La pêche abyssale de Jérôme Mallefet

Faire l’inventaire de la faune abyssale, voilà l’objectif ambitieux de la mission internationale Australienne à laquelle a participé Jérôme Mallefet. Au programme : plus d’un mois de travail intense à la recherche d’espèces bioluminescentes. Rencontre.

S’il est une faune qui reste largement méconnue, c’est bien la faune abyssale, c’est-à-dire celle qui vit entre 2500 et 4000 mètres de profondeur. Il faut dire qu’on ne l’explore pas facilement : il faut partir en mer plusieurs semaines avec un équipement spécialisé pour y avoir accès. Des conditions qui n’ont pas découragé le Dr Tim O’Hara, du Museum Victoria de Melbourne qui a décidé de mettre sur pied la première expédition australienne dédiée à la faune abyssale. Une occasion que Jérôme Mallefet, du Laboratoire de biologie marine de l’UCL n’a pas laissé filer ! « Je travaille depuis des années sur les animaux bioluminescents et lorsque Tim O’Hara m’a dit qu’il serait le chef de mission de cette expédition je lui ai signalé que s’il y avait une place de libre, j’étais partant. Très peu de choses sont connues au niveau de la bioluminescence des grands fonds », explique le chercheur. « Les abysses représentent le plus grand écosystème de notre planète et on n’en connaît même pas 1%. À l’heure actuelle, on parle déjà d’exploitation des minerais du fond des mers alors qu’on ne sait pas ce qui y vit... Il y a donc un risque sérieux que l’on détruise cet écosystème avant de l’avoir étudié. »

Le chercheur a donc pris la direction de la côte est de l’Australie depuis la Tasmanie jusqu’à la barrière de corail pour une mission de 32 jours avec des taxonomistes internationaux. Objectif : identifier les espèces qui y vivent. « Nous étions 27 scientifiques répartis en deux équipes. Chaque équipe assurait 12 h de présence/activité scientifique, le premier quart commençait à 2h du matin et allait jusque 14h tandis que le second quart assurait la tranche horaire 14h-2h du matin, ce qui permettait un travail continu pendant que nous étions en mer. »

 Tasmanie - abysses - Mallefet         mission tasmanie - abysses - Mallefet

Des pêches de l‘extrême

Premier défi pour accéder à ces animaux marins : envoyer des appareils de récolte à des profondeurs allant de 1 à 4 kilomètres sur un terrain que les chercheurs devaient d’abord cartographier. « C’est un peu comme si vous étiez dans un hélicoptère entre 1000 et 4000m d’altitude et que vous envoyiez un filet de 4m de large pour attraper des organismes au sol à l’aveugle ou presque. En pratique, pour atteindre le fond il faut dérouler 2, 4 voire plus de 6km de câble. Imaginez la gestion d’un filet à 4km de fond qui se trouve à 3km derrière le bateau ! Il faut tenir compte du vent, des courants de surface et de fond, bref c’était un travail de haute voltige », s’enthousiasme Jérôme Mallefet. Afin de collecter des organismes habitant dans différents lieux des abysses, les chercheurs avaient embarqué plusieurs outils de pêche :

  • un chalut démersal soit un filet de 20m de large qui passe au-dessus du fond,
  • un chalut à perche de 4m de large qui ratisse le fond,
  • un traineau avec 3 caméras et éclairage,
  • un second traineau appelé brenke sled qui récolte le sédiment superficiel,
  • un carottier, sorte de grosse boîte qui s’enfonce dans le sédiment et en ramène un quart de m3 en surface.
  • des filets à plancton de surface.

« De mon côté, j’avais aussi emporté un luminomètre pour mesurer la bioluminescence, un microspectromètre pour déterminer la couleur des émissions lumineuses (Les spectres), des fibres optiques et un appareil photo ultra-sensible pour documenter la bioluminescence. »

Mallefet - microscope - mission Tasmanie                                            jérome mallefet

De la complexité d’observer la bioluminescence

Second défi pour le biologiste : réussir à observer la lumière émise par les animaux abyssaux ! En effet, pour que cela soit possible, il fallait que les animaux remontés sur le bateau soient encore vivants, la lumière étant produite en réponse à une stimulation. Il fallait donc être rapide et observateur ! « Dès que les animaux arrivaient en salle de tri, je faisais mon petit tour en prenant des spécimens encore en bon état. Je les mettais directement dans le noir dans de l’eau de mer avec de la glace de mer. Une fois mon « marché » fini, je m’isolais dans une chambre noire thermostatisée à 6°C dans laquelle je réalisais toutes mes expériences : d’abord, je restais dans le noir pour accommoder ma vue au maximum et ensuite je stimulais mécaniquement les organismes afin de pouvoir observer leur luminescence et mesurer la lumière maximale par dépolarisation. Enfin, je tentais de réaliser une photo de la bioluminescence. »

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Holothuriebioluminescence - Mallefet bioluminescence - Mallefet

                                                                                                                                                                   Octocorail

Identifier et analyser des espèces inconnues

Lors de cette expédition, Jérôme Mallefet a observé des dizaines de spécimens émettre de la lumière. Dont de nombreux spécimens qu’il n’avait jamais vu et dont on ne connait encore que très peu de choses. « Les taxonomistes de l’expédition vont se charger de la détermination des espèces et moi, je me charge maintenant, au sein du laboratoire, des études biochimiques, morphologiques et physiologiques des échantillons de tissus que j’ai ramenés. J’espère apporter quelques lumières sur cette faune abyssale. »

Le chercheur et ses collègues peuvent toutefois déjà se féliciter de la diversité de leurs récoltes : « Les animaux remontés sont étonnants et surprenants parce qu’ils sont très bien adaptés aux profondeurs où ils vivent. Il y a eu un poisson coffre rouge avec un leurre sur la tête, des poissons chauves-souris, des poissons trépieds qui reposent sur leurs rayons de leurs nageoires au fond et attendent leurs proies, le célèbre poisson sans tête, une étoile de mer de plus de 50cm de diamètre, une anémone de plus de 30cm de diamètre, un crabe rouge vif épineux, etc. À chaque remontée de filets ou d’engins il y avait des surprises ! C’est tout simplement passionnant, nous attendions tous les apparitions du filet sur le pont et nous étions aussi enthousiastes le dernier jour de l’expédition que le premier. C’est une chance unique de pouvoir étudier cette faune si mal connue. Cela fait 30 ans que j’étudie la bioluminescence à l’UCL et je n’avais jamais eu accès à ces animaux. Toute la campagne fut exceptionnelle : j’ai vu des araignées de mer émettre de la lumière bleue, des ophiures et des étoiles de mer briller en vert, en bleu, du corail bambou produire des lueurs bleues... Ce fut magique. A l’exception des 3 jours de tempête qui nous ont empêché de travailler, il n’y a pas eu un jour sans lumière vivante », conclut Jérôme Mallefet.

poisson sans tête - Mallefet Poisson sans tête
Poisson coffre rouge

 

étoile de mer géante - Mallefetétoile de mer

En savoir plus sur l’expédition.

 

Elise Dubuisson

 

Coup d'oeil sur la bio de Jérôme Mallefet

1982 :             Licencié en Sciences biologiques (UCL)

1982-1988 :   Doctorat en Sciences (UCL) avec le Prof. Fernand Baguet

1998-1990 :   Chargé de Recherches FNRS (UCL)

1989-1990 :   Post-doctorat, Université de Montréal, laboratoire de Michel Anctil
                        Boursier du gouvernement canadien

1990- :            Chercheur Qualifié FNRS, Laboratoire de Physiologie animale (UCL)

1996- :            Professeur à temps partiel (UCL) – Responsable du laboratoire de biologie marine

Publié le 12 juillet 2017