova et Rigotti).

La Cour a donc saisi l’occasion de rappeler le champ d’application de l’article 2 CEDH en déclarant que celui-ci, dans la première phrase de son premier paragraphe, établit une obligation positive pour les États de prendre les mesures appropriées pour sauvegarder la vie des personnes relevant de leur juridiction (§ 108).

Outre l’obligation dite « négative » de ne pas porter atteinte à la vie d’une personne, l’article 2 CEDH impose en effet aux États une obligation dite « positive » de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la vie des personnes relevant de leur juridiction (à ce sujet, voy. Lavrysen). Cette obligation positive est toutefois une obligation dite « de moyens » et non « de résultats ». Par conséquent, elle doit être considérée comme une obligation pour les autorités de prendre, dans les circonstances appropriées, toutes les mesures opérationnelles préventives nécessaires et suffisantes pour protéger une personne dont la vie est en danger. En particulier, dans des circonstances où elles ont elles-mêmes établi et autorisé l’activité à l’origine du risque en question (voy. Paşa et Erkan Erol c. Turquie, § 31). Les autorités ont donc le devoir de veiller dûment à ce que la vie de la personne placée sous leur contrôle et leur protection ne soit pas mise en danger.

La Cour a également rappelé que les opérations de police doivent être suffisamment réglementées par le droit national, dans le cadre d’un système de garanties adéquates et effectives contre l’arbitraire et l’abus de la force, ainsi que contre les incidents évitables (voy. Andreou c. Turquie, § 50).

Les obligations positives de l’État en matière de protection de la vie s’étendent donc également à la planification et au contrôle de l’opération frontalière afin de veiller à ce que tout risque pour la vie soit réduit au minimum (§ 132). Cela implique que chaque État a l’obligation de prendre des mesures opérationnelles préventives pour éviter un risque réel et immédiat pour la vie dont les autorités étaient ou auraient dû être conscientes. Toutefois, cela doit être concilié avec l’hypothèse selon laquelle on peut attendre des agents de l’État qu’ils portent secours à toute personne en situation de danger, d’autant plus que, comme cela a déjà été souligné, l’obligation de prendre de telles mesures est une obligation de moyens et non de résultat (voy Safi et autres c. Grèce, § 157, et Kurt c. Autriche, § 159).

En ce sens, la Cour reconnaît le contexte d’urgence bien connu dans lequel se trouvait la Hongrie à l’époque des faits et le fait que les mouvements irréguliers de migrants à la frontière représentent un défi important pour les autorités hongroises qui tentent d’empêcher les migrants irréguliers de contourner les contrôles aux frontières. Toutefois, elle rappelle que c’est précisément en raison de cette situation d’urgence que des mesures appropriées étaient nécessaires pour faire face à cette situation (§ 136). Cela signifie donc que les autorités disposaient de connaissances suffisantes pour évaluer les dangers de la traversée de la rivière. En effet, les autorités ne peuvent ignorer que des groupes de migrants s’approchent de la frontière hongroise par bateau et il aurait certainement été possible d’organiser une opération de recherche et de sauvetage. Les circonstances de la présente affaire n’étaient donc pas exceptionnelles, mais représentaient plutôt une opération de contrôle frontalier plus ou moins « ordinaire » qui nécessitait une certaine prudence et une attention particulière dans l’organisation des opérations.

De plus, la Cour a souligné qu’il n’existe aucun élément, ni dans les observations des parties devant la Cour ni dans le dossier d’enquête interne, indiquant que les autorités ont tout mis en œuvre pour éviter un risque réel et immédiat pour la vie des migrants, dont elles savaient qu’il pouvait survenir.

– Absence d’enquête et absence d’établissement de l’usage de la force au-delà de tout doute raisonnable

En ce qui concerne les éléments de preuve, la Cour estime que la manière dont elles ont été acquises et celle dont les autorités nationales ont mené l’enquête ont entraîné un manquement aux obligations procédurales de l’État, également en vertu de l’article 3 de la Convention (§§ 84 et 92).

Lorsqu’elles ont mis fin à l’enquête, les autorités nationales ont conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants pour considérer que la police avait fait usage de la force. La Cour a constaté que à cet égard une certaine incohérence dans l’appréciation des preuves par les autorités judiciaires nationales, qui semblent avoir accepté les déclarations des policiers sans fournir d’explication suffisamment convaincante quant à leurs divergences avec les témoignages des migrants, et alors même que ces déclarations pouvaient également être subjectives et potentiellement destinées à échapper à la responsabilité pénale.

Ainsi, selon la Cour, il n’apparaît pas que les autorités de poursuite ont fait des efforts raisonnables pour recueillir des preuves et établir les faits. En outre, ces lacunes ont limité la portée de l’enquête pour établir la véracité des allégations du requérant, ce qui a porté atteinte à la fiabilité et à l’efficacité de l’enquête (§ 94). 

– Les obligations de l’État au titre de l’article 3 CEDH

Lorsqu’un individu est privé de sa liberté ou, plus généralement, est confronté à des agents de la force publique, tout recours à la force physique qui n’a pas été rendu strictement nécessaire par le comportement de l’intéressé porte atteinte à la dignité humaine. Ceci constitue en principe une violation du droit énoncé à l’article 3 CEDH (voy. mutatis mutandis, Bouyid c. Belgium, § 100). Cependant, il n’en reste pas moins que, à lumière des circonstances susmentionnées, la Cour n’a pas considéré que les éléments du dossier lui permettent d’établir au-delà de tout doute raisonnable, l’usage excessif par la police de la force, c’est-à-dire que la police a utilisé des gaz lacrymogènes ou des chiens policiers contre le frère du requérant, ou a jeté des pierres sur lui. Par ailleurs, la Cour a observé que son impossibilité de parvenir à une conclusion à cet égard découle, en grande partie, des lacunes de l’enquête menée par les autorités hongroises compétentes (§ 92). En effet, faute d’éléments suffisamment probants dans le dossier, la Cour n’a pas pu se prononcer sur la question de savoir si la victime a été soumise à l’usage de la force par les policiers, comme le suggère le requérant.

Le recours fondé sur l’article 3 CEDH, dans son volet matériel doit donc être rejeté. Cependant, les juges de Strasbourg n’ont pas accepté l’argument du gouvernement selon lequel toute négligence ou tout manque de prévoyance devrait être attribué aux victimes de l’incident.

B. Éclairage

La Cour rappelle que c’est précisément dans les contextes d’urgence et de forte pression migratoire que les États devraient prendre des mesures appropriées pour faire face à cette situation dans le plein respect des droits de l’homme. Les faits de cette affaire démontrent plutôt le contraire, c’est-à-dire la tendance récurrente des États membres à adopter des procédures « informelles », aujourd’hui pratique courante, pour empêcher les migrants d’entrer sur leur territoire (1). De plus, cette décision s’inscrit également dans un cadre plus large d’arrêts contre la Hongrie et confirme le comportement récurrent des autorités hongroises et une violation systémique des droits fondamentaux des migrants (2).

1. Dé-formaliser les procédures aux frontières : une habitude récurrente des États membres ?

La Cour sanctionne les autorités hongroises pour leur incapacité à contrôler la zone frontalière et les tient pour responsables de la mort du jeune Syrien qui s’est noyé dans la rivière Tisza. Dans le cadre plus large du voyage lors duquel les migrants risquent leur vie, et qui dans le jargon journalistique s’appelle « the game », la frontière serbo-hongroise représente encore un obstacle potentiellement meurtrier. Le fait qu’il existe une situation générale de violence aux frontières de l’UE perpétrée par les autorités hongroises a été étayé par plusieurs rapports internationaux, rédigés à la fois par des O.N.G. et des organismes supranationaux, ce qui suggère que ce cas de brutalité policière n’est en aucun cas unique.

Il est bien connu, et la Cour elle-même l’a rappelé, qu’il s’agit d’une zone frontalière soumise à une forte pression migratoire où, cependant, des pratiques qui ne sont pas conformes aux normes partagées en matière de droits de l’homme adoptées par les autorités hongroises ont été dénoncées à maintes reprises. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants et le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe ont fait état de graves préoccupations concernant la situation des droits de l’homme des migrants dans le contexte des procédures frontalières. 

Plus récemment, le Commissaire aux droits de l’homme a adressé une communication au Comité des ministres dans le cadre de la supervision de la mise en œuvre de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 21 novembre 2019 dans l’affaire Ilias et Ahmed c. Hongrie, dans laquelle elle a constaté que l’accès à l’asile et à toute forme de protection internationale en Hongrie est devenu quasiment impossible en raison des multiples mesures prises par le gouvernement depuis 2015. De plus, le nombre de renvois forcés vers la Serbie a considérablement augmenté, avec plus de 75 000 cas signalés pour la seule année 2022. Dans ce contexte et dans le cadre de ces renvois, des allégations de mauvais traitements et d’usage disproportionné de la force par la police des frontières persistent.

En outre, la Hongrie a adopté depuis 2016 une loi qui légalise de facto les refoulements et implique que les demandeurs d’asile potentiels soient emmenés dans une zone frontalière et détenus pendant une période pouvant aller jusqu’à trente jours, au cours de laquelle ils peuvent déposer une demande d’asile formelle ou retourner en Serbie. Les autorités hongroises devraient s’abstenir de renvoyer arbitrairement des réfugiés, des demandeurs d’asile et des migrants en Serbie et garantir l’accès à une procédure d’asile équitable et efficace en Hongrie, conformément à la Convention relative au statut des réfugiés.

2. Violation systématique des droits fondamentaux des migrants : un vice hongrois ?

Cet arrêt témoigne également de l’attitude inquiétante de la Hongrie à l’égard des migrants et des demandeurs d’asile. Celle-ci est également condamnée par la Cour, également dans d’autres affaires où la Cour a conclu à la violation de l’article 3 de la Convention en raison des conditions auxquelles les requérants ont été soumis pendant leur séjour dans la zone de transit de Röszke (voy. mutatis mutandis M.B.K. et autres c. Hongrie, § 6, et H.M. et autres c. Hongrie, § 24). Cet arrêt s’inscrit donc dans le cadre plus large des critiques adressées à l’État hongrois pour avoir restreint l’accès à la procédure de protection internationale et pour avoir institué un système de détention forcé des demandeurs ressortissants de pays tiers, et ainsi violé les garanties substantielles et procédurales prévues par la directive procédure et la CEDH.

Face à ce tableau décourageant d’un droit interne qui ne semble pas prêt à être modifié, cet arrêt envoie un message fort et clair sur la nécessité non seulement de se conformer aux normes susmentionnées mais aussi de souligner l’urgence pour les États de mettre en place toutes les mesures nécessaires pour assurer le respect de ces normes et le respect de la vie humaine. Les problèmes que les États peuvent rencontrer dans la gestion des flux migratoires ou dans l’accueil des demandeurs d’asile ne sont pas ignorés, mais la Cour tient à rappeler que même ces situations ne peuvent justifier le recours à des pratiques non compatibles avec la Convention ou ses protocoles.

Il ressort de cet arrêt que l’analyse de la Cour ne porte pas sur l’organisation de la gestion des frontières dans son ensemble. Elle se limite à examiner si, en l’espèce, dans l’organisation et la planification de l’opération de contrôle frontalier en question, il y a eu des déficiences imputables à l’État et ayant entraîné la mort de la victime. Elle soulève donc des questions importantes sur la responsabilité du pays lors des opérations de sauvetage de migrants en danger dans une zone « notoirement » risquée comme celle où les événements se sont déroulés. De plus, elle est le résultat de procédures « déformalisées », dans une zone frontalière où il existe un vide juridique dans lequel les autorités nationales sont libres d’agir en l’absence d’une règle nationale claire.

C. Conclusion

Par conséquent, cette affaire invite à réfléchir non seulement au fossé profond qui existe entre les normes du droit européen et international et les pratiques de refoulement sommaire mises en œuvre par les États dans les zones frontalières, mais elle met également en lumière la manière dont les opérations de police devraient être correctement réglementées par le droit national afin de fournir des garanties adéquates contre l’arbitraire et l’abus de la force.

D. Pour aller plus loin

Lire l’arrêt : Cour. eur. D.H., 2 février 2023, Alhowais c. Hongrie, req. no 59435/17.

Jurisprudence :

Doctrine :  

Ouvrages et articles :

Rapports :

Autres :

  • Médecins Sans Frontières, Communiqué de presse « Alarming violence occurring at Hungary-Serbia border », 4 août 2022.

 

Pour citer cette note : S. Rizzuto Ferruzza, « Brutalités policières et lacunes dans les enquêtes sur la rivière Tisza : la Hongrie condamnée pour avoir adopté une politique de protection des frontières inhumaine », Cahiers de l’EDEM, mars 2023.

 

[1]Doctorante à l’Université du Luxembourg, Faculté de droit, et à l’Université de Bologne, Faculté de droit (cotutelle de thèse)

Publié le 31 mars 2023