C.C.E., arrêt n° 99 380 du 21 mars 2013

Louvain-La-Neuve

La prise en compte des attestations psychologiques.

Une attestation psychologique peut témoigner de la fragilité d’un(e) demandeur(euse) d’asile et constituer une preuve de sa souffrance et une indication quant à son origine. Il est normal qu’elle soit rédigée postérieurement aux faits, sur la base de la relation qui en est faite par l’intéressé(e). La faiblesse de l’instruction du dossier par le Commissaire général peut expliquer le manque de détails fournis par le demandeur. Le C.C.E. est un juge de plein contentieux. Même si la procédure est essentiellement écrite, il peut se fonder sur les déclarations faites à l’audience et être convaincu par des propos « empreints de sincérité ».

Art. 48/3 loi 15/12/80 – Art. 14.3 A.R. 21 décembre 2006 – Demandeuse d’asile guinéenne – Mariage forcé – Famille traditionnelle – Preuves – Attestation psychologique – Lacune de l’instruction – Déclarations à l’audience - Reconnaissance.

A. Arrêt

La requérante est de nationalité guinéenne, d’origine ethnique peule et de religion musulmane. Elle a deux enfants d’une première union. Son mari décède. Son père décide de la marier avec le mari de sa sœur elle aussi décédée pour la remplacer. Ce dernier est le père de son troisième enfant. Elle fait l’objet de violences conjugales. Elle porte plainte auprès de la police. N’obtenant aucun secours, elle finit par quitter le domicile conjugal. Assistée de sa sœur, elle quitte le territoire guinéen et introduit une demande d’asile en Belgique.

Elle annexe à la requête devant le C.C.E. des informations générales sur les conséquences physiques et psychologiques des mutilations génitales. Elle produit une lettre d’un avocat ainsi que le certificat de décès de sa sœur. Elle avait également déposé, déjà devant le C.G.R.A., une attestation psychologique émanant de sa psychothérapeute. Le C.G.R.A. souligne que cette attestation est établie par une personne qui n’a pas été le témoin direct des évènements, uniquement sur la base des affirmations de l’intéressée et qu’elle ne peut en aucun cas démontrer ce qu’elle a vécu.

Le C.C.E. écarte la décision du C.G.R.A. en ce qu’elle estime la requérante non crédible. Il juge que certaines des questions posées lors de l’audition ne sont pas adaptées au profil de la requérante ni à la nature de la relation qu’elle avait avec son mari. Dès lors qu’il s’agissait d’un mariage forcé au sein duquel elle a été victime de violences, il est normal que la requérante ne puisse donner des informations sur les préférences politiques de son mari ou sur l’identité de ses collègues de travail.

En ce qui concerne l’attestation psychologique, le juge « estime consternant de rejeter ce document rédigé par un professionnel de la santé mentale, notamment, parce qu’il a été établi "par une personne qui n’a pas été le témoin direct des évènements" » et au motif que l’attestation est postérieure aux évènements invoqués. Le Conseil du contentieux souligne « qu’il semble logique et légitime pour un professionnel de la santé mentale de s’appuyer sur le récit des souffrances d’une personne pour tenter de décrire les symptômes de ses souffrances »[1]. Le Conseil juge que la fragilité psychologique de la requérante est établie par cette attestation médicale.

En ce qui concerne ses compétences, le Conseil souligne qu’il est un juge de plein contentieux et qu’il peut à ce titre se fonder sur les observations faites à l’audience. Même si la procédure est écrite, l’A.R. du 21 décembre 2006 permet au C.C.E. d’interroger les parties « si nécessaire ». Cette interpellation a permis, en l’espèce, de convaincre le Conseil à suffisance de la sincérité de la requérante[2]. Les quelques zones d’ombre qui peuvent subsister ne dispensent pas le Conseil de s’interroger sur le risque objectif de persécution. De surcroît, le doute doit profiter à la jeune requérante[3].

B. Éclairage

L’arrêt commenté clarifie la position du juge quant aux attestations psychologiques souvent sujettes à caution dans la mesure où elles sont rédigées a posteriori, sur la base des déclarations du demandeur et ne peuvent fournir une preuve certaine des faits qui se sont produits mais tout au plus du caractère vraisemblable du lien entre les séquelles observées et la relation des faits. L’arrêt souligne que ces limites sont inhérentes à ce type d’attestations et ne doivent en rien en restreindre la force probante.

De manière générale, les certificats médicaux produits en justice ne peuvent établir a posteriori avec certitude l’origine des faits dont ils constatent les séquelles. Cette limite est d’autant plus forte s’agissant d’établir des séquelles psychologiques, souvent non observables physiquement. Jamais un psychiatre ou un psychothérapeute ne pourront écrire que l’état psychologique de leur patient est à l’évidence la conséquence de faits qu’il a dit avoir vécus. Ils peuvent uniquement établir la vraisemblance du récit et du lien de cause à effet.

Cette limite inhérente à la nature même de la mission de l’expert conduit pourtant souvent les instances d’asile à une forme de scepticisme (voyez notamment C.C.E., arrêt n° 5916 du 18 janvier 2008 ; voyez également arrêts n° 102.104 du 30 avril 2013 ; n° 102.142 du 30 avril 2013).

La méfiance du juge n’est pas systématique. Certaines décisions utilisent les attestations psychologiques comme un appui lorsque le juge est préalablement arrivé à la conviction que le récit est crédible. Lorsque tel n’est pas le cas, le Conseil indique ne pas contester le diagnostic posé ni le constat traumatique tout en indiquant néanmoins que ces documents n’établissent pas de lien entre l’état psychologique et les évènements invoqués (arrêt n° 13849 du 8 juillet 2008).

Certaines décisions vont plus loin, l’état psychologique palliant l’inconsistance du récit. Ainsi, l’état psychologique attesté par un thérapeute ou un médecin peut expliquer les contradictions relevées et justifier l’octroi d’un large bénéfice du doute. Il en va ainsi, par exemple, s’agissant d’une mineure dont l’état psychologique avait pourtant été évalué par le conseiller expert du Commissaire général. Ce dernier avait cité le rapport de son conseiller de manière partielle alors que d’autres rapports corroboraient le vécu allégué par la requérante et « l’existence d’une importante souffrance psychologique et d’une perturbation des fonctions cognitives » (C.C.E., arrêt n° 11831 du 27 mai 2008). Un arrêt souligne que l’état psychologique d’un demandeur d’asile peut expliquer les zones d’ombres et les inconsistances du dossier (C.C.E., arrêt n° 103.611 du 28 mai 2013).

Sous ces réserves, l’arrêt commenté adopte un point de vue intéressant puisque le Conseil reconnaît que l’on ne peut en aucun cas attendre d’une attestation psychologique qu’elle établisse de manière certaine le lien entre un traumatisme et les faits relatés de sorte qu’un tel reproche ne peut être lui adressé. Forcément, souligne le Conseil, l’attestation est postérieure et, forcément, elle repose sur le récit des souffrances de la personne lorsqu’il s’agit de tenter de décrire les symptômes de ses souffrances.

Le C.C.E. ajoute que si le C.G.R.A. entend contester la valeur de l’attestation, il doit le faire sur la base d’éléments sérieux, tel un autre avis médical.

Il est notamment fait référence à l’arrêt de la Cour eur. D.H. R.C. c. Suède du 9 mars 2010. Dans cette affaire, la Cour de Strasbourg retient comme principe général que les autorités nationales sont les mieux placées pour évaluer les faits et la crédibilité. Toutefois, elle se réserve de se prononcer quant à cette évaluation. Dans cette affaire, elle estime que les quelques incertitudes relevées ne ruinent pas la crédibilité générale du récit. Le certificat médical produit pour attester du fait que le requérant a été torturé donne une indication forte que les cicatrices et les blessures ont pu être causées par un mauvais traitement ou la torture et ce même s’il n’a pas été rédigé par un expert spécialisé dans l’évaluation des blessures liées à la torture[4]. Face à un tel certificat, il appartient aux autorités en charge de l’évaluation du récit de dissiper tout doute qui aurait pu persister notamment en s’adressant à un expert. La charge de la preuve incombe en principe au requérant. Toutefois, s’il dépose un certificat médical, il ne lui appartient pas de s’adresser en plus à un expert. Selon la Cour, la conclusion du médecin consulté selon laquelle les blessures observées peuvent dans une large mesure avoir été infligées dans le contexte décrit par le requérant est une indication suffisante qu’il a été victime de tortures. Le certificat médical peut être considéré comme corroborant le récit du requérant.

Le récent arrêt Mo.M. c. France fait également référence aux certificats médicaux déposés par le requérant. Alors que les instances d’asile considéraient que « le requérant n’apporte aucun élément crédible de nature à démontrer la véracité des mauvais traitements reçus au Tchad et que son récit est "scénarisé" »[5] , la Cour juge par contre que :

« Les certificats médicaux produits attestent de la présence de nombreuses cicatrices sur tout le corps du requérant. Si, parmi ces cicatrices, certaines résultent de traitements traditionnels par incisions superficielles, les médecins s’accordent pour attribuer toutes les autres à des actes de torture. En particulier, le docteur H.J., qui possède une expérience décennale sur les questions tchadiennes, affirme que les stigmates présentés par le requérant correspondent aux suites habituellement observées dans les types de torture allégués et sont, en conséquence, cohérents avec le récit de ce dernier. La Cour considère ainsi qu’elle dispose d’éléments suffisants pour rendre vraisemblables les tortures dénoncées par le requérant ».[6]

Le Conseil du contentieux adopte ici aussi le principe d’un renversement de la charge de la preuve. Il appartient aux autorités en charge de l’examen de la demande d’asile de mandater un expert si elles entendent contester les conclusions du thérapeute ou du médecin du demandeur d’asile.

Autre élément intéressant de l’arrêt : la conviction acquise par le juge lors de l’audience. Même si la procédure devant le Conseil est écrite, celui-ci se voit confier par la loi la possibilité d’interroger le demandeur d’asile. Il n’est dès lors pas nécessaire, lorsque l’instruction est insuffisante pour évaluer la crédibilité, de renvoyer le dossier au Commissaire général. Le juge peut analyser la sincérité du requérant et statuer sur la base de la conviction acquise en audience. Cet arrêt réaffirme l’importance de l’oralité dans le cadre de la procédure d’asile, même devant le C.C.E alors que, ces dernières années, l’évolution tant des textes que de la pratique tend à réduire la procédure à une procédure écrite.

S.S.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : C.C.E., arrêt n° 99 380 du 21 mars 2013.

- Sur les attestations psychologiques, voyez notamment A. Vanoeteren et L. Gehrels, « La prise en considération de la santé mentale dans la procédure d’asile », R.D.E., n° 155, 2009, pp. 492 et s.

- Sur l’évaluation de la crédibilité, voyez notamment Avis du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés rendu sur pied de l’article 57/23bis de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers relatif à l’évaluation des demandes d’asile de personnes ayant des besoins particuliers et en particulier de personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle.

- Sur l’établissement des faits en matière d’asile, voyez également le numéro spécial de la R.D.E., n° 150, 2008.

Pour citer cette note : S. SAROLEA, « La prise en compte des attestations psychologiques », Newsletter EDEM, juin 2013.

 


[2] Ibid., § 4.9.

[3] Ibid., § 4.12.

[4] Cour eur. D.H., R.C. c. Suède du 9 mars 2010, § 53.

[5] Cour eur. D.H., Mo. M. c. France, arrêt du 18 avril 2013, § 30.

[6] Ibid., § 40.

Publié le 20 juin 2017