Au chevet des cultures de La Palma
uclouvain |
Constituées à 90% de bananeraies, les cultures au pied du volcan Cumbre Vieja sont exposées depuis plus de deux mois aux retombées de cendres volcaniques. Quelles pertes économiques cela va-t-il engendrer pour les agriculteurs de l’île de La Palma et comment vont-ils se relever et s’adapter à cette longue éruption ? Pierre Delmelle, spécialiste de ces questions, s’est rendu sur place pour évaluer la situation.
Alors que le volcan Cumbre Vieja poursuit son éruption sur l’île de La Palma aux Canaries, Pierre Delmelle, professeur à la Faculté des Bioingénieurs et membre de l’Earth and Life Institute s’est rendu sur place. Ses recherches portent sur la vulnérabilité de l’agriculture face au danger volcanique. « Le secteur agricole est généralement le secteur le plus impacté par une éruption volcanique, allant parfois même jusqu’à mettre à mal la sécurité alimentaire de toute une région », explique le chercheur. Comment les communautés rurales dont les revenus sont tirés essentiellement de l’agriculture au pied des volcans arrivent-elles à se relever des pertes économiques souvent considérables engendrées par une éruption ? Comment prédire ces pertes économiques et la résilience des sociétés concernées ? Ce sont les questions qui sont au cœur des recherches de Pierre Delmelle.
100 millions de mètres cube de cendres !
Pour y répondre et espérer développer des modèles capables de prédire les impacts, il faut caractériser et comparer les systèmes agraires à proximité des volcans dans différentes régions du globe. Après avoir travaillé aux Philippines, en Equateur ou encore en Islande, voilà que Pierre Delmelle revient d’une semaine au chevet des cultures ravagées par l’éruption du Cumbre Vieja. Rares sont les éruptions en Europe et surtout les opportunités d’observer les conséquences de celles-ci en temps réel. D’où l’intérêt d’aller se rendre compte sur place de ce qui s’y passe et de collecter des informations sur le terrain. « Plus de mille hectares ont été ensevelis sous des coulées de lave, il s’agit principalement de cultures établies dans une vallée fertile, située à l’ouest du volcan », décrit le scientifique. « L’agriculture ne sera probablement plus possible dans cette vallée avant des décennies, voire des siècles, le temps que les lents processus de formation des sols fassent leur travail ». Les retombées de cendres volcaniques, quasi quotidiennes, sont un autre fléau pour l’agriculture de La Palma. « Les cendres sont dispersées par le vent et atteignent des zones plus éloignées du volcan, qui ne sont pas affectées par les coulées de lave », souligne Pierre Delmelle. « On estime qu’environ 100 millions de mètres cube de cendres sont retombées sur l’île depuis le début de l’éruption, le 19 septembre 2021. C’est un volume équivalent à celui de 40 mille piscines olympiques ».
Vulnérabilité : de nombreux facteurs à prendre en compte
Traditionnellement, la vulnérabilité des cultures affectées par les retombées de cendres volcaniques lors d’une éruption est évaluée sur base de l’épaisseur du dépôt. « Mais d’autres caractéristiques du danger que représentent les émissions de cendres doivent être prises en compte pour déterminer la vulnérabilité des cultures », explique Pierre Delmelle. « Comme la granulométrie des cendres, le type de culture qui est exposée, ou encore le climat local ». A priori, les particules de cendres fines qui sont typiquement émises par les éruptions volcaniques très explosives tendent à être plus retenues à la surface des feuilles en comparaison de cendres de granulométrie plus grossière. Mais, la morphologie de la plante mise en culture, son stade de croissance ainsi que la forme, la surface et l’inclinaison des feuilles sont autant de facteurs qui modulent le temps de résidence de la cendre volcanique sur le feuillage. « L’éruption du Cumbre Vieja n’est que très peu explosive et les cendres qui sont émises ont une taille comparable à celle du sable de mer. À La Palma, la grande majorité des plantes cultivées sont des bananiers dont les feuilles sont larges et relativement lisses. Contrairement à ce qui était attendu, nous avons observé que le feuillage du bananier retient les cendres, et même une pluie de bonne intensité ne permet pas d’éliminer ce dépôt à la surface des feuilles », rapporte le scientifique. « Cette simple observation de terrain renforce l’idée que pour espérer pouvoir estimer de manière fiable la vulnérabilité des cultures exposées aux retombées des cendres volcaniques, il est impératif de croiser des mesures et des connaissances émanant de disciplines différentes : la volcanologie, l’agronomie et la botanique ! ».
Y-a-t-il du fluor dans les cendres ?En parallèle de ses recherches sur les impacts de l’éruption du Cumbre Vieja sur l’agriculture à La Palma, Pierre Delmelle étudie avec INVOLCAN (Instituto Volcanologicó de Canarias) les propriétés de surface des cendres émises par le volcan. « J’ai reçu une série d’échantillons collectés depuis le premier jour de l’éruption. Il faut mesurer les teneurs en fluor dans ces matériaux et la fraction de ce fluor qui pourrait être rapidement mobilisée dans l’environnement ». En effet, le fluor qui se retrouve parfois à la surface des cendres volcanique est potentiellement toxique pour l’homme, le bétail et le système sol-pante. « Si du fluor soluble est présent à la surface des particules de cendres, celui-ci est libéré en présence d’eau ; par exemple, lorsque des pluies percolent au travers du dépôt. À La Palma l’eau potable est pompée dans des galeries sous-terraines, mais il est important de savoir si les eaux de surface utilisées pour irriguer les cultures et pour l’élevage sont contaminées par du fluor volcanique. Cette information est nécessaire pour mettre en œuvre des mesures de prévention adéquates », explique Pierre Delmelle. De fait, l’ingestion de plantes ou d’eau contaminée en fluor par les animaux pourrait être problématique. « Mon rôle est de déterminer s’il y a présence de fluor ou non dans les cendres volcaniques et, si oui, d’évaluer sa ou se(s) forme(s) chimiques afin d’estimer le risque potentiel encouru par le bétail et les cultures exposés aux retombées de cendres. |
En savoir plus sur les recherches de Pierre Delmelle