Hommage au Prof. Roger Gryson

RSCS

 
 

Un colloque en hommage au Prof. Roger Gryson, à l'occasion de ses 80 ans, a été coorganisé le 8 février par l'Institut RSCS et  le « Corpus christianorum » publié par les éditions Brepols :  Éditer aujourd’hui les Pères de l’Église : enjeux théologiques et culturels, sous les auspices des prof. Jean-Marie Auwers et Paul-Augustin Deproost de l'UCLouvain et de M. Bart Janssens, de la maison Brepols.

 

 

 

A la suite des interventions du Président de l'Institut RSCS, le prof. Louis-Leon Christians, et du Doyen de la Faculté de Théologie, le prof. Eric Gaziaux, la professeure Rita Beyers, de l'Université d'Anvers, directrice du Corpus christianorum SL – CM, a rendu l'hommage suivant, devant une audience nombreuse au sénat académique de l'UCLouvain.  

 
"Monseigneur Roger Gryson, professeur émérite de l’Université Catholique de Louvain, ancien directeur du Vetus Latina Institut de Beuron, est connu notamment par ses travaux sur l'histoire des institutions ecclésiastiques dans l'antiquité, l'arianisme latin et la critique textuelle de la Bible latine. Il a édité entre autres les anciennes versions latines du livre d'Isaïe et l'Apocalypse johannique, ainsi que le commentaire de Jérôme sur Isaïe et la plupart des commentaires latins de l'Apocalypse antérieurs à l'époque carolingienne.
 
Ce court texte de présentation qu’on lit dans le catalogue des publications récentes de Brepols, résume parfaitement la carrière scientifique exceptionnelle de celui que nous honorons aujourd’hui. Tout y est dit. Cependant, je ne veux pas me soustraire ici à ma tâche, en tant que directeur des séries latines de Corpus Christianorum, de mettre en exergue la contribution de Mgr Gryson à la réalisation du programme de la Series Latina de Corpus Christianorum. C’est une tâche d’autant plus gratifiante que la dette de gratitude que le Corpus a contractée envers Mgr Gryson est immense.
 
Il suffit de regarder la série de volumes rouges à l’entrée de la salle, qui portent tous sur la page de titre la mention ‘cura et studio Roger Gryson’ pour être impressionné par l’ampleur de cette oeuvre éditoriale. Grâce à sa vision, son sens d’organisation, son ascèse éditoriale et l’aide de collaborateurs dévoués et compétents, Mgr Gryson a sorti douze volumes au total, dont onze ont paru dans une période de 17 ans, à chaque fois entièrement composé et mis en page par Mgr Gryson lui-même. 
 
Cette production est d’autant plus exceptionnelle que Mgr Gryson a procuré la plupart de ces éditions dans la période qui fait suite à ces quarante ans de recherches; recherches qui furent dûment marquées en 2008 par la publication, chez Peeters, d’une imposante collection de ses articles au titre éloquent Scientiam salutis. La dernière décennie fut une continuation sans relâche des travaux auxquels Mgr Gryson s’est voué durant toute sa carrière, et les éditions qui en résultèrent constituent la récolte mûre de ses labeurs.
 
La collaboration de Mgr Gryson avec le Corpus débuta en 1982 avec un volume de fragments ariens, qui complémente l’édition parue aux Sources Chrétiennes deux ans auparavant.
 
Ce qui me frappe le plus dans la production de Mgr Gryson, depuis lors, c’est l’unité de son oeuvre qui se déploit, étappe par étappe, suivant un programme clair et stricte, en même temps ambitieux et réaliste, tel un entrepreneur réalisant son business plan solide et bien conçu. À la question que doit se poser chaque éditeur avant de mettre la main à la charrue, et qui est de savoir si une édition du texte est vraiment nécessaire, la réponse est, pour Mgr Gryson, dans tous les cas résolument positive. 
 
Mgr Gryson a choisi les séries latines de Corpus Christianorum comme véhicules pour publier, plus précisement, les commentaires sur les deux grands textes bibliques dont il avait procuré, entre les années 1987 et 2000, une édition magistrale dans la collection de la Vetus Latina Institut qu’il dirigeait, à savoir, le prophète Isaië (1987-1997) et l’Apocalypse de Jean (2000).
 
C’est surtout sur les commentaires de l’Apocalypse, livre ardu, déconcertant par son caractère hermétique et polémique, qu’il s’est concentré. Deux commentateurs patristiques ont marqué la tradition exégétique occidentale de ce livre, à savoir vers le milieu du troisième siècle (260) Victorin de Poetovio en Slovénie, dont le commentaire fut répandu dans la version revue par son compatriote Jérôme, et plus important encore, vers la fin du quatrième siècle, le théologien africain Tyconius, qualifié de donatiste, à qui nous devons la réception définitive de l’Apocalypse comme livre biblique en Occident. Dans une série de six volumes, parus entre 2001 et 2017, Mgr Gryson a mis à la disposition des exégètes: le commentaire de Victorin de Pettau; celui, prudent et précieux, du jeune Bède et celui, vaste et imposant, du moine espagnol Beatus de Liébana; ensuite, quatre commentaires mineurs du sixième et septième siècles; enfin trois textes qui puisent tous dans un commentaire de la première moitié du huitième siècle aujourd’hui perdu mais dont le témoin indirect le plus important fut découvert par Guy Lobrichon dans un ms de Cambridge du dixième siècle. 
 
À l’heure actuelle, Mgr Gryson prépare l’édition des dix-neuf homélies sur l’Apocalypse de Césaire d’Arles. Césaire s’appuie sur ces deux devanciers, Victorin et Tyconius, pour lesquels il constitue un témoignage particulièrement précieux. Cela veut dire que Mgr Gryson aura édité tout le dossier de l’exégèse occidentale de l’Apocalypse du troisième au dixième siècle, à l’exception des deux commentaires dont des éditions fiables ont déjà paru dans le Corpus Christianorum, celui de Primasius d’Hadrumète du milieu du sixième, et celui d’Ambroise Autpert du milieu du huitième siècle. 
 
Cette récolte est d’autant plus impressionante que Mgr Gryson a entrepris d’éditer tous ces textes afin de pouvoir reconstituer le commentaire perdu de Tyconius. Un projet dont Mgr Gryson écrivit en 2008 - je cite de votre introduction à Scientiam salutis: “C’est là un exercice inédit, et qui pose des problèmes méthodologiques délicats, mais <…> j’espère bien être en mesure de ressusciter cette oeuvre magistrale et, à partir de là, réhabiliter la mémoire de Tyconius.” Cet exercice inédit, Mgr Gryson l’a mené à bien dans l’édition magistrale qu’il a publiée en 2011 (SL 107A), et qu’il a accom-pagnée d’un volume de traduction dans la série Corpus Christianorum in Translation. 
 
D’autre part, dans le cadre de l’édition de l’ancienne version latine du prophète Isaïe, Mgr Gryson et son équipe du Centre de recherches sur la Bible latine ici à Louvain-la-Neuve, avaient déjà édité les dix-huit livres du commentaire sur Isaïe de Jérôme, qui parurent en cinq volumes, de 1993 à 1999, dans la collection Aus der Geschichte der lateinischen Bibel. Mais il restaient d’autres commentaires sur Isaïe à publier, notamment celui du savant carolingien Haymon d’Auxerre, qui fait preuve d’une réelle originalité. Mgr Gryson a sorti ce commentaire en 2015, menant ainsi à son terme un travail amorcé par madame Corinne Gabriel. La publication la plus récente, qui date de septembre 2018, nous offre l’abrégé du commentaire de Jérôme, trop long pour être maniable, qui fut réalisé par le moine irlandais Joseph le Scot, élève d’Alcuin - abrégé intelligent, non exempt d’originalité et, de surcroît, écrit dans un style agréable et facile à lire (p. 10). 
 
Avec les éditions d’Haymon et de Joseph le Scot, Mgr Gryson a franchi la frontière, d’ailleurs inexistante, entre l’antiquité chrétienne et le moyen âge. Nous savons tous que, pour le moyen âge, nombre de textes attendent toujours à être édités – messis quidem multa – , et cela vaut plus particulièrement pour l’oeuvre étendue et complexe d’Haymon d’Auxerre. Par son édition des commentaires d’Haymon sur Isaïe et sur Ezéchiel (2015), Mgr Gryson s’est engagé sur une voie, qui elle aussi, espérons-le, sera fructueuse. 
 
C’est une banalité de dire qu’il y a autant d’arts d’éditer les textes qu’il y a de types de textes. Dans le cas de Mgr Gryson, les défis méthodologiques auxquels il a dû faire face furent multiples. J’en nomme quelques-uns: édition de l’ancienne version latine de deux livres bibliques (Isaïe et Apocalypse), qui, par définition, sont vivants et évolutifs; déchiffrage et regroupement de fragments de manuscrits démembrés et dispersés (pour les écrits ariens); reconstitution d’un texte perdu d’après sa tradition indirecte complexe (le commentaire sur l’Apocalypse de Tyconius); editions princeps de textes dont le contenu est peu accessible ou dont le repérage des sources est chose ardue; un abrégé dont l’originalité ne se révèle qu’en étudiant mot pour mot le texte de l’abréviateur par rapport à son modèle (Joseph le Scot); des commentaires appartenant à un milieu d’érudits tellement proches l’un de l’autre dans la transmission du savoir qu’il est difficile de faire le tri entre les apports individuels de ces maîtres trop modestes pour réclamer un copy right sur leurs oeuvres (Haymon d’Auxerre).
 
Conscient du fait que l’éditeur de textes patristiques et médiévaux poursuit une tradition de longue date, Mgr Gryson s’engage toujours dans un dialogue avec ses prédécesseurs. De chaque édition ou contribution sont évalués les mérites et les défauts, qu’il s’agisse de pères de l’église respectueux comme Jérôme, d’érudits célèbres comme dom Germain Morin, de curés de paroisse inconnus ou d’étudiants à tort encouragés à publier prématurément les résultats de leurs enquêtes. Et cela, Mgr Gryson le fait toujours dans l’intérêt du progrès de la recherche, suivant le mot de saint Paul (Rom. 2, 11) : non est enim personarum acceptio apud Deum. Ajoutons que ses introductions et articles sont un modèle de clarté et d’informativité; toujours écrits dans un style personnel et pétillant, non exempts d’humour et pleins de métaphores surprenantes et de formules attachantes à glaner. 
 
Tout cela caractérise Mgr Gryson comme magister artis edendi par excellence. Permettez-moi, pour conclure, cher Monseigneur, de citer le passage par lequel vous-même terminez l’introduction à votre recueil Scientiam salutis, où vous dites à propos de votre projet de reconstituer le commentaire de Tyconius - je cite: “La destinée posthume du théologien africain montre qu’il n’est pas nécessaire de briller sous les projecteurs de l’actualité pour influencer durablement l’évolution des idées. Quel encouragement pour ceux qui, dans le calme des bibliothèques, scrutent le passé en vue de donner un sens à l’avenir, sans chercher pour eux-mêmes la renommée ou la reconnaissance d’autres que leurs pairs!” 
 
Cette reconnaissance de vos pairs, cher Monseigneur, vous l’avez amplement et justement reçue. Nous autres, qui ne sommes pas vos pairs, nous avons voulu vous honorer, à notre tour, comme magister artis edendi. Et je remercie vivement le président de l’Institut, le doyen de la Faculté de théologie, ainsi que notre chèr collègue Paul-Augustin Deproost, d’avoir accepté d’organiser ici à votre université cette journée d’études qui veut réfléchir sur ce que cela implique, éditer aujourd’hui les Pères de l’église.
 
J’espère, cher Monseigneur Gryson, que la journée s’avèrera être une fête d’anniversaire telle que vous l’aurez souhaitée. Et comme il est d’habitude lors d’une telle occasion, permettez-moi de vous adresser mes voeux les plus sincères: ad multos annos, ad multos libros."
 
Prof. Rita Beyers
 
 
Les publications du Prof. Mgr Gryson chez Brepols.
 
 

Publié le 11 février 2019