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C.J.U.E., 27 février 2025, K.A.M. c. République de Chypre, C-454/23, EU:C:2025:114

cedie | Louvain-la-Neuve

cedie
10 April 2025

 

L’examen des actes et comportements antérieurs à l’entrée dans un État membre : une nouvelle dimension dans la révocation et le refus d’octroi du statut de réfugié 

 

Renvoi préjudiciel – Directive 2011/95/UE (directive « Qualification ») – Art. 14, § 4, a), et § 5 – Convention relative au statut de réfugié de 1951 (convention de « Genève ») – Art. 33, § 2 – Révocation ou refus d’octroi du statut de réfugié en cas de menace pour la sécurité de l’État membre d’accueil – Comportements et faits antérieurs à l’entrée du demandeur sur le territoire de l’État membre d’accueil – Conformité du droit européen au regard de la Convention de 1951.

La Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur la possibilité pour un État membre de révoquer ou de refuser le statut de réfugié en se basant sur des actes ou comportements antérieurs à l’entrée du demandeur sur son territoire, lorsqu’il évalue la menace que ce demandeur représente pour la sécurité. Dans cet arrêt, la Cour rappelle d’abord la distinction entre la révocation et le refus d’octroi du statut de réfugié, ainsi que celle entre le statut et la qualité de réfugié. Elle estime qu’un État membre peut révoquer ou refuser d’octroyer le statut de réfugié si des raisons légitimes de considérer le demandeur comme une menace pour la sécurité se fondent sur des actes ou comportements antérieurs à son entrée sur le territoire. La Cour précise que cette décision est valable même si ces actes ou comportements ne figurent pas parmi les causes d’exclusion prévues par la directive 2011/95 et la Convention de Genève de 1951. Enfin, l’arrêt conclut à la compatibilité de cette approche au regard de cette Convention, laquelle n’évoque pas cette possibilité. 

Sarah Veys

A. Arrêt

1. Les faits 

Le requérant, K.A.M., est un ressortissant marocain entré illégalement sur le territoire de la République de Chypre le 29 décembre 2018. Le 10 janvier 2019, il introduit une demande de protection internationale, qui est rejetée par le Service de l’asile chypriote le 16 avril 2019. Ce refus se fonde sur un courrier transmis préalablement au Service de l’asile par l’Office de lutte contre le terrorisme, faisant état de la dangerosité du requérant. Selon ce courrier, K.A.M. aurait exercé des activités opérationnelles au profit d’un groupe terroriste. L’Office de lutte contre le terrorisme fait également valoir que les déclarations de K.A.M. concernant ses voyages antérieurs à son arrivée à Chypre comportent des contradictions. Enfin, l’Office mentionne son implication dans une menace d’attaque à la bombe contre l’ambassade belge au Maroc. En conséquence, le Service de l’asile considère que le demandeur représente une menace pour la sécurité et la société de l’État chypriote conformément à l’article 6A, §§ 1 et 1A, de la loi sur les réfugiés de Chypre, autorisant la révocation du statut de réfugié pour de tels motifs. Toutefois, le Service de l’asile reconnaît l’existence dans le chef du requérant d’une crainte avec raison de persécution dans son pays d’origine, pour un des motifs énoncés dans la Convention de Genève de 1951 (ci-après : « Convention de Genève »).

Le requérant forme un recours administratif contre cette décision auprès de l’Autorité de recours en matière de réfugiés le 16 avril 2019. Le 30 juillet 2019, l’Autorité de recours confirme la décision en arguant qu’« il y avait lieu de révoquer son statut de réfugié » (§ 20).

Le 14 octobre 2019, K.A.M. saisit le tribunal administratif de la protection internationale, lui demandant d’annuler la décision de l’Autorité de recours et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (C.J.U.E.) concernant l’interprétation de l’article 14, § 4, a), de la directive 2011/95. La juridiction de renvoi décide de surseoir à statuer et de poser à la Cour trois questions préjudicielles :

  1. L’article 14, § 4, a), de la directive 2011/95 permet-il de révoquer le statut de réfugié pour des comportements passés ou des actes commis avant l’entrée dans le pays de protection, même si ces actes ne constituent pas des motifs d’exclusion selon la Convention de Genève et la directive 2011/95 ?
  2. Si la réponse à la première question est affirmative, cette interprétation de l’article 14, § 4, a), est-elle conforme à la Convention de Genève ?
  3. Comment doit-on interpréter la notion de « menace pour la sécurité de l’État » au sens de l’article 14, § 4, a), de la directive 2011/95, en tenant compte des conditions strictes de l’article 33, paragraphe 2, de la Convention de Genève et des conséquences graves pour le réfugié ?

Le raisonnement et la décision de la Cour 

Dans ses observations liminaires, la Cour rappelle tout d’abord qu’elle doit fournir à la juridiction de renvoi une réponse utile pour lui permettre de trancher le litige, ce qui peut inclure la reformulation des questions posées (§ 30). La Cour souligne ensuite l’importance de l’interprétation autonome des termes des dispositions du droit de l’Union, afin d’harmoniser ce droit parmi les États membres. À cet égard, elle précise que les termes de l’article 14, § 4, a), et plus précisément le terme révocation, impliquent qu’une décision octroyant le statut de réfugié ait été préalablement adoptée. La Cour rappelle qu’en vertu de sa jurisprudence constante, une décision de révocation ne signifie pas que la personne perd également la qualité de réfugié, si elle répond aux conditions matérielles dont dépend cette qualité (§ 36). Une distinction doit être faite entre la révocation d’un statut et le refus d’octroi d’un statut, qui suppose qu’aucune décision n’ait encore été prise. La possibilité de refuser d’octroyer un statut de réfugié est prévue par l’article 14, § 5, de la directive 2011/95. En l’espèce, la Cour relève que, bien que le Service de l’asile ait constaté la qualité de réfugié de K.A.M. et adopté une décision de révocation, aucune décision antérieure d’octroi n’avait encore été prise. La Cour estime dès lors que la question préjudicielle de la juridiction de renvoi vise à la fois l’hypothèse de la révocation et celle du refus d’octroi. Il appartiendra à cette juridiction de déterminer si la décision en cause constitue une révocation ou un refus d’octroi du statut de réfugié.

La Cour procède ensuite à l’examen des trois questions préjudicielles. Elle affirme, en premier lieu, que pour évaluer « les motifs raisonnables permettant de considérer un demandeur comme étant une menace pour la sécurité de l’État » concerné, justifiant ainsi un refus ou une révocation du statut de réfugié, au sens de l’article 14, § 4, a), et § 5, il est permis de tenir compte des actes ou comportements antérieurs à l’entrée sur le territoire du demandeur. La Cour constate qu’aucune disposition de la directive 2011/95 ne définit précisément les termes de cette disposition, de sorte que ceux-ci doivent être interprétés selon leur sens habituel dans le langage courant, en prenant en compte le contexte et les objectifs de la réglementation (§§ 41-44). Elle précise cependant que ces actes ou comportements doivent être évalués en fonction de leur gravité, du temps écoulé depuis leur commission et des développements postérieurs éventuels (§ 45).

Deuxièmement, la Cour apporte une précision quant à la nature des actes ou comportements pouvant être pris en compte pour évaluer la menace que représente le demandeur pour la sécurité nationale. Elle précise que la sécurité de l’État englobe tant la sécurité intérieure qu’extérieure, et inclut notamment les cas où un ressortissant d’un pays tiers appartient à une organisation soutenant le terrorisme international. La Cour précise également que l’article 14, § 4, a), peut couvrir une menace potentielle, et non seulement une menace réelle et actuelle. Il appartient, selon la Cour, à la juridiction de renvoi d’évaluer la situation propre aux faits de l’espèce et de disposer d’une marge d’appréciation pour décider si la sécurité nationale justifie la révocation ou le refus d’octroi du statut de réfugié. 

Troisièmement, la Cour considère que la prise en compte des faits ou comportements passés d’un demandeur ne se limite pas à ceux spécifiquement mentionnés comme motifs d’exclusion dans l’article 1er, section F de la Convention de Genève ou dans l’article 12 de la directive 2011/95. Elle rappelle qu’en vertu de l’article 78, § 1er, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après : « TFUE ») et de l’article 18 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après : « Charte »), l’interprétation des dispositions de la directive 2011/95 doit être conforme à la Convention de Genève. Toutefois, la distinction établie dans la directive 2011/95 entre les causes d’exclusion (art. 12) et les causes de révocation ou de refus d’octroi (art. 14, §§ 4 et 5) se retrouve également dans la Convention de Genève, aux articles 1er, section F, et 33, § 2. L’interprétation de l’article 14, §§ 4 et 5, de la directive 2011/95 est donc valide au regard des articles précités du TFUE et de la Charte. 

Quatrièmement, la Cour précise que, bien que les circonstances permettant aux États membres de révoquer ou de refuser l’octroi du statut de réfugié, en vertu des articles 14, §§ 4 et 5, de la directive 2011/95, soient analogues à celles justifiant le refoulement d’un réfugié en application de l’article 21, § 2, de la directive et de l’article 33, § 2 de la Convention de Genève, le refoulement ne peut être ordonné si cela expose le réfugié à un risque de torture ou de traitements inhumains ou dégradants. Cela est conforme aux articles 4 et 19 de la Charte. La Cour souligne qu’il ne convient pas de confondre la révocation ou le refus d’octroi du statut de réfugié avec une décision de refoulement. Ainsi, dans le cadre de l’équilibre à trouver entre, d’une part, l’appréciation de la menace qu’un demandeur pourrait représenter pour la sécurité de l’État et, d’autre part, les conséquences qu’une révocation ou qu’un refus d’octroi du statut de réfugié pourrait entraîner pour la personne concernée, la menace invoquée n’a pas besoin d’atteindre un degré de gravité suffisant pour justifier un refoulement vers le pays d’origine, tel que défini à larticle 33, § 2, de la Convention de Genève. Et la Cour de préciser que la notion de « motifs raisonnables » laisse aux États membres une large liberté d’appréciation dans la décision de révoquer ou de refuser l’octroi du statut de réfugié. 

B. Éclairage 

L’arrêt commenté s’inscrit dans la continuité des enseignements de l’affaire M., X. et X. c. C.G.R.A. du 14 mai 2019, dans laquelle la Cour de justice de l’Union européenne a opéré une distinction fondamentale entre le statut et la qualité de réfugié. La Cour y aborde la conformité de l’article 14, §§ 4 et 5, de la directive 2011/95 avec la Convention de Genève, cette dernière n’autorisant ni la révocation ni le refus d’octroi du statut de réfugié pour des motifs liés à la sécurité nationale du pays d’accueil, contrairement à ce que prévoit la disposition en cause. L’arrêt commenté va plus loin en précisant les éléments que les États peuvent prendre en compte pour évaluer la menace qu’un demandeur peut constituer, justifiant ainsi la révocation ou le refus d’octroi d’un statut de réfugié. Cette évolution par rapport à la jurisprudence M., X. et X. sera analysée (1). L’élargissement de la marge d’appréciation des États membres dans l’évaluation de la menace à la sécurité nationale sera ensuite présenté, ainsi qu’un bref aperçu des perspectives d’application de l’article 14, §§ 4 et 5, dans le cadre du nouveau Pacte sur la migration et l’asile (2).

1. Évolution de la jurisprudence de la Cour par rapport à l’arrêt M., X. et X. 

L’affaire M., X. et X. porte sur la révocation et le refus d’octroi du statut de réfugié pour des personnes représentant une menace pour la communauté dans laquelle elles se trouvent, tels que prévu à l’article 14, §§4 et 5 de la directive 2011/95. La Cour y distingue premièrement la qualité de réfugié, au sens de l’article 1er, section A de la Convention de Genève, du statut de réfugié. Elle met en avant le caractère déclaratif de ce dernier, soulignant que la décision d’octroi ne fait que reconnaître la qualité de réfugié d’une personne remplissant les conditions matérielles nécessaires, à savoir une crainte fondée de persécution. Selon la Cour, une personne peut perdre le statut de réfugié et la protection internationale qui y est associée, tout en conservant sa qualité de réfugié. Ainsi, la directive 2011/95 « ne saurait être interprétée en ce sens que la révocation du statut de réfugié ou le refus de l’octroyer entraîne la perte de la qualité de réfugié […] de la Convention de Genève » (§ 97).

En distinguant la qualité de réfugié, d’une part, et le statut de réfugié, d’autre part, la Cour conclut à la conformité du droit de l’Union européenne, notamment en ce qui concerne la possibilité de révoquer ou de refuser un statut de réfugié en cas de menace pour la sécurité de l’État, comme le prévoit l’article 14, §§4 et 5 de la directive 2011/95, bien que cette possibilité ne figure pas expressément dans la Convention de Genève. L’article 78, §1 du TFUE et l’article 18 de la Charte imposent en effet que le droit de l’Union soit conforme à la Convention de Genève. Se pose donc la question de la conformité du motif de sécurité nationale, énoncé dans la directive 2011/95 pour la révocation ou le refus du statut de réfugié, alors que ce motif n’est pas explicitement abordé par la Convention, notamment dans ses dispositions relatives aux causes de cessation ou d’exclusion (articles 1er, sections C à F). À cet égard, la Cour admet dans l’arrêt M., X. et X. une certaine autonomie du droit de l’Union européenne, tout en précisant que cette autonomie est encadrée. Elle établit que la révocation ou le refus d’octroi du statut de réfugié est possible pour motif de sécurité nationale, car cette révocation ou ce refus ne conduit pas à la perte de la qualité de réfugié, qui reste protégée conformément à la Convention de Genève, même après la perte du statut. 

L’arrêt commenté fait expressément référence à la jurisprudence M., X. et X. En l’espèce, la Cour constate que le Service de l’asile a reconnu que K.A.M. remplit les conditions matérielles requises pour bénéficier de la qualité de réfugié. En dépit de l’invocation d’une révocation, que la Cour estime davantage être un refus d’octroi, en raison de la menace que représente K.A.M. pour la sécurité de l’État chypriote, cette décision n’affecte en rien sa qualité de réfugié. Conformément à la jurisprudence M., X. et X., elle réaffirme qu’il est conforme à la Convention de Genève de révoquer ou de refuser d’octroyer le statut de réfugié à une personne représentant une menace pour l’État d’accueil.

Dans la décision commentée, la Cour approfondit la question de savoir sur quels éléments les États peuvent se fonder pour révoquer ou refuser l’octroi d’un statut de réfugié en raison de la sécurité nationale, ce qui constitue la nouveauté apportée par l’arrêt K.A.M. commenté. Elle autorise les États membres à évaluer cette menace en prenant en compte des comportements ou actes antérieurs à l’entrée sur le territoire, même si ces actes ou comportements ne constituent pas des motifs d’exclusion prévus à l’article 1er, section F, de la Convention de Genève ou à l’article 12 de la directive 2011/95. En d’autres termes, ces actes ou comportements antérieurs ne doivent pas nécessairement constituer des crimes contre la paix, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, ni des crimes graves de droit commun commis en dehors du pays d’accueil, ni encore des agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies.

Par ailleurs, la Cour considère cette interprétation des articles 14, §§ 4 et 5, de la directive 2011/95 comme également conforme à la Convention de Genève. Elle souligne qu’une distinction entre les causes de révocation et de refus d’octroi du statut, d’une part, et les causes d’exclusion, d’autre part, est également présente dans la Convention de Genève. Cette distinction, associée au fait qu’une révocation du statut de réfugié ne conduit pas à la perte de la qualité de réfugié, permet à la Cour de conclure que cette interprétation des articles 14, §§ 4 et 5, « ne saurait être interprétée comme ajoutant de nouveaux motifs d’exclusion de la qualité de réfugié » (§ 70). Dès lors, la Cour valide ces dispositions au regard de l’article 78, § 1 du TFUE et de l’article 18 de la Charte. 

Désormais les États peuvent se fonder sur des actes ou comportements antérieurs à l’entrée sur le territoire, qu’ils soient ou non liés aux causes d’exclusion énumérées dans la directive 2011/95 ou la Convention de Genève. De plus, la Cour précise qu’il n’est pas nécessaire de se référer aux conditions de l’article 33, § 2, de la Convention de Genève, concernant la notion de « danger pour la sécurité du pays », pour apprécier la gravité de la menace justifiant la révocation ou le refus du statut. Elle indique également qu’il n’est pas requis de prendre en compte les conséquences graves de cette révocation ou de ce refus qui en résultent pour la personne concernée (§ 66). 

Le raisonnement de la Cour dans cet arrêt est préoccupant. En effet, la Cour rappelle que les dispositions de l’article 14, §§ 4 et 5, de la directive 2011/95 dérogent au principe fondamental énoncé à l’article 13 de cette même directive, selon lequel l’octroi du statut de réfugié doit intervenir lorsque les conditions matérielles de celui-ci sont remplies. Cette dérogation, qui permet de révoquer un statut ou de refuser son octroi pour des motifs de sécurité, doit donc être interprétée strictement (§ 44).

Cet arrêt vient ainsi renforcer l’autonomie du droit de l’Union européenne par rapport à la Convention de Genève. Bien que la Cour estime que son interprétation des articles 14, §§ 4 et 5, de la directive 2011/95 respecte les principes de la Convention, il apparaît clairement que les États membres bénéficient désormais d’une marge d’appréciation considérablement plus large pour apprécier les motifs de révocation ou de refus d’octroi du statut de réfugié au titre de la sécurité nationale. Un motif, il est important de le rappeler, qui n’est initialement pas prévu dans la Convention de Genève. 

2. L’élargissement de la marge d’appréciation des États membres dans l’évaluation de la menace à la sécurité nationale

La grande marge d’appréciation accordée aux États membres dans cet arrêt découle de l’interprétation que la Cour fait des termes « motifs raisonnables permettant de considérer un réfugié comme une menace pour la sécurité nationale » (§ 65). Elle se fonde sur leur sens habituel dans le langage courant, le contexte ainsi que les objectifs poursuivis par l’article 14, § 4, a). En analysant leur sens ordinaire, la Cour considère que ces termes ont un caractère général. Elle relève qu’ils ne limitent pas ces « motifs raisonnables » en termes géographiques, temporels ou quant à la nature des faits sur lesquels ils reposent (§ 41). De plus, la Cour interprète l’objectif de l’article 14, § 4, a), de la directive 2011/95, et par conséquent des termes qu’il emploie, comme visant à prévenir « un risque d’atteinte » à la sécurité nationale pouvant découler de la présence du réfugié sur le territoire de l’État d’accueil. 

À cet égard, il nous semble que la Cour étend excessivement l’interprétation de cette disposition en la réduisant à un objectif de simple prévention du « risque » d’atteinte à la sécurité nationale. Or, il existe une distinction fondamentale entre une « menace » et un « risque ». Ce dernier est une notion floue qui confère aux États membres une plus large marge d’appréciation, au détriment des droits du réfugié.

Ainsi, la Cour se contente de reconnaître la large marge d’appréciation des États sans toutefois en définir des limites précises. Elle précise néanmoins que l’évaluation des actes ou comportements doit prendre en compte leur gravité, le temps écoulé depuis leur commission et les éventuels développements ultérieurs (§ 45).

Compte tenu du raisonnement de la Cour dans l’arrêt commenté, il convient de s’interroger sur l’avenir de l’article 14, §§ 4 et 5, de la directive 2011/95. Le règlement 2024/1347 du 14 mai 2024 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale abroge la directive 2011/95. Il sera applicable à partir du 1er juillet 2026. 

Les dispositions de l’article 14, §§ 4 et 5, de la directive 2011/95 sont reprises à l’article 14, § 1er, d), et § 2, du nouveau règlement 2024/1347. Le texte de l’article 14 du règlement est rédigé comme suit : 

« 1. L’autorité responsable de la détermination retire le statut de réfugié octroyé à un ressortissant de pays tiers ou à un apatride lorsque : […]

e) ledit ressortissant de pays tiers ou apatride a fait l’objet d’une condamnation définitive pour un crime particulièrement grave et il constitue une menace pour la société de l’État membre dans lequel il se trouve. 

2. Dans les situations dans lesquelles le paragraphe 1, points d) et e), s’applique, l’autorité responsable de la détermination peut décider de ne pas octroyer le statut de réfugié lorsqu’une décision sur la demande de protection internationale n’a pas encore été prise […]. »

Aucune modification substantielle n’est apportée par la nouvelle disposition. Par conséquent, la jurisprudence de la Cour, telle qu’établie dans l’arrêt commenté, continuera d’être pertinente lors de l’entrée en vigueur du nouveau règlement 2024/1347. 

Conclusion

À l’origine de ces évolutions se trouve la distinction opérée par la Cour entre la qualité de réfugié et le statut de réfugié. Cette distinction a un impact direct sur les individus concernés, notamment ceux dont le statut peut être retiré ou refusé en vertu des articles 14, §§ 4 et 5, mais qui demeurent néanmoins protégés par leur qualité de réfugié. Toutefois, les droits associés à la qualité de réfugié sont plus restreints que ceux conférés par l’octroi du statut de réfugié[1].

Ce développement jurisprudentiel, associé à un cadre législatif pratiquement identique pour ce qui concerne l’avenir de l’article 14, §§4 et 5 de la directive 2011/95, soulève des interrogations quant aux conséquences pratiques qui en découleront pour les personnes concernées.

 

C. Pour aller plus loin

Lire l’arrêt : C.J.U.E., 27 février 2025, K.A.M. c. République de Chypre, C-454/23, EU:C:2025:114.

Jurisprudence : C.J.U.E. (GC), 14 mai 2019, M. c. Ministerstvo vnitra, X et X. c. C.G.R.A., aff. jointes C-391/16, C-77/17, C-78/17, EU:C:2019:403.

Doctrine :

Besson, T., « Statut et qualité de réfugié : un état des lieux », BPDA, avril 2024, pp. 3-4. 

Carlier, J.-Y. et Sarolea, S., Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016.

Carlier, J.-Y. et D’Huart, P., « L’exclusion du statut de réfugié : cadre général », in V. Chetail et C. Laly-Chevalier (dir.), Asile et extradition : Théorie et pratique de l’exclusion du statut de réfugié, Bruxelles, Bruylant, 2014, pp. 3-32.

Farcy, J.-B., « Sécurité nationale et exclusion du statut de protection internationale : vers une autonomie croissante du droit européen ? », Cahiers de l’EDEM, juin 2019.

 

Pour citer cette note : S. Veys, « L’examen des actes et comportements antérieurs à l’entrée dans un État membre : Une nouvelle dimension dans la révocation et le refus d’octroi du statut de réfugié », Cahiers de l’EDEM, mars 2025. 
 


[1]T. Besson, « Statut et qualité de réfugié : un état des lieux », BPDA, avril 2024, pp. 3 à 4.