Crises des réfugiés et immigration : quel coût pour la Belgique ?

Depuis l’arrivée de milliers de migrants syriens et irakiens sur le sol belge, une partie de la population n’a de cesse de s’inquiéter. Les effets économiques de l’immigration effraient l’opinion… À tort ! Les explications de Frédéric Docquier, chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales de l’UCL.

En Belgique, tant la population que le monde politique a fait part de ses inquiétudes face à l’arrivée dite massive de demandeurs d’asile en 2015. Certains ne cachant pas leurs inquiétudes sur ses effets négatifs possibles sur les finances publiques et le marché du travail. Mais qu’en est-il vraiment ? Voilà la question à laquelle a répondu Frédéric Docquier, chercheur qualifié FNRS et membre de l’Institut de Recherches Economiques et Sociales (IRES) de l’UCL. 

« Entre 1960 et 2010, le nombre de migrants internationaux est passé d’environ 92 à 211 millions, ce qui traduit une évolution quasiment proportionnelle à celle de la population mondiale. Cependant, dans les pays à haut revenu comme la Belgique, le nombre de migrants a augmenté beaucoup plus rapidement que la population. Il est donc naturel et légitime que la question de l’immigration se soit progressivement imposée comme l’une des préoccupations majeures du monde politique et académique et comme une source de crainte pour la population », explique le chercheur.

demandeurs d'asile

Une migration non-économique

Reste que la crise migratoire actuelle ne peut être considérée comme une simple migration économique. Les irakiens et syriens qui arrivent en Belgique n’ont en effet pas d’autre choix que de quitter leur pays : « Quitter son pays est un choix difficile et hasardeux. Malgré l’ampleur des inégalités de revenus dans le monde, les enquêtes d’opinion montrent que seul 12% de la population mondiale souhaite réellement migrer. En dehors des situations de guerre, le nombre de syriens prêts à entreprendre un coûteux et dangereux périple vers l’Europe est limité. En 2010, seul 6% des syriens déclaraient vouloir rejoindre l’Europe si l’opportunité se présentait. L’afflux récent n’est finalement que la seule réponse possible à l’un des conflits les plus meurtriers de ces dernières décennies ».

migrants

Des effets négligeables sur l’emploi

Pour analyser les effets potentiels de cette crise migratoire en Belgique, Frédéric Docquier a pu s’appuyer sur des données issues de précédentes vagues migratoires. Comme celles des années 1994 et 2000, avec une arrivée massive de réfugiés en provenance de République Démocratique du Congo, de Roumanie, des Balkans, d’Irak et de Tchétchénie, notamment.

« Les chiffres l’attestent : sur les vingt-cinq dernières années, les hausses du nombre de primo-demandeurs d’asile n’ont pas été accompagnées d’un accroissement du chômage ; c’est même plutôt l’inverse qui s’est produit. En règle générale, l’effet de l’immigration sur l’emploi et le salaire des travailleurs belge est vraisemblablement faible. Ceci s’explique assez facilement ! D’une part, l’immigration augmente la demande de biens et services et les investissements ; elle engendre donc une hausse de la demande du travail. D’autre part, les migrants n’ont pas les mêmes caractéristiques que les natifs en terme d’éducation, d’âge, d’expérience et de spécialisation professionnelle. Ils ne sont donc pas parfaitement substituables aux travailleurs belges aux yeux des employeurs. »

barbelés

Quid des finances publiques ?

« L’impact de l’immigration sur les finances publiques est un peu plus compliqué à quantifier. En effet, s’il est relativement aisé d’identifier les impôts directs payés et les transferts sociaux reçus par les migrants à l’aide d’enquêtes sur les ménages ou de données fiscales, l’impact sur d’autres recettes et d’autres dépenses publiques telles que la défense nationale, la justice ou encore les infrastructures publiques est plus difficile à chiffrer. »

Toutefois, une récente étude comparative de l’OCDE a permis à Frédéric Docquier d’estimer que l’effet sur les finances publiques belges est positif : « Je me suis basé sur un scénario vraisemblable qui consiste à supposer que deux tiers des dépenses non individualisables sont affectées par l’immigration et qu’un tiers ne l’est pas. Résultat : dans ce cas de figure, l’immigration génère un gain fiscal de 0,3% du PIB, soit environ 117 euros par habitant et par année ».

bateau de migrants

L’asile : crise ou opportunité ?

Cette étude, publiée dans la revue Regards économiques montre donc que l’immigration, en particulier la vague de demandeurs d’asile que nous observons actuellement, n’engendre pas les coûts économiques redoutés par les citoyens. Mieux, cette crise migratoire pourrait représenter une opportunité pour la Belgique. À condition de l’encadrer au mieux en facilitant l’intégration économique et sociale des demandeurs d’asile.

« Pour ce faire, il est préconisé de leur accorder rapidement le droit de travail et d’organiser des formations professionnelles et de langue. Mais aussi d’agir au niveau du citoyen belge en l’informant d’avantage sur les effets fiscaux et les complémentarités qui existent entre travailleurs natifs et immigrés. Les enjeux sociétaux de l’intégration sont également importants. En effet, les pratiques discriminatoires, l’intolérance et le racisme conduisent les immigrés à se ghettoïser et à rejeter les normes et valeurs de leur pays d’accueil. Alors qu’une meilleure gestion des différences permettrait sans doute de maximiser les complémentarités et les gains de la diversité », conclut le chercheur.

Elise Dubuisson

Coup d'oeil sur la bio de Frédéric Docquier

Frédéric Docquier

1991                 Master en économie (UCL)
1995                 Doctorat en économie (Université de la Méditerranée, Aix-Marseille II)
2003                 Obtention du Milken Institute Award
2008-2012       Directeur de la recherche à l’Institut de Recherches Economiques et Sociales (UCL)
Depuis 2005   Chercheur qualifié FRS-FNRS à membre de l’Institut de Recherches Economiques et Sociales (UCL)
Depuis 2005   Professeur d’économie (UCL)

Publié le 21 avril 2016