Plan Marshall&co, la Wallonie rattrape-t-elle son retard ?

En 2005, la Région wallonne lançait le plan Marshall. Son objectif ? Rattraper son retard économique par rapport aux autres régions et favoriser la reconversion industrielle. Est-ce que les 4,5 milliards d’euros d’investissements publics sur dix ans ont permis d’atteindre cet objectif ? Les réponses de Jean Hindriks, professeur d’économie à l’UCL.

Comme presque tous les plans de développement économique, le plan Marshall s’est déroulé selon un axe central consistant regrouper les activités économiques et de recherche au sein de pôles de compétitivités. Par ailleurs, il s’agissait de passer progressivement d’une économie basée sur les industries vers une économie dont les principaux revenus proviendraient des services et des nouvelles technologies. « La Wallonie n’est pas la seule à avoir développé ce type de stratégie, la Flandre a elle aussi son plan « Marshall », le plan « Vlaanderen in actie » », explique Jean Hindriks. « Aujourd’hui, plus de 10 ans plus tard, nous avons enfin suffisamment de recul pour étudier les effets de ces différentes initiatives. »

Des résultats encourageants pour la Wallonie

« La première constatation que l’on peut faire est positive à l’égard de la Région wallonne. En effet, grâce au plan Marshall et à ceux qui ont suivi, la Wallonie a réussi à accrocher le train flamand. Bien entendu, elle ne rattrape pas la Flandre en terme de développement économique - le retard était trop important - mais le fameux décrochage wallon n’existe plus », poursuit le professeur d’économie. Toutefois, ces résultats sont à tempérer… En effet, en Wallonie 25 à 30% de l’emploi dépend directement du secteur public, des emplois qui sont donc financés par des subsides et des impôts. « La Wallonie sera-t-elle encore capable de financer elle-même ces emplois dans les années à venir ? Ceux-ci sont certes moins soumis à la concurrence et ne subissent pas les effets des crises économiques mais les régions vont de plus en plus être amenées à subvenir à leurs besoins seules… »

Bruxelles à la traine

Si la Wallonie a réussi à se redresser, ce n’est en revanche pas le cas de Bruxelles. Il y a 10 ans, Bruxelles affichait une production par habitant de 200% par rapport à la moyenne européenne. Une production qui a aujourd’hui chuté à 175%. « On peut parler de déclin économique pour Bruxelles. Pourtant, la région ne produit pas moins mais elle fait face à deux phénomènes qui la tire vers le bas : d’une part l’augmentation du nombre d’habitants et d’autre part, une production qui n’augmente pas aussi vite que celle des autres régions européennes. » Résultat : la production par habitant tant en Flandre qu’en Wallonie converge vers la production par habitant à Bruxelles. Toutefois, entre 2000 et 2013, la part de chaque région dans le produit intérieur brut (PIB) belge reste constante. « La Flandre en assure 55%, la Wallonie 25% et la Région bruxelloise 20%. »

Point fort : la mobilité des travailleurs

Parallèlement à cette analyse région par région, Jean Hindriks et ses collègues se sont intéressés à la situation au sein même des régions. Le développement de pôles de compétitivité permet-il à tous les arrondissements de bénéficier de l’activité économique qui est développée dans leur région ou certains arrondissements sont désertés et s’appauvrissent ? « On constate que la distribution de l’activité économique au sein des régions est devenue plus inégale. Heureusement, si on se penche sur les revenus, on constate que l’inégalité entre arrondissements est beaucoup moins marquée. Notamment parce que les résidents d’un arrondissement vont chercher leurs emplois dans un autre arrondissement. En Belgique, un travailleur sur trois travaille en dehors de son son arrondissement de résidence. Par ailleurs, la fiscalité et les transferts sociaux permettent aussi de réduire les inégalités entre arrondissements riches et pauvres au travers de la redistribution interpersonnelle. »

Toutefois, si les disparités quant aux revenus sont faibles entre arrondissements d’une même région, elles sont plus fortes entre arrondissements de régions différentes. « Ainsi, d’après nos calculs, il faudrait 15 ans pour réduire de moitié les écarts de revenu disponible entre arrondissements d’une même région contre 49 ans entre arrondissements de régions différentes. »

À l’avenir ? Favoriser la mobilité des travailleurs

Sur base de ces résultats, les chercheurs ont établi des recommandations afin que la Belgique puisse poursuivre son développement économique au travers de pôles de compétitivité. « Si les régions souhaitent poursuivre selon cet axe, il est essentiel d’assurer la cohésion sociale entre régions et arrondissements. Pour ce faire, il faut favoriser la mobilité des travailleurs au travers de navettes et faciliter leur accès aux zones pourvoyeuses d’emplois, notamment entre régions. Cela passe par la maîtrise du néerlandais chez les francophones, la fluidité de nos transports en commun et enfin un marché immobilier plus flexible. En effet, aujourd’hui la Belgique reste le pays d’Europe qui taxe le plus lourdement les transactions immobilières, et le récent tax shift n’y a rien changé… », conclut Jean Hindriks.

Elise Dubuisson

Coup d'oeil sur la bio de Jean Hindriks

Jean Hindriks

1991 Master en économie (Université de Namur)
1996 Doctorat en économie (Université de Namur)
1998 Post-doctorat en économie (Université d’Essex)
1998 – 2000 Professeur d’économie à l’Université d’Exeter
2000 – 2002 Professeur d’économie au Queen Mary College (Université de Londres)
2013 – 2014 Membre de la Commission de Réforme des Pensions
Depuis 2015 Membre du Conseil Académique des Pensions
Depuis 2002 Professeur d’économie à l’Université Catholique de Louvain
Depuis 2002 Membre du Center of Operations Research and Econometrics (CORE)
Depuis 2010 Directeur du Master en Économie de l’UCL
Depuis 2015 Professeur ordinaire à l’UCL

Publié le 15 mai 2016