Le risque de réexcision en Guinée évalué par le Comité contre la torture.
Le renvoi d’une jeune femme de nationalité guinéenne vers la Guinée viole l’article 3 du Comité contre la torture dès lors qu’elle risque d’y être soumise à une mutilation génitale après avoir fait l’objet d’une chirurgie reconstructrice aux Pays-Bas.
Convention contre la torture – Article 3 – Interdiction du renvoi vers un pays où il existe un risque de torture ou de traitements inhumains et dégradants – Mutilations génitales – Risque de ré-excision – Chirurgie reconstructrice.
A. Communication
La requérante, de nationalité guinéenne, réside aux Pays-Bas. Elle est née au Libéria d’un père guinéen et d’une mère libérienne. Ils se sont installés en Guinée quand elle était bébé. Elle appartient à l’ethnie peulh. En 2001, alors qu’elle est âgée de 14 ans, elle est soumise à une mutilation génitale de la part de sa grand-mère paternelle dans des conditions d’hygiène difficiles. Elle est ensuite obligée de quitter l’école. Elle invoque avoir ensuite été obligée de se marier au frère de sa grand-mère en raison du fait que sa femme n’avait pas pu avoir d’enfants. Elle expose avoir été abusée sexuellement.
A l’âge de 16 ans, elle arrive aux Pays-Bas avec l’aide d’un passeur. Elle a été soumise à des relations sexuelles avec ce dernier mais est parvenue à s’enfuir et à relater l’incident à la police. Elle a introduit une demande d'asile qui a été rejetée en première instance et en degré d’appel. En avril 2013, elle a bénéficié d’une chirurgie reconstructrice aux Pays-Bas et a ensuite introduit une troisième demande d'asile invoquant :
- la mutilation génitale passée ;
- le mariage forcé avec un homme âgé ;
- la crainte d’une ré-excision après avoir bénéficié d’une chirurgie reconstructrice aux Pays-Bas.
Elle dépose à l’appui de sa demande un certificat médical attestant de cette reconstruction. Durant l’interview, elle a relaté que la mutilation passée lui avait causé un dommage physique sévère et de l’anxiété. Elle a exposé ses difficultés à se sentir bien dans son corps et à établir une relation avec un homme, raisons pour lesquelles elle a sollicité cette chirurgie. Elle a indiqué craindre que ses grands-parents ou son mari lui fassent subir des mauvais traitements plus graves encore que ceux déjà subis en cas de retour en Guinée et notamment une nouvelle mutilation génitale.
Sa demande a été rejetée. Un des arguments est qu’elle n’a pas démontré qu’elle n’appartenait pas au groupe des 5 % des femmes qui parviennent à échapper aux mutilations génitales. Les risques encourus sont décrits comme étant de nature spéculative et incertaine. Les autorités hollandaises soulignent que rien n’établit que les persécuteurs potentiels en Guinée seraient informés de la chirurgie reconstructrice aux Pays-Bas.
Le Comité contre la torture relate que 96 % des femmes en Guinée ont subi des mutilations génitales. La pression émane non seulement de la famille directe mais également de l’ensemble de la communauté guinéenne.
Le Comité souligne que:
- la requérante appartient à l’ethnie peulh ;
- les mutilations génitales sont très répandues en Guinée notamment dans son groupe ethnique ;
- elle a dû subir une première mutilation génitale à l’âge de 13 ans ;
- elle a bénéficié d’une chirurgie reconstructrice aux Pays-Bas
Le Comité épingle le haut taux de prévalence en Guinée et le fait que les mutilations génitales causent une souffrance physique et psychologique permanente qu’elles doivent subir pour le reste de leur vie.
Le Comité souligne que le fait que seulement 1,2 % des femmes sont mutilées au-dessus de l’âge de 19 ans s’explique par le fait que la majeure partie des mutilations se produisent lorsque la victime est âgée de moins de 19 ans et pas encore mariée
Le Comité souligne encore l’ineffectivité de la protection de la part des autorités en Guinée. Le Comité conclut à l’existence d’un risque de violation de l’article 3 en cas de retour en Guinée et ce à l’unanimité.
B. Éclairage
Cette décision du Comité contre la torture est intéressante puisqu’elle prend le contrepied de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme en matière de mutilations génitales. Cette communication se rapproche par contre de plusieurs arrêts appartenant à la jurisprudence récente du Conseil du contentieux des étrangers, arrêts admettant l’existence d’un risque de ré-excision.
Le Comité adopte une lecture objective des faits. Il estime que le fait que les autorités hollandaises ont considéré que les allégations de la requérante n’étaient pas crédibles ne suffisaient pas pour exclure le risque qu’elle soit soumise à une nouvelle mutilation génitale en cas de renvoi en Guinée. Il se fonde sur le taux de prévalence des mutilations génitales en Guinée sur la chirurgie reconstructrice dont elle a bénéficié aux Pays-Bas, sur l’absence de protection effective par les autorités nationales et fait écho à l’argument de la requérante quant au caractère patriarcal de la société guinéenne qui ne permet pas qu’elle échappe au giron familial en cas de renvoi vers la Guinée.
Il est également intéressant de noter que le Comité pointe le fait que la mutilation génitale entraîne des souffrances physiques et psychologiques continues puisqu’elles perdurent pendant toute la vie de la victime.
L’éclairage proposé se divise en trois points.
Le premier compare la position du Comité contre la torture à celle de la Cour européenne des Droits de l'Homme.
La communication du Comité est ensuite mise en regard de la jurisprudence du Conseil du contentieux des étrangers.
Enfin, la notion de persécution continue est épinglée.
I. La communication de la Comité et la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme
La Cour européenne des droits de l'homme s’est prononcée à plusieurs reprises quant aux mutilations génitales. La majeure partie des arrêts concernent le risque de mutilation au Nigéria et portent sur le risque d’une première mutilation. Un seul arrêt concerne la Guinée et il porte, comme dans l’affaire commentée, sur un risque de ré-excision.
Dans les affaires Collins et Akaziebie c. Suède, Izevbekhai c. Irlande ou encore Omeredo c. Autriche, la Cour européenne des droits de l'homme déclare les requêtes irrecevables estimant que les requérantes présentaient un profil suffisamment indépendant que pour parvenir à échapper au risque de mutilation de leurs filles en se déplaçant dans une autre région du Nigéria ou en s’y opposant. La Cour se fonde sur le fait que les mutilations génitales ne sont pas perpétrées de manière uniforme d’un Etat à l’autre du Nigéria et selon lequel il serait possible, pour des personnes ayant un niveau d’indépendance financière et intellectuelle suffisante, d’y échapper.
Dans l’affaire guinéenne relative à un risque de ré-excision, Sow c. Belgique, la Cour européenne des droits de l'homme conclut par un arrêt du 19 janvier 2016 que la requérante ne démontre pas à suffisance qu’elle court un risque de ré-excision en cas de retour en Guinée eu égard aux informations recueillies par les autorités nationales selon lesquelles la ré-excision n’est pratiquée que dans certains cas auxquels elle n’appartient pas. Aucun élément dans les informations produites par la requérante ne permettrait d’établir que les instances d’asile sont parvenues à une position arbitraire ou déraisonnable. La Cour souligne surtout que la requérante ne présente pas de profil vulnérable dès lors qu’elle est âgée de 28 ans, a reçu une éducation progressiste, qu’elle a une mère progressiste qui n’a elle-même jamais été soumise aux mutilations génitales.
La Cour européenne des droits de l'homme ne prend pas en compte l’atteinte continue générée par la mutilation génitale.
Deux différences importantes sont à noter entre l’approche de la Cour de Strasbourg et celle du Comité onusien puisque la première estime qu’il existe en Guinée, malgré le taux de prévalence élevé, des femmes vulnérables et d’autres femmes qui le sont moins à l’instar de ce qu’elle a indiqué dans la jurisprudence relative au Nigéria. Le Comité contre la torture fait écho quant à lui à l’argument de la requérante selon lequel dans une société patriarcale et vu le taux de prévalence existant en Guinée, le risque est partagé par toutes les femmes de la société particulièrement dans l’ethnie peulh. Toutes les femmes doivent être jugées vulnérables.
D’autre part, le Comité estime que les questions de crédibilité ne peuvent éluder un examen objectif du risque, alors que la Cour européenne des droits de l’homme estime que les lacunes en termes de crédibilité affectent l’existence d’un risque de ré-excision.
II. Le Conseil du contentieux des étrangers
La jurisprudence du Conseil du contentieux des étrangers relative au risque de ré-excision est partagée. Les arrêts sont prononcés au cas par cas. Il semble qu’une évolution se dessine dans les derniers arrêts.
A plusieurs occasions, le Conseil du contentieux des étrangers a renvoyé un dossier pour examen complémentaire au commissariat général estimant que des attestations psychologiques soulignant le profil de vulnérabilité particulière de la requérante n’avaient pas été prises en compte à suffisance notamment en ce qu’il permettrait d’apprécier les imprécisions et lacunes dans ses déclarations. Dans une affaire, le Conseil estime que « seule une expertise psychologique complète est de nature à répondre aux différentes questions […] et à fournir des éléments utiles pour l’appréciation du bien-fondé de la demande ». La requérante était mineure d’âge au moment des faits. Elle invoquait un risque de ré-excision tandis que le commissariat général soulignait que sa situation ne correspondait pas au risque de ré-excision connue (arrêt n°134.980 du 12 décembre 2014).
Par un arrêt 80.927 du 17 octobre 2012, le Conseil du contentieux reconnaît la qualité de réfugiée à une requérante ayant subi une excision de type 3 et ayant bénéficié d’une désinfibulation partielle. Le traumatisme permanent et le risque de réinfibulation en cas de retour sont soulignés.
Par un arrêt n°167.045 du 29 avril 2016, s’agissant d’une requérante malienne ainsi que sa fille, toutes deux excisées, le Conseil du contentieux des étrangers annule la décision et la renvoie au commissariat général estimant que le dossier ne contient aucune information quant à la pratique de l’excision ou de la ré-excision au Mali (renvoyant une affaire au commissariat général pour instruire de manière complémentaire le risque de ré-excision en Guinée, voyez un arrêt 163.489 du 04 mars 2016).
Un arrêt n°166.370 du 25 avril 2016 reconnaît la qualité de réfugiée à une jeune femme guinéenne d’origine ethnique peulh ayant subi une mutilation génitale à l’âge de 7 ans « dans des circonstances particulièrement atroces, ayant laissé des séquelles physiques et psychologiques lourdes ». Le Conseil estime en se basant sur les propos de la requérante et sur les nombreuses pièces médicales et psychologiques déposées qu’il existe « dans son chef un état de crainte persistante et exacerbée qui ferait obstacle à toute perspective raisonnable de retour dans son pays ». Dans cette affaire, le Conseil souligne que la requérante envisage une chirurgie de reconstruction. Il se fonde davantage sur la lourdeur du traumatisme subi que sur le risque de ré-excision.
Le risque de nouvelles mutilations est également retenu s’agissant d’une femme guinéenne au profil vulnérable dans un arrêt 159.719 du 12 janvier 2016. Il s’agissait ici d’une nouvelle demande d'asile. Le Conseil du contentieux des étrangers estime que le Commissaire général ne peut se limiter à se fonder sur le défaut de crédibilité de la première demande d'asile pour exclure la prise en compte de la nouvelle demande d'asile. Le Conseil estime que la requérante n’a pas uniquement invoqué un risque de ré-excision dans le cadre de son mariage forcé, jugé non crédible. Le risque existe indépendamment du contexte de mariage forcé. Il s’agissait d’un dossier où plusieurs avis médicaux avaient été déposés dont un concluant à la nécessité d’une désinfibulation pour pouvoir mener une vie normale. Le Conseil y souligne, de la même manière que l’a fait le Comité contre la torture et conformément à une posture répétée que « sous réserve de l’application éventuelle d’une clause d’exclusion, la question à trancher au stade de l’examen de l’éligibilité au statut de réfugié se résume en définitive à savoir si le demandeur a ou non des raisons de craindre d’être persécuté du fait de l’’un des motifs visés par la Convention de Genève ; si l’examen de crédibilité auquel il est habituellement procédé constitue, en règle, une étape nécessaire pour répondre à cette question, il faut éviter que cette étape n’occulte la question en elle-même ; dans les cas où un doute existe sur la réalité de certains faits ou la sincérité du demandeur, l’énoncé de ce doute ne dispense pas de s’interroger in fine sur l’existence d’une crainte d’être persécuté qui pourrait être établie à suffisance, nonobstant ce doute, par les éléments de la cause qui sont, par ailleurs, tenus pour certains ».
A l’inverse, d’autres arrêts estiment que lorsque le récit n’’est pas crédible, notamment parce que le risque de ré-excision serait lié à un mariage forcé qui n’est pas tenu pour établi, il n’y a dès lors pas lieu d’octroyer la protection internationale (voyez notamment arrêt n°154.196 du 09 octobre 2015).
III. Quant à la persécution continue
Le Comité contre la torture note le traumatisme continu tant sur le plan physique que psychologique qu’entraîne les mutilations génitales.
La Cour européenne des Droits de l'Homme n’examine pas cette question dans l’arrêt prononcé.
Le Haut-commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés dans une note relative aux mutilations génitales de 2009 souligne que « le dommage résultant de la pratique d’une MGF ne se limite pas à l’intervention initiale. La femme ou la fille demeure mutilée à vie, et peut souffrir de graves séquelles physiques et mentales à long terme ».
Plusieurs des arrêts du Conseil du contentieux des étrangers cités soulignent également cet élément principalement lorsque le dossier comporte un certificat médical et une attestation psychologique étayant le niveau de souffrance de la victime.
S.S.
C. Pour en savoir plus
Pour lire l’arrêt
C.A.T., communication n°613/2014, F.B. contre Pays-Bas, 09 novembre 2015
Jurisprudence
Sur les mutilations génitales en Guinée, voy. notamment le rapport récent du UN Office of the High Commissioner for Human Rights (OHCHR) : Rapport sur les droits humains et la pratique des mutilations génitales féminines/excision en Guinée, avril 2016.
Pour citer cette note : S. Sarolea, « Le risque de réexcision en Guinée évalué par le Comité contre la torture », note sous C.A.T., communication n°613/2014, F.B. contre Pays-Bas, 09 novembre 2015, Newsletter EDEM, juin 2016.