C.C.T., 30 janvier 2023, A.Y. c. Suisse, comm. n° 887/2018

Louvain-La-Neuve

Le C.C.T. juge contraire au principe de non-refoulement le renvoi vers l’Érythrée d’une demandeuse d’asile déboutée.

Non-refoulement – Art. 3 Convention contre la torture – Art. 3 CEDH – Risque en cas de retour – Individualité du risque – C.O.I. – Objectivité du risque – Charge de la preuve.

Dans cette affaire, le Comité contre la torture des Nations unies juge que le renvoi d’une ressortissante érythréenne, déboutée de l’asile en Suisse, vers son pays d’origine, engendrerait une violation de l’article 3 de la Convention contre la torture qui consacre le principe de non-refoulement. Le Comité se penche sur l’examen de crédibilité mené par les autorités suisses ainsi que sur l’utilisation qu’elles font des informations sur le pays d’origine.

Alice Sinon

A. Arrêt

L’affaire concerne un recours introduit contre la Suisse devant le Comité contre la torture des Nations unies (ci-après, « C.C.T. ») au titre de la violation de l’article 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture de 1984 (ci-après, « la Convention »). Cet article consacre le principe de non-refoulement qui interdit aux états de renvoyer une personne vers un pays « où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture ».

1. Les faits

La requérante est une ressortissante érythréenne. Le 7 août 2014, elle introduit une demande de protection internationale auprès des autorités suisses. Le 22 août, elle est entendue une première fois sur son récit d’asile, dans le cadre d’une audition courte et sommaire. L’audition sur le fond, au cours de laquelle la requérante raconte dans le détail les motifs de sa fuite, se tient un an plus tard, le 12 août 2015 (point 2.4 de la décision).

Le 30 octobre 2015, le Secrétariat d’État aux migrations (ci-après, « S.E.M. »), l’autorité suisse chargée de l’exécution des procédures d’asile, rejette sa demande de protection internationale.

Le S.E.M. considère que le récit d’asile n’est pas crédible. Il relève des contradictions entre les déclarations faites par la requérante lors de la première interview et celles déposées dans le cadre du deuxième entretien, notamment concernant les événements l’ayant amenée à quitter l’Érythrée. Il reproche notamment à la requérante de n’avoir invoqué certains faits qu’au stade du deuxième entretien. Au terme de son analyse, le S.E.M. considère que les allégations de la requérante sont fabriquées et conclut à une absence de crédibilité.

Par ailleurs, le S.E.M. n’identifie pas d’indications qui laisseraient penser que la requérante serait exposée à un risque de traitement contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après, « CEDH »).

Le 3 décembre 2015, la requérante introduit un recours contre la décision du S.E.M. auprès du Tribunal administratif fédéral.

À l’appui de ce recours, elle dépose un compte-rendu détaillé de son voyage, clarifie les déclarations qu’elle a faites concernant son arrestation et souligne le caractère cohérent de son récit. Elle fournit des explications quant aux contradictions qui lui sont reprochées.

Le 10 décembre 2015, le Tribunal rejette la demande de mesure provisoire visant à suspendre l’expulsion (points 2.6 et 2.7). Il rend sa décision définitive le 14 janvier 2016 et rejette l’appel au motif que les déclarations de la requérante concernant sa vie en Érythrée, les raisons de sa fuite et les circonstances de son départ sont partiellement contradictoires et donc peu crédibles (point 2.8). Sur cette base, le Tribunal conclut à l’absence de risque de torture ou de traitements inhumains et dégradants (art. 3 CEDH et art. 3 C.C.T.) en cas de renvoi vers l’Érythrée.

La requérante porte alors l’affaire devant le C.C.T. et allègue la violation du principe de non-refoulement.

En effet, elle invoque un risque réel de subir une détention arbitraire ainsi que de la torture et des mauvais traitements en cas de retour dans son pays d’origine. Ce, en raison de son départ non autorisé d’Érythrée, de sa majorité et, par là, son éligibilité au service national obligatoire ainsi que le fait d’avoir déjà été arrêtée et signalée par les autorités nationales.

À l’appui de sa requête, elle souligne tout d’abord que le caractère sommaire de la première interview et l’instruction qui lui a été donnée d’être brève n’ont pas été suffisamment pris en compte par les instances d’asile suisses, alors même que ces instances fondent leur décision de refus sur les contradictions qu’elles relèvent entre les deux entretiens. La requérante se réfère notamment à l’arrêt M.A. c. Suisse de la Cour européenne des droits de l’homme dans laquelle la juridiction juge que la différence de nature entre les deux entretiens ne peut pas être négligée dans l’évaluation de la crédibilité (point 2.9).

Ensuite, elle invoque que les contradictions alléguées résultent d’une mauvaise compréhension liée à la traduction de ses propos. Elle souligne que ses déclarations sont cohérentes (point 2.10).

Par ailleurs, elle argue que le raisonnement du Tribunal administratif fédéral est bref et superficiel et n’accorde pas la considération requise au contenu de ses déclarations (point 2.11).

Finalement, elle invoque que son renvoi vers l’Érythrée l’exposerait à un risque réel de torture, notamment au moment critique de son arrivée sur le territoire, à l’aéroport (points 2.12 et 3). Elle se fonde pour cela sur le constat de violations systématiques, graves et flagrantes des droits humains ainsi que sur les travaux de la Commission d’enquête des Nations unies sur les droits de l’homme en Érythrée (ci-après, la Commission d’enquête).

2. La décision du C.C.T.

En préambule, le C.C.T. énonce les contours de l’examen qu’il doit mener au titre de l’article 3 de la Convention contre la torture (point 8.3).

Dans un premier temps, le Comité se penche sur la manière dont les autorités suisses ont examiné la crédibilité du récit de la requérante.

À cet égard, il note que l’État partie s’est appuyé dans ses observations sur les conclusions antérieures des autorités nationales selon lesquelles la requérante, lors de son premier entretien en août 2014, avait déclaré qu’elle craignait d’être enrôlée de force pour effectuer son service national, mais qu’à la question de savoir si elle avait eu des problèmes avec les autorités de son pays, elle avait répondu par la négative. Il en a été déduit que, lorsqu’elle a mentionné plus tard avoir fait l’objet d’une rafle en vue de cet enrôlement et détenue, cet ajout était une fabrication ultérieure destinée à renforcer sa demande et que, partant, la requérante n’était pas crédible (point 8.8).

Ensuite, le Comité revient sur les modalités du premier entretien.

Le C.C.T. souligne sa brièveté et les instructions expresses qui ont été données à la requérante de fournir les motifs de sa demande d’asile de manière sommaire en ne mentionnant que les éléments les plus importants (point 8.9). Il estime que les questions posées et le temps accordé pour y répondre étaient insuffisants pour que les réponses puissent être considérées comme motifs d’asile définitifs. Ainsi, le C.C.T. nuance le constat d’incohérence posé par les instances d’asile suisses. En outre, il note que la requérante a répondu de manière détaillée et cohérente aux contradictions perçues par le S.E.M.

Il constate que les instances d’asile ont cependant rejeté l’entièreté des motifs avancés par la requérante pour justifier sa demande de protection internationale, se fondant pour cela sur le contenu de la première audition.

Pour conclure, Le C.C.T. souligne que l’État suisse a explicitement limité le premier entretien à un résumé rudimentaire des revendications de la requérante. En conséquence, l’État ne peut pas ensuite, de bonne foi, interpréter ses réponses d’une manière trop restrictive et s’en servir comme base pour exclure des informations plus détaillées dont on lui avait assuré qu’elle pourrait les fournir plus tard (point 8.9). De plus, il constate que l’État suisse n’a pas octroyé le bénéfice du doute à la requérante et a donc échoué à examiner sa demande de manière exhaustive et adéquate.

Dans un second temps, le C.C.T. s’intéresse aux informations sur le pays d’origine (ci-après, « C.O.I. ») et à l’utilisation qui en est faite dans l’affaire. Il remet en cause l’examen mené par les autorités à cet égard et pose plusieurs jalons utiles à la mise en balance des différentes sources. Par conséquent, le C.C.T. indique qu’en rejetant ces informations et en ne procédant pas à un examen complet des griefs formulés par la requérante à la suite de l’examen négatif de crédibilité, l’État partie ne s’est pas acquitté de sa propre part de la charge de la preuve. Charge qui implique d’utiliser des informations générales impartiales et objectives sur le pays, provenant d’un large éventail de sources, afin de s’assurer que, indépendamment de ses conclusions sur la crédibilité, il a examiné la situation individuelle et le risque encouru par la requérante sur la base de faits incontestés (point 8.12). L’État suisse doit évaluer le risque encouru à la lumière des C.O.I. et en tenant compte du fait que la requérante est une femme, demandeuse de protection internationale déboutée et en âge d’être mobilisée pour le service national. Or, en raison de la crédibilité jugée défaillante de son récit et sans fournir plus ample justification, les instances d’asile suisses ont rejeté la demande d’asile et conclu à l’absence de risque en cas de retour.

Par conséquent, le C.C.T. constate, dans le chef de la requérante l’existence d’un risque prévisible, réel, actuel et individuel d’être soumise à de la torture en cas de retour en Érythrée. Son renvoi entraînerait dès lors violation de l’article 3 de la Convention qui consacre le principe de non-refoulement (point 8.13).

B. Éclairage

Dans cet éclairage, nous reviendrons sur l’examen réalisé au titre du principe de non-refoulement, tel qu’il est défini par le C.C.T. dans la décision commentée. Ensuite, nous nous intéresserons à la manière dont le C.C.T. appréhende l’examen de crédibilité et nous interrogerons sur les enseignements qui peuvent en être tirés dans le contexte belge. Dans un troisième temps, nous nous arrêterons sur la manière dont le Comité onusien appréhende les C.O.I., ou informations sur le pays d’origine. Enfin, nous verrons que cette décision confirme la lecture objective que le C.C.T. fait du risque d’être soumis à la torture en cas de renvoi.

1. Contours de l’examen réalisé au titre de l’article 3 de la Convention contre la torture

Le C.C.T. entame l’examen du fond de l’affaire par l’énoncé des contours de l’examen réalisé au titre de l’article 3 de la Convention. Cet examen consiste à évaluer s’il existe des motifs sérieux de croire que la requérante risque personnellement d’être soumise à la torture à son retour en Érythrée. Le C.C.T. rappelle que si cette évaluation implique nécessairement la prise en compte de la situation générale en Érythrée, elle implique aussi d’établir que la personne concernée encourt, personnellement, un risque réel et prévisible d’être soumise à la torture. Le contexte général de violations des droits humains ne suffit donc pas, des éléments individuels doivent exister. Le Comité énonce clairement les conditions cumulatives dans lesquelles le risque au titre de l’article est avéré : le risque doit être prévisible, réel, actuel et individuel. Les motifs substantiels étayant la prévisibilité, la réalité, l’individualité et l’actualité du risque de torture sont démontrés lorsque des faits crédibles, relatifs au risque en lui-même, existent au moment de la décision et qu’en cas d’expulsion, ces faits affecteraient les droits de la requérante consacrés par la Convention (point 8.4). Le C.C.T. ajoute que la charge de la preuve repose sur la requérante « who must present an arguable case » (point 8.5). Celle-ci est satisfaite quand la personne démontre les éléments indiquant un risque de violation du principe de non-refoulement relevés ci-avant. Cela étant, le fait qu’un individu ou sa famille ait été exposé à des mauvais traitements ou risque de l’être en cas de retour constitue une indication du risque de torture encouru par la personne en cas de renvoi (point 8.5). Il s’agit selon le Comité d’un « basic element justifying the application of the principle of non-refoulement ». Le C.C.T. souligne que son Observation no 4 fournit une liste non exhaustive de situations indicatives d’un risque de torture. Ces situations doivent être prises en considération par les États pour évaluer le respect du principe de non-refoulement des décisions d’éloignement qu’ils adoptent.

2. Examen de crédibilité

Tout d’abord, notons que le C.C.T. semble se plonger véritablement dans l’analyse des faits ainsi que des déclarations de la requérante et condamne la manière dont les autorités suisses concluent à la non-crédibilité du récit de la requérante. Cette conclusion repose principalement sur les divergences qui existent entre la première et la deuxième audition. Or, le C.C.T. considère qu’un tel raisonnement n’est pas correct vu les modalités du premier entretien. Il souligne entre autres que les déclarations livrées dans ce cadre ont été interprétées « in an overly restrictive manner » (point 8.9).

Ensuite, il serait certainement intéressant de transposer ces enseignements au contexte belge de l’asile. En effet, en Belgique – comme en Suisse – la procédure d’asile se caractérise par la tenue d’un premier entretien, sommaire, à l’Office des étrangers. Au cours de celui-ci, un questionnaire visant à préparer le deuxième entretien est complété (article 51/10 de la loi du 15 décembre 1980). Il se déroule en la présence du ou de la demandeur·se de protection internationale, d’un·e agent·e de l’Office des étrangers et d’un·e interprète, si le ou la demandeur·se ne s’exprime pas en français ou en néerlandais. L’avocat·e n’est pas autorisé·e à y participer. Cet entretien est bref. Des termes du Commissariat général aux Réfugiés et aux Apatrides (ci-après, « C.G.R.A. »), il a pour objectif de « sonder les raisons pour lesquelles le demandeur de protection internationale a fui son pays d’origine » (nous soulignons). Comme stipulé par l’article 57/5ter de la loi du 15 décembre 1980, vient ensuite l’entretien personnel au C.G.R.A. Ce deuxième entretien a vocation à être beaucoup plus long et détaillé, il arrive qu’il requière parfois plusieurs auditions. Le C.G.R.A. indique que, « au cours de l’entretien personnel, le demandeur peut expliquer pourquoi il a quitté son pays d’origine ». Dans une perspective de comparaison, et dans l’idée d’appliquer les enseignements de la décision commentée au contexte belge, relevons deux choses. D’une part, les modalités du premier entretien en Suisse et en Belgique semblent similaires : ils sont tous deux sommaires, courts et ont vocation à poser les grandes lignes de la demande de protection internationale. D’autre part, on connaît l’importance, dans le cadre de l’examen de la crédibilité mené par le C.G.R.A. pour évaluer le besoin de protection internationale, des déclarations livrées au stade de l’entretien à l’Office des étrangers. En effet, la pratique révèle qu’il n’est pas rare que le C.G.R.A. se fonde sur l’existence de contradictions entre les deux interviews pour juger le récit d’asile non crédible[1].

Finalement, il apparaît que l’approche du C.C.T. diffère de la Cour européenne des droits de l’homme en ce qui concerne l’examen de crédibilité. En effet, nous avons pu souligner en quoi, dans la décision commentée, le Comité se plonge dans une véritable analyse in concreto de la crédibilité des déclarations de la requérante. Là où la Cour, en raison du principe de subsidiarité, ne revient pas sur l’appréciation des faits, comme le relève la jurisprudence. Ainsi, dans une récente affaire Khasanov et Rakhmanov c. Russie, la Cour indique (points 104 et 105) :

« De plus, lorsque des procédures internes ont été menées, la Cour n’a pas à substituer sa propre appréciation des faits à celle des juridictions nationales, auxquelles il appartient en principe d’établir les faits sur la base des éléments du dossier (voir, parmi d’autres, Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no 23458/02, §§ 179-180, CEDH 2011, Nizomkhon Dzhurayev c. Russie, no 31890/11, § 113, 3 octobre 2013, et Savriddin Dzhurayev, c. Russie, no 71386/10, § 155, 25 avril 2013). Ce principe ne signifie toutefois pas qu’elle doive abandonner sa responsabilité et renoncer à tout contrôle sur l’issue de l’usage de la voie de recours interne, ce qui aurait pour effet de vider de toute substance les droits garantis par la Convention. La Cour a pour tâche, aux termes de l’article 19 de la Convention, d’assurer le respect par les États contractants des engagements résultant pour eux de la Convention (Nizomkhon Dzhurayev, précité, § 113).

En règle générale, les autorités nationales sont les mieux placées pour apprécier non seulement les faits mais, plus particulièrement, la crédibilité de témoins, car ce sont elles qui ont eu la possibilité de voir, examiner et évaluer le comportement de la personne concernée. Toutefois, leur appréciation est elle aussi soumise au contrôle de la Cour (voir, par exemple, R.C. c. Suède, no 41827/07, § 52, 9 mars 2010). »

Certes, dans l’affaire qui nous occupe, le C.C.T. indique qu’il accorde un poids considérable aux constatations des instances de l’État partie concerné (point 8.5). Cela étant, il précise qu’il n’est cependant pas lié par ces constatations et, comme exposé ci-haut, il s’écarte de facto de l’appréciation des faits réalisée par les instances d’asile suisses, singulièrement en ce qui concerne l’examen de crédibilité.

3. Examen des informations sur le pays d’origine

La décision fournit des repères intéressants quant à la manière dont le C.C.T. appréhende les C.O.I.

Tout d’abord, le Comité considère que les sources qui étayent un certain discours, ici celui de l’Érythrée, doivent se voir accorder moins de poids. Le C.C.T. vise spécifiquement les sources émanant d’agents étatiques ou de personnes, qui étant en Érythrée, risquent des représailles selon la teneur de leurs propos.

Si l’État suisse considère que les travaux de la Commission d’enquête sont moins fiables en l’absence d’une mission d’établissement des faits par cet organe, le C.C.T. souligne qu’une telle interprétation aurait un effet dissuasif sur les États qui s’acquittent de leurs obligations en matière de droits humains et réduirait la transparence et la responsabilisation (point 8.10).

Dans le même sens, le Comité souligne que les informations émanant de la société civile et des citoyens en exil sont a priori plus fiables dès lors que non soumises à la censure. Ensuite, il constate que les C.O.I. récentes, singulièrement le rapport du CEDAW sur la situation des femmes en Érythrée, pointent dans la même direction que celles invoquées par la requérante (point 8.11).

Par ailleurs, l’existence d’un large éventail de sources documentant la situation en Érythrée est également un élément que le C.C.T. prend en compte dans son examen des informations sur le pays d’origine (point 8.12).

Enfin, le C.C.T. conclut que la Suisse a erronément considéré les C.O.I. avancées par la requérante comme partiales et les a écartées. Cela, notamment, car ces informations sont corroborées par plusieurs rapports émanant des Nations unies (point 8.12).

4. Conclusion : confirmation de l’approche « objective » du C.C.T.

Finalement, le C.C.T. confirme par cette décision son approche « objective » du risque. C’était déjà le cas dans sa décision F.B. c. Pays-Bas du 15 décembre 2015, commentée dans ces Cahiers par Sylvie Sarolea qui indiquait :

« Le Comité adopte une lecture objective des faits. Il estime que le fait que les autorités hollandaises ont considéré que les allégations de la requérante n’étaient pas crédibles ne suffisait pas pour exclure le risque qu’elle soit soumise à une nouvelle mutilation génitale en cas de renvoi en Guinée. Il se fonde sur le taux de prévalence des mutilations génitales en Guinée sur la chirurgie reconstructrice dont elle a bénéficié aux Pays-Bas, sur l’absence de protection effective par les autorités nationales et fait écho à l’argument de la requérante quant au caractère patriarcal de la société guinéenne qui ne permet pas qu’elle échappe au giron familial en cas de renvoi vers la Guinée. […] D’autre part, le Comité estime que les questions de crédibilité ne peuvent éluder un examen objectif du risque, alors que la Cour européenne des droits de l’homme estime que les lacunes en termes de crédibilité affectent l’existence d’un risque de ré-excision. »

Si, dans le cas d’espèce, le C.C.T. considère le récit crédible, il n’en reste pas moins qu’il indique également que peu importe cet élément, les circonstances objectives de l’espèce impliquent l’existence d’un risque. En l’occurrence, ces circonstances objectives tiennent, d’une part, à la situation des droits humains en Érythrée, telle que documentée par les C.O.I., et, d’autre part, à la situation individuelle de la requérante dont il est certain qu’elle est une femme, qu’elle est en âge d’être conscrite pour le service national, et qu’elle a été déboutée de l’asile. Comme souligné par Sylvie Sarolea dans le commentaire de la décision F.B. c. Pays-Bas, le C.C.T. se démarque en cela de la Cour européenne des droits de l’homme qui offre une place plus importante à d’éventuelles défaillances en termes de crédibilité dans le cadre de l’examen du risque.

C. Pour aller plus loin

Lire l’arrêt : C.C.T., 30 janvier 2023, A.Y. c. Suisse, comm. no 887/2018, CAT/C/74/D/887/2018.

Jurisprudence :

Doctrine :

Autres :

 

Pour citer cette note : A. Sinon, « Le C.C.T. juge contraire au principe de non-refoulement le renvoi vers l’Érythrée d’une demandeuse d’asile déboutée », Cahiers de l’EDEM, mars 2023.

 

[1] Sur le sujet, voy. CBAR/BCHV, Trauma, geloofwaardigheid en bewijs in de asielprocedure, juin 2014, p. 66 : « Zo worden de verklaringen van de asielzoeker afgelegd bij de DVZ, vaak gebruikt om de coherentie en consistentie van het asielrelaas te beoordelen in functie van de verklaringen afgelegd tijdens het CGVS-gehoor ».

 

 

Publié le 31 mars 2023