Alors que la banquise arctique n’a de cesse de fondre, la banquise antarctique a plutôt eu tendance à s’étendre entre 1979 à 2015, avant de voir, elle aussi, son étendue diminuer drastiquement en 2016 et 2017. Un phénomène d’extension qui peut étonner à l’heure du réchauffement climatique !
Si à l’heure actuelle, on sait expliquer l’évolution récente de la banquise arctique avec un bon degré de confiance, c’est loin d’être le cas pour la banquise antarctique. D’ailleurs, la plupart des modèles qui permettent d’étudier la banquise et de mieux comprendre les phénomènes qui s’y passent sont beaucoup moins réalistes dans l’océan Austral que dans l’océan Arctique. « Un projet de recherche financé par le FNRS a d’ailleurs été mis sur pied afin d’étudier les biais de ces modèles. L’idée est de réussir à avoir des modèles aussi fiables que pour l’Arctique », explique Olivier Lecomte, chercheur au Centre de recherche sur la Terre et le climat Georges Lemaître (TECLIM).
Deux banquises bien différentes
D’ailleurs, les phénomènes qui régissent les deux banquises sont très différents ! D’une part, la banquise arctique évolue encerclée par des continents tandis que la banquise antarctique évolue autour du continent, elle n’est donc pas limitée par les côtes. « En outre, la banquise antarctique est composée pour l’essentiel de glace saisonnière dépendant des gels en hiver et des dégels en été alors que la banquise arctique comprend plus de glace pluriannuelle ou pérenne, qui peut survivre à la fonte estivale et donc s’épaissir au cours de plusieurs hiver. Mais c’est cette glace qui fond années après années suite au réchauffement climatique. » Autre différence notable : la banquise arctique fond pendant que la banquise antarctique s’étend. Un phénomène qui a particulièrement intéressé le chercheur.
Un élément clé : l’apport de chaleur océanique
À coté des hypothèses d’une modification des vents, des courants océaniques ou du cycle hydrologique de l’océan Austral, l’une des pistes les plus sérieuses pour expliquer un tel processus serait l’apport de chaleur océanique en surface, qui est beaucoup plus important dans l’océan Austral que dans l’océan Arctique. En fonction des quantités de glace présente chaque année, la densité de l’océan en surface change à cause du sel libéré pendant les périodes de formation de la glace et de l’eau douce libérée suite à sa fonte. Résultat : l’eau de mer, plus ou moins lourde en surface, plonge tantôt facilement vers le fond, tantôt pas. Ce qui affecte les échanges de chaleur verticaux1. « Si une perturbation renforce la formation de glace pendant une ou quelques années, le mécanisme que nous mettons en évidence peut se traduire par un affaiblissement du mélange vertical à plus long terme et donc de l’apport de chaleur des couches intermédiaires de l’océan situées à des profondeurs de 100 à 200m, qui sont naturellement un peu plus chaudes (~0°C), vers la surface à la température de congélation de l’eau de mer (~-2°C) », détaille Olivier Lecomte.
La chaleur qui n’est plus disponible en surface pour faire fondre la glace en été ou limiter sa croissance en hiver, dû à la diminution progressive des échanges verticaux, est donc piégée en profondeur. Conséquence : un réchauffement en profondeur, un refroidissement de l’océan en surface et une accumulation de glace de mer. C’est ce qu’on appelle la rétroaction positive océan-glace, car le mécanisme boucle sur lui-même en amplifiant la perturbation de départ. « Ce phénomène est naturel, il nécessite juste une perturbation initiale d’origine quelconque pour s’établir. »
Mettre en évidence ce phénomène
Reste que jusqu’à présent la rétroaction positive océan-glace était uniquement un modèle théorique. Raison pour laquelle, Olivier Lecomte et ses collègues sont partis à la recherche de preuves physiques de son existence. « Pour ce faire, nous avons étudié les variations de températures océaniques à différentes profondeurs grâce à des mesures effectuées durant des campagnes océanographiques ou par des bouées dérivantes pendant trente ans en mer de Ross. Ce qui a fini par payer ! Nous avons en effet trouvé un lien entre la température à environ 125 m de profondeur, qui a augmenté au cours des dernières décennies dans la mer de Ross, et la quantité de glace en surface. La rétroaction océan-glace est donc une hypothèse valable pour expliquer l’expansion de la banquise antarctique sur la période 1979-2015 », s’enthousiasme le chercheur dont les résultats sont publiés dans la revue Nature Communications.
Une découverte conciliatrice...
Grâce à ces travaux, l’explication de l’expansion de la banquise antarctique par la variabilité naturelle du système océan-glace de mer est pour la première fois appuyée par un processus physique quantifié. À ce jour, elle n’était attestée que statistiquement, ce qui ne fournit pas d’explication précise sur la nature du phénomène. « Par ailleurs, elle permet aussi de tenir compte des autres hypothèses qui avaient été évoquées. En effet, la rétroaction positive requiert une perturbation initiale qui peut prendre la forme d’une modification des précipitations, des vents ou des températures particulièrement froides un hiver, etc. De ce point de vue, l’étude est un pas supplémentaire important vers une explication globale de l’expansion de la banquise antarctique jusqu’à 2015, compatible avec toutes les autres hypothèses liées aux changements climatiques. »
… et compatible avec les observations de 2016
Enfin, autre leçon à tirer de ces travaux : si la rétroaction venait à s’inverser et si la chaleur piégée en profondeur est libérée vers la surface, suffisamment d’énergie serait alors disponible pour faire disparaitre l’excédent de glace formé au cours des dernières décennies. « Ceci est d’autant plus intéressant que notre publication intervient à un moment où l’étendue de la banquise antarctique est en passe de battre son record minimum de couverture annuelle depuis presque 40 ans. En effet, après s’être étendue pendant près de 36 ans, entre 2016 et 2017, la surface de la banquise antarctique a diminué drastiquement. L’avenir dira s’il s’agit d’un évènement particulier dans la variabilité interannuelle de l’étendue, au sein d’une tendance qui demeure à l’augmentation, ou s’il s’agit d’une inversion à plus long terme, mais la réversibilité du mécanisme que l’on propose pourrait aussi expliquer ce genre de situation », conclut Olivier Lecomte.
Elise Dubuisson
(1) Pour comprendre ces mécanismes plus en détail, on pourra notamment consulter les documents didactiques suivants :
Vidéo explicative (en anglais) du rôle de l’eau douce dans la dynamique de l’océan
Article de vulgarisation sur le même sujet
Coup d'oeil sur la bio d'Olivier Lecomte
2005-2008 Ingénieur Hydrographe et Océanographe (ENSTA Bretagne, Brest, France)
2007-2008 Master en Physique Océan-Atmosphère (UBO, Brest, France)
2008-2014 Assistant de recherche (UCL)
Sept.-Nov. 2012 Campagne de terrain sur la banquise de l’Antarctique de l’Est (SIPEX2)
2014 Docteur en Sciences (UCL)
2014-2016 Postdoctorant (UCL/ELIC, Earth and Life Institute)
Depuis nov. 2016 Postdocrotant (UCL/ELIC) et accompagnateur Pédagogique au service d’aide aux étudiants (UCL/AIDE)