Confluence. Le Collectif Muesli au Musée L

Le collectif Muesli composé de Louis Darcel, Hannah De Corte et João Freitas crée des oeuvres perméables à l’environnement, qui subissent une métamorphose visible reflétant des fluctuations invisibles. En perpétuel renouvellement, elles se trouvent dans un état de transition constante entre solidité et fluidité. Les oeuvres s’adaptent également aux propriétés architecturales de l’espace qu’elles habitent. Jamais deux fois les mêmes, les oeuvres sont la confluence de la matière, de l’atmosphère et du temps. Du 8 mars au 14 avril, ils exposeront au Musée L des nouvelles pièces, dont certaines sont le résultat d’un workshop réalisé en 2022 avec des étudiant·es du département de chimie de l’UCLouvain soutenu par le fonds pour la recherche-création.

Propos recueillis par Frédéric Blondeau

Comment est né le collectif Muesli et son projet artistique original ?

Muesli Nous nous sommes rencontrés durant nos études artistiques à La Cambre. Nous avions, et nous avons encore, des pratiques personnelles variées et centrées sur la matière. Ce qui nous a réunis, ce sont bien sûr des affinités, mais aussi une envie partagée d’investir le domaine de l’art public. Nous avons commencé à créer des oeuvres pour des hôpitaux. Nous nous sommes interrogés sur le rapport que peut avoir le public aux oeuvres exposées dans les couloirs ou les salles d’une clinique. Très vite nous avons imaginé créer des oeuvres évolutives pour éviter l’usure et la monotonie. Des oeuvres susceptibles d’accompagner les patients ou le personnel au fur et à mesure du temps, des saisons ou des années et qui offriraient sans cesse de petites variations. L’idée n’est pas que les oeuvres disparaissent ou se détériorent, mais qu’elles s’inscrivent dans un cycle d’apparitions et de disparitions permanentes, qu’elles soient soumises à un changement constant qui va dans un sens, puis peut revenir en arrière et aller vers quelque chose de complètement différent.
Notre recherche de matières changeantes nous a naturellement conduits à rencontrer des scientifiques. Et c’est ainsi que nous avons contacté le Professeur Tom Leyssens qui s’intéresse à des questions qui nous préoccupent. Grâce à lui, nous avons reçu un super accueil, très bienveillant, de la part de l’Ecole de Chimie de l’UCLouvain. Tom nous a invités à travailler avec ses étudiant·es. C’est lui qui a sollicité un financement du FRC (fonds pour la recherche-création) afin de financer le workshop que nous avons donné dans son laboratoire. Avec ses étudiant·es, il participera à l’organisation de l’exposition qui sera présentée au Musée L au printemps 2024.

Avant la rencontre avec Tom Leyssens, aviez-vous déjà réalisé des oeuvres selon le même procédé ?

M Oui, mais avec des idées un peu différentes. Certaines matières ou certains composants nous intéressaient déjà, mais on voulait en savoir un peu plus sur leur fonctionnement. C’est pour cela qu’on s’est tournés vers les scientifiques : c’était pour mieux comprendre les possibilités et les limites de certains outils qu’on utilisait. C’était aussi pour approfondir notre compréhension de certains phénomènes. Avant cette rencontre avec Tom, notre recherche était, pourrait-on dire, un peu embryonnaire. Par exemple, nous avions montré une installation à Bruxelles appelée Oasis, utilisant des billes de silice. La silice, par nature, absorbe l’humidité. Dans ce cas-ci, elles avaient été dopées d’un élément chimique qui faisait que, quand elles étaient sèches, elles étaient oranges et, quand elles absorbaient l’humidité ambiante et qu’elles arrivaient à saturation, elles devenaient bleues, vertes et même noires à la fin. Et il y avait aussi un effet de capillarité qui faisait qu’elles commençaient à prendre l’humidité sur le pourtour de l’installation avant que cet effet ne se répandît aussi à l’intérieur. L’élément qui nous fascinait et nous intriguait en même temps, c’est que pour cette installation il y avait clairement un début et une fin parce que les billes de silice, une fois arrivées à saturation, ne bougeaient plus. Il nous fallait comprendre quel était l’indicateur chimique inclus dans ces billes de silice qui permettait de passer de l’orange au bleu. C’est pour cela qu’on a voulu rencontrer des scientifiques. Pour mieux comprendre les phénomènes qui se déroulent sous nos yeux et arriver à créer des oeuvres qui peuvent continuer à évoluer dans un sens ou dans l’autre sans notre intervention directe.

En fait, vous créez l’oeuvre qui, ensuite, vous échappe et évolue dans des directions imprévisibles…

M Oui, c’est exactement ça. En fait ce qu’on arrive à contrôler, c’est la « piste de décollage », c’est la surface. On peut juste essayer de pousser dans une direction, mais on ne sait jamais où ça va exactement aller. On sait à force de tests que, en fonction des tissus utilisés, ça va donner des résultats plus ou moins forts. On sait également, de manière empirique, que des phénomènes de corrosion vont s’ajouter, que des accidents vont arriver au fur et à mesure en fonction de divers facteurs. C’est à nous de jouer avec toute cette palette d’éléments qu’on place au début et qui vont se déployer hors de notre contrôle. Dans l’exposition au Musée L, on pourra voir ces phénomènes de corrosion et toutes ces altérations. Nous testons une grande variété de tissus qui absorbent différemment l’humidité et offrent une large palette de possibilités. Par exemple, la soie est hypersensible, très fine et absorbe très rapidement l’humidité, ce qui induit qu’elle change très vite d’aspect. Le coton réagit autrement. Et puis on ne choisit pas vraiment les couleurs. L’indicateur qu’on utilise oscille entre le rose et le bleu sur un coton blanc. Mais sur la soie, il oscille entre le turquoise, le vert et le noir. Pourtant nous utilisons
toujours le même indicateur à base de cobalt fourni par Tom Leyssens.

Suivez-vous un protocole particulier quand vous créez une oeuvre ?

M L’immense part du travail, peu visible, c’est celle de la recherche et de l’expérimentation autour de toutes ces combinaisons et de toutes ces matières. C’est ce qui prend le plus de temps. Après, on travaille par couches. Chacun de nous utilise le même procédé et les mêmes instruments. On imbibe le tissu posé sur une plaque d’aluminium avec un compte-gouttes. Et puis… on attend et on voit comment l’oeuvre évolue.

Mais, objecteront certain·es, où se trouve l’acte de création ? Dans le geste posé sur la toile lors du dépôt d’indicateurs chimiques ?

M En fait, l’acte de création se trouve tout au long du processus. Il faut réaliser que nos recherches en amont, l’expérimentation, la recherche de fibres de tissus, tout cela entre dans le processus de création. On est bien sûr éloigné de la vision un peu romantique de l’artiste seul devant sa toile en quête d’inspiration. Aujourd’hui, quand nous avons une nouvelle idée, nous allons vers Tom et son labo pour l’éprouver et là, souvent, quelque chose se passe, d’autres pistes s’ouvrent et nous surprennent. Nous parlons ici de ces matières hydro sensibles qu’on retrouve sur nos toiles.

Comment s’est passé le workshop avec les étudiant·es chimistes de l’UCLouvain ?

M Magnifiquement bien ! Les étudiant·es étaient invité·es à chercher de nouvelles matières sensibles qui réagissent à des phénomènes extérieurs : l’humidité, la température, la lumière, le temps… Plusieurs groupes de deux ou trois étudiant·es sont venus dans notre atelier nous présenter ces matières sensibles qu’ils avaient trouvées et testées au préalable en laboratoire. Chaque groupe avait une connaissance théorique de ces matières et pouvait nous expliquerl’apparition de certains phénomènes. Cependant, les étudiant·es comme nousmêmes avons constaté que la majorité de ces éléments sensibles, une fois sortis des laboratoires et appliqués dans des conditions « normales » en vue de la création d’oeuvres, se détérioraient au contact de l’oxygène, de la lumière ou de l’humidité. Dans ce workshop, on a fait de nombreux tests et essayé toutes sortes d’applications, de liants, de surfaces, les étudiant·es nous expliquant les processus chimiques en cours. Il y a eu beaucoup d’échecs, et ce n’est pas grave. Ces échecs sont importants et font partie du processus artistique et scientifique. Cela a beaucoup nourri notre pratique.

Peut-on dire que cette expérience aprovoqué un déplacement à la fois du côté des scientifiques et de votre côté ?

M Nous aimons à le croire. Nous qui sommes un peu dans une attitude d’alchimistes qui expérimentons des choses, nous venons avec des questions que les étudiant·es ne se posent pas, parce que, a priori, ça n’a pas de sens pour eux. Ça provoque un dialogue, riche et pas toujours simple, qui conduit à des perspectives intéressantes pour eux et pour nous. Des deux côtés, il y a eu de belles réactions.
Les chimistes, à notre contact, ont progressivement accepté le côté un peu plus expérimental de cette aventure. Ils cherchaient avec nous, ont apporté leurs connaissances, ont proposé leur propre medium de mélange pour incorporer leurs indicateurs chimiques. Ils ont accepté le côté « cuisine » expérimentale et bricolage qui est au coeur de notre pratique. Il y avait aussi pour eux un aspect très pédagogique parce qu’il devait nous faire comprendre la raison scientifique de telle ou telle réaction. Quant à nous, cette rencontre nous a fait énormément progresser dans notre recherche artistique.

Que pourra-t-on voir dans l’exposition « Confluence » que vous présentez au Musée L ?

M Les étudiant·es qui ont travaillé avec nous vont être surpris par l’exposition. Jusqu’à présent, ils ont vu le côté expérimental de notre travail, notre cuisine en quelque sorte. Là, ils vont voir quelque chose de très épuré, une autre facette de notre travail qui est elle aussi très importante : la monstration.
Dans cette exposition, on va essayer d’une part d’intégrer les résultats du workshop. C’est sans doute ce qui sera le plus complexe à montrer car le résultat dépendra beaucoup des conditions extérieures comme la température ambiante. On veut amener cet univers du laboratoire dans l’expo.
D’autre part, nous présenterons de nouvelles pièces, certaines résultant du workshop mené au sein de l’Ecole de Chimie. Il y aura aussi quelques surprises. Ainsi, au cours de ce workshop, on a établi, grâce aux chimistes, un contact avec le souffleur de verre de l’UCLouvain qui nous a donné plein d’idées et de pistes pour la suite de notre projet. Comme toujours, on vient avec une question et on ressort avec quarante nouvelles. C’est très exaltant. Ce souffleur de verre, enthousiasmé par le projet, a créé pour nous une pièce en verre qu’on
retrouvera dans l’exposition. Et puis, sans vouloir « spoiler », il est également prévu dans l’exposition un dialogue entre la collection des moulages du Musée L qui, d’une certaine manière, figent le passé, et nos oeuvres qui sont en constante évolution.

Y a-t-il une philosophie, une vision du monde, qui sous-tend votre travail ?

M On pourrait dire que nos oeuvres évoquent une dimension essentielle de la condition humaine : le changement. Nous les traitons comme s’il s’agissait d’êtres vivants en constante évolution, toujours en mouvement…. Comme le sont les êtres humains. Notre travail met en évidence tout ce à quoi nous sommes soumis au quotidien, toutes les modifications de notre environnement. Nos oeuvres viennent aussi contredire cette idée d’éternité ou de postérité souvent présente dans la conception traditionnelle d’une oeuvre d’art. Les nôtres ne se veulent pas figées ; elles vivent leur vie.

Ce qu’en disent les chimistes

Pr Tom Leyssens (Ecole de Chimie de l’UCLouvain)
C’est dans le cadre du cours à option de Master2 Crystal engineering and crystallization processes que nous avons invité les Muesli. Habituellement, les étudiant·es y travaillent sur des projets liés à l’industrie ou la recherche pharmaceutique. Ici nous avons voulu inclure une dimensions artistique rendue possible grâce au FRC. Des doctorant·es s’étant joint·es au groupe, nous étions une petite dizaine au total. Les artistes sont venus quelque fois dans notre labo et sont intervenus dans le cadre du cours théorique. Mais surtout, les étudiant·es sont allés à plusieurs reprises, en petits groupes, dans leur atelier pour participer avec eux à la création d’une oeuvre. Chaque groupe est venu tester in situ l’utilisation de matériaux aux propriétés différentes sur lesquels ils avaient menés une recherche en laboratoire. Le plus difficile pour nous ne fut pas le côté technique qui a permis aux étudiant·es d’appliquer leurs connaissances théoriques et d’expliquer scientifiquement certains phénomènes. Non, ce qui était perturbant et en même temps très riche, c’était de sortir du « pratico-pratique » et de se confronter à une démarche artistique exigeant du temps, de la réflexion, et faisant une place aux émotions.

Joséphine De Meester (doctorante SST/IMCN/MOST)
Dans mon groupe, nous avions choisi de travailler sur les cristaux liquides dont l’usage a été totalement transposable pour le projet des artistes. Ça a beaucoup plu aux Muesli qui ont pu mettre ces éléments en oeuvre par la suite. J’ai trouvé qu’il y avait une grande similitude entre les démarches scientifiques et artistiques. Il y a un travail de réflexion en amont suivi d’expériences qui permettent de voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, par essai et erreur. C’était vraiment intéressant de voir comment les artistes travaillent dans leur laboratoire. Ils nous ont montré leurs techniques. Ça nous a ouvert de nouveaux horizons.

Pr Tom Leyssens
Ça démontre aussi que toutes les connaissances que nous avons au plan scientifique ne visent pas seulement des applications industrielles, mais peuvent être mises au service de plein d’autres projets dont des projets artistiques.

Publié le 09 février 2024

L'exposition Confluence sera visible au Musée L du 8/3 au 14/4/24 ↓

Expo | Confluence. Collectif Muesli

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