C.C.E., 12 janvier 2016, n° 159 724

Louvain-La-Neuve

Absence de convocation de l’avocat à l’audition devant le CGRA : caducité de l’audition et irrégularité substantielle de la décision.

Le Conseil du contentieux des étrangers estime que le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides, en n’informant pas le conseil du requérant de sa convocation à l’audition, s’est rendu responsable d’un vice de procédure rendant l’audition caduque et la décision de refus entachée d’une irrégularité substantielle.

Arrêté royal du 11 juillet 2003, art. 7 et 19 – Audition CGRA – Absence de convocation de l’avocat – Irrégularité substantielle – Annulation et renvoi.

A. Arrêt

Le requérant, de nationalité burkinabé, introduit une demande d’asile en mars 2015 fondée sur une crainte d’être persécuté en raison de son homosexualité.

Le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides rejette la demande au motif que le récit du requérant quant à son vécu et à son parcours relatifs à son orientation sexuelle n’est ni circonstancié ni précis et présente des incohérences majeures.

Le Conseil du contentieux des étrangers annule et renvoie l’affaire au Commissariat général.

  • Dans sa requête, le requérant reproche au Commissariat général de ne pas avoir informé son avocat de sa convocation à l’audition alors que l’article 7 de l’arrêt royal du 11 juillet 2003 fixant la procédure devant le Commissariat général ainsi que son fonctionnement l’exige. Il estime dès lors que l’audition s’est déroulée sans qu’il ne puisse être assisté par son conseil, alors qu’il en a le droit en vertu de l’article 19 dudit arrêté, et que cette situation lui a été préjudiciable car il présente un profil particulièrement vulnérable (limites intellectuelles et aucune éducation scolaire). Le requérant en déduit que le rapport d’audition, sur lequel le Commissariat général fonde une majeure partie de sa décision, est entaché d’une irrégularité substantielle et doit par conséquent être écarté des débats (pt 5.2).
  • Dans sa décision, le Commissariat général reconnaît que l’absence de l’avocat du requérant à l’audition résulte d’une erreur administrative de sa part. Il estime néanmoins que le requérant a eu la possibilité s’exprimer en toute autonomie et sans contrainte et que les déclarations qu’il a faites peuvent être utilisées. Il invoque en outre avoir répondu favorablement à la demande du requérant d’être entendu une seconde fois en présence de son avocat et relève que lors de cette audition ni l’un ni l’autre n’ont formulés de remarques particulières relatives à la première audition, malgré une invitation à le faire. Le Commissariat général est donc d’avis que la première audition ne peut être considérée comme viciée (pt 5.3).
  • Le Conseil constate que l’omission du Commissariat général d’adresser copie de la convocation à l’audition à l’avocat du requérant a pu contribuer à priver celuici de la possibilité d’en être assisté et ce, bien qu’il s’agisse d’une erreur administrative et de facto  involontaire. Il estime donc qu’au vu du prescrit de l’article 7 de l’arrêté royal susmentionné, le Commissariat général s’est rendu responsable d’un vice de procédure rendant l’audition caduque, ce qui lui interdisait de motiver sa décision en utilisant les éléments contenus dans le rapport d’audition. Partant, il considère la décision du Commissariat général comme étant entachée d’une irrégularité substantielle en ce qu’elle fait reposer la majeure partie de sa motivation sur des éléments contenus dans ce rapport.

Le fait que le Commissariat général ait procédé à une deuxième audition du requérant en présence de son avocat ne peut, selon le Conseil, couvrir l’irrégularité constatée. Après avoir écarté des débats le rapport de la première audition, il reste dans l’incapacité de confirmer ou de réformer la décision attaquée sur la seule base des déclarations du requérant contenues dans ce rapport, d’autant plus que les pièces du dossier administratif, abstraction faite dudit rapport, ne lui permettent pas de se forger une conviction quant aux faits invoqués et, partant, au bienfondé de la demande d’asile.

Des mesures d’instruction complémentaires étant dès lors nécessaires, le Conseil annule la décision et renvoie l’affaire au Commissariat général afin que celui-ci procède au réexamen de la demande en programmant, au moins, une nouvelle audition en vue d’évaluer la crédibilité de l’ensemble des faits invoqués (pts 5.4 à 5.10).

B. Éclairage

L’article 7, § 1er, de l’arrêté royal du 11 juillet 2003 fixant la procédure devant le Commissariat général ainsi que son fonctionnement prévoit que :

« Outre la procédure d’envoi des convocations prévue à l’article 51/2, alinéa 6, de la loi, et sans préjudice de celle-ci, le Commissaire général ou son délégué adresse copie de tout envoi par courrier ordinaire tant à l’adresse effective, s’il en est informé et si elle est postérieure au choix du domicile élu, que par courrier ordinaire, par fax ou par courrier électronique qu’à l’avocat du demandeur d’asile. »

L’article 19, § 1er, dispose que :

« Le demandeur d’asile peut se faire assister pendant le traitement de sa demande au Commissariat général par un avocat ou par une personne de confiance.

L’avocat ou la personne de confiance peut assister à l’audition du demandeur d’asile. […]

L’absence de l’avocat ou de la personne de confiance n’empêche pas l’agent d’entendre personnellement le demandeur d’asile. »

Il ressort de la combinaison de ces deux articles que l’assistance d’un avocat auprès du demandeur d’asile lors de l’audition au Commissariat général est une faculté dont celui-ci dispose mais n’est pas une exigence imposée dans le chef du Commissariat général (voy. C.C.E., 1er septembre 2011, n° 66 095, pt 3 ; C.C.E., 25 juin 2012, n° 83 602, pt 4.6 ; C.C.E., 20 juin 2013, n° 105 481, pt 5.5 ; C.C.E., 11 décembre 2014, n° 134 954, pt 6.4.1 ; C.C.E., 23 janvier 2015, n° 137 038, pt 7.4.1; C.C.E., 30 mars 2015, n° 142 175, pt 5.3.2.6 ; C.C.E., 20 juin 2013, n° 105 481, pt 5.5), celui-ci étant uniquement tenu de prévenir le demandeur dans la convocation à l’audition de son droit s’y faire assister par un avocat d’une part et d’adresser copie de la convocation à l’audition à l’avocat d’autre part (voy. C.C.E., 14 mars 2011, n° 57 832, pt 4.1 ; C.C.E., 24 septembre 2012, n° 88 034, pts 5.3.2. et ss.). Autrement dit, si l’article 7 prévoit une formalité obligatoire pour le Commissariat général, l’article 19 ne fixe qu’une possibilité dont peut user le demandeur d’asile.

L’article 19 arrêt royal du 11 juillet 2003, et de manière plus large le système d’aide juridique totalement gratuite dont bénéficie le demandeur d’asile, en vertu de l’article 1er, § 2, 5°, de l’arrêté royal du 18 décembre 2003 déterminant les conditions de la gratuité totale ou partielle du bénéfice de l’aide juridique de deuxième ligne et de l’assistance judiciaire, est en ce conforme à la directive procédures (refonte) à laquelle le Conseil renvoie (pt 5.6).

La directive prévoit en effet que le demandeur :

  • peut être assisté et représenté, à ses frais, par un avocat à toutes les étapes de la procédure (art. 22, § 1er) ;
  • peut être assisté et représenté par un avocat lors de son entretien personnel (art. 23, § 3) ;
  • peut être assisté et représenté, gratuitement, par un avocat dans le cadre des procédures de recours, cette assistance/représentation comprenant « au moins la préparation des actes de procédures requis et la participation à l’audience devant une juridiction de première instance au nom du demandeur » (art. 20, § 1er).

Au niveau du recours, la directive prévoit toutefois des limites pour l’assistance et la représentation juridiques gratuites (art. 21).

Ces garanties participent au droit à un recours effectif, au même titre que le droit de rester sur le territoire de l’Etat membre en attendant l’examen du recours (effet suspensif du recours) et l’étendue du pouvoir de contrôle dévolu au juge (contrôle complet et ex nunc).

Bien qu’il porte sur la présence de l’avocat lors de l’audition uniquement, et que de surcroît, il rappelle qu’elle n’est prévue que comme une faculté, de manière plus générale, l’arrêt commenté est l’occasion d’insister sur l’importance d’un accompagnement juridique de qualité des demandeurs d’asile. De manière synthétique, on peut dire que la qualité de l’accompagnement juridique doit être mesurée eu égard à trois niveaux de garanties.

  • Le droit à l’information. Il correspond, dans une certaine mesure, à l’aide juridique de première ligne telle que prévue par le Code judiciaire (art. 508/1 à 508/6) et octroyée par les avocats d’une part et par des organisations d’aide juridique d’autre part. En ce qui concerne les demandeurs d’asile, une information de base doit surtout être fournie par l’Office des étrangers ainsi que par les travailleurs sociaux et les fonctionnaires de retour des centres ouverts et fermés. La possibilité doit également être offerte aux demandeurs d’asile de consulter les ONG et des services extérieurs susceptibles de leur fournir une information juridique et procédurale, l’effectivité de cette consultation passant par la diffusion de leurs coordonnées ainsi que par la mise à disposition des moyens nécessaires pour s’y rendre.

On retrouve l’obligation d’information au niveau européen dans la directive procédures (art. 8, 12 et 19) ainsi que dans le règlement Dublin (art. 4) et au niveau national dans les arrêtés royaux relatif à la procédure devant l’Office des étrangers (art. 2 et 3) et devant le Commissariat général (art. 9) ainsi que, concernant les fonctionnaires de retour, dans l’arrêt royal du 2 août 2002 qui fixe le régime applicable dans les lieux de détention (art. 17). Quant à l’obligation d’information par les travailleurs sociaux, elle n’est prévue par aucune disposition légale mais découle plutôt des lignes directrices internes, et, à regret, divergentes, des différentes structures d’accueil.

  • Le droit à l’assistance juridique. Il équivaut à l’aide juridique de deuxième ligne octroyée uniquement par les avocats et prévue par le Code judiciaire (art.  508/1 et 508/7 à 508/25) dès lors que, tel que mentionné ciavant, les demandeurs d’asile ont droit à l’assistance gratuite d’un avocat, en raison d’une présomption réfragable d’insuffisance de leurs revenus. Ceci étant, certains demandeurs d’asile font toutefois le choix de consulter un avocat n’exerçant pas en aide juridique, autrement dit un avocat « payant » ou « privé ».

Les dispositions, européennes et internes, y relatives ont été référencées ci-dessus. Il faut y ajouter le règlement Dublin (art. 27).

  • Le droit à l’assistance d’un interprète. Dans le cadre de la procédure d’asile, le recours aux interprètes est fréquent tant devant les autorités compétentes, qu’auprès des structures d’accueil, des avocats et du milieu associatif. Il s’agit d’une véritable garantie procédurale tant l’on sait que les demandeurs d’asile, déjà dans une situation de vulnérabilité, peuvent se sentir encore plus fragilisés lorsqu’ils ne parviennent pas à communiquer avec l’extérieur et tant l’on sait également l’importance d’un interprétariat de qualité pour répondre aux exigences de la procédure en terme d’examen de la crédibilité du récit.

Le droit à l’assistance d’un interprète est consacré au niveau européen par la directive procédures (art. 12 et 15) et au niveau national par l’arrêt royal du 11 juillet 2003 fixant la procédure devant le Commissariat général (art. 15, 20 et 21) mais également par l’arrêté royal du 11 juillet 2003 fixant certains éléments de la procédure à suivre par le service de l’Office des étrangers (art. 14) et par la loi du 15 décembre 1980 (art. 39/18 pour l’audience devant le Conseil du contentieux des étrangers et art. 51/4 pour l’audition devant le Commissariat général ; voy. C.C.E., 27 juin 2014, n° 126 434, pts 4.9 et 4.10).

Ces trois pôles sont clairement consacrés et encadrés par les textes, tant dans l’ordre juridique européen que national. Leur applicabilité pratique, leur effectivité, la manière dont ils se coordonnent eu égard aux rôles de chaque acteur de terrain intervenant dans le cadre de la procédure d’asile, rencontrent toutefois de nombreux obstacles en pratique. Ceux-ci remettent en cause la qualité de l’accompagnement juridique et procédural des demandeurs d’asile et posent, par conséquent, la question de l’amélioration de celle-ci.

L’arrêt commenté rappelle l’importance de ces garanties et le fait que leur violation, même s’il y a un doute sur les conséquences qu’elle a pu avoir dans le cas d’espèce, est un vice entraînant l’annulation de la décision prononcée. Ce faisant, le juge range l’accompagnement de l’avocat et, à cette fin, sa convocation, dans les garanties prescrites à peine de nullité.

H.G.

C. Pour en savoir plus

Lire l’arrêt :

C.C.E., 12 janvier 2016, n° 159 724

Doctrine :

Sur l’encadrement juridique :

- S. Boonen, L’aide juridique, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2009 ;

- « Faire valoir ses droits en centre fermé – Un état des lieux de l’accès à l’aide juridique dans le centres fermés pour étrangers en Belgique », 2010 ;

- « Recherche-action sur la mise en œuvre de l’aide juridique aux demandeurs d’asile », R.D.E., n° 161, 2010/5, pp. 613-678.

Sur le défaut d’assistance d’un interprète lors de l’audition au CGRA :

- S. Datoussaid, « Annulation par le C.C.E. d’une décision de refus de protection internationale pour défaut d’assistance d’un interprète lors de l’audition au CGRA », Newsletter EDEM, août 2014, pp. 22-25.

Pour citer cette note : H. Gribomont, « Absence de convocation de l’avocat à l’audition devant le CGRA : caducité de l’audition et irrégularité substantielle de la décision», Newsletter EDEM, mars 2016.

Publié le 09 juin 2017